1C_177/2024 09.12.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_177/2024
Arrêt du 9 décembre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Haag et Merz.
Greffière : Mme Rouiller.
Participants à la procédure
A.________ et B.A.________, représentés par
Me Yves Nicole, avocat,
recourants,
contre
C.________ SA,
intimée,
Municipalité d'Ormont-Dessus, rue de la Gare 1, 1865 Les Diablerets, représentée par Me Jacques Haldy, avocat,
Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud, Service juridique, avenue de l'Université 5, 1014 Lausanne.
Objet
Permis de construire; récusation,
recours contre l'arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 20 février 2024 (AC.2023.0245).
Faits :
A.
D.________ SA (ci-après: société constructrice) est propriétaire de la parcelle n o 3333 de la commune d'Ormont-Dessus. Selon le registre du commerce, le but de la société constructrice est le suivant: "construction et exploitation de télécabines, télésièges, téléskis et d'autres moyens de transport analogues, en particulier du Télécabine Villars-Roc d'Orsay, le transport de choses ou de personnes, l'exploitation d'établissements publics et, en général, toute opération commerciale et industrielle".
Le 14 janvier 2022, la société constructrice a déposé auprès de la Municipalité d'Ormont-Dessus (ci-après: municipalité) une demande de permis de construire, sur la parcelle n o 3333, un local pour la vente de billets pour l'utilisation des remontées mécaniques et un parking de 25 places.
A.________ et B.A.________ sont propriétaires de la parcelle n o 3486 située environ 50 mètres à l'est de la parcelle n o 3333.
B.
Par décision du 6 juillet 2023, la municipalité a octroyé le permis de construire et levé l'opposition de A.________ et B.A.________.
Par arrêt du 20 février 2024, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (ci-après: CDAP) a rejeté le recours formé par A.________ et B.A.________ contre la décision de la municipalité du 6 juillet 2023.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et B.A.________ demandent au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt de la CDAP du 20 février 2024 en ce sens que la décision de la municipalité du 6 juillet 2023 est annulée. Subsidiairement, ils concluent à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision.
La CDAP renonce à se déterminer. La municipalité d'Ormont-Dessus conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. La Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud s'en remet à justice. Un second échange d'écritures a eu lieu, au terme duquel les parties maintiennent leurs conclusions respectives.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public des constructions (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée. Les recourants ont pris part à la procédure devant l'instance précédente. En tant que propriétaires d'une parcelle située à proximité du projet de construction litigieux, ils sont particulièrement touchés par l'arrêt attaqué. Ils peuvent ainsi se prévaloir d'un intérêt personnel et digne de protection à l'annulation de l'arrêt attaqué. Ils bénéficient dès lors de la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF.
Les autres conditions de recevabilité sont au surplus réunies, si bien qu'il convient d'entrer en matière.
2.
Pour seul grief, les recourants invoquent une violation de l'art. 30 al. 1 Cst., subsidiairement de l'art. 29 al. 1 Cst. Ils se plaignent du fait que le syndic de la commune d'Ormont-Dessus, qui avait signé la décision du 6 juillet 2023, est également membre du conseil d'administration de la société constructrice.
2.1.
2.1.1. L'art. 30 al. 1 Cst. prévoit que toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce que sa cause soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial.
Selon la jurisprudence, est considérée comme un "tribunal" au sens de cette disposition une autorité qui tranche des litiges en rendant des décisions motivées et contraignantes, fondées sur la loi et le droit, à l'issue d'une procédure ordonnée et équitable de nature judiciaire. Cette autorité ne doit pas nécessairement être intégrée à la structure judiciaire ordinaire de l'État; elle doit cependant, par son organisation, sa composition, le mode de nomination de ses membres, la durée de leurs fonctions, son insensibilité aux influences extérieures et l'apparence qu'elle présente, être indépendante et impartiale tant envers d'autres autorités qu'envers les parties (arrêt 9C_266/2023 consid. 5.3, non publié in ATF 149 I 343; ATF 142 III 732 consid. 3.3 et références). Une autorité judiciaire au sens de l'art. 30 Cst. est caractérisée, du point de vue fonctionnel, par son activité juridictionnelle et, du point de vue organisationnel, par son indépendance institutionnelle (arrêt 9C_266/2023 consid. 5.3 et références, non publié aux ATF 149 I 343).
En l'espèce, il ne saurait être retenu, comme le soutiennent les recourants, qu'une municipalité puisse être considérée comme un tribunal au sens de l'art. 30 Cst. Il s'agit à l'inverse d'une autorité exécutive, qui ne présente pas une indépendance suffisante pour être qualifiée d'instance judiciaire, tant s'agissant de sa composition que d'un point de vue organisationnel. Toute autre solution serait au demeurant contraire au principe de la séparation des pouvoirs. Seul l'art. 29 Cst. doit donc s'appliquer à la présente procédure.
2.1.2. Selon la jurisprudence, un motif de récusation qui n'est découvert qu'après le prononcé du jugement de dernière instance cantonale, mais avant l'écoulement du délai de recours devant le Tribunal fédéral, peut être invoqué pour la première fois dans le recours devant le Tribunal fédéral (ATF 147 I 173 consid. 3 et 4; 139 III 466 consid. 3.4). Ce principe vaut en droit civil et pénal, domaines dans lesquels la récusation est régie par le droit fédéral, mais également en droit public cantonal si un motif de récusation découle directement de l'art. 30 al. 1 Cst.; le Tribunal fédéral revoit alors en effet librement l'interprétation et l'application du droit fédéral (ATF 147 I 173 consid. 4.2.2). Pour la même raison, ce principe s'applique aussi lorsqu'un motif de récusation découle de l'art. 29 al. 1 Cst.
2.1.3. Le droit à un traitement équitable en procédure, garanti à l'art. 29 al. 1 Cst. permet notamment d'exiger la récusation des membres d'une autorité administrative dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur leur indépendance ou leur impartialité; il tend à éviter que des circonstances extérieures à l'affaire ne puissent influencer une décision en faveur ou au détriment de la personne concernée. La récusation peut s'imposer même si une prévention effective du membre de l'autorité visée n'est pas établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale. Cependant, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération; les impressions purement individuelles d'une personne impliquée ne sont pas décisives (cf. ATF 142 III 732 consid. 4.2.2; 138 I 425 consid. 4.2.1).
De manière générale, les dispositions sur la récusation sont moins sévères pour les membres des autorités administratives que pour les autorités judiciaires. Contrairement à l'art. 30 al. 1 Cst., l'art. 29 al. 1 Cst. n'impose pas l'indépendance et l'impartialité comme maxime d'organisation. En règle générale, les prises de position qui s'inscrivent dans l'exercice normal des fonctions gouvernementales, administratives ou de gestion, ou dans les attributions normales d'une autorité partie à la procédure, ne permettent pas de conclure à l'apparence de partialité et ne sauraient justifier une récusation, au risque sinon de vider de son sens la procédure administrative (arrêt 1C_657/2018 du 18 mars 2021 consid. 4.1, non publié in ATF 147 II 319; ATF 140 I 326 consid. 5.2).
La partie qui a connaissance d'un motif de récusation doit l'invoquer aussitôt, sous peine d'être déchue du droit de s'en prévaloir ultérieurement (ATF 143 V 66 consid. 4.3; 140 I 271 consid. 8.4.3). Il est, en effet, contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré de la composition irrégulière d'une autorité pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure (ATF 136 III 605 consid. 3.2.2). Cela ne signifie pas que la composition concrète de l'autorité amenée à statuer doive nécessairement être expressément communiquée au justiciable. Il suffit que l'information ressorte d'une publication générale facilement accessible, en particulier sur Internet, par exemple dans un annuaire officiel (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3; 139 III 120 consid. 3.2.1).
2.2. En l'espèce, les recourants fondent leur recours sur le fait que le syndic d'Ormont-Dessus, qui a signé la décision du 6 juillet 2023, est également membre du conseil d'administration de la société constructrice.
Ils estiment que cette constellation constitue un motif de récusation et justifie l'annulation de la décision d'octroi du permis de construire et de levée des oppositions. Les recourants précisent avoir eu connaissance de ce motif de récusation après le prononcé de l'arrêt cantonal, moment auquel ils ont consulté le registre du commerce. Ils n'exposent toutefois pas la raison pour laquelle ils n'ont effectué cette recherche et découvert cette information qu'après le prononcé de l'arrêt de la CDAP du 20 février 2024, mais se contentent d'affirmer qu'on ne saurait exiger d'un plaideur qu'il examine attentivement les instances dirigeantes d'une société auquel il est opposé.
Or, les inscriptions au registre du commerce, facilement accessibles, constituent un fait notoire (cf. ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1). Les recourants doivent dès lors être présumés avoir eu connaissance de cette information dès le début de la procédure, qu'ils ont entamée contre la constructrice. Il apparaît en effet contraire au principe de la bonne foi de n'invoquer ce moyen que dans le cadre d'une procédure de recours devant le Tribunal fédéral alors que le prétendu vice aurait pu, facilement, être constaté auparavant; ceci vaut en particulier dans le cadre d'un litige initié par les recourants à l'encontre d'une société dont les seuls nom et buts laissent déjà penser que des communes pourraient y être impliquées.
Invoqué tardivement, le grief doit partant être rejeté.
3.
Il s'ensuit que le recours est rejeté. Les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants, qui succombent (art. 65 et 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens à la commune (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge des recourants.
3.
Il n'est pas alloué de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des recourants et de la Municipalité d'Ormont-Dessus, à l'intimée, ainsi qu'à la Direction générale du territoire et du logement et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 9 décembre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Rouiller