8C_261/2024 18.12.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_261/2024
Arrêt du 18 décembre 2024
IVe Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Wirthlin, Président, Viscione et Métral.
Greffière : Mme Castella.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par M e Leonard Toenz,
avocat,
recourante,
contre
Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), Division juridique, Fluhmattstrasse 1, 6002 Lucerne,
intimée.
Objet
Assurance-accidents (rente de survivants),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
de Vaud du 26 mars 2024 (AA 38/23 - 30/2024).
Faits :
A.
B.________, né en 1974, de nationalité suédoise, est décédé le 17 janvier 2021 des suites d'un accident de ski. Il était domicilié en Suisse et travaillait pour la société anonyme C.________. A ce titre, il était assuré contre le risque d'accident auprès de la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA).
Au jour de son décès, il était divorcé, par jugement du 16 juillet 2020 rendu selon le droit suédois, de A.________, mère de leurs trois enfants mineurs qui en avait la garde exclusive et vivait avec ceux-ci en Suède. Par décision du 5 avril 2022, la CNA a octroyé une rente d'orphelin à chacun des trois fils.
Par lettres des 1er juin et 25 novembre 2022, A.________ a émis des prétentions en allocation d'une rente de survivante de la part de la CNA. Par décision du 6 décembre 2022, confirmée sur opposition le 7 mars 2023, celle-ci lui a dénié le droit à ladite prestation.
B.
Par arrêt du 26 mars 2024, la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours de A.________ contre la décision sur opposition du 7 mars 2023, qu'elle a confirmée.
C.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont elle demande la réforme dans le sens de la reconnaissance de son droit à une rente de veuve, en tant que conjointe divorcée. A titre subsidiaire, elle conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la juridiction précédente pour nouvelle décision.
La CNA, la cour cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer sur le recours.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
Le litige porte sur le droit de la recourante à une rente de veuve consécutivement au décès de son ex-conjoint le 17 janvier 2021.
S'agissant d'une procédure concernant l'octroi de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par la juridiction précédente (art. 105 al. 3 LTF).
3.
Conformément à l'art. 28 LAA, lorsque l'assuré décède des suites d'un accident, le conjoint survivant et les enfants ont droit à des rentes de survivants. Le conjoint survivant a droit à une rente lorsque, au décès de son conjoint, il a des enfants ayant droit à une rente ou vit en ménage commun avec d'autres enfants auxquels ce décès donne droit à une rente ou lorsqu'il est invalide aux deux tiers au moins ou le devient dans les deux ans qui suivent le décès du conjoint (art. 29 al. 3, première phrase, LAA). La veuve a en outre droit à une rente lorsque, au décès du mari, elle a des enfants qui n'ont plus droit à une rente ou si elle a accompli sa 45e année; elle a droit à une indemnité en capital lorsqu'elle ne remplit pas les conditions d'octroi d'une rente (art. 29 al. 3, seconde phrase, LAA).
Aux termes de l'art. 29 al. 4 LAA, le conjoint divorcé est assimilé à la veuve ou au veuf lorsque l'assuré victime de l'accident était tenu à aliments envers lui. L'obligation de verser une pension alimentaire au conjoint divorcé, au sens de l'art. 29 al. 4 LAA, doit résulter d'un jugement passé en force ou d'une convention de divorce approuvée par le juge (art. 39 OLAA [RS 832.202]).
4.
En l'espèce, les juges cantonaux ont constaté que l'assuré avait travaillé en Suisse et était, de ce fait, assuré auprès de l'intimée pour les accidents non professionnels. Le cas d'assurance devait donc être examiné selon le droit suisse, à l'aune des conditions posées aux art. 29 al. 4 LAA et 39 OLAA.
Se référant à la jurisprudence développée en la matière, les juges cantonaux ont retenu que la condition relative à l'obligation de verser des prestations ne devait pas impérativement résulter d'un jugement de divorce entré en force ou d'une convention de divorce ratifiée par le juge, mais pouvait être déduite plus largement de toute preuve permettant d'établir une obligation juridique de la personne assurée de contribuer à l'entretien de l'ex-conjoint, pour autant que cette preuve soit univoque. À cet égard, la recourante avait fourni un jugement de divorce du 16 juillet 2020 passé en force, rendu selon le droit suédois. Ce jugement était reconnu en Suisse en vertu des art. 1 al. 2 de la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé (LDIP; RS 291) et 2 de la Convention du 1er juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps (RS 0.211.212.3). Contrairement à ce que soutenait la recourante, ce n'était pas tant la question du droit (suisse ou suédois) applicable dans son cas qui était déterminante, mais plutôt le point de savoir si le jugement de divorce produit, et valant comme tel en Suisse, permettait l'octroi d'une rente de survivante selon les art. 29 al. 4 LAA et 39 OLAA. Or ce jugement, qui se prononçait uniquement sur le principe du divorce mais ne prévoyait pas de contributions d'entretien, ne permettait pas d'établir l'existence d'une obligation d'entretien du défunt envers la recourante. Celle-ci admettait en outre qu'elle n'avait entrepris aucune démarche, singulièrement qu'elle n'avait pas ouvert d'action, en vue d'obtenir une contribution d'entretien avant le décès de son ex-conjoint. Elle avait également allégué qu'elle ne recevait pas une telle contribution et qu'elle n'était pas parvenue à se mettre d'accord avec son ex-conjoint à ce sujet. Quant à l'avis de droit d'une avocate suédoise, produit par la recourante en procédure administrative, il mentionnait que celle-ci aurait pu obtenir une contribution d'entretien limitée à un an, ce qui était purement spéculatif et ne fondait aucune obligation juridique. Il était donc établi qu'aucune prestation d'entretien n'était effectivement versée en faveur de la recourante, même au-delà du cadre du jugement de divorce. Enfin, les juges cantonaux ont nié que celle-ci n'aurait pas eu le temps d'ouvrir une action alimentaire entre le prononcé du divorce le 16 juillet 2020 et le décès de l'assuré, survenu le 17 janvier 2021. Aussi la recourante ne pouvait-elle pas prétendre à l'allocation d'une rente de survivante.
5.
La recourante soutient que la question de l'obligation de verser des contributions d'entretien doit être tranchée selon le droit suisse et que le droit étranger du domicile du conjoint divorcé n'est concrètement pas déterminant. Partant, ni le jugement de divorce suédois rendu en l'espèce, ni de manière plus générale la procédure de divorce selon le droit suédois ne seraient décisifs en l'espèce. Il importerait uniquement de déterminer si, au moment de l'accident et du décès de l'assuré, il existait ou non une obligation de contribution d'entretien selon le droit suisse. Dans ce contexte, la recourante se prévaut également - comme en instance cantonale - du Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.1), qui lui garantirait, à son art. 4, une égalité de traitement par rapport à une épouse divorcée résidant en Suisse. Elle conteste à cet égard le point de vue des premiers juges, selon lequel la situation n'aurait pas été nécessairement différente si les époux avaient divorcé selon le droit suisse, lequel n'impose pas de fixer systématiquement la contribution d'entretien dans le jugement de divorce, ni ne prévoit ex lege une obligation d'entretien de l'ex-conjoint.
La recourante fait ensuite valoir que tous les éléments de fait déterminants pour trancher la question de savoir s'il existe une obligation d'entretien sont disponibles et non contestés, évoquant en particulier la durée du mariage de 17 ans, la date de dissolution du mariage et de l'accident mortel ou encore la garde exclusive des enfants en Suède. Elle relève en outre que son ex-conjoint disposait d'un revenu confortable, dès lors que pour fixer la rente de survivants des trois enfants, l'intimée s'était fondée sur un revenu lucratif annuel déterminant de 148'200 fr. La recourante se plaint enfin de ce qu'aucun tribunal n'a tranché la question de savoir si l'assuré avait ou non une obligation d'entretien au sens de l'art. 29 al. 4 LAA. Selon elle, le tribunal qui doit statuer sur son droit à une rente selon l'art. 29 al. 1 LAA doit également examiner s'il y a une obligation de verser des contributions d'entretien au sens de l'art. 29 al. 4 LAA. Il appartiendrait dès lors au Tribunal fédéral de statuer sur ce point ou de renvoyer l'affaire à l'instance précédente pour qu'elle le fasse.
6.
6.1. Selon la jurisprudence, il convient d'appliquer par analogie à l'art. 29 al. 4 LAA, en relation avec l'art. 39 OLAA, l'exigence d'une preuve univoque de l'obligation légale de verser des contributions d'entretien, telle qu'elle a elle-même été développée par la jurisprudence relative à l'art. 23 al. 2 LAVS dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 1996 (arrêt U 201/00 du 9 février 2001). L'ancien art. 23 al. 2 LAVS assimilait la femme divorcée à la veuve après le décès de son mari divorcé, pour autant que ce dernier ait été tenu de lui verser des contributions d'entretien (et que le mariage ait duré au moins dix ans).
En ce qui concerne la première condition, soit précisément l'obligation de verser des contributions d'entretien, le Tribunal fédéral des assurances avait décidé, dans une jurisprudence longue et bien établie, qu'il devait ressortir clairement du jugement de divorce ou de la convention de divorce, ou encore de moyens de preuve supplémentaires, que les prestations versées par le mari compensaient les droits de la femme divorcée à des contributions d'entretien personnelles conformément aux art. 151 ou 152 CC (dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 1999). L'existence d'une obligation d'entretien au sens de l'art. 23 al. 2 LAVS constituait une question de preuve qui devait être examinée de manière indépendante dans le cadre de la procédure de droit des assurances sociales. À cet égard, l'administration n'était pas tenue de consulter de son propre chef d'autres pièces que le jugement de divorce et la convention de divorce; elle devait cependant entrer en matière sur les demandes concrètes de preuves et tenir compte des moyens de preuve présentés lors de l'évaluation. En conséquence, l'obligation d'entretien au sens de l'art. 23 al. 2 LAVS ne devait pas nécessairement être établie sur la base du seul libellé du jugement de divorce ou de la convention de divorce mais pouvait également résulter d'autres moyens de preuve (supplémentaires) s'il en ressortait clairement que les prestations fournies par le mari avaient indemnisé les droits de la femme divorcée à des contributions d'entretien (ATF 110 V 242 consid. 1 et 2). Dans ce contexte, il a été jugé, par exemple, que l'obligation juridique (et pas seulement morale) de contribuer à l'entretien de l'ex-conjoint survivant n'était pas établie, même dans le cas d'un assuré décédé qui avait versé plus ou moins régulièrement à sa première épouse des montants destinés notamment à son entretien mais qui n'étaient pas mentionnés dans le jugement ou la convention de divorce (arrêt U 201/00 précité consid. 2b). De même, le fait qu'un assuré vivait en concubinage avec son ex-épouse à qui il fournissait des prestations d'entretien pendant une longue durée ne permettait pas de conclure à une volonté de se lier contractuellement (arrêt U 104/03 du 14 juillet 2004 consid. 3.3).
6.2. Au vu de la jurisprudence exposée au considérant qui précède, la recourante se méprend lorsqu'elle laisse entendre qu'il appartiendrait au juge des assurances sociales d'examiner d'office l'existence d'une obligation (juridique) de verser des contributions d'entretien à l'ex-conjoint. Soit cette obligation ressort clairement d'un jugement de divorce ou d'une convention, soit elle peut être établie sur la base du dossier. À cet égard, le rôle du juge se limite à examiner si une preuve univoque de l'obligation de verser des contributions d'entretien peut être déduite du dossier. Cela ne signifie pas qu'il doit endosser le rôle du juge du divorce et examiner concrètement si l'ex-conjoint aurait droit à une pension si une procédure de divorce était pendante. Certes, la jurisprudence impose à l'administration d'entrer en matière sur des réquisitions de preuves concrètes. La recourante ne fait toutefois pas valoir qu'un moyen de preuve offert aurait été écarté à tort. En outre, on ne peut pas suivre le point de vue selon lequel le dossier contiendrait tous les éléments pour statuer à ce sujet. Même sous l'angle du droit suisse, invoqué par la recourante, la durée du mariage et la garde des enfants ne suffisent pas à attester son droit propre à une contribution, d'autant moins que le dossier n'offre aucune vue d'ensemble de sa situation économique et personnelle. Il ne permet pas non plus de retenir que le versement d'une pension avait concrètement fait l'objet d'une discussion entre les ex-époux ou encore que la recourante avait initié une procédure tendant à la reconnaissance de son droit à une contribution, respectivement entrepris des démarches concrètes dans ce sens. Il s'ensuit que les griefs de la recourante, qu'ils portent sur l'application du droit suisse ou sur l'égalité de traitement, sont mal fondés, dès lors que la condition d'une preuve univoque de l'obligation légale de verser des contributions, laquelle s'applique en tout état de cause, n'est pas satisfaite en l'espèce.
7.
La recourante, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 18 décembre 2024
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Wirthlin
La Greffière : Castella