4A_609/2023 20.12.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_609/2023
Arrêt du 20 décembre 2024
I
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, Présidente, Hohl, Kiss, Rüedi et May Canellas.
Greffier : M. Botteron.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Alexandra Jacot-Guillarmod,
recourante,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Marc Vuilleumier,
intimée.
Objet
Preuve à futur hors procès, voie de recours cantonale contre la décision de première instance;
recours contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2023 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (JE20.031121-230600, 460).
Faits :
A.
A.a. Le 7 août 2020, B.________ SA a déposé une requête de preuve à futur contre A.________ SA devant la Juge de paix du district de Lausanne. La requérante a conclu à l'administration d'une expertise hors procès en lien avec les défauts présentés par une machine livrée par la défenderesse.
La défenderesse a conclu au rejet de la requête.
Par ordonnance du 19 novembre 2020, la Juge de paix a admis la requête de preuve à futur, a désigné trois personnes en qualité d'experts, l'une à défaut de l'autre, a chargé l'expert de répondre à diverses questions concernant les prétendus défauts de l'ouvrage et a mis l'avance des frais d'expertise à la charge de la requérante, la décision sur les frais devant intervenir à l'issue de la procédure. L'expert C.________ a été mis en oeuvre le 20 avril 2021 et a rendu son rapport le 30 juin 2021. La Juge de paix a arrêté le montant des honoraires de l'expert à 26'586 fr. 40 le 11 octobre 2021. Elle a encore chargé l'expert de répondre à trois questions complémentaires le 29 avril 2022, avant de renoncer à ce complément d'expertise le 25 novembre 2022.
Un échange d'écritures sur le sort des frais et dépens a été ordonné le 10 janvier 2023.
A.b. Le 5 janvier 2023, la requérante a ouvert action au fond en garantie des défauts de l'ouvrage contre la défenderesse devant la Chambre patrimoniale du canton de Vaud.
B.
Le 22 février 2023, la défenderesse à la procédure de preuve à futur a invoqué l'incompétence matérielle de la Juge de paix, en raison de l'ouverture de l'action au fond devant la Chambre patrimoniale, et a conclu à l'irrecevabilité de la requête de preuve à futur.
Par décision du 3 avril 2023, la Juge de paix a rejeté la requête d'irrecevabilité (i.e. l'exception d'incompétence) et a statué sur les frais judiciaires, qu'elle a fixés à 27'586 fr. 40, y compris les honoraires de l'expert par 26'586 fr. 40, et mis à la charge de la requérante, et elle a condamné celle-ci à verser à la défenderesse une indemnité de dépens de 8'500 fr. Enfin, elle a rayé la cause du rôle. Au pied de cette décision, il a été mentionné que celle-ci peut faire l'objet d'un recours au sens des art. 319 ss CPC dans le délai de 10 jours dès la notification.
Statuant sur un appel interjeté par la partie défenderesse le 10 novembre 2023, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud l'a déclaré irrecevable. En bref, elle a considéré que la décision de la Juge de paix, même si elle est finale au sens de l'art. 90 LTF, doit être attaquée par un recours limité au droit; l'indication de la voie de droit figurant au pied de la décision était donc correcte et l'appelante n'avait pas motivé l'existence d'un risque de préjudice difficilement réparable, ce qui excluait d'emblée toute conversion; par ailleurs, l'avocate de l'appelante ayant délibérément choisi d'interjeter un appel alors que la décision indiquait qu'elle pouvait faire l'objet d'un recours limité au droit, il n'y avait pas lieu de le convertir.
C.
Contre cet arrêt, qui lui a été notifié le 16 novembre 2023, la défenderesse a interjeté un recours en matière civile au Tribunal fédéral le 15 décembre 2023. Elle conclut, principalement, à sa réforme en ce sens que la requête de preuve à futur du 7 août 2020 soit déclarée irrecevable, que les frais judiciaires de 29'620 fr. 65 soient mis à la charge de la requérante et que celle-ci soit condamnée à lui verser une indemnité de 16'299 fr. 95 à titre de dépens; subsidiairement, elle conclut à l'annulation de la décision et au renvoi de la cause à la juge de première instance et, plus subsidiairement encore, à son renvoi à la cour d'appel civile. Invoquant la violation de l'art. 9 Cst. et de l'art. 29 al. 1 et 2 Cst., la recourante s'en prend au prononcé d'irrecevabilité de l'appel et à ses conséquences, à savoir l'absence de décision sur sa requête incidente d'irrecevabilité du 22 février 2023, sur sa demande de récusation de l'expert et sur sa critique relative au montant des dépens qui lui ont été alloués.
La requérante intimée conclut au rejet du recours.
La recourante a encore déposé des observations.
Sa requête d'effet suspensif a été rejetée par ordonnance présidentielle du 13 février 2024.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le recours en matière civile au Tribunal fédéral est recevable contre les décisions finales (art. 90 LTF), contre les décisions partielles (art. 91 LTF) et, sous réserve des cas visés par l'art. 92 LTF, contre les décisions incidentes (art. 93 al. 1 LTF) si celles-ci peuvent causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b). Cette réglementation est fondée sur des motifs d'économie de procédure, le Tribunal fédéral ne devant en principe s'occuper d'une affaire qu'une seule fois, lorsqu'il est certain que la partie recourante subit effectivement un dommage définitif (ATF 134 III 188 consid. 2.2).
La décision qui rejette une requête de preuve à futur " hors procès " (ou indépendante d'une procédure principale ou autonome) de l'art. 158 CPC est une décision finale au sens de l'art. 90 LTF, car elle met fin à la procédure (ATF 142 III 40 consid. 1.2; 138 III 46 consid. 1.1).
La décision qui ordonne l'administration d'une preuve à futur " hors procès ", comme l'administration d'une expertise, est une décision incidente au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF - les conditions de l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entrant pas en considération -, car elle ne termine pas la procédure, qui se poursuit par l'administration de la preuve, par d'éventuelles questions complémentaires des parties à l'intention de l'expert, ou encore, en cas de révocation ou de récusation de l'expert, par la nécessité de nommer un autre expert (ATF 142 III 40 consid. 1.2; 138 III 46 consid. 1.1; arrêt 4A_248/2014 du 27 juin 2014 consid. 1.2.3). Toutes les difficultés survenant pendant la procédure d'administration de la preuve (par ex. un complément d'expertise) sont l'objet de décisions incidentes au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêt 4A_248/2014 précité consid. 1.3).
Une fois que la preuve a été administrée, par exemple lorsque le rapport d'expertise a été rendu, la décision par laquelle le juge clôt la procédure, statue sur les frais et dépens et raye la cause du rôle est une décision finale au sens de l'art. 90 LTF, puisqu'elle met fin à la procédure (arrêts 4D_57/2020 du 24 février 2021 consid. 1; 4A_606/2018 consid. 1.1 et les arrêts cités). Tel est aussi le cas de la décision qui ordonne la preuve requise et statue sur les frais, parce qu'aucun autre acte du juge saisi n'est nécessaire et que son prononcé a donc mis fin à la procédure (arrêt 4A_421/2018 du 8 novembre 2018 consid. 4).
1.2. En l'espèce, la décision attaquée déclare irrecevable un appel interjeté contre une décision de première instance par laquelle la juge a rejeté une requête incidente d'irrecevabilité, a statué sur les frais et dépens de la procédure de preuve à futur et a rayé la cause du rôle. Il s'agit d'une décision finale au sens de l'art. 90 LTF, contre laquelle le recours en matière civile, interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), est donc recevable.
2.
Les décisions rendues en matière de preuve à futur sont considérées comme étant des décisions de mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF (ATF 142 III 40 consid. 2 et les arrêts cités). Il s'ensuit que seule la violation des droits constitutionnels peut être invoquée.
3.
Est litigieuse la voie de recours à l'autorité cantonale supérieure qui est ouverte contre une décision en matière de preuve à futur "hors procès" de l'art. 158 CPC. La cour cantonale a déclaré irrecevable l'appel de la défenderesse, celle-ci n'ayant pas interjeté un recours limité au droit des art. 319 ss CPC, comme cela lui avait été indiqué au pied de la décision de première instance qu'elle attaquait. La recourante soutient que cette décision est finale, que la voie de l'appel est ouverte et qu'elle n'a donc pas à démontrer que la décision peut lui causer un préjudice difficilement réparable.
3.1. Le système des voies de recours du Code de procédure civile repose sur des critères différents de ceux de la Loi sur le Tribunal fédéral. Le CPC n'oppose pas les décisions finales aux décisions incidentes (comme le fait la LTF, cf. consid. 1.1 ci-dessus), mais opte pour un système basé sur la nature de l'affaire et, lorsque celle-ci est de nature pécuniaire, sur sa valeur litigieuse.
3.1.1. L'appel (art. 308 ss CPC) est la voie de recours ordinaire et générale contre les décisions de première instance, qu'elles soient finales (art. 236 CPC), incidentes (art. 237 CPC) ou de mesures provisionnelles (art. 261 ss CPC), dans les affaires non patrimoniales (art. 308 al. 1 let. a et b CPC) et, lorsque la valeur litigieuse est de 10'000 fr. au moins, dans les affaires patrimoniales (art. 308 al. 2 CPC), et ce sans égard au type de procédure applicable (ordinaire, simplifiée, sommaire ou du droit de la famille). Selon le Message relatif au Code de procédure civile, les ordonnances d'instruction ne sont pas sujettes à appel (ci-après: Message CPC; FF 2006 6841, p. 6978). Le délai pour interjeter appel est en principe de 30 jours, mais il est de 10 jours lorsque la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 al. 1 CPC).
3.1.2. Le recours limité au droit (art. 319 ss CPC) est une voie de recours extraordinaire, qui est ouverte d'une part, à titre subsidiaire, contre les décisions qui ne peuvent pas faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC) parce que les conditions de l'appel de l'art. 308 CPC ne sont pas réunies ou que l'appel est exclu par l'art. 309 CPC, et qui est ouverte d'autre part, à titre principal, contre les autres décisions ( andere Entscheide; altre decisioni) dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) et contre les ordonnances d'instruction ( prozessleitende Verfügungen; disposizioni ordinatorie processuali) lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC). Selon le Message CPC, font partie des ordonnances d'instruction les ordonnances d'administration de preuves (art. 231 CPC) (Message CPC, p. 6984).
3.2. En vertu de l'art. 158 al. 1 CPC, une preuve à futur peut être administrée en tout temps et donc même avant l'ouverture du procès au fond ("hors procès") (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1). Elle peut être obtenue dans trois cas: lorsque la loi confère le droit d'en faire la demande (art. 158 al. 1 let. a CPC), lorsque la preuve est mise en danger (art. 158 al. 1 let. b, 1er cas CPC) ou lorsque le requérant a un intérêt digne de protection (art. 158 al. 1 let. b, 2e cas CPC).
3.2.1. Dans le 1er cas de la let. b, le tribunal administre les preuves en tout temps lorsque la mise en danger de celles-ci est rendue vraisemblable par le requérant. Cette preuve à futur a pour but d'assurer la conservation de la preuve, lorsque le moyen de preuve risque de disparaître ou que son administration ultérieure se heurterait à de grandes difficultés. Une partie peut donc requérir une expertise ou une autre preuve sur des faits qu'elle entend invoquer dans un procès éventuel (preuve à futur "hors procès"), en vue de prévenir la perte de ce moyen de preuve (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; arrêt 4A_143/2014 du 23 juin 2014 consid. 3).
Dans le 2ème cas de la let. b, la preuve à futur "hors procès" est destinée à permettre au requérant de clarifier les chances de succès d'un procès futur, de façon à lui éviter de devoir introduire un procès dénué de toute chance de succès. Il s'agit là d'une nouvelle institution, qui n'était connue que de certains droits de procédure cantonaux, tels ceux des cantons de Vaud et de Berne. Le requérant doit établir qu'il a un intérêt digne de protection à l'administration de la preuve. Il ne lui suffit pas d'alléguer avoir besoin d'éclaircir des circonstances de fait; il doit rendre vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle concrète contre sa partie adverse, laquelle nécessite l'administration de la preuve à futur (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; 140 III 16 consid. 2.2.2; ATF 138 III 76 consid. 2.4.2; arrêts 4A_143/2014 déjà cité consid. 3.1; 4A_342/2014 du 17 octobre 2014 consid. 3).
3.2.2. Dans tous les cas, il s'agit d'une procédure probatoire spéciale de procédure civile (ATF 142 III 40 consid. 3.1.2; arrêt 4A_143/2014 déjà cité consid. 3.2), à laquelle les dispositions sur les mesures provisionnelles sont applicables (art. 158 al. 2 CPC). Tous les moyens de preuve prévus par les art. 168 ss CPC peuvent être administrés en preuve à futur hors procès, et ce conformément aux règles qui leur sont applicables. Lorsqu'il s'agit d'une expertise, les règles des art. 183-188 CPC s'appliquent. Le tribunal devra peut-être se prononcer sur une demande de récusation ou de révocation de l'expert, et nommer un autre expert (ATF 142 III 40 consid. 3.1.2; 138 III 46 consid. 1.1; arrêts 5A_435/2010 du 28 juillet 2010 consid. 1.1.1; 4A_248/2014 déjà cité consid. 1.2.3).
La procédure de preuve à futur n'a, dans tous les cas, pas pour objet d'obtenir qu'il soit statué matériellement sur les droits ou obligations des parties, mais vise seulement à faire constater ou apprécier un certain état de fait. Le tribunal ne statue pas sur le fond, ni, dans le 2ème cas de l'art. 158 al. 1 let. b CPC, ne procède à un examen des chances de succès de la prétention matérielle du requérant (ATF 142 III 40 consid. 3.1.3; 140 III 16 consid. 2.2.2; ATF 138 III 76 consid. 2.4.2; arrêt 4A_143/2014 déjà cité consid. 3.1).
Une fois les opérations d'administration de la preuve terminées, le juge clôt la procédure et met les frais et dépens à la charge du requérant (lequel pourra les faire valoir ultérieurement dans le procès futur au fond; cf. ATF 140 III 30 consid. 3.3-3.5).
L'administration de la preuve à futur "hors procès" ne prive pas les parties du droit de requérir du tribunal saisi de la cause au fond qu'il ordonne que la preuve soit administrée à nouveau. Toutefois, si le tribunal s'estime suffisamment renseigné par l'expertise effectuée à titre de preuve à futur, il peut renoncer à ordonner une nouvelle expertise. L'expertise ordonnée en procédure de preuve à futur a en effet la valeur d'une expertise judiciaire (ATF 142 III 40 consid. 3.1.3).
3.3. Pour déterminer quelle est la voie de recours cantonale contre une décision en matière de preuve à futur, il faut tenir compte de la nature de la décision rendue et du stade auquel elle intervient dans le cours de la procédure dans son ensemble.
3.3.1. Dès lors qu'il s'agit d'une procédure probatoire, à laquelle l'art. 158 al. 1 CPC confère un droit à certaines conditions, il y a lieu d'admettre que le rejet de la requête de preuve à futur "hors procès" peut faire l'objet d'un appel selon l'art. 308 al. 1 let. b CPC ou, à titre subsidiaire, si la valeur litigieuse n'atteint pas 10'000 fr., d'un recours limité au droit selon l'art. 319 let. a CPC. Saisi d'une décision partielle (art. 91 let. b LTF), qui refusait à un tiers (sous-traitant) l'autorisation de participer à la procédure de preuve à futur en tant qu'intervenant accessoire et donc excluait qu'une nouvelle partie soit admise à la procédure (ATF 142 III 40 consid. 1.1), le Tribunal fédéral a déjà considéré qu'une telle intervention est admissible en tout état de cause, y compris lorsque la procédure de preuve à futur en est au stade de la procédure d'appel ou du recours limité au droit (ATF 142 III 40 consid. 3.3).
3.3.2. La décision d'admission de la requête de preuve à futur, qui ordonne qu'un moyen de preuve soit administré, est, par nature, une décision d'administration d'un moyen de preuve (arrêt 4A_248/2014 du 27 juin 2014 consid. 1.3), comme le sont les décisions d'administration de moyens de preuve au sens de l'art. 231 CPC et prises dans le cadre du procès principal (sur ces décisions, cf. l'arrêt 4A_581/2023 du 15 octobre 2024 consid. 1.2). Selon la volonté du législateur, il s'agit là d'ordonnances d'instruction (cf. art. 227 du projet), sujettes à recours limité au droit lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (Message CPC, n. 5.2.3.2 ad art. 316 p. 6984). Comme les moyens de preuve administrés pourront être écartés par le tribunal saisi de la cause au fond ou être administrés à nouveau par lui, que le tribunal pourra ordonner une expertise complémentaire ou une contre-expertise, il n'y aura en général pas de préjudice difficilement réparable (cf. consid. 3.2.2 ci-dessus).
3.3.3. Les décisions sur les difficultés auxquelles peut donner lieu l'administration d'un moyen de preuve seront, selon les cas, qualifiées d'autres décisions au sens de l'art. 319 let. b ch. 1 CPC (par ex. la récusation de l'expert [art. 50 al. 2 CPC]) ou d'ordonnances d'instruction (par ex. en cas de litige sur la mise en péril de secrets d'affaires du défendeur).
3.3.4. Enfin, la décision par laquelle le juge constate que la procédure de preuve à futur a pris fin, statue sur les frais et dépens et raye la cause du rôle est une décision de clôture d'une procédure devenue sans objet au sens de l'art. 242 CPC. Formellement, la procédure prend fin par la décision de radiation: après avoir constaté que la procédure n'a plus d'objet ou que les parties n'y ont plus d'intérêt juridique, décision qu'il doit motiver sommairement, et après avoir statué sur les frais et dépens, le juge raye la cause du rôle (art. 242 in fine CPC). Cette décision de radiation n'est pas une décision au sens de l'art. 236 CPC et ne peut donc pas faire l'objet d'un appel. Elle est une ordonnance d'instruction d'un type particulier et en tant qu'elle constate que la procédure est devenue sans objet et qu'elle statue sur les frais et dépens, elle peut être attaquée par un recours limité au droit au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC (cf. l'arrêt 4A_131/2013 du 3 septembre 2013 consid. 2.2.2.2; GSCHWEND/STECK, in: Basler Kommentar, 3e éd., 2017, n. 17 et 20 ad art. 242 CPC). D'ailleurs, lorsque le recourant ne remet en cause que les frais et dépens d'une décision, l'art. 110 CPC prévoit qu'il doit le faire par un recours limité au droit (art. 319 let. b ch. 1 CPC).
3.4.
3.4.1. En l'espèce, selon le dispositif de sa décision du 3 avril 2023, qu'elle a qualifiée de finale, la Juge de paix a statué sur deux points: elle a rejeté la requête incidente d'irrecevabilité du 22 février 2023 (i.e. l'exception d'incompétence) formée par la défenderesse et elle a statué sur les frais et dépens de la procédure de preuve à futur, ensuite de quoi elle a rayé la cause du rôle.
À propos du premier point, la Juge de paix a considéré que l'expertise a été ordonnée le 19 novembre 2020 et que le rapport d'expertise a été déposé le 30 juin 2021, de sorte que les opérations d'administration de la preuve étaient terminées; il ne lui restait donc plus qu'à statuer sur le second point, soit sur les frais et dépens de la procédure de preuve à futur. Elle n'était donc pas incompétente du seul fait que le procès au fond avait été introduit le 5 janvier 2023.
Alors même qu'au pied de la décision, la Juge de paix a indiqué que celle-ci pouvait faire l'objet d'un recours limité au droit, la défenderesse a interjeté un appel, considérant que cette décision de clôture de la procédure était finale et qu'une décision finale en matière de preuve à futur était une décision de mesures provisionnelles qui était sujette à appel au sens de l'art. 308 al. 1 let. b CPC.
Dans ses motifs, la cour d'appel s'est fondée exclusivement sur la nature finale de cette décision, au sens de l'art. 90 LTF. Elle l'a interprétée en ce sens que le "rejet de la requête d'irrecevabilité de l'appelante - déposée, il faut le souligner, pour un motif d'incompétence censé être survenu plus de deux ans après l'admission de la requête de preuve à futur et près de deux ans après la reddition du rapport d'expertise - s'apparente à une admission, respectivement à une confirmation d'admission de la requête du 7 août 2020, susceptible de recours au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC". Autrement dit, elle a considéré que même si la décision est finale au sens de l'art. 90 LTF, elle n'en est pas moins attaquable par la voie du recours limité au droit.
3.4.2. Il résulte clairement de la motivation de la décision de première instance qu'il s'agit d'une décision constatant que la procédure de preuve à futur est terminée (selon ses termes, "les opérations d'administration de la preuve à futur sont donc terminées"), ce qui, partant, a rendu sans objet la requête d'irrecevabilité (i.e. l'exception d'incompétence) soulevée par la défenderesse (selon ses termes, "le juge de céans n'est ainsi pas incompétent en raison de l'introduction d'un procès au fond"). Il ne restait donc plus à la Juge de paix qu'à statuer sur les frais et dépens de la procédure de preuve à futur, et à rayer la cause du rôle.
Force est donc d'admettre que l'on se trouve en présence d'une procédure qui a pris fin sans avoir fait l'objet d'une décision et a été radiée, au sens de l'art. 242 CPC. La décision de première instance ne pouvait donc être remise en cause que par un recours limité au droit au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC. Point n'était besoin, comme l'a fait la cour cantonale, d'extrapoler de l'arrêt 4A_421/2018, exposé ci-dessus (cf. consid. 1.1), que la requête d'irrecevabilité du 22 février 2023, fondée sur l'incompétence matérielle de la Juge de paix, était semblable à une admission d'une requête de preuve à futur, respectivement équivalait à une confirmation d'une telle requête, pour conclure à l'existence d'une ordonnance d'instruction et, par là, à un recours limité au droit.
3.4.3. L'appel interjeté étant irrecevable et la recourante ne s'en prenant ni au refus de la cour cantonale de convertir son appel en recours limité au droit, ni au reproche qui lui a été fait de n'avoir pas indiqué - dans son appel - en quoi la décision attaquée lui causerait un préjudice difficilement réparable, il n'y a pas lieu d'examiner ses autres griefs, qui présupposent tous que son appel fût recevable.
Il sied toutefois d'ajouter que, puisque la Juge de paix a constaté que la procédure de preuve à futur s'était terminée par le dépôt du rapport de l'expert et la renonciation à un complément d'expertise le 29 novembre 2022, la question de l'incompétence tirée de l'ouverture en 2023 de l'action au fond ne se posait tout simplement pas en l'espèce. Il en va de même pour la requête de récusation de l'expert, à supposer qu'elle ne soit pas déjà tardive. La recourante méconnaît que le juge du fond n'est pas limité dans son appréciation des preuves.
4.
Le recours doit donc être rejeté, par substitution des motifs qui précèdent, aux frais et dépens de son auteur (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 7'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 8'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 20 décembre 2024
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : Botteron