1C_529/2024 12.02.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_529/2024
Arrêt du 12 février 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Haag, Président,
Merz et Mecca, Juge suppléant.
Greffier : M. Hausammann.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________,
tous les deux représentés par Mes Anne-Rebecca Bula et Pierre-Yves Brandt, avocats,
recourants,
contre
C.________ SA, représentée par Me David Sifonios, avocat,
intimée,
Municipalité d'Aigle, Administration communale, chemin du Grand-Chêne 1, 1860 Aigle, représentée
par Me Marc-Olivier Buffat, avocat, Richard Avocats,
Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud, Service juridique, avenue de l'Université 5, 1014 Lausanne.
Objet
Mesures provisionnelles; refus d'ordonner l'arrêt immédiat de travaux,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton
de Vaud, Cour de droit administratif et public,
du 7 août 2024 (RE.2024.0005).
Faits :
A.
Afin de développer un réseau de chauffage à distance sur son territoire, la commune d'Aigle a octroyé à la société C.________ SA un "droit d'usage accru du domaine public" dans le but de construire, exploiter et entretenir le réseau. Une publication en ce sens a été faite dans la feuille des avis officiels (FAO), le 14 février 2023. Après le début des travaux en septembre 2023, A.________, agissant en tant que citoyen aiglon et membre du Conseil communal, a demandé leur cessation immédiate au motif qu'ils n'avaient pas fait l'objet d'une enquête publique ni d'une autorisation de construire.
Par décision du 26 mars 2024, le Département des institutions, du territoire et du sport, par le biais de sa direction générale du territoire et du logement (DGTL), a refusé d'ordonner l'arrêt des travaux. Il a relevé qu'ils ne dépassaient pas le cadre légal, qu'ils respectaient les enjeux cantonaux en matière d'énergie et que le développement du chauffage à distance avec la collaboration du réseau thermique de C.________ SA était mentionné dans la planification communale.
A.________ et un autre citoyen aiglon, B.________, ont recouru le 23 avril 2024 auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal (CDAP) du canton de Vaud contre ce prononcé. Leur demande de cessation immédiate des travaux à titre provisionnel a été refusée par décision incidente du 13 juin 2024 du juge instructeur. Par arrêt du 7 août 2024, la CDAP a rejeté le recours formé contre cette décision incidente portant sur des mesures provisionnelles.
B.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ (recourant 1) et B.________ (recourant 2) demandent principalement au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du 7 août 2024 portant sur les mesures provisionnelles et d'ordonner à C.________ SA de cesser immédiatement les travaux en lien avec l'installation d'un réseau de chauffage à distance, respectivement de suspendre ces travaux jusqu'à droit connu sur le recours interjeté sur le fond le 23 avril 2024 à la CDAP. Subsidiairement, ils concluent au renvoi de la cause à la CDAP pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Les recourants demandent également, à titre provisionnel, l'arrêt immédiat des travaux, ce qui a été refusé par ordonnance présidentielle du 8 octobre 2024.
La CDAP renonce à se déterminer et se réfère à son arrêt. La DGTL, la commune d'Aigle et l'intimée concluent à l'irrecevabilité du recours, respectivement à son rejet. Dans une réplique du 5 novembre 2024, les recourants maintiennent leurs conclusions.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 II 66 consid. 1.3). L'arrêt attaqué a été rendu en dernière instance cantonale dans le domaine de l'aménagement du territoire et des constructions et peut en principe faire l'objet d'un recours en matière de droit public conformément aux art. 82 ss de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110). Le recours a en outre été formé en temps utile contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d et 100 al. 1 LTF). Compte tenu de l'issue du litige, la question de la qualité pour recourir des recourants peut rester indécise, comme elle l'a été devant le Tribunal cantonal.
1.2. La décision refusant d'ordonner l'arrêt immédiat des travaux à titre provisionnel revêt un caractère incident qui ne met pas fin à la procédure administrative et ne peut faire l'objet d'un recours immédiat auprès du Tribunal fédéral que si elle satisfait aux exigences de l'art. 93 al. 1 LTF (cf. arrêts 1C_127/2020 du 9 mars 2020 consid. 2.2 et 1C_169/2018 du 28 juin 2018 consid. 1.1). On relève premièrement qu'une admission du recours ne conduirait pas immédiatement à une décision finale, de sorte que l'hypothèse de l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'est pas remplie. L'existence d'un préjudice irréparable selon l'art. 93 al. 1 let. a LTF (à savoir un dommage qui ne peut pas être réparé ultérieurement par une décision finale favorable à la partie recourante; ATF 137 III 475 consid. 1 et les références) pourrait être remplie si les travaux de construction litigieux étaient irréversibles et si une éventuelle remise en état apparaissait d'emblée impossible. Les recourants considèrent que tel serait le cas dès lors qu'un rétablissement conforme au droit présenterait des "inconvénients majeurs" de nature financière et organisationnelle pour la collectivité publique, ainsi que "d'importants désagréments" pour les riverains. On ne voit cependant pas pourquoi la mise en oeuvre de travaux de rétablissement de l'état conforme au droit serait nécessairement jugée disproportionnée, comme ils l'affirment péremptoirement. L'existence d'un préjudice irréparable n'apparaît dès lors pas d'emblée évidente et ne peut que difficilement être retenue sur la base de la motivation sommaire des recourants. Au vu du sort du recours, la question de la recevabilité du recours sous l'angle de l'art. 93 LTF peut toutefois demeurer indécise.
2.
Le litige porte sur le refus du juge instructeur de la CDAP d'ordonner des mesures provisionnelles. Soutenant que la pesée des intérêts effectuée serait entachée d'arbitraire, les recourants font grief à l'autorité précédente d'avoir abusé de son pouvoir d'appréciation et violé le principe de la proportionnalité.
2.1. Aux termes de l'art. 86 de la loi vaudoise sur la procédure administrative du 28 octobre 2008 (LPA; RS/VD 173.36), l'autorité peut prendre, d'office ou sur requête, les mesures provisionnelles nécessaires à la conservation d'un état de fait ou de droit, ou à la sauvegarde d'intérêts menacés. Devant le Tribunal cantonal vaudois, le magistrat instructeur est compétent pour rendre les décisions d'instruction, celles relatives à l'effet suspensif, aux mesures provisionnelles et à l'assistance judiciaire (art. 94 al. 2 LPA).
2.2. Le refus d'ordonner l'arrêt des travaux constitue une décision sur des mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF. D'une manière générale, le prononcé de mesures provisionnelles suppose qu'il y ait urgence à statuer et qu'une mesure soit nécessaire pour sauvegarder des intérêts menacés (arrêt 5A_916/2019 du 12 mars 2020 consid. 3.3 in SJ 2020 I p. 375). Il doit ainsi s'avérer indispensable de prendre immédiatement les mesures en question. La renonciation à des mesures provisoires doit entraîner pour la personne concernée un préjudice qui n'est pas facilement réparable, pour lequel un intérêt réel, notamment économique, suffit. Il est de plus nécessaire que la pesée des différents intérêts fasse pencher la balance en faveur de la protection juridique provisoire et que celle-ci apparaisse proportionnée. La situation qui doit être réglée par la décision finale ne doit enfin être ni préjugée ni rendue impossible (ATF 130 II 149 consid. 2.2; cf. arrêt 1C_344/2021 du 14 janvier 2022 consid. 2.6). S'il se trouve en contradiction avec d'autres intérêts publics ou privés, l'intérêt qui justifie les mesures provisionnelles doit être prépondérant au terme de la pesée des intérêts en présence pour qu'elles soient prononcées (Benoît Bovay, Procédure administrative, 2 e éd. 2015, p. 597).
L'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation quant au point de savoir s'il y a lieu d'ordonner des mesures provisionnelles (ATF 130 II 149 consid. 2.2), respectivement dans la pesée des intérêts à laquelle elle doit procéder (ATF 129 II 286 consid. 3). Le Tribunal fédéral n'examine qu'avec retenue l'appréciation à laquelle elle s'est livrée. Il n'annule une décision sur mesures provisionnelles que si la pesée des intérêts à son origine est dépourvue de justification adéquate et ne peut être suivie, soit en définitive si elle paraît insoutenable (arrêt 2C_359/2023 du 20 juillet 2023 consid. 8.2). Lorsque la décision attaquée porte sur des mesures provisionnelles au sens de l'art. 98 LTF, seule la violation de droits constitutionnels peut être invoquée (ATF 147 II 44 consid. 1.2). Les griefs formulés à ce titre doivent répondre aux exigences accrues d'allégation et de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2). La partie recourante doit ainsi indiquer quelle disposition constitutionnelle aurait été violée et démontrer par une argumentation précise en quoi consiste la violation (ATF 145 I 121 consid. 2.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 148 IV 409 consid. 2.2). Par ailleurs, bien que de rang constitutionnel, le principe de la proportionnalité ne constitue pas un droit constitutionnel avec une portée propre (ATF 136 I 241 consid. 3.1 et 134 I 153 consid. 4.1; arrêt 1C_212/2021 du 16 juin 2021 consid. 2.2). La violation de ce principe ne peut donc pas être invoquée seule dans le cadre d'un recours au sens de l'art. 98 LTF (cf. arrêt 1C_319/2020 du 18 février 2021 consid. 3.7).
2.3. En l'occurrence, les critiques des recourants relatives à la procédure adoptée par la commune d'Aigle pour le développement d'un réseau thermique à distance sont dépourvues de pertinence. Il n'appartient en effet pas au Tribunal fédéral d'examiner ces questions qui font précisément l'objet du recours devant la CDAP et qui devront être tranchées par celle-ci (cf. arrêt 1C_377/2023 du 7 décembre 2023 consid. 4.4 in fine).
S'agissant de la pesée des intérêts effectuée par l'autorité précédente pour refuser l'arrêt immédiat des travaux, les intéressés reprennent pour l'essentiel des griefs de fond (portant sur le choix de la procédure et son déroulement) sans parvenir à démontrer que cette mise en balance des intérêts serait empreinte d'arbitraire. Or, il n'était pas insoutenable ni choquant de considérer que la mise en place d'un réseau thermique à distance poursuivait un intérêt public important et que la constructrice intimée pouvait également se prévaloir d'un intérêt économique important dans la mesure où elle avait déjà investi des sommes conséquentes dans le développement du réseau. Les recourants se contentent d'invoquer "l'intérêt public de la collectivité et (leur) intérêt privé à un contrôle préalable du projet concerné". Ils ne démontrent cependant pas que la poursuite des travaux (pose de conduites souterraines) risquerait de menacer concrètement des biens juridiques dont ils sont titulaires et de leur occasionner un préjudice difficilement réparable. Ils n'indiquent pas plus quelle urgence la situation présenterait pour justifier le prononcé immédiat de mesures provisionnelles (cf. ATF 130 II 49 consid. 2.2; arrêt 1C_344/2021 du 14 janvier 2022 consid. 2.6). Pour autant qu'il soit suffisamment motivé, leur grief doit ainsi être rejeté.
3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité. Les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui succombent, solidairement entre eux (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Ils verseront en outre à l'intimée, qui a procédé par l'intermédiaire d'un avocat, une indemnité à titre de dépens, la Municipalité ne pouvant quant à elle pas y prétendre (art. 68 al. 2 et 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3000 fr., sont mis à la charge des recourants.
3.
Les recourants verseront à l'intimée la somme de 2000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et de la Municipalité d'Aigle, à la Direction générale du territoire et du logement du canton de Vaud, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, et au Juge instructeur du recours au fond Pascal Langone.
Lausanne, le 12 février 2025
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
Le Greffier : Hausammann