1C_56/2024 17.01.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_56/2024
Arrêt du 17 janvier 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Haag, Président,
Chaix et Müller.
Greffier : M. Alvarez.
Participants à la procédure
Municipalité du Mont-sur-Lausanne, route de Lausanne 16, 1052 Le Mont-sur-Lausanne, représentée par Me Joël Crettaz, avocat,
recourante,
contre
A.________ SA,
représentée par Maîtres Alexandre Kirschmann, Vanessa Benitez et Nicolas Gillard, avocats,
B.________ SA,
représentée par Me Pierre-Alexandre Schlaeppi, avocat,
intimées.
Objet
Droit de préemption communal,
recours contre l'arrêt de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 14 décembre 2023 (AC.2023.0140, AC.2023.0143).
Faits :
A.
B.________ SA est propriétaire de la parcelle n o 3618 du Mont-sur-Lausanne. Ce bien-fonds s'inscrit dans le périmètre nord du plan de quartier "C.________" du 30 octobre 2019; il est colloqué en zone mixte d'habitation de moyenne densité et d'activités tertiaires. La question de la création de logements à loyer abordable ou d'utilité publique (LLA, respectivement LUP) a été abordée dans le cadre de l'adoption de ce plan; celui-ci doit en substance mettre à disposition une part de logements de ce type.
Le 22 février 2023, B.________ SA a conclu une promesse de vente portant sur cette parcelle en faveur de A.________ SA. Cet acte renferme également et notamment la promesse de confier le mandat de direction des travaux relatifs au permis de construire lié à ce bien-fonds à D.________ SA, pour un montant forfaitaire de 600'000 fr. hors taxe.
B.
Par préavis du 14 mars 2023, la Municipalité du Mont-sur-Lausanne a saisi le conseil communal lui demandant l'octroi du crédit nécessaire pour exercer son droit de préemption pour l'acquisition de la parcelle n o 3618, droit fondé sur la loi cantonale du 10 mai 2016 sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL; RS/VD 840.15).
La municipalité a invité B.________ SA et A.________ SA à exercer leur droit d'être entendues lors d'une séance du 23 mars 2023. A.________ SA a proposé de trouver un arrangement portant sur la réalisation d'un certain nombre de LUP en contrepartie de la renonciation à l'exercice du droit de préemption.
Aucun accord n'étant intervenu, B.________ SA et A.________ SA sont convenues d'annuler la promesse de vente par acte authentique du 30 mars 2023. Cette annulation a immédiatement été portée à la connaissance de la Municipalité du Mont-sur-Lausanne.
C.
Dans sa séance du 3 avril 2023, le conseil communal a adopté l'ouverture d'un crédit à la municipalité en vue de l'acquisition de la parcelle n o 3618. Par décision du 4 avril 2023, la municipalité a choisi d'exercer son droit de préemption.
Le 12 mai 2023, A.________ SA a recouru contre cette décision à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud. B.________ SA en a fait de même le 15 mai 2023. Par arrêt du 14 décembre 2023, le Tribunal cantonal a admis les recours et annulé la décision d'exercice du droit de préemption du 4 avril 2023, considérant en substance que, suite à l'annulation de la promesse de vente, il n'existait plus de cas de préemption.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la Municipalité du Mont-sur-Lausanne demande principalement au Tribunal fédéral de reformer cet arrêt cantonal en ce sens que le droit de préemption de la Commune du Mont-sur-Lausanne a valablement été exercé par décision du 4 avril 2023. Subsidiairement, la commune recourante conclut au renvoi de la cause à l'instance précédente pour nouvel arrêt dans le sens des considérants.
Le Tribunal cantonal renonce à déposer une réponse et se réfère aux considérants de son arrêt. B.________ SA conclut au rejet, respectivement à l'irrecevabilité des conclusions du recours. A.________ SA demande le rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. Aux termes d'un second échange d'écritures, les parties persistent dans leurs conclusions respectives.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis.
1.1. Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans une cause de droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.
1.2. Selon l'art. 89 al. 1 LTF, dont se prévaut la commune recourante, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire, est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.
Selon la jurisprudence, une collectivité publique peut fonder son recours sur cette disposition notamment lorsqu'elle est touchée dans ses prérogatives de puissance publique (" in ihren hoheitlichen Befugnissen berührt ") et dispose d'un intérêt public propre digne de protection à l'annulation ou à la modification de l'acte attaqué (cf. ATF 141 II 161 consid. 2.1; 140 I 90 consid. 1.2.2 et les références citées). La collectivité publique doit alors être touchée de manière qualifiée dans des intérêts publics importants (cf. ATF 141 II 161 consid. 2.3; 140 I 90 consid. 1.2.2 et 1.2.4; arrêt 1C_180/2018 du 10 octobre 2018 consid. 1.2.1 in SJ 2019 I 166). Tel est le cas lorsque l'acte attaqué concerne des intérêts publics essentiels dans un domaine qui relève de sa compétence propre (ATF 137 IV 269 consid. 1.4).
La LPPPL a pour buts de lutter contre la pénurie de logements en conservant sur le marché des logements loués qui correspondent aux besoins de la population (préservation du parc locatif) et pour promouvoir la construction de nouveaux logements qui correspondent aux besoins de la population (promotion du parc locatif) (art. 1 LPPPL). Ces objectifs répondent à un intérêt public important (cf. ATF 131 I 333 consid. 4.1 et 4.5.1; arrêt 1C_247/2021 du 30 juin 2022 consid. 3.5.1) pour la sauvegarde desquels le législateur cantonal a instauré en faveur des communes un droit de préemption légal (cf. art. 31 ss LPPPL; arrêt 1C_247/2021 précité consid. 3.2). Aussi, ces dernières sont-elles fortement touchées par une décision refusant, comme en l'espèce, l'exercice de leur droit de préemption légal institué en leur faveur en tant que collectivité publique. La Commune du Mont-sur-Lausanne bénéficie ainsi de la qualité pour recourir.
1.3. Les autres conditions de recevabilité étant au surplus réunies, il convient d'entrer en matière.
2.
Selon la commune recourante, la promesse de vente constituerait un cas de préemption légal au sens du droit vaudois. Elle soutient également que l'annulation de sa décision d'exercer ce droit procéderait d'arbitraire et contreviendrait aux intérêts publics poursuivis par la LPPPL.
2.1. En vertu de l'art. 31 al. 1 LPPPL, les communes bénéficient d'un droit de préemption pour leur permettre d'acquérir en priorité un bien-fonds mis en vente et affecté en zone à bâtir légalisée. L'exercice du droit de préemption doit notamment viser à la création de LUP et répondre à une pénurie au sens de l'art. 2 LPPPL dans le district concerné (cf. art. 31 al. 2 LPPPL). Selon l'art. 32 LPPPL, le propriétaire qui aliène un bien-fonds soumis au droit de préemption selon l'article 31 LPPPL est tenu d'aviser immédiatement la commune territoriale, mais au plus tard lors du dépôt de l'acte de vente au registre foncier (al. 1); il doit également procéder à cet avis en cas de promesse de vente (al. 2). Lorsque la commune envisage d'exercer son droit de préemption, elle entend préalablement le propriétaire et le tiers acquéreur (al. 3). Quant à l'art. 33 LPPPL, il prescrit que la commune doit notifier aux parties à l'acte de vente sa décision d'acquérir le bien-fonds, aux prix et conditions fixés par cet acte, dans un délai de quarante jours à compter de la notification de l'avis prévu par l'art. 32 LPPPL.
2.2. Lorsqu'il est appelé à revoir l'interprétation d'une norme cantonale sous l'angle restreint de l'arbitraire, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d'un droit certain. En revanche, si l'application de la loi défendue par l'autorité cantonale ne s'avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution - éventuellement plus judicieuse - paraît possible (ATF 145 I 108 consid. 4.4.1). En outre, pour qu'une décision soit annulée au titre de l'arbitraire, il ne suffit pas qu'elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu'elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 113 consid. 7.1). Dans ce contexte, le recours est soumis aux exigences accrues de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 149 III 81 consid. 1.3; 146 I 62 consid. 3).
2.3. La cour cantonale a rappelé le cadre légal entourant l'exercice du droit de préemption légale; elle a en particulier considéré que la jurisprudence rendue en application de l'art. 216d al. 3 CO (RS 220) était pertinente pour évaluer la portée de l'art. 33 LPPPL, ces deux dispositions ayant un contenu identique. L'instance précédente a cependant laissé indécise la question de savoir si, en droit vaudois, dans le cadre de la LPPPL - et contrairement au droit genevois (cf. ATF 134 I 263 consid. 3.4; art. 4 al. 1 LGL [RS/GE I 4 05] -, une promesse de vente était propre à déclencher l'exercice d'un droit préemption. Elle a en effet considéré, appliquant l'art. 216d CO à titre de droit cantonal supplétif, que l'annulation d'une vente, respectivement d'une promesse de vente, avant l'exercice du droit de préemption empêchait, en tout état de cause, d'actionner celui-ci ultérieurement. L'annulation de la promesse de vente intervenue le 30 mars 2023 avait ainsi entraîné la suppression d'un (éventuel) cas de préemption légal. Cette application de l'art. 216d al. 2 CO ne s'opposait en outre pas aux intérêts publics poursuivis par la LPPPL, la commune conservant la possibilité d'exercer ultérieurement son droit de préemption.
2.3.1. La commune recourante reconnaît que la LPPPL ne prévoit pas le cas de figure d'une "résiliation" intervenant avant l'exercice du droit de préemption et qu'il faut partant "s'inspirer de la solution offerte par le droit privé à titre de droit supplétif". Elle ne conteste pas que, sur le principe, il convient de se référer au régime prévu par les art. 681 ss CC (RS 210) qui porte sur les droits de préemption légaux de droit privé, plus particulièrement à l'art. 681 CC qui renvoie aux art. 216 ss CO; cette solution est d'ailleurs conforme à la jurisprudence (cf. arrêt 1P.767/1991 du 22 avril 1993 consid. 2b; THIERRY TANQUEREL, le droit de préemption légal des collectivités publiques, in BELLANGER/TANQUEREL [éd.], La maîtrise publique du sol: expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 155 s.). La recourante estime cependant que l'art. 216d CO, auquel s'est en particulier rapporté le Tribunal cantonal, ne traiterait "pas non plus de la résiliation qui précéderait l'exercice du droit".
La recourante conteste ainsi en réalité l'interprétation de cette disposition à laquelle s'est livrée la cour cantonale. Cette dernière a expliqué, après avoir présenté les différents avis de doctrine sur le sujet, que selon le courant majoritaire, auquel elle se ralliait, lorsque la vente (ou la promesse de vente) était annulée avant l'exercice du droit de préemption, celui-ci ne pouvait plus être actionné (cf. BÉNÉDICT FOËX, in Commentaire Romand, Code des obligations I, 3 e éd., n. 12 ad art. 216d CO et la référence à l'avis contraire de STEINAUER, ainsi que d'autres références), ce que la recourante ne discute pas, se limitant à rappeler la teneur des courants de doctrine; on ne discerne ainsi pas en quoi il serait indéfendable d'avoir opté pour cette interprétation qualifiée de majoritaire, ce d'autant moins qu'à rigueur de texte légal, seule la "résiliation" intervenant après (voir les textes allemand et italien, " nachdem ", " dopo ") l'exercice du droit de préemption reste sans effet à l'égard du préempteur; a contrario, si l'acte ouvrant le droit est annulé avant que le vendeur n'ait reçu la déclaration de préemption, cette suppression est opposable au préempteur ( ibid.; voir également BÉNÉDICT FOËX, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/CO, 1994, p. 408 s. et la nbp 191).
2.3.2. Cela étant, l'art. 216d CO intervenant ici à titre de droit public supplétif, il convient encore de se demander si les intérêts publics poursuivis par la LPPPL (cf. art. 1 LPPPL et consid. 1.2 ci-dessus) s'opposent, comme le soutient la recourante, à son application, respectivement à l'interprétation qu'en a livré le Tribunal cantonal. À cet égard, ce dernier a considéré que, dans l'hypothèse où la propriétaire actuelle de la parcelle no 3618 souhaiterait à nouveau l'aliéner, la commune recourante pourrait alors exercer le droit de préemption que lui confère la LPPPL; l'intérêt public lié à la réalisation de LUP était ainsi sauvegardé, même si la construction de tels logements se trouvait potentiellement reportée dans le temps. La restriction du droit de propriété qu'impliquerait l'exercice du droit de préemption ne se justifiait par conséquent pas.
La recourante avance pour sa part que la survenance d'un futur cas de préemption serait hypothétique et ne tiendrait pas compte du caractère actuel et urgent de la pénurie de logement. Elle se contente ce faisant toutefois d'opposer sa propre appréciation à celle de l'instance précédente sans démontrer en quoi celle-ci serait arbitraire. C'est par ailleurs de manière strictement appellatoire qu'elle prétend que la solution du Tribunal cantonal viderait l'exercice du droit de préemption de sa substance: on ne discerne pas en quoi l'annulation d'un cas de préemption dans une hypothèse particulière annihilerait de manière générale l'entier des prérogatives de l'autorité en la matière. La recourante ne prend en outre pas non plus la peine de discuter la pesée des intérêts opérée par l'instance précédente pondérant l'intérêt public poursuivi par la LPPPL, dont la réalisation est reportée, le cas échéant, et l'intérêt privé à la garantie de la propriété. La commune soutient encore en vain que la vente future pourrait n'intervenir qu'"après construction voire par lots séparés"; elle n'expose en effet pas en quoi la LPPPL exclurait l'exercice éventuel du droit de préemption légal dans un tel cas de figure, en présence d'une parcelle construite, ce qu'il n'appartient pas au Tribunal fédéral d'identifier (cf. art. 106 al. 2 LTF).
2.3.3. Enfin, comme l'a jugé le Tribunal cantonal, on ne saurait voir dans les démarches des sociétés intimées un abus de droit ou une fraude à la loi. En effet, en procédant de la sorte, elles n'obtiennent pas un résultat prohibé par une voie détournée que la loi laisserait ouverte. Que le motif de l'annulation de la promesse de vente réside, comme le soutient la recourante, dans le fait qu'elle n'est pas en mesure d'assurer que la direction des travaux sera confiée à D.________ SA n'apparaît en particulier pas comme un abus manifeste de droit (cf. art. 2 CC; ATF 143 III 279 consid. 3.1; 133 III 61 consid. 4.1).
2.4. En définitive, échappant à l'arbitraire, l'appréciation de l'instance précédente retenant l'absence, en tout état de cause, d'un cas de préemption, doit être confirmée. En conséquence, tout comme au stade du recours cantonal, peut demeurer indécise la question de savoir si une promesse de vente constitue effectivement un cas de préemption au sens de la LPPPL. Pour le même motif, il n'y a pas non plus lieu de s'attarder sur la question de la "conversion de clauses subjectivement impossibles" - plus particulièrement la clause de direction des travaux à D.________ SA - en créance pécuniaire en cas d'exercice du droit de préemption encore évoquée par la recourante.
3.
Les considérants qui précèdent conduisent au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité. La commune recourante agissant dans le cadre de ses attributions officielles, il est statué sans frais (art. 66 al. 4 LTF). Celle-ci versera cependant des dépens aux sociétés intimées qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'avocats (art. 68 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Il est statué sans frais.
3.
Une indemnité de 3'000 fr. est allouée à B.________ SA, à titre de dépens, à la charge de la Commune du Mont-sur-Lausanne.
4.
Une indemnité de 3'000 fr. est allouée à A.________ SA, à titre de dépens, à la charge de la Commune du Mont-sur-Lausanne.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 17 janvier 2025
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
Le Greffier : Alvarez