2C_52/2024 18.02.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2C_52/2024
Arrêt du 18 février 2025
IIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Aubry Girardin, Présidente, Donzallaz,
Hänni, Ryter et Kradolfer.
Greffière : Mme Kleber.
Participants à la procédure
A.________,
représentée par Me Billy Jeckelmann, avocat,
recourante,
contre
Direction générale de l'enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée (DGEO), rue de la Barre 8, 1014 Lausanne,
Département de l'enseignement et de la formation professionnelle (DEF),
rue de la Barre 8, 1014 Lausanne.
Objet
Pédagogie spécialisée; plafond d'activité pour les logopédistes indépendants délégataires,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 13 décembre 2023 (GE.2023.0159).
Faits :
A.
A.________ est logopédiste-orthophoniste indépendante et exploite un cabinet à ce titre à U.________ depuis le 1 er mars 2012, au bénéfice d'une reconnaissance de l'ancien Office vaudois de psychologie scolaire.
Le 1 er août 2019, la loi vaudoise en matière de pédagogie spécialisée est entrée en vigueur. Elle prévoit que le canton peut déléguer des prestations de pédagogie spécialisée aux logopédistes indépendants remplissant certaines conditions, afin de couvrir les besoins et compléter l'offre publique. À ce sujet, la Direction générale de l'enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée du canton de Vaud (ci-après: la Direction générale) a élaboré un "Dispositif cantonal de la logopédie indépendante conventionnée et démarche de conventionnement" (ci-après: le dispositif cantonal), ainsi qu'une convention-type de subventionnement, qui ont remplacé, à partir du 1er août 2021, les conditions-cadres établies par l'ancien service en charge de l'enseignement spécialisé. Les logopédistes indépendants doivent adresser une demande de conventionnement à la Direction générale.
B.
Le 10 juin 2021, A.________ a déposé en ligne une demande de conventionnement. La Direction générale a répondu favorablement à cette requête, considérant que toutes les conditions d'une délégation étaient réunies. Elle a partant adressé à A.________ une convention de subventionnement.
À son art. 19, cette convention prévoit ce qui suit:
"Volume d'activité
Le délégataire informe le Service [Office ou Service de psychologie scolaire], lors de la demande de conventionnement, du volume d'activité qu'il peut mettre à disposition de l'État. Il informe le Service en cas de changement de disponibilité durant la période de conventionnement.
Le volume des prestations facturées est plafonné à 90'000 minutes par année civile (considéré comme un taux d'activité équivalent à 100 %).
Le taux d'activité du délégataire ne doit pas dépasser un 100 %, toutes activités confondues. Les autres activités, avec indication de leur taux d'activité, doivent être sans délai annoncées au Service."
A.________ a renvoyé la convention de subventionnement à la Direction générale, en supprimant la clause de plafonnement de l'activité globale à 90'000 minutes facturées par année civile. Après un échange sur cette question, la Direction générale a, par décision du 24 septembre 2021, refusé à A.________ la délégation et le subventionnement de prestations de logopédie.
A.________ a recouru contre la décision du 24 septembre 2021 auprès de la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après: le Tribunal cantonal). Par arrêt du 23 août 2022, le Tribunal cantonal a transmis le dossier au Département de l'enseignement et de la formation professionnelle du canton de Vaud (ci-après: le Département), comme objet de sa compétence. Par décision du 28 juin 2023, le Département a rejeté le recours de A.________ et confirmé la décision du 24 septembre 2021.
Par arrêt du 13 décembre 2023, le Tribunal cantonal a rejeté le recours formé par A.________ contre la décision du Département du 28 juin 2023.
C.
Contre l'arrêt du 13 décembre 2023, A.________ forme un "recours de droit public", subsidiairement un recours constitutionnel auprès du Tribunal fédéral. Elle conclut, sous suite de frais et dépens, pour les deux recours, à l'annulation de l'arrêt attaqué, à être autorisée à se faire déléguer des tâches subventionnées au sens de la loi vaudoise sur la pédagogie spécialisée, à être mise au bénéfice de la convention de subventionnement, à l'exclusion de son art. 19, ainsi qu'à être inscrite sur la liste des logopédistes indépendants conventionnés reconnus dans le canton de Vaud. Subsidiairement, elle conclut au renvoi de la cause au Tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le Tribunal cantonal renonce à se déterminer sur le recours et se réfère aux considérants de l'arrêt attaqué. Le Département conclut au rejet du recours.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 148 V 265 consid. 1.1). Le recours constitutionnel subsidiaire n'étant recevable que si la voie du recours ordinaire est exclue (cf. art. 113 LTF), il convient d'examiner d'abord la recevabilité du recours en matière de droit public. La désignation erronée du recours, intitulé "recours de droit public", est sans conséquences pour la recourante, si son recours remplit les exigences légales de la voie de droit qui lui est ouverte (cf. ATF 138 I 367 consid. 1.1).
1.1. Le litige concerne la délégation de prestations de logopédie en tant que mesures de pédagogie spécialisée et les conditions à respecter par les logopédistes privés délégataires. Il est régi par le droit public (art. 82 let. a LTF) et la cause ne tombe pas sous le coup des exceptions de l'art. 83 LTF, en particulier de l'art. 83 let. k LTF, car le litige ne porte pas sur une subvention au sens de cette disposition (cf. ATF 141 II 182 consid. 3.5; arrêt 2C_472/2022 du 22 mars 2023 consid. 1.2.1). La voie du recours en matière de droit public est donc ouverte. Le recours constitutionnel subsidiaire formé par la recourante en parallèle est partant irrecevable (art. 113 LTF a contrario).
1.2. Pour le surplus, le recours, dirigé contre une décision finale (art. 90 LTF) rendue en dernière instance cantonale par un tribunal supérieur (art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF), a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes prescrites (art. 42 LTF), par la recourante, qui a la qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF). Il convient donc d'entrer en matière.
2.
2.1. Saisi d'un recours en matière de droit public, le Tribunal fédéral contrôle librement le respect du droit fédéral, qui comprend les droits de nature constitutionnelle (art. 95 let. a LTF). Sauf dans les cas cités expressément à l'art. 95 LTF, le recours ne peut en revanche pas être formé pour violation du droit cantonal en tant que tel. En revanche, il est possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, en particulier qu'elle est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 150 I 50 consid. 3.2.7; 147 I 433 consid. 4.2; 146 II 367 consid. 3.1.5) ou contraire à un autre droit constitutionnel (ATF 145 I 108 consid. 4.4.1; 138 I 225 consid. 3.1).
2.2. Le grief de violation de droits fondamentaux n'est cependant examiné par le Tribunal fédéral que s'il a été invoqué et motivé par la partie recourante, c'est-à-dire s'il a été expressément soulevé et exposé de façon claire et détaillée (art. 106 al. 2 LTF; ATF 146 I 62 consid. 3; 144 II 313 consid. 5.1). La partie recourante doit indiquer précisément quelle disposition constitutionnelle a été violée et démontrer par une argumentation précise en quoi consiste la violation (ATF 150 I 80 consid. 2.1).
3.
Le litige porte sur la limitation du taux global d'activité de la recourante, logopédiste indépendante, à 90'000 minutes facturées par année civile en cas de délégation par le canton de prestations de logopédie relevant de la pédagogie spécialisée.
3.1. Depuis le 1er janvier 2008, la pédagogie spécialisée, qui comprend notamment la logopédie, relève du mandat public de formation des cantons en vertu de l'art. 62 al. 3 Cst. (RO 2007 5765; cf. art. 2 let. a et art. 4 al. 1 let. a de l'Accord intercantonal sur la collaboration dans le domaine de la pédagogie spécialisée du 25 octobre 2007, auquel le canton de Vaud est partie [BLV 417.91]). La matière est régie dans le canton de Vaud plus particulièrement par la loi sur la pédagogie spécialisée du 1er septembre 2015 (LPS; BLV 417.31) et son règlement d'application du 3 juillet 2019 (RLPS; BLV 417.31.1), tous deux entrés en vigueur le 1er août 2019. La pédagogie spécialisée s'adresse aux enfants en âge préscolaire et aux élèves, de la naissance à l'âge de vingt ans révolus, qui habitent le canton et qui ont un besoin éducatif particulier découlant d'un trouble ou d'une déficience (art. 4 al. 1 LPS; cf. aussi art. 3 Accord intercantonal).
3.2. Selon l'art. 23 al. 1 LPS, le service en charge de la pédagogie spécialisée [la Direction générale] peut, dans le cadre de la planification cantonale, "déléguer des tâches aux logopédistes, aux psychologues et aux psychomotriciens privés nécessaires pour couvrir les besoins et compléter l'offre publique". D'après l'art. 60 LPS, lorsque le service décide de déléguer l'exécution de tâches à d'autres prestataires, en particulier à des logopédistes et psychomotriciens privés, il conclut des conventions de subventionnement pour une durée comprise entre 1 et 5 ans (al. 1). La convention porte sur la forme et le montant des indemnités, les modalités d'évaluation, les sanctions en cas de non respect des charges et conditions, le volume des prestations attendues du prestataire et le contrôle des prestations fournies, conformément à la législation cantonale en matière de subventions (al. 2). À noter que la loi vaudoise du 22 février 2005 sur les subventions (LSubv; BLV 610.15) régit les subventions au sens d'aides financières, mais aussi au sens d'indemnités ayant pour but d'atténuer ou de compenser des charges financières résultant de l'accomplissement de tâches publiques déléguées par l'État (art. 7 LSubv).
3.3. Depuis le 1er août 2021, la délégation et le financement des prestations de pédagogie spécialisée dispensées par des logopédistes indépendants sont précisés dans le dispositif cantonal adopté par la Direction générale (cité supra point A en fait). Selon le dispositif, "le volume des prestations facturées est plafonné à 90'000 minutes par année civile (considéré comme un taux d'activité équivalent à 100 %) ". La convention-type soumise à la recourante reprend cette limitation, en précisant que le "taux d'activité du délégataire ne doit pas dépasser un 100 % toutes activités confondues", ce que la recourante critique.
3.4. Dans son arrêt, le Tribunal cantonal a considéré qu'il était douteux que la recourante puisse invoquer la liberté économique. Il a laissé la question ouverte, retenant que les conditions permettant de restreindre cette liberté (art. 36 Cst.) étaient de toute façon réunies. Pour ce qui est de la base légale, le Tribunal cantonal a considéré que les dispositions de la LPS permettaient à la Direction générale de fixer, par voie de conventionnement, des critères autres que ceux définis dans la loi pour garantir la qualité et l'efficience des soins. Sous l'angle de la proportionnalité, le Tribunal cantonal a souligné que, selon les explications de l'autorité, le plafond de 90'000 minutes ne concernait que le temps de présence effectif auprès des enfants (temps de séance). Il fallait y ajouter le temps consacré aux tâches administratives, qu'il a estimé à 25 % de l'activité, soit 30'000 minutes. Il a partant conclu à une limitation du temps de travail de 120'000 minutes par année civile (2'000 heures), toutes activités confondues, ce qui, réparti sur 48 semaines (52 semaines moins 4 semaines de vacances), correspondait à une durée hebdomadaire de travail de 41.66 heures (41h40), soit l'équivalent d'un temps plein d'un fonctionnaire cantonal vaudois. Selon le Tribunal cantonal, en empêchant les délégataires d'exercer une activité globale supérieure, ce plafonnement permettait de garantir leur disponibilité, ainsi que la qualité des soins et l'intérêt public l'emportait sur l'intérêt privé de la recourante à vouloir travailler davantage.
4.
La recourante dénonce une atteinte grave à sa liberté économique (art. 27 Cst.) résultant du plafonnement de son nombre d'heures d'activité professionnelle privée prévu par la convention de subventionnement.
4.1. L'art. 27 Cst. garantit la liberté économique (al. 1), en particulier le libre exercice d'une activité lucrative privée (al. 2). Entre dans le domaine de protection matériel de la garantie constitutionnelle toute activité économique privée, exercée à titre professionnel par une personne physique ou morale et tendant à la production d'un gain ou d'un revenu, telle la logopédie exercée à titre privé (ATF 150 I 120 consid. 4.1.1; 145 I 183 consid. 4.1.2; 142 II 369 consid. 6.2; 141 V 557 consid. 7.1). La liberté économique peut être restreinte aux conditions de l'art. 36 Cst. Selon cette disposition, toute restriction d'un droit fondamental doit reposer sur une base légale (al. 1), être justifiée par un intérêt public prépondérant (al. 2) et respecter le principe de proportionnalité (al. 3).
4.2. Dans son arrêt, le Tribunal cantonal a considéré qu'il était douteux que la recourante puisse se prévaloir de la liberté économique en l'espèce, car la pédagogie spécialisée, comprenant la logopédie notamment, est une tâche publique (cf. art. 62 al. 3 Cst.; cf. supra consid. 3.1), ce qui exclurait l'application de l'art. 27 Cst. Ce raisonnement ne convainc pas.
La jurisprudence a relevé dans plusieurs contextes que les activités étatiques et l'exécution de tâches publiques, même lorsqu'elles sont le fait de personnes exerçant une profession libérale, échappent au domaine de protection de l'art. 27 Cst. (ATF 145 I 183 consid. 4.1.2 [curateur]; 143 I 388 consid. 2.2.2 [services funéraires monopolisés]; 133 I 259 consid. 2.2; 131 II 639 consid. 6.1 [notaire]; 141 I 124 consid. 4.1; 132 I 201 consid. 7 [défenseur d'office]; 140 II 112 consid. 3.1; 138 I 196 consid. 4.4 [traducteurs officiels pour les tribunaux]; 130 I 26 consid. 4.1 [médecin dans un établissement public, soumis à des rapports de service correspondants]; 121 I 326 consid. 2a [procureur]; 96 I 204 consid. 2 [ramoneur]). Toutefois, seule l'exécution de la tâche publique en tant que telle ne tombe pas sous le coup de la protection de l'art. 27 Cst. L'obligation d'exécuter cette tâche peut, elle, porter atteinte à la liberté économique, en tant qu'elle entrave la liberté de la personne privée d'organiser son activité (cf. arrêt 2C_595/2020 du 27 août 2021 consid. 5.4 à propos de l'obligation des pharmaciens d'assurer un service d'urgence).
Contrairement aux cas cités, la logopédie, y compris la logopédie en tant que mesure de pédagogie spécialisée, n'est pas une activité réservée de l'État (exercice de la puissance publique ou monopole). La recourante n'est pas non plus une employée de l'État, soumise à des rapports spéciaux. Lorsqu'une activité privée relève elle-même du domaine de protection de l'art. 27 Cst., comme l'activité de logopédiste indépendante, mais se déroule au sein d'un système dirigé ou soutenu par l'État, la portée de la liberté économique doit se déterminer de cas en cas (cf. en ce sens arrêt 2C_102/2023 du 18 septembre 2024 consid. 9.1).
4.3. Pour déterminer la portée de la liberté économique dans le présent cas, il convient de se référer aux principes développés en matière de liberté économique des bénéficiaires de subventions, initialement exposés dans le contexte des établissements médico-sociaux (EMS) d'intérêt public. D'après la jurisprudence, en acceptant de se soumettre à des contrôles et modalités de gestion définis par la loi afin de bénéficier de subventions cantonales, les EMS renoncent, en échange de ces subventions, au plein exercice de leur liberté économique (cf. ATF 142 I 195 consid. 6.3; 138 II 191 consid. 4.4.2; arrêts 2C_414/2022 du 12 juillet 2023 consid. 7.1, non publié in ATF 149 I 329; 2C_656/2009 du 24 juillet 2010 consid. 4.3). Ils ne peuvent ainsi invoquer la liberté économique seulement pour contester que l'octroi de subventions soit soumis à des conditions; en revanche, ils peuvent faire valoir que ces conditions violent la liberté économique, notamment parce qu'elles ne poursuivent pas un but légitime d'intérêt public ou ne respectent pas le principe de la proportionnalité (cf. arrêts 2C_414/2022 du 12 juillet 2023 consid. 7.1, non publié in ATF 149 I 329; 2C_656/2009 du 24 juillet 2010 consid. 4.3). En d'autres termes, les EMS subventionnés peuvent certes se prévaloir de la liberté économique, mais uniquement de façon limitée (cf. arrêts 2C_414/2022 du 12 juillet 2023 consid. 7.1, non publié in ATF 149 I 329; 2C_206/2017 du 23 février 2018 consid. 6.4; 2C_727/2011 du 19 avril 2012 consid. 3.1, non publié in ATF 138 II 191). Le Tribunal fédéral a par la suite précisé que cette jurisprudence pouvait être transposée à d'autres acteurs de droit privé dont l'activité lucrative est soutenue financièrement par l'État ou encouragée par des aides financières (arrêt 2C_102/2023 du 18 septembre 2024 consid. 9.2).
4.4. En l'espèce, à l'instar de bénéficiaires de subventions, les logopédistes indépendants qui effectuent des prestations de pédagogie spécialisée financées par l'État jouissent d'une liberté économique limitée en lien avec les prestations déléguées.
La situation a toutefois ceci de spécifique que les logopédistes entrant dans le système des délégations n'ont pas forcément pour seule activité les prestations de logopédie déléguées. Les logopédistes peuvent continuer à exercer en parallèle une activité totalement privée. Tel est le cas de la recourante, qui a exposé devant le Tribunal cantonal, sans être contredite par les autorités, que 85% de ses patients étaient des patients subventionnés et qu'elle consacrait le reste de son activité à sa patientèle privée. Pour cette partie privée, qui n'est aucunement soutenue financièrement par l'État, la recourante jouit pleinement de sa liberté économique.
4.5. La Convention de subventionnement soumise à la recourante fixe un plafond d'activités déléguées à 90'000 minutes de prestations facturées par année en lien avec le conventionnement. La recourante ne peut pas critiquer, sous l'angle de la liberté économique, cette limite.
La Convention de subventionnement prévoit toutefois également que le plafond de 90'000 minutes est considéré comme un taux maximal d'activité à 100 % et que les délégataires n'ont pas le droit de dépasser ce taux de 100 %, toutes activités confondues. Autrement dit, les logopédistes sont limités dans le nombre d'heures qu'ils entendent consacrer à leur activité, y compris lorsqu'elle est exclusivement privée. Une telle limitation constitue une atteinte grave à la liberté économique, car elle touche à l'autonomie organisationnelle du délégataire et interfère sur l'étendue de son activité indépendante. Elle n'est pas d'emblée exclue, mais elle doit respecter les conditions de l'art. 36 Cst., ce qu'il convient de vérifier.
5.
La recourante fait valoir que le plafond de 90'000 minutes de prestations facturées par année civile toutes activités confondues ne repose pas sur une base légale suffisante.
5.1. En vertu de l'art. 36 al. 1 première et deuxième phrase Cst., toute restriction d'un droit fondamental doit être fondée sur une base légale et les restrictions graves doivent être prévues par une loi. Les atteintes graves portées à un droit fondamental doivent être fondées sur une loi au sens formel (ATF 150 I 154 consid. 6.1.1 et les arrêts cités). L'exigence d'une base légale ne concerne pas seulement le rang de la norme, mais s'étend aussi à son contenu, qui doit être suffisamment clair et précis. Il faut ainsi que la base légale ait une densité normative suffisante pour que son application soit prévisible. Pour déterminer quel degré de précision l'on est en droit d'exiger de la loi, il faut tenir compte du cercle de ses destinataires et de la gravité des atteintes qu'elle autorise aux droits fondamentaux (ATF 150 I 106 consid. 5.1; 138 I 378 consid. 7.2; 131 II 13 consid. 6.5.1). Lorsque la restriction d'un droit fondamental est grave, comme en l'espèce, le Tribunal fédéral examine librement la question de l'existence d'une base légale cantonale suffisante (cf. ATF 142 I 121 consid. 3.3).
5.2. Dans la loi sur la pédagogie spécialisée, deux dispositions concernent le régime de la délégation de prestations de pédagogie spécialisée à des logopédistes indépendants, l'art. 23 LPS et l'art. 60 LPS. L'art. 23 LPS prévoit le principe de la délégation de prestations de logopédie à des logopédistes privés (al. 1). Il fixe ensuite une liste non exhaustive de conditions cumulatives à remplir par les délégataires (al. 2). Ces conditions sont les suivantes: a. offrir une prestation de pédagogie spécialisée au sens de l'art. 9, alinéa 1, lettres c, d, respectivement e; b. accepter tout enfant en âge préscolaire et tout élève qui leur sont adressés, dans la limite des disponibilités définies conventionnellement; c. détenir une autorisation de pratiquer délivrée par le département en charge de la santé publique; d. détenir un diplôme reconnu par la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP), en langue française pour les logopédistes; e. bénéficier d'une pratique préalable suffisante; f. se conformer aux règles de l'art de la profession; g. respecter les directives du service; h. se conformer au barème du département.
L'art. 23 LPS envisage encore la possibilité de déléguer des tâches à d'autres types de prestataires (al. 3) et précise, finalement, que le choix des prestataires s'effectue sur la base de leur capacité à respecter les standards de qualité pour les prestataires dans le domaine de la pédagogie spécialisée adoptés par la CDIP et à garantir un fonctionnement efficient dans l'accomplissement des tâches déléguées (al. 4).
L'art. 60 LPS prévoit le principe de la conclusion de conventions de subventionnement pour les prestataires délégués (al. 1), le contenu de ces conventions (al. 2; cf. supra consid. 3.2) et les modalités de leur conclusion (al. 3).
5.3. Il ressort de ce qui précède que la condition du respect d'un plafond d'activité, toutes activités confondues (déléguées et privées) pour les délégataires de prestations de logopédie, ne ressort explicitement d'aucune disposition de la LPS, ainsi que l'a du reste relevé le Tribunal cantonal.
À noter que l'ancien droit ne contenait pas non plus une telle limitation. En effet, il y avait seulement dans l'arrêté de l'exécutif cantonal (arrêté du Conseil d'État réglant jusqu'à fin 2013 l'octroi et le financement par le canton de de Vaud des prestations de logopédie dispensées par des logopédistes indépendants du 5 décembre 2007 [ALogo]) une disposition relative à la limitation de l'activité des logopédistes ayant en parallèle un emploi salarié (art. 8a ALogo).
Une lecture conjointe des art. 23 et 60 LPS permet certes de retenir, comme l'a relevé le Tribunal cantonal, que la Direction générale peut fixer dans la convention de subventionnement d'autres critères que ceux énumérés de manière non exhaustive à l'art. 23 al. 2 LPS. Une atteinte grave à la liberté économique comme celle résultant de la limitation du nombre d'heures d'activité privée du délégataire doit toutefois figurer au niveau de la loi (au sens formel).
5.4. Sur le vu de ce qui précède, le grief tiré d'un défaut de base légale suffisante est fondé. Cela conduit à l'admission du recours, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres conditions de l'art. 36 Cst. et les griefs y relatifs. Il appartient au législateur cantonal de déterminer, dans le respect du principe de proportionnalité, si, en vue de garantir la qualité des prestations publiques déléguées, une limitation doit être imposée à l'activité privée des logopédistes délégataires, en sus des exigences à respecter pour être délégataire (cf. art. 23 al. 2 LPS) et en sus des exigences générales auxquelles les professions de la santé sont soumises.
6.
Il découle de ce qui précède que le recours constitutionnel subsidiaire doit être déclaré irrecevable et que le recours en matière de droit public doit être admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du 13 décembre 2023 sera annulé. Il convient de renvoyer la cause à la Direction générale pour qu'elle soumette une nouveau projet de convention à la recourante sans la limitation objet de la présente cause, étant précisé qu'il n'a jamais été contesté qu'elle remplissait toutes les autres conditions de la délégation.
7.
7.1. Il ne sera pas perçu de frais judiciaires, dès lors que le canton de Vaud agit dans l'exercice de ses attributions officielles sans que soit (directement) mis en cause son intérêt patrimonial (art. 66 al. 4 LTF).
7.2. La recourante, qui obtient gain de cause avec l'aide d'un mandataire professionnel, a droit à des dépens, à la charge du canton de Vaud (art. 68 al. 1 et 3 LTF).
7.3. Le Tribunal fédéral ne fera pas usage de la faculté prévue aux art. 67 et 68 al. 5 LTF et renverra la cause à l'autorité précédente pour qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure accomplie devant elle.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours constitutionnel subsidiaire est irrecevable.
2.
Le recours en matière de droit public est admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du 13 décembre 2023 est annulé. La cause est renvoyée à la Direction générale dans le sens des considérants.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le canton de Vaud versera à la recourante une indemnité de 3'000 fr., à titre de dépens.
5.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal afin qu'il statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure accomplie devant lui.
6.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire de la recourante, à la Direction générale de l'enseignement obligatoire et de la pédagogie spécialisée (DGEO), au Département de l'enseignement et de la formation professionnelle (DEF) et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 18 février 2025
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : F. Aubry Girardin
La Greffière : E. Kleber