1C_581/2024 04.03.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_581/2024
Arrêt du 4 mars 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Haag, Président,
Chaix, Kneubühler, Müller et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
A.________,
recourant,
contre
Grand Conseil de l'État de Fribourg,
place de l'Hôtel-de-Ville 2, 1701 Fribourg.
Objet
Élection d'un juge au Tribunal pénal des mineurs,
recours contre la décision du Grand Conseil du canton
de Fribourg du 3 septembre 2024.
Faits :
A.
Le 3 septembre 2024, le Grand Conseil du canton de Fribourg a élu B.________ à la fonction de juge (à 80 %) au Tribunal pénal des mineurs. Il a suivi le préavis favorable du Conseil de la Magistrature (ci-après CM) proposant, outre la candidate élue, deux autres candidats, déclarant éligible une quatrième candidate et ne proposant pas à l'élection A.________. S'agissant de B.________, le CM a considéré qu'elle répondait pleinement aux exigences du poste dès lors notamment qu'elle avait travaillé durant plusieurs années comme greffière-cheffe puis comme assesseure-suppléante de la juridiction. S'agissant de A.________, le CM a retenu qu'il ne ressortait pas du dossier qu'il disposait des connaissances pratiques suffisantes pour l'exercice de la fonction et qu'il manquait d'expérience professionnelle.
B.
Par acte du 30 septembre 2024, A.________ forme un recours en matière de droit public contre l'élection précitée. Il demande l'annulation de cette élection, la constatation d'une discrimination à l'embauche en raison du sexe ainsi que l'octroi d'une indemnité de 35'418 fr. 85 à la charge de l'État de Fribourg. Il requiert l'assistance judiciaire.
Le Bureau du Grand Conseil s'en remet à justice.
Le 2 décembre 2024, le Juge instructeur a interpellé le Tribunal cantonal fribourgeois afin de savoir s'il existait une voie de recours cantonale contre l'élection en cause, et si celle-ci prenait en compte l'appartenance à un parti politique et la représentation des formations politiques. Le Président du Tribunal cantonal a répondu le 16 décembre 2024, et le recourant s'est encore déterminé le 24 janvier 2025, alors que le Bureau du Grand Conseil s'est à nouveau contenté de s'en remettre à justice, sans formuler d'autres observations.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre l'élection, par le parlement cantonal, d'un juge au Tribunal des mineurs. Contrairement à ce que soutient le recourant, il ne s'agit pas d'un acte normatif au sens des art. 82 let. b et 87 LTF: cette notion se rapporte à un acte général (destiné à s'appliquer à un nombre indéterminé de personnes) et abstrait (se rapportant à un nombre indéterminé de situations - ATF 136 II 415 consid. 1.1), alors que l'élection d'un magistrat s'apparente à un acte individuel et concret. Le recours pour violation des droits politiques n'est pas non plus ouvert puisqu'il s'agit d'une élection indirecte (ATF 147 I 1 consid. 3.1). Seul est dès lors envisageable le recours contre une décision au sens de l'art. 82 let. a LTF. Le recourant, en tant que candidat évincé, à qualité pour agir (art. 89 al. 1 LTF). La décision litigieuse a un caractère final (art. 90 LTF) et le recourant a agi en temps utile (art. 100 al. 1 LTF). Aucune des exceptions mentionnées à l'art. 83 LTF n'est applicable; à supposer que l'on se trouve en présence d'une décision en matière de rapport de travail (art. 83 let. b LTF), la valeur litigieuse est supérieure à 15'000 fr. (art. 85 al. 1 let. b LTF), le recourant se plaignant au demeurant d'une discrimination à raison du sexe.
1.1. Selon l'art. 86 al. 1 let. d LTF, le recours est recevable contre les décisions des autorités judiciaires de dernière instance que les cantons doivent instituer en vertu de l'art. 86 al. 2 LTF. Les cantons peuvent faire exception à cette règle pour les décisions revêtant un caractère politique prépondérant. Cette exception à la garantie de l'accès au juge (art. 29a Cst.) ne doit toutefois être admise qu'exceptionnellement lorsque l'aspect politique de la décision est manifeste et que les intérêts privés en jeu apparaissent secondaires (ATF 147 I 1 consid. 3.3.1; 141 I 172 consid. 4.4.1; 136 II 436 consid. 1.2). La jurisprudence récente admet que l'élection des magistrats par un parlement cantonal revêt un caractère politique prépondérant lorsque celle-ci prend notamment en compte des éléments de répartition entre partis politiques (cf. ATF 147 I 1 consid. 3.3.3: "wird hauptsächlich unmittelbar an die Zugehörigkeit zu einer politischen Partei und den Parteienproporz angeknüpft"; arrêt 8C_231/2020 du 7 octobre 2020 consid. 4.3).
1.2. Le recourant n'expose pas - alors que, s'agissant d'une condition de recevabilité d'un recours direct au Tribunal fédéral, cette démons-tration lui incombe en vertu de l'art. 42 al. 1 LTF - que le droit cantonal exclurait effectivement tout recours contre la décision litigieuse. Il ne prétend pas non plus que l'élection des juges au Tribunal pénal des mineurs du canton de Fribourg reposerait sur des considérations relatives à la représentation des partis politiques. Il se borne à affirmer, dans sa dernière écriture, que l'élection aurait fait l'objet de tractations politiques, et qu'il n'aurait pas été sélectionné par le CM en raison de son appartenance à l'UDC. Il n'apporte toutefois aucune démonstration à ce propos.
Interpellé à ce sujet, le Président du Tribunal cantonal indique que "l'élection des juges au Tribunal des mineurs, comme toute élection de juges devant le Grand Conseil, fait naturellement l'objet de jeux d'alliance ou de tractations entre les députés pouvant revêtir une composante politique, le vote des députés s'effectuant en effet sur la base, non seulement d'un préavis du Conseil de la magistrature, mais également d'un préavis de la Commission de justice du Grand Conseil, organe plus politisé". Il relève qu'une compétence subsidiaire du Tribunal cantonal est prévue par le code de procédure et de juridiction administratives du canton de Fribourg (CPJA, RSF 150.1), même en dehors du champ d'application dudit code, pour garantir le contrôle juridictionnel exigé par le droit fédéral ou international (art. 7a et 114 al. 2 let. b CPJA). En définitive, il laisse au Tribunal fédéral le soin d'examiner sa compétence.
Cela étant, il apparaît que ni le préavis du CM, ni celui de la Commission de justice des 14, respectivement 21 août 2024, ne contiennent de considérations relatives à l'appartenance politique des candidats ou à la représentation des partis politiques. Le préavis du CM rappelle les exigences relatives au poste (formation et connaissances pratiques, langue, citoyenneté, etc.) et passe en revue les différentes candidatures, préavisant favorablement et en priorité celle qui présente les meilleures aptitudes du point de vue de la formation et de l'expérience professionnelle. La Commission de justice reprend ce préavis, sans émettre aucune considération d'ordre politique. Ce n'est que dans le communiqué de presse qui fait suite à l'élection que l'appartenance politique de la candidate élue est mentionnée.
Il apparaît par conséquent très douteux que la cause représente un caractère politique prépondérant au sens de l'art. 86 al. 3 LTF, et qu'un recours cantonal puisse ainsi être définitivement exclu. Pour sa part, rendu attentif à cette problématique, le recourant ne demande pas que la cause soit transmise au Tribunal cantonal et persiste comme on l'a vu à considérer que la cause serait de nature politique.
Cette question peut en définitive demeurer indécise compte tenu de l'issue particulièrement évidente de la cause.
1.3. Les conclusions qu'un mémoire doit contenir en vertu de l'art. 42 al. 1 LTF doivent être déterminées et précises, c'est-à-dire énoncer exactement les modifications demandées, en rapport avec l'objet de la décision attaquée (arrêt 9C_616/2023 du 14 février 2024 consid. 2.2 et les références). L'interdiction du formalisme excessif commande de ne pas se montrer trop strict dans la formulation des conclusions, en particulier en droit public, si, à la lecture du mémoire, on comprend ce que veut la partie recourante (cf. ATF 137 II 313 consid. 1.3; 133 II 409 consid. 1.4 et 1.4.1). En l'occurrence, le recourant demande l'annulation de l'élection, ce par quoi l'on comprend qu'il entend persister dans sa candidature. Il présente toutefois une conclusion en constatation de l'existence d'une discrimination, ainsi qu'une demande d'indemnisation correspondant à trois mois de salaire, sans toutefois présenter ces conclusions comme subsidiaires à la première. La question peut elle aussi rester indécise dès lors que l'ensemble des conclusions formulées doivent être rejetées.
2.
Invoquant l'art. 8 al. 2 Cst. ainsi que l'art. 3 al. 2 de la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes (LEg, RS 151.1), le recourant se dit victime d'une discrimination fondée sur le sexe. Il estime que l'art. 30 du règlement du Conseil de la magistrature (RCM, RS/FR 130.21) serait contraire à cette disposition en tant que les critères du sexe et de l'âge devraient être pris en compte. Le préavis du CM ferait apparaître une vraisemblance prépondérante de discrimination. Le recourant se plaint ensuite d'arbitraire en reprochant au CM de ne pas avoir mentionné l'ensemble de ses qualités (formation, expérience professionnelle, connaissances pratiques, qualités personnelles) qui le rendaient selon lui éligible. Il se plaint également d'une constatation inexacte et incomplète des faits, ainsi que d'une violation du droit d'être entendu en raison du fait que le CM ne l'a pas auditionné.
2.1. Selon l'art. 30 RCM, la Commission des élections examine les candidatures en tenant compte des critères constitutionnels (formation, expérience professionnelle, qualités personnelles des candidats et candidates) et, le cas échéant, de l'âge, du sexe, de la langue et de la représentation régionale, ainsi que des résultats des éventuelles auditions. Sur la proposition de la Commission des élections, le CM établit pour le Grand Conseil un préavis comprenant notamment la liste des personnes préavisées favorablement et un bref curriculum vitæ de celles-ci (art. 31). Le préavis du CM est transmis, avec les dossiers de candidature, au Secrétariat du Grand Conseil.
Le CM est chargé, en vertu des dispositions précitées (et conformément à l'art. 3 al. 2 de la loi sur le Conseil de la magistrature - LCM, RS/RF 130.1), d'émettre un préavis à l'attention du Grand Conseil en matière d'élections des magistrats. Le CM doit ainsi formuler une proposition, dûment motivée, sur la base de laquelle le parlement cantonal est appelé à faire son choix. Le préavis du 14 août 2024 correspond ainsi à la mission du CM telle que définie par la loi. Tel qu'il est formulé, l'ordre de priorité établi dans le préavis est clair et dûment motivé; l'on ne voit pas en quoi il pourrait, comme le prétend le recourant, induire les députés en erreur.
2.2. Selon l'art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe ou de son âge. Il y a discrimination lorsqu'une personne est traitée juridiquement de manière différente uniquement en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d'exclusion ou de dépréciation. Le principe de non-discrimination n'interdit pas pour autant toute distinction basée sur l'un des critères énumérés à l'art. 8 al. 2 Cst. de manière non exhaustive. Mais l'usage d'un tel critère fait naître une présomption de différenciation inadmissible qui ne peut être renversée que par une justification qualifiée (cf. ATF 147 I 89 consid. 2.1; 145 I 73 consid. 5.1). L'art. 3 al. 2 LEg réprime notamment la discrimination à l'embauche. L'art. 6 LEg introduit en ce domaine un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l'art. 8 CC, dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable l'existence de la discrimination dont elle se prévaut (ATF 130 III 145 consid. 4.2; 127 III 207 consid. 3b). L'art. 14 CEDH, que le recourant invoque également, n'offre pas sur ces points une protection plus étendue (cf. ATF 148 I 160 consid. 8.1).
2.2.1. Les critères de l'âge et du sexe peuvent, à teneur du règlement, être pris en compte en plus des critères principaux énumérés ci-dessus. Le règlement n'impose nullement la prise en compte de ces critères supplémentaires, et ne précise pas non plus de manière discriminatoire dans quel sens ceux-ci devraient être appliqués. Il n'y a dès lors aucune discrimination dans la réglementation.
2.2.2. Il n'y en a pas non plus dans la décision prise par le Grand Conseil. Dans son préavis, le CM rappelle les exigences liées au poste, soit en premier lieu la titularité d'un brevet d'avocat, d'une licence ou d'un master en doit, et la justification de connaissances pratiques suffisantes pour l'exercice de la fonction. Énumérant ensuite les candidatures qu'il a préavisées favorablement, et dans l'ordre des priorités, il expose notamment que la candidate finalement retenue dispose d'un Master of Law, d'un brevet d'avocate et d'un CAS en magistrature civile, pénale et administrative, qu'elle a travaillé plusieurs années comme greffière-cheffe auprès du Tribunal pénal des mineurs et qu'elle est assesseure-suppléante à ce même tribunal. Sa maîtrise de l'allemand lui permettrait de traiter des dossiers dans cette langue. S'agissant du recourant, qui n'est pas proposé à l'élection, il dispose d'un Master of Law - Maîtrise universitaire en droit en sciences criminelles mention magistrature, d'un diplôme (DAS) en médiation; il est entrepreneur indépendant et dispose de bonnes connaissances de l'allemand.
Se plaignant d'établissement incomplet des faits, le recourant reproche au CM de ne pas avoir relevé certains éléments concernant sa formation (suivi des cours "délinquance juvénile", "pratique de la magistrature pénale", "procédure pénale", validité des modules du Certificat de spécialisation en matière d'avocature), son expérience professionnelle (greffier-stagiaire à la Chambre pénale pour mineurs du canton de Fribourg) et ses qualités personnelles (travail manuel, gestion de chantier, gérance d'immeuble). Il apparaît toutefois que le dossier de la candidate finalement élue était d'une qualité manifestement supérieur à celui du recourant en ce qui concerne les exigences spécifiquement requises pour le poste: la titularité du brevet d'avocat, le CAS en magistrature et une large expérience au sein même de la juridiction concernée (d'abord en tant que greffière-cheffe durant plusieurs années, puis comme assesseure-suppléante). L'âge et l'état civil de l'intéressée, mentionnés dans le communiqué du Grand Conseil, n'ont joué aucun rôle dans l'élection. Quant au recourant, celui-ci ne dispose notamment pas du brevet d'avocat et n'a été stagiaire à la Chambre pénale pour mineurs que durant une demi-année.
Le recourant ne parvient dès lors pas à établir l'existence d'une présomption de différenciation inadmissible. Le grief doit être écarté, dans la mesure où il est suffisamment motivé.
2.2.3. Le recourant se plaint aussi de ne pas avoir été entendu personnellement par le CM. Selon la jurisprudence, l'art. 29 al. 2 Cst. (tout comme l'art. 6 CEDH, que le recourant invoque parallèlement) ne garantit pas, de façon générale, le droit d'être entendu oralement par l'autorité (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1), et a fortiori lorsque celle-ci est chargée non pas de statuer, mais d'émettre un préavis. Le CM a d'ailleurs dûment expliqué au recourant la raison pour laquelle celui-ci n'a pas été retenu pour un entretien, soit le fait que d'autres candidats présentaient des qualifications et une expérience "plus alignées avec les exigences spécifiques du poste", considération qui échappe comme on l'a vu à la critique.
2.3. Le recourant invoque enfin (sans expliquer les conclusions qu'il entend en tirer) les dispositions de la loi fribourgeoise sur la protection des données (LPrD, RS/FR 17.1), en lien avec le traitement des données personnelles sensibles. Il perd de vue que, pour autant qu'on puisse y voir un traitement de données, l'évaluation des dossiers de candidature est régi par les dispositions légales et réglementaires suffisamment claires, comme l'exige l'art. 5 LPrD. Le grief doit être écarté dans la mesure où il est suffisamment motivé.
3.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté, en tant qu'il est recevable. Cela vaut aussi pour ses conclusions en constatation et en indemnisation. Le recourant a demandé l'assistance judiciaire mais, sur le vu des considérants qui précèdent, le recours ne présentait pas de chances de succès suffisantes (art. 64 al. 1 LTF). La demande d'assistance judiciaire doit dès lors être rejetée, de sorte que le recourant est astreint au paiement des frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF), lesquels seront réduits en raison de sa situation financière. Il n'y a pas lieu d'allouer de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, en tant qu'il est recevable.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué au recourant et au Grand Conseil de l'État de Fribourg.
Lausanne, le 4 mars 2025
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
Le Greffier : Kurz