7B_1429/2024 20.03.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_1429/2024
Arrêt du 20 mars 2025
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
van de Graaf et Hofmann,
Greffière : Mme Nasel.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Elmar Wohlhauser, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de l'État de Fribourg, case postale 1638, 1701 Fribourg.
Objet
Procédure pénale; consultation du dossier,
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg du 11 novembre 2024
(502 2024 191).
Faits :
A.
Le dimanche 26 mai 2024, peu avant 2 heures, un véhicule a été contrôlé par une patrouille de gendarmerie dans la localité U.________, dans le canton de Fribourg. Les trois occupants de la voiture ont été identifiés comme étant A.________, B.________ et C.________, tous trois ressortissants V.________. Une première fouille du véhicule a permis de mettre en évidence de l'argent liquide, plusieurs outils pouvant servir à la commission de cambriolages, des gants ainsi que des radios portables. Parallèlement, un contrôle effectué à la fromagerie de la D.________, à W.________, a déterminé qu'un vol par effraction venait d'y avoir été commis.
Les premiers contrôles effectués ont démontré que les trois compatriotes logeaient au sein de l'hôtel-restaurant E.________, à X.________, commune aux alentours de laquelle des cambriolages avaient été commis récemment. Des perquisitions ont dès lors été effectuées dans la chambre qu'ils occupaient ainsi que dans le véhicule précité, dans lequel du matériel de meulage a été retrouvé. En plus des éléments déjà mentionnés, divers vêtements ont été séquestrés.
A.________, B.________ et C.________ ont été arrêtés le même jour et ont été entendus par la police et par le Ministère public de l'État de Fribourg (ci-après: le Ministère public) dans le cadre de leur mise en détention provisoire. Une instruction pénale a été formellement ouverte à leur endroit le lendemain pour les infractions de dommages à la propriété, vol et violation de domicile, commises dans les cantons de Fribourg, Berne, Neuchâtel, Soleure, Bâle-Campagne et Vaud.
Par ordonnances du 29 mai 2024, le Tribunal des mesures de contrainte de l'État de Fribourg a ordonné la détention provisoire des trois prévenus jusqu'au 25 août 2024; celle-ci a ensuite été régulièrement prolongée, si bien que les prévenus sont tous trois actuellement détenus.
La police a réentendu A.________ le 16 juillet 2024, B.________ le 20 août 2024 et C.________ le 21 août 2024.
B.
Par ordonnance du 8 août 2024, le Ministère public a rejeté la requête de consultation du dossier déposée par A.________, requête qu'il avait déjà formulée par le passé, précisant que la question de la langue de la procédure - A.________ ayant demandé une décision formelle à ce sujet - demeurait réservée.
A.________ a recouru contre cette ordonnance auprès de la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg (ci-après: l'autorité précédente ou la cour cantonale), en concluant notamment à ce que l'accès au dossier de la cause lui soit accordé.
Par arrêt du 11 novembre 2024, la cour cantonale a rejeté le recours formé par A.________, confirmant l'ordonnance susmentionnée; elle a refusé de désigner Me Elmar Wohlhauser en qualité de défenseur d'office d'A.________ pour la procédure de recours, a arrêté les frais de la procédure de recours à 600 fr., qu'elle a mis à la charge du prénommé, et n'a alloué aucune indemnité.
C.
Par acte du 18 décembre 2024, A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt précité, en concluant à sa réforme en ce sens qu'un accès complet au dossier de la procédure pénale lui soit accordé dans les 10 jours suivant l'entrée en vigueur de la décision. À titre subsidiaire, il conclut à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de lui accorder un accès partiel au dossier de la procédure pénale dans les 10 jours suivant l'entrée en vigueur de la décision, ainsi que de lui divulguer l'analyse de son téléphone portable, tous les documents relatifs à la perquisition et les procès-verbaux de ses interrogatoires. Plus subsidiairement, il conclut à ce que l'affaire soit renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle rende une nouvelle décision. Il demande en outre que les frais de la procédure de recours devant l'autorité précédente soient mis à la charge de l'État et qu'une indemnité d'un montant de 2'500 fr. soit allouée à son conseil. Il sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire ainsi que l'octroi d'une indemnité à la charge de l'État d'au moins 1'800 francs.
Invités à se déterminer, le Procureur général adjoint du Ministère public a conclu au rejet du recours. L'autorité précédente n'a pas souhaité formuler d'observations.
Considérant en droit :
1.
1.1. La contestation portant sur la consultation du dossier en matière pénale, le recours au Tribunal fédéral est régi par les art. 78 ss LTF. Selon l'art. 81 al. 1 let. a et let. b ch. 1 LTF, l'accusé - respectivement le prévenu - a qualité pour agir.
1.2.
1.2.1. Le refus, confirmé en dernière instance cantonale, d'autoriser le recourant à consulter l'intégralité du dossier de la procédure pénale constitue une décision incidente puisqu'elle ne met pas fin à la procédure. Dès lors qu'elle n'entre pas dans le champ d'application de l'art. 92 LTF, elle ne peut faire l'objet d'un recours au Tribunal fédéral que si elle peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF; l'hypothèse prévue à l'art. 93 al. 1 let. b LTF n'entre pas en considération ici). La partie recourante doit se trouver exposée à un dommage de nature juridique, qui ne puisse pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision qui lui serait favorable (ATF 150 III 248 consid. 1.2; 148 IV 155 consid. 1.1).
1.2.2. Dans ses motifs, le recourant se prévaut en substance d'un droit d'accès au dossier fondé notamment sur l'art. 101 CPP (cf. consid. 3.2 infra). Une telle hypothèse permet de retenir l'existence d'un préjudice irréparable si les deux conditions posées par la disposition susmentionnée sont réalisées (cf. ATF 137 IV 172 consid. 2; arrêt 1B_24/2014 du 25 juin 2014 consid. 1.3). Le recourant ayant été entendu à deux reprises par la police, sur délégation du Ministère public, soit les 26 mai et 16 juillet 2024 (cf. arrêt entrepris, p. 5), la première condition de l'art. 101 al. 1 CPP est ainsi remplie. Quant à la seconde - relative à "l'administration des preuves principales" -, elle relève du fond et doit être tranchée à la lumière des particularités du cas d'espèce (arrêts 1B_24/2014 précité ibidem; 1B_597/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2 publié in SJ 2012 I 215). Au stade de la recevabilité, le recourant semble donc pouvoir se prévaloir d'un droit fondé sur l'art. 101 CPP, si bien que la décision attaquée peut lui causer un préjudice irréparable. Il y a donc lieu d'entrer en matière.
1.3. Conformément à l'art. 54 al. 1 LTF, le présent arrêt sera rendu en français, langue de la décision attaquée, même si le recours est libellé en allemand, comme l'autorise l'art. 42 al. 1 LTF.
2.
Dans une première partie de son mémoire, le recourant présente un résumé des faits. En tant que ces éléments divergent de ceux constatés dans l'arrêt attaqué et que ces derniers ne sont pas critiqués sous l'angle de l'arbitraire, il n'en sera pas tenu compte (cf. art. 97 al. 1 et 105 al. 1 LTF; ATF 150 IV 360 consid. 3.2.1). Il en va de même des éléments dont le recourant se prévaut dans la suite de son mémoire, qui ne ressortent pas de l'arrêt entrepris et à l'égard desquels il n'expose pas concrètement dans quel sens il voudrait voir l'état de fait modifié ni dans quelle mesure son éventuelle correction aurait une influence sur le sort de la cause. En conséquence, le Tribunal fédéral se fondera sur les faits tels que retenus dans l'arrêt attaqué.
3.
3.1. Le recourant reproche à l'autorité précédente d'avoir confirmé le refus du Ministère public de lui donner accès au dossier de la procédure. Il se plaint en substance d'une violation de son droit d'être entendu, de son droit de participer à l'administration des preuves, de son droit de préparer une défense efficace, de son droit à un procès équitable ainsi que d'une violation des principes de l'égalité de traitement et de la célérité. Il se prévaut des art. 101 al. 1 CPP, en lien avec les art. 102 et 108 CPP, et 107 al. 1 let. a CPP, 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst., 6 par. 1 et 3 let. b CEDH.
3.2. Compris comme l'un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l'art. 29 al. 1 Cst., le droit d'être entendu garantit notamment le droit pour l'intéressé de prendre connaissance du dossier (cf. art. 3 al. 2 let. c, 101 et 107 CPP) et de participer à l'administration des preuves essentielles (cf. art. 147 CPP) ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1; arrêt 7B_482/2024 du 21 mai 2024 consid. 2.2.1). Le prévenu doit pouvoir consulter le dossier pour connaître préalablement les éléments dont dispose l'autorité et jouir ainsi d'une réelle possibilité de faire valoir ses arguments dans une procédure. Pour que cette consultation soit utile, le dossier doit être complet afin que le prévenu puisse, le cas échéant, soulever une objection contre leur validité. C'est une condition pour qu'il puisse sauvegarder d'une manière générale ses droits de la défense, comme l'exigent les art. 29 al. 2 et 32 al. 2 Cst. et 6 par. 3 let. b CEDH (ATF 129 I 85 consid. 4.1; arrêt 7B_520/2023 du 2 avril 2024 consid. 5.2.1); cette seconde disposition est en principe respectée si le prévenu a la possibilité d'organiser sa défense de manière appropriée et sans restriction quant à la possibilité de présenter au juge tous les moyens de défense pertinents et par là même d'influencer l'issue de la procédure (ATF 122 I 109 consid. 3a; arrêt 6B_106/2022 du 31 octobre 2022 consid. 4.1).
S'agissant en particulier du droit d'accès au dossier (composante du droit d'être entendu, cf. art. 29 al. 2 Cst., 107 al. 1 let. a CPP; ATF 142 II 218 consid. 2.3; arrêt 1B_344/2019 du 16 janvier 2020 consid. 2.1), l'art. 101 al. 1 CPP prévoit que les parties peuvent consulter le dossier d'une procédure pendante, au plus tard après la première audition du prévenu - condition dont la réalisation n'est pas contestée en l'espèce - et l'administration des preuves principales par le ministère public, l'art. 108 CPP étant réservé. Cette dernière disposition permet de refuser dans des phases ultérieures de l'instruction l'accès au dossier sous certaines conditions; la conséquence de telles restrictions est que les pièces non communiquées ne peuvent être utilisées pour fonder une décision que si la partie a été informée de leur contenu essentiel (art. 108 al. 4 CPP; arrêt 1B_626/2021 du 10 décembre 2021 consid. 2.1).
3.3.
3.3.1. L'autorité précédente a en l'espèce confirmé le refus d'autoriser l'accès au dossier au motif qu'une confrontation entre les trois prévenus n'avait pas encore pu avoir lieu. Elle a précisé que le recourant et les deux autres prévenus étaient soupçonnés d'avoir commis plusieurs cambriolages, dans plusieurs cantons suisses, à différents degrés de participation; lors de ses deux auditions les 26 mai et 16 juillet 2024, le recourant avait nié avoir participé d'une quelconque manière aux cambriolages en question. Elle a considéré, à l'instar du Ministère public, qu'il était manifeste que l'audition de confrontation entre les coprévenus revêtait une importance décisive pour la cause. Selon l'autorité précédente, il était évident qu'un accès au dossier par le recourant avant cette confrontation compromettrait la recherche de la vérité matérielle, puisqu'il pourrait alors être en mesure d'adapter ses déclarations en fonction des résultats de l'enquête compilés au dossier.
3.3.2. Cette argumentation - suffisante sous l'angle du devoir de moti- ver la décision (cf. sur ce devoir notamment ATF 148 III 30 consid. 3.1) - n'apparaît pas critiquable. Certes, le recourant et ses coprévenus ont déjà été entendus par le Ministère public. Toutefois, le refus d'autoriser la consultation demandée répond à un souci de préserver la manifestation de la vérité; celle-ci pourrait en effet être concrètement compromise si le recourant - qui nie toute implication dans les cambriolages - était en mesure d'adapter ses déclarations en fonction des éléments du dossier, en particulier des déclarations de ses coprévenus. Comme l'a retenu l'autorité précédente, il n'est pas exclu, au vu des circonstances précitées, que l'audition de confrontation envisagée par le Ministère public rende nécessaire l'administration d'autres moyens de preuve, ou que d'autres cambriolages à imputer au recourant et à ses coprévenus soient découverts ultérieurement.
Le recourant perd de vue que d'autres auditions des personnes accusées - a fortiori également des auditions de confrontation entre coprévenus - peuvent faire partie des nouveaux éléments de preuve à recueillir au sens de l'art. 101 al. 1 CPP. Selon le nombre et l'étendue des nouveaux moyens de preuve ainsi que le temps nécessaire à leur production, l'interrogatoire du prévenu, respectivement la confrontation des coprévenus (au nombre de trois en l'espèce), peut prendre beaucoup de temps ou n'avoir lieu qu'à un stade ultérieur de l'enquête (cf. dans ce sens HANS/WIPRÄCHTIGER/SCHMUTZ, in Basler Kommentar, Strafprozessordnung, 3 e éd. 2023, n° 15 ad art. 101 CPP).
En l'occurrence, outre que l'instruction pénale porte sur de multiples cambriolages qui auraient été commis dans plusieurs cantons, l'autorité précédente a précisé qu'une procédure en fixation de for serait prochainement mise en oeuvre. Ces éléments expliquent que la fixation de la date d'audition de confrontation entre les coprévenus prenne du temps, respectivement qu'elle n'ait lieu qu'à un stade ultérieur. Comme l'a retenu l'autorité précédente, il n'est quoi qu'il en soit ni démontré ni évident, au jour de l'arrêt attaqué, que le Ministère public aurait retardé ou retarde l'audition de confrontation des trois prévenus en cause. Il est à cet égard encore précisé que le Ministère public a garanti un tel accès après cette audition, respectivement que l'instruction de la cause a débuté le 27 mai 2024 et que la demande de consultation du dossier présentée par le recourant le 18 juillet 2024 a été rejetée par le Ministère public le 8 août 2024, soit moins de deux mois après le début de l'instruction. Compte tenu de ces circonstances, il n'apparaît pas que l'on se trouverait en présence d'une violation du principe de la célérité, le recourant ne concluant d'ailleurs pas à la constatation de la violation de ce principe (cf. sur ce principe ATF 140 IV 74 consid. 3.2; 137 IV 92 consid. 3.1).
3.3.3. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la direction de la procédure pouvait considérer que, dans ce cas concret, "l'administration des preuves principales" au sens de l'art. 101 al. 1 CPP n'était pas achevée.
3.4. Peu importe en outre que le recourant se trouve actuellement en détention, ce dernier pouvant toujours faire valoir son droit de pouvoir accéder aux éléments de preuve en lien avec sa détention dans le cadre notamment d'une éventuelle nouvelle demande de prolongation de sa détention provisoire (cf. art. 227 al. 2 et 3 CPP; ATF 125 I 394 consid. 5b; arrêts 7B_482/2024 du 21 mai 2024 consid. 2.2.2; 1B_422/2014 du 20 janvier 2015 consid. 3.4.1).
3.5. Quant au principe de l'égalité des armes entre la défense et l'accusation, il demeure respecté dans la mesure où le recourant pourra, une fois que l'audition de confrontation aura eu lieu, consulter le dossier et participer à l'administration des preuves et, le cas échéant, en demander la répétition (cf. art. 147 CPP), respectivement présenter des éléments et témoins à décharge.
3.6. En définitive, l'arrêt entrepris ne contrevient ni au droit fédéral ni au droit conventionnel. L'autorité précédente ayant, à juste titre, retenu que l'une des conditions de l'art. 101 CPP n'était pas réalisée, il n'y a pas lieu d'examiner si le droit d'accès au dossier pouvait être limité en application de l'art. 108 CPP.
4.
Enfin, au vu de ce qui précède et faute de toute motivation (cf. art. 42 al. 2 LTF), il n'y a pas lieu de se prononcer sur la conclusion du recourant tendant à l'octroi d'une indemnité pour ses frais de défense devant l'autorité précédente, respectivement à la mise à la charge de l'État de ladite indemnité ainsi que des frais de procédure.
5.
Le recours doit par conséquent être rejeté dans la mesure où il est recevable. Comme il était d'emblée dénué de chances de succès, la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires; ceux-ci seront toutefois fixés en tenant compte de sa situation financière, laquelle n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de l'État de Fribourg et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg.
Lausanne, le 20 mars 2025
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Nasel