9C_645/2024 16.04.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_645/2024
Arrêt du 16 avril 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente, Parrino et Bollinger.
Greffier : M. Berthoud.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par M e Marc Mathey-Doret, avocat,
recourant,
contre
Cour de justice de la République et canton de Genève, Délégation du Tribunal arbitral des assurances en matière de récusation,
place du Bourg-de-Four 1, 1204 Genève,
intimée,
CSS Assurance-maladie SA,
Droit & Compliance,
Tribschenstrasse 21, 6005 Lucerne.
Objet
Assurance-maladie,
recours contre la décision de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 15 octobre 2024 (A/1391/2021 ATAS/799/2024).
Faits :
A.
Le 20 avril 2021, CSS Assurance-maladie SA, Intras Assurance-maladie SA et Arcosana SA ont saisi le Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal arbitral) d'une demande en réparation d'un dommage dirigée contre A.________. CSS Assurance-maladie SA a repris les droits et obligations des deux autres assureurs prénommés qui ont été radiés du Registre du commerce (en 2022 et 2023) par suite de fusion.
Dans le cadre de la procédure arbitrale, CSS Assurance-maladie SA a désigné B.________, responsable de formation pour la Suisse romande auprès de santésuisse, en qualité d'arbitre, par lettre du 18 juin 2024. Le prénommé a accepté sa nomination, le 24 juillet 2024. A.________ s'y est opposé, par écriture du 20 août 2024 et a demandé la récusation du juge arbitre désigné. CSS Assurance-maladie SA a persisté dans son choix (courrier du 12 septembre 2024).
Par décision du 15 octobre 2024, la Délégation du Tribunal arbitral des assurances en matière de récusation a rejeté la demande de récusation dans la mesure de sa recevabilité.
B.
A.________ interjette un recours en matière de droit public contre cette décision dont il demande l'annulation, en concluant à ce que la récusation de B.________ soit ordonnée.
La Délégation du Tribunal arbitral des assurances ne s'est pas déterminée sur le recours. CSS Assurance-maladie SA conclut à son rejet.
Considérant en droit :
1.
Conformément aux art. 82 et 92 al. 1 LTF, une décision relative à la récusation des membres du Tribunal arbitral cantonal prévu par l'art. 89 LAMal peut faire immédiatement l'objet d'un recours en matière de droit public. Le recourant, auteur de la demande de récusation, a qualité pour recourir (art. 89 al. 1 LTF).
2.
2.1. Le litige porte sur la récusation de B.________ en qualité de juge arbitre désigné par CSS Assurance-maladie SA dans le cadre de la demande en réparation d'un dommage qu'elle a introduite contre le recourant.
2.2. Selon l'art. 89 al. 1 LAMal, le Tribunal arbitral des assurances est compétent pour juger des litiges entre assureurs et fournisseurs de prestations. Aux termes de l'art. 89 al. 4 LAMal, les cantons fixent la procédure qui doit être simple et rapide; le tribunal arbitral établit avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige; il administre les preuves nécessaires et les apprécie librement.
2.3. Dans le canton de Genève, la procédure applicable devant le Tribunal arbitral des assurances est prévue par les art. 39 ss de la loi du 29 mai 1997 d'application de la LAMal (LaLAMal; rs/GE J 3 05). D'après l'art. 45 al. 3 LaLAMal, les dispositions de la loi genevoise du 12 septembre 1985 sur la procédure administrative (LPA; rs/GE E 5 10) s'appliquent, notamment en ce qui concerne la récusation des membres du tribunal arbitral. Les causes de récusation sont énoncées à l'art. 15A al. 1 LPA. Au-delà des causes de récusation objectives visées aux let. a à e de cette disposition, se récuse le juge qui pourrait être prévenu de toute autre manière, notamment en raison d'un rapport d'amitié ou d'inimitié avec une partie ou son représentant (art. 15A al. 1 let. f LPA).
2.4. La garantie d'un juge indépendant et impartial telle qu'elle résulte des art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH - lesquels ont, de ce point de vue, la même portée - permet, indépendamment du droit de procédure (en l'occurrence l'art. 15A al. 1 LPA), de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation uniquement lorsqu'une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part du juge ne peut être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat; cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en considération, les impressions purement individuelles n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 et les arrêts cités).
De jurisprudence constante, des liens d'amitié ou une inimitié peuvent créer une apparence objective de partialité à condition qu'ils soient d'une certaine intensité. En revanche, des rapports de voisinage, des études ou des obligations militaires communes ou des contacts réguliers dans un cadre professionnel ne suffisent en principe pas. Plus généralement, pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d'influence des parties (ATF 144 I 159 consid. 4.3 et les arrêts cités).
3.
3.1. À l'appui de sa demande de récusation de B.________, le recourant avait fait valoir en première instance, d'une part, que le prénommé avait travaillé pendant 20 ans au service de CSS Assurance-maladie SA dans des fonctions élevées, et, d'autre part, que les tâches actuelles de celui-ci l'amenaient à entretenir des contacts réguliers avec les responsables de formation, intervenants et experts actifs au sein du groupe CSS. Il avait soutenu que cette très grande proximité, continue sur trois décennies, à un niveau élevé, créait une apparence de prévention.
La Délégation du Tribunal arbitral des assurances en matière de récusation n'a pas suivi l'argumentation du recourant. Elle a retenu que l'existence de longs rapports de service, dissous depuis 10 ans, ne suffisait en principe pas à justifier la suspicion de partialité de l'arbitre. Quant à la situation prévalant depuis 2014, année à partir de laquelle l'arbitre contesté entretient des contacts réguliers avec CSS Assurance-maladie SA dans le cadre de formations de santésuisse, elle a considéré qu'elle n'est pas non plus de nature à éveiller une suspicion de partialité.
3.2. Devant le Tribunal fédéral, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir appliqué des exigences tirées de la jurisprudence qui s'appliqueraient à la situation dans laquelle est en cause le lien entre un juge et l'avocat d'une des parties à la procédure; serait alors exigé, pour admettre la récusation, un lien qualifié entre le juge et le mandataire de la partie, soit un lien qui, par son intensité et par sa qualité, doit être de nature à faire craindre objectivement une influence du juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision. Pour le recourant, la présente situation est différente, puisque le motif de récusation est direct (et non pas indirect entre le juge et le mandataire d'une partie), de sorte que la juridiction cantonale aurait à tort exclu la récusation de B.________, motif pris de l'absence d'un lien qualifié entre l'arbitre proposé et CSS Assurances-maladie SA. Il soutient qu'il serait évident que le prénommé ne peut pas siéger comme arbitre, alors qu'il a travaillé pendant plus de vingt ans pour l'intimée, dans une fonction élevée, et qu'il entretient des contacts réguliers avec elle dans le cadre de son activité professionnelle. Admettre le contraire, comme l'a fait la juridiction cantonale, relèverait d'une violation des garanties prévues par les art. 29 al. 1 et 30 Cst., ainsi que de l'art. 6 par. 1 CEDH.
4.
4.1. En ce qui concerne les juges du Tribunal arbitral cantonal, il convient de tenir compte de l'art. 89 al. 4 LAMal. Avec cette disposition, le législateur a voulu laisser la possibilité aux cercles intéressés mentionnés de faire participer au sein des tribunaux arbitraux des personnes de confiance, afin de transmettre les connaissances spécifiques en la matière et faire connaître les aspects particuliers de la branche si bien que les circonstances parlant en faveur ou en défaveur des parties puissent pleinement être prises en considération et être soigneusement appréciées. Selon la jurisprudence, le droit à un juge impartial vaut certes aussi pour les juges arbitres siégeant aux côtés du président. En raison de leurs liens avec les cercles intéressés, ces juges ne peuvent guère, d'expérience, apparaître comme entièrement indépendants. Il est inhérent au système prévu que les représentants désignés par les parties vont avant tout essayer de s'engager pour que les prétentions et les besoins de leur cercle d'intérêts soient pris en considération dans un procès, en raison de leurs relations avec la partie correspondante. De même, ils vont sans doute se donner la peine de mettre en évidence les circonstances qui parlent en faveur de la partie impliquée dans le litige. De tels juges arbitres ne sont donc guère indépendants de la même manière que l'est le juge d'un autre tribunal étatique qui n'est pas composé de manière paritaire, ce qui vaut cependant aussi pour la partie adverse. Ceci doit être accepté comme conséquence de la conception de l'art. 89 al. 4 LAMal voulue par le législateur, qui prévoit que deux cercles d'intérêts se font face dans le tribunal arbitral; dans cette mesure, l'indépendance du tribunal arbitral n'est pas seulement garantie par l'indépendance individuelle des juges arbitres mais également par la composition paritaire. En conséquence, pour les juges arbitres désignés par les parties, il n'y a pas lieu de poser les mêmes exigences sévères à leur indépendance que pour les autres juges (ATF 124 V 22 consid. 5a; arrêt 9C_535/2021 du 13 mai 2022 consid. 2.3; REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit Verfassungsrechgliche Anforderungen an Richter und Gerichte, 2001, p. 117 ss).
La participation paritaire ne constitue cependant pas une défense unilatérale des intérêts d'une partie au procès. Le juge arbitre ne peut se voir comme l'avocat d'une partie revêtu de la robe du juge et défendre unilatéralement les seuls intérêts de la partie qui lui est proche du point de vue professionnel. La partialité, et donc l'obligation de se récuser, doivent toujours être admises lorsque le juge arbitre exerce des fonctions auprès d'une des parties impliquées dans le procès. Pour des motifs compréhensibles, la partie adverse peut avoir l'impression qu'un tel juge arbitre a un intérêt direct à ce que cette partie obtienne gain de cause. Ceci vaut pour les organes mais de manière identique pour chaque fonctionnaire ou collaborateur (RAMA 1997 n° KV 14 p. 309 consid. 5b [arrêt K 49/97 du 31 juillet 1997], et les références aux ATF 114 V 292 et ATF 115 V 257). Selon la jurisprudence (voir l'aperçu dans l'arrêt K 29/04 du 29 juillet 2004 consid. 2.3), l'obligation de récusation est régulièrement admise pour des personnes qui sont des membres dirigeants d'une association d'assureurs ou d'une organisation de fournisseurs de prestations (arrêts 9C_535/2021 du 13 mai 2022 consid. 2.3; 9C_149/2007 du 4 juin 2007 consid. 4.2 et les références).
4.2. En l'occurrence, on peut certes suivre le recourant lorsqu'il reproche à la juridiction cantonale d'avoir appliqué des exigences à l'impartialité du juge arbitre en cause tirées d'une jurisprudence qui ne serait pas applicable, puisque la juridiction cantonale s'est appuyée essentiellement sur les principes valables en matière de récusation des juges sans tenir compte de ceux développés en lien avec la récusation des membres du tribunal arbitral cantonal. Les griefs du recourant ne sont toutefois pas non plus fondés sur la jurisprudence topique, de sorte qu'ils ne lui sont d'aucun secours.
4.2.1. Tout d'abord, au regard de la jurisprudence sur l'art. 89 al. 4 LAMal rappelée ci-avant (consid. 4.1 supra), l'appréciation de l'instance précédente peut être partagée en tant qu'elle a admis que l'existence de longs rapports de service avec la caisse-maladie impliquée dans le procès, mais il y a plus de dix ans environ au moment de la désignation du juge arbitre en cause, ne suffisait pas à justifier à elle seule la suspicion de partialité de celui-ci. Vu le nombre d'années écoulées depuis la fin des rapports de travail entre B.________ et la CSS Assurance-maladie SA, le fait que le prénommé avait travaillé longtemps pour l'intimée ne constitue pas un motif de récusation (comp. arrêt K 127/01 du 26 juin 2003 consid. 3.2.1, où une durée de cinq ans et plus depuis la fin des rapports de travail examinés a été jugée suffisante pour nier le devoir de récusation).
4.2.2. Ensuite, selon les constatations de la juridiction cantonale, B.________ est, dans le cadre de ses fonctions au sein de santésuisse, amené à entretenir des contacts réguliers avec des responsables de formation, intervenants et experts actifs au sein du groupe CSS, dont fait partie la CSS Assurance-maladie SA. On constate par ailleurs - en complétant ici les faits établis par l'instance cantonale (cf. art. 105 al. 2 LTF) - que le prénommé n'est pas un organe ou un membre exerçant une fonction dirigeante de santésuisse (dont le but est de préserver et de représenter, en tant qu'association faîtière représentative, les intérêts communs de ses membres ainsi que de s'investir pour la sauvegarde d'une assurance-maladie libérale). Selon les indications qu'il a données au Tribunal arbitral, B.________ travaille pour le département formation de santésuisse, ce qui le met en contact avec tous les assureurs-maladie soutenant et encourageant la formation de leurs collaboratrices et collaborateurs, "c'est à dire pratiquement tous en Suisse romande". Or si l'activité du prénommé, qui n'implique pas de fonction au sein de l'organe dirigeant de santésuisse, comprend forcément des contacts et des relations avec les assureurs-maladie faisant appel à santésuisse pour la formation de leurs collaboratrices et collaborateurs, elle n'entraîne pas une proximité qualifiée ou des liens particuliers avec le groupe CSS, puisqu'il s'agit avant tout de coordonner la formation des personnes concernées dans le domaine de l'assurance-invalidité, sans lien avec la stratégie du groupe ou de ses membres à l'égard des fournisseurs de prestations ou avec des dossiers concrets de ceux-ci, singulièrement de la caisse-maladie impliquée dans la présente procédure. C'est en vain que le recourant soutient à ce sujet que "des liens de fidélité et de confiance particuliers subsistent nécessairement entre un ancien cadre et son ex-employeur pour lequel il a travaillé pendant 20 ans. Ce d'autant qu'en l'occurrence, ces liens sont entretenus par des contacts réguliers". Ce faisant, il omet que les rapports de travail entre le juge arbitre et la caisse-maladie qui l'a choisi ont pris fin depuis près de dix ans au moment de la désignation et que l'activité exercée depuis lors par B.________ pour santésuisse n'implique pas de liens avec CSS Assurance-maladie SA tels qu'ils créeraient une apparence de prévention de sa part.
4.3. En conséquence de ce qui précède, la décision entreprise ne repose par sur une violation des garanties prévues par les art. 29 al. 1 et 30 Cst., ainsi que l'art. 6 par. 1 CEDH, en lien avec l'art. 89 al. 4 LAMal.
5.
Les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF) seront mis à la charge du recourant (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la CSS Assurance-maladie SA, à B.________ et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 16 avril 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
Le Greffier : Berthoud