1C_503/2023 13.03.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_503/2023
Arrêt du 13 mars 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Haag, Président,
Chaix et Kneubühler.
Greffière : Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
Commune de Cologny,
route de La-Capite 24, case postale 86, 1223 Cologny, représentée par Me François Bellanger, avocat, Poncet Turrettini Avocats,
recourante,
contre
A.________ Sàrl,
représentée par Me Bruno Mégevand, avocat,
intimée,
Département du territoire de la République et canton de Genève, Office des autorisations de construire, Service des affaires juridiques, case postale 22, 1211 Genève 8.
Objet
Autorisation de construire; intérêt actuel,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre administrative, 3ème section, du 9 août 2023 (A/1773/2022-LCI ATA/836/2023).
Faits :
A.
L'État de Genève est propriétaire de la parcelle n° 2'258 de la commune de Cologny (ci-après: la commune), d'une surface de 30'443 m2. Ce bien-fonds se situe au bord du lac Léman et abrite les piscines et les installations de Genève-Plage ainsi qu'un café-restaurant saisonnier dont le contrat d'exploitation pour les saisons estivales 2021 à 2024 a été attribué à A.________ Sàrl. La parcelle est située en zone de verdure avec mention "équipements sportifs", selon le plan n° 27'621-516 adopté le 12 septembre 1985 par le Grand Conseil du canton de Genève. Elle est en partie située dans le périmètre de protection instauré par la loi sur la protection générale des rives du lac du 4 décembre 1992 (LPRLac; RSG L 4 10).
B.
Le 28 février 2022, en vue de l'exploitation des lieux pour la saison estivale 2022, A.________ Sàrl a déposé auprès du Département du territoire du canton de Genève (ci-après: le Département) une demande d'autorisation de construire portant sur l'installation provisoire d'un café-restaurant et terrasse sur la parcelle précitée, du 1er mai au 30 septembre 2022.
Dans le cadre de l'instruction de la requête, les préavis favorables (avec ou sans conditions) des services cantonaux ont été délivrés. La commune de Cologny a en revanche préavisé défavorablement le projet, en raison de la non-conformité du projet à la zone de verdure, d'une violation de la LPRLac, des règles sur le bruit et de l'art. 15 al. 3 de la loi cantonale sur les eaux (LEaux-GE; RSG L 2 05).
Par décision du 9 mai 2022, le Département a délivré l'autorisation de construire sollicitée pour une durée de quatre mois.
C.
Le Tribunal administratif de première instance du canton de Genève (TAPI) a rejeté le recours déposé par la commune de Cologny, par jugement du 8 décembre 2022.
Par arrêt du 9 août 2023, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: la Cour de justice) a rejeté le recours contre le jugement du 8 décembre 2022.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, la commune de Cologny demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du 9 août 2023, le jugement du 8 décembre 2022 et l'autorisation de construire du 9 mai 2022.
La Cour de justice s'en rapporte à justice quant à la recevabilité du recours et persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. L'intimée conclut à l'irrecevabilité du recours et le Département à son rejet. L'Office fédéral du développement territorial et l'Office fédéral de l'environnement se sont déterminés. Un second échange d'écritures a été ordonné, au terme duquel les parties ont maintenu leurs positions respectives.
E.
Sur demande du Tribunal fédéral, le Département a informé, le 4 février 2025, que A.________ Sàrl n'avait déposé aucune requête en autorisation de construire pour l'installation d'un café-restaurant en 2025; en revanche, une autre requérante avait déposé une demande pour l'installation provisoire d'un beach - club et installations sportives sur la parcelle n° 2'258, demande actuellement en cours d'instruction.
Par courrier spontané du 5 février 2025, la commune a exposé que les mêmes problématiques se poseront concernant le nouveau projet (conformité à la zone; proximité de la réserve naturelle; implantation à l'intérieur de la zone inconstructible selon la LEaux; site protégé; admissibilité du caractère provisoire renouvelé), de sorte que le Tribunal fédéral devait trancher les griefs soulevés, y compris pour la nouvelle requête en cours d'instruction.
Le 7 février 2025, A.________ Sàrl et la commune recourante ont été invitées à se déterminer sur l'existence d'un intérêt actuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée ainsi que sur le sort des frais et dépens dans l'hypothèse où le recours aurait perdu son objet. A.________ Sàrl s'en rapporte à justice sur la question de l'intérêt actuel et conclut à ce que les frais et les dépens soient mis à la charge de la recourante. La commune renonce à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office et librement la recevabilité des recours dont il est saisi (art. 29 al. 1 LTF).
1.1. Dirigé contre une décision prise en dernière instance cantonale (art. 86 al. 1 let. d LTF) dans le domaine du droit public (art. 82 let. a LTF), le recours est en principe recevable comme recours en matière de droit public selon les art. 82 ss LTF, aucune des exceptions prévues à l'art. 83 LTF n'étant réalisée.
1.2. Les communes genevoises n'ont aucune autonomie en matière d'autorisation de construire fondée sur la Constitution ou sur la loi (arrêt 1C_420/2019 du 5 septembre 2019 consid. 2.3). Par conséquent, la commune de Cologny ne peut fonder sa qualité pour recourir sur l'art. 89 al. 2 let. c LTF.
Par ailleurs, le présent litige concerne l'application de dispositions cantonales réglant l'octroi d'une autorisation de construire un café-restaurant et terrasse provisoire en zone à bâtir et ne correspond à aucun des cas visés par l'art. 34 al. 2 LAT. La commune n'a donc pas non plus la qualité pour recourir au regard de l'art. 89 al. 2 let. d LTF.
Les communes et autres collectivités publiques peuvent cependant être particulièrement atteintes par la décision attaquée et avoir un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification au sens de l'art. 89 al. 1 let. b et c LTF si la décision les atteint de la même manière qu'un particulier, ou du moins de manière analogue, dans leurs intérêts juridiques ou patrimoniaux (ATF 138 I 143 consid. 1.3.1; 138 II 506 consid. 2.1.1). Tel est notamment le cas lorsqu'elles sont propriétaires d'une parcelle voisine du projet de construction ou s'il est certain ou très vraisemblable qu'il serait à l'origine d'immissions touchant spécialement les voisins, même situés à quelque distance (ATF 140 II 214 consid. 2.3; arrêt 1C_343/2014 du 21 juillet 2014 consid. 2.2 in SJ 2015 I p. 65).
La commune est propriétaire de la parcelle n° 1'817, directement voisine du projet litigieux. La qualité pour agir peut lui être reconnue en application de la clause générale de l'art. 89 al. 1 LTF parce qu'elle serait atteinte de manière analogue à un particulier.
1.3.
1.3.1. La recevabilité du recours en matière de droit public est subordonnée à la démonstration d'un intérêt actuel et pratique à l'annulation de la décision attaquée (art. 89 al. 1 LTF; ATF 142 I 135 consid. 1.3.1). L'intérêt actuel est déterminé en fonction du but poursuivi par le recours, des conséquences et de la portée d'une éventuelle admission de celui-ci (cf. ATF 131 I 153 consid. 1.2; arrêt 1C_423/2018 du 30 juin 2023 consid. 1.1). Il fait défaut en particulier lorsque la décision attaquée a été exécutée ou est devenue sans objet (ATF 125 II 86 consid. 5b) ou encore lorsque l'admission du recours ne permettrait pas la réparation du préjudice subi (ATF 127 III 41 consid. 2b; arrêt 1C_495/2021 du 5 septembre 2022 consid. 1.2 et les arrêts cités).
Cet intérêt doit exister non seulement au moment du dépôt du recours, mais encore au moment où l'arrêt est rendu. Si l'intérêt actuel disparaît en cours de procédure, le recours devient sans objet, alors qu'il est irrecevable si l'intérêt actuel faisait déjà défaut au moment du dépôt du recours (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 et la jurisprudence citée). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes et non de prendre des décisions à caractère théorique, ce qui répond à un souci d'économie de procédure (ATF 140 IV 74 consid. 1.3.1). Ainsi, une partie qui n'est pas concrètement lésée par la décision ne possède pas la qualité pour recourir.
La jurisprudence consent une exception à l'exigence de l'intérêt actuel au recours lorsque la contestation peut se reproduire en tout temps dans des circonstances identiques ou analogues, que sa nature ne permet pas de la trancher avant qu'elle ne perde son actualité et que, en raison de sa portée de principe, il existe un intérêt public suffisamment important à la solution de la question litigieuse (ATF 147 I 478 consid. 2.2; 146 II 335 consid. 1.3).
1.3.2. En l'espèce, la construction litigieuse a été autorisée du 1er mai au 30 septembre 2022 et démontée en automne 2022. Toutefois, l'établissement a été reconstruit à la suite de l'autorisation délivrée par le Département le 17 mai 2023. La cour cantonale a jugé qu'il subsistait, pour la commune, un intérêt actuel à voir tranchée la question de la conformité au droit de l'autorisation de construire délivrée le 9 mai 2022, dans la mesure où cette question était susceptible de se poser à nouveau, dans des circonstances similaires, même si l'autorisation n'était pas reconduite automatiquement d'année en année: comme l'autorisation était limitée à la période estivale, la commune serait difficilement en mesure d'obtenir une décision définitive du Tribunal fédéral avant que la décision d'autorisation de construire ne déploie tous ses effets et n'atteigne son échéance.
Durant la procédure au Tribunal fédéral, la situation a cependant changé dans la mesure où aucune requête en autorisation de construire un café-restaurant temporaire en 2025 n'a été déposée par A.________ Sàrl; en revanche, une autre requérante a déposé une demande pour l'installation provisoire d'un beach-club et installations sportives, actuellement en cours d'instruction. Le projet n'est plus le même et en l'état aucune autorisation de construire n'a été délivrée pour 2025.
Seule la question de savoir si la zone de verdure avec mention "équipements sportifs" dans laquelle se trouve la parcelle n° 2'258 est une zone à bâtir garde un intérêt actuel; les autres griefs (violation des art. 13 LPRLac, 15 LEaux/GE, 41c de l'ordonnance sur la protection des eaux du 28 octobre 1998 [OEaux], des normes sur le bruit, de l'art. 7 de la loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages [LChP; RS 922.0] et de l'art. 5 de l'ordonnance sur les réserves d'oiseaux d'eau et de migrateurs d'importance internationale et nationale [OROEM; RS 922.32]) sont rattachés au projet de café-restaurant temporaire et ont perdu leur objet avec la nouvelle requête déposée. Il y a donc lieu uniquement de traiter du grief de violation des art. 22 et 24 LAT.
2.
La commune recourante prétend que l'installation provisoire litigieuse ne serait pas conforme à l'affectation de la zone. Elle se plaint d'une violation des art. 22 et 24 LAT.
2.1. L'art. 22 al. 2 LAT prévoit que l'autorisation est délivrée si la construction ou l'installation est conforme à l'affectation de la zone. L'art. 24 LAT régit les exceptions prévues hors de la zone à bâtir.
L'installation litigieuse est sise en zone de verdure, telle que définie à l'art. 24 de la loi genevoise d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LaLAT; RSG L 1 30). Selon l'art. 24 LaLAT, la zone de verdure comprend les terrains ouverts à l'usage public et destinés au délassement, ainsi que les cimetières (al. 1). Les constructions, installations et défrichements sont interdits s'ils ne servent l'aménagement de lieux de délassement de plein air, respectivement de cimetières (al. 2). Toutefois, si la destination principale est respectée, le département peut exceptionnellement, après consultation de la commission d'urbanisme, autoriser des constructions d'utilité publique dont l'emplacement est imposé par leur destination, et des exploitations agricoles (al. 3).
2.2. Il n'est pas toujours facile de déterminer si les zones à laisser libres de construction ou à constructibilité restreinte représentent des catégories de zone à bâtir ou des zones de non-bâtir. Pour juger si la zone à laisser libre de construction ou à constructibilité restreinte doit être considérée comme faisant partie de la zone à bâtir, il s'agit de déterminer sa fonction, d'examiner la réglementation et son emplacement par rapport à la zone à bâtir. Les zones à laisser libres de construction ou à constructibilité restreinte sont en tout cas des zones à bâtir si elles sont englobées dans une zone bâtie et servent à ménager des aires de verdure en son sein (arrêt 1C_180/2019 du 16 mars 2021 consid. 4.1 et la référence citée).
En l'espèce, la zone concernée revêt toutes les caractéristiques d'une zone à bâtir au sens de l'art. 15 LAT en tant qu'elle est bordée par des zones constructibles et qu'elle est destinée à aménager des lieux de délassement et des équipements sportifs.
Comme l'a relevé l'Office fédéral du développement territorial, dans la mesure où la zone de verdure permet l'autorisation de constructions et d'installations si elles servent l'aménagement de lieux de délassement de plein air, elle doit être qualifiée de zone à bâtir. Cela vaut en particulier dans le cas d'espèce où elle est englobée dans une zone densément bâtie, sert à ménager une aire de verdure en son sein et a pour but de maintenir une qualité du milieu bâti et des territoires servant au délassement.
2.3. Il s'ensuit que l'art. 24 LAT n'est pas applicable au cas particulier. Le grief de violation des art. 22 et 24 LAT doit être rejeté.
3.
Pour le reste, le recours a perdu son objet.
3.1. Dans un tel cas, il doit en principe être statué par une décision sommairement motivée sur les frais du procès devenu sans objet, en tenant compte de l'état de choses existant avant le fait qui met fin au litige (art. 72 PCF, par renvoi de l'art. 71 LTF) ainsi que de l'issue probable de celui-ci (ATF 125 V 373 consid. 2a). Si l'issue probable de la procédure n'apparaît pas évidente, il y a lieu de recourir aux critères généraux de la procédure civile, d'après lesquels les frais et dépens seront supportés en premier lieu par la partie qui a provoqué la procédure devenue sans objet ou chez qui sont intervenues les causes qui ont conduit à ce que cette procédure devienne sans objet (cf. ATF 118 Ia 488 consid. 4a; arrêt 2C_45/2009 du 26 mai 2009 consid. 3.1).
3.2. En l'espèce, la recourante a succombé sur la question de la conformité à la zone de l'installation prévue à l'origine (consid. 2). Pour le reste, l'issue de la procédure n'apparaît pas évidente pour les griefs non tranchés. Selon les règles générales, la recourante devrait ainsi supporter les frais et dépens de la procédure. Il est toutefois renoncé, à titre exceptionnel, à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1 in fine LTF). Il n'est pas accordé de dépens à A.________ Sàrl qui a présenté de très brèves observations.
4.
Il s'ensuit que le recours est rejeté dans la mesure où il n'est pas sans objet. Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens à l'intimée.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il n'est pas sans objet.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires, ni alloué de dépens.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Département du territoire, à la Cour de justice du canton de Genève (Chambre administrative), à l'Office fédéral du développement territorial et à l'Office fédéral de l'environnement.
Lausanne, le 13 mars 2025
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
La Greffière : Tornay Schaller