9C_477/2024 24.04.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_477/2024
Arrêt du 24 avril 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente,
Parrino et Bollinger.
Greffière : Mme Perrenoud.
Participants à la procédure
Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel,
rue Chandigarh 2, 2300 La Chaux-de-Fonds,
recourant,
contre
A.________,
représentée par Me Blaise Obrist, avocat et curateur,
intimée.
Objet
Assurance-invalidité,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel du 19 juillet 2024 (CDP.2023.312-AI).
Faits :
A.
Par décision du 16 octobre 2020, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Neuchâtel (ci-après: l'office AI) a reconnu le droit de A.________, née en 1995, à trois quarts de rente d'invalidité dès le 1er décembre 2016 (taux d'invalidité de 66%, obtenu en application de la méthode de comparaison des revenus).
À l'issue d'une procédure de révision initiée en novembre 2022, l'administration a réduit le droit à la rente d'invalidité de l'assurée à un quart dès le 1er novembre 2023 (décision du 8 septembre 2023). En bref, elle a considéré qu'à la suite de la naissance de son enfant en juillet 2022, A.________ avait désormais un statut d'active à 60% et de ménagère à 40% (et non plus d'active à 100%) et que son taux d'invalidité s'élevait à 40,48%, arrondi à 40%.
B.
Statuant le 19 juillet 2024 sur le recours formé par A.________ contre cette décision, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel l'a admis. Elle a annulé la décision administrative et dit que l'assurée a droit au maintien de trois quarts de rente.
C.
L'office AI interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt, dont il requiert l'annulation. Il conclut à la confirmation de sa décision du 8 septembre 2023.
A.________ conclut principalement au rejet du recours et subsidiairement au renvoi de la cause à la juridiction cantonale afin qu'elle rende une nouvelle décision "sur la base des considérants et du recours [cantonal]". Elle sollicite par ailleurs le bénéfice de l'assistance judiciaire. De son côté, l'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
La loi sur le Tribunal fédéral ne connaît pas l'institution du recours joint (ATF 145 V 57 consid. 10; 144 V 173 consid. 2.1; 138 V 106 consid. 2.1), de sorte qu'en principe, si une partie entend contester une décision sujette à recours devant le Tribunal fédéral, elle doit agir dans le délai de recours de l'art. 100 LTF. À défaut, elle ne peut, dans sa détermination sur le recours, que proposer l'irrecevabilité et/ou le rejet de celui-ci. Elle peut en revanche présenter des griefs contre la décision attaquée à titre éventuel, pour le cas où les arguments du recourant seraient suivis. Ses arguments doivent toutefois rester dans le cadre de l'objet de la procédure de recours devant le Tribunal fédéral (ATF 142 IV 129 consid. 4.1; arrêt 9C_153/2022 du 26 avril 2023 consid. 1.3 et les références). Il suit de ce qui précède que les arguments présentés par l'intimée à l'appui de sa conclusion subsidiaire (irrecevable) peuvent être pris en considération, dans la mesure où ils demeurent dans le cadre de l'objet du litige.
2.
Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il statue par ailleurs sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant qui entend s'en écarter doit expliquer de manière circonstanciée en quoi les conditions de l'art. 105 al. 2 LTF sont réalisées sinon un état de fait divergent ne peut pas être pris en considération.
3.
3.1. Le litige a trait au maintien du droit de l'intimée à trois quarts de rente de l'assurance-invalidité au-delà du 31 octobre 2023. Est en particulier litigieux le point de savoir si c'est à bon droit que la juridiction cantonale a considéré que le changement de statut de l'assurée de "personne exerçant une activité lucrative à plein temps" à "personne exerçant une activité lucrative à temps partiel" qui trouve sa cause dans des motifs d'ordre familial (la naissance d'un enfant et la réduction de l'activité professionnelle qui en découle) ne constitue pas un motif de révision du droit à la rente (au sens de l'art. 17 LPGA; cf. ATF 141 V 9 consid. 2.3; 133 V 108 consid. 5).
3.2. Dans le cadre du "développement continu de l'AI", la LAI, le RAI et la LPGA - notamment - ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Dans la mesure où les modifications en question n'ont aucun effet sur la présente cause, il n'y a pas lieu de se prononcer plus avant sur d'éventuels aspects de droit transitoire.
4.
4.1. La juridiction cantonale a considéré que la diminution de la rente d'invalidité de l'assurée de trois quarts à un quart, par la voie de la révision, décidée par l'office recourant le 8 septembre 2023, n'est pas compatible avec l'arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après: CourEDH) Di Trizio contre Suisse du 2 février 2016 (n° 7186/09). Elle a rappelé que dans cet arrêt, la CourEDH a jugé que l'application, dans l'assurance-invalidité, de la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité à une assurée qui, sans atteinte à la santé, n'aurait travaillé qu'à temps partiel après la naissance de ses enfants et s'est vu de ce fait supprimer la rente d'invalidité en application des règles sur la révision de la rente constitue une violation de l'art. 14 CEDH (interdiction de la discrimination) en relation avec l'art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale). Les premiers juges se sont également référés aux ATF 143 I 50 et 143 I 60, dans lesquels le Tribunal fédéral a considéré que la suppression, respectivement la diminution, d'une rente d'invalidité dans le cadre d'une révision est contraire à la CEDH lorsque seuls des motifs d'ordre familial (la naissance d'enfants et la réduction de l'activité professionnelle qui en découle) conduisent à un changement de statut de "personne exerçant une activité lucrative à plein temps" à "personne exerçant une activité lucrative à temps partiel" (en consacrant son temps libre à l'accomplissement de travaux habituels). L'instance précédente a admis que l'application de cette jurisprudence au cas d'espèce a pour conséquence que l'assurée doit continuer à bénéficier de trois quarts de rente au-delà du moment où la décision administrative attaquée a commencé de déployer ses effets, c'est-à-dire au-delà du 1er novembre 2023 (cf. art. 88bis al. 2 let. a RAI).
4.2. À l'appui de son recours, l'office recourant se prévaut d'une violation des art. 17 al. 1 LPGA, 28a al. 3 LAI et 27bis RAI. Il fait valoir qu'à la suite de l'arrêt de la CourEDH du 2 février 2016, le Conseil fédéral a modifié le règlement sur l'assurance-invalidité, en particulier l'art. 27bis RAI (modification du 1er décembre 2017, entrée en vigueur le 1er janvier 2018). En se référant à l'ATF 147 V 124, le recourant affirme que la nouvelle méthode d'évaluation de l'invalidité des assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel (selon le nouvel art. 27bis RAI) a éliminé les conséquences négatives d'un changement de statut: l'évaluation est en effet effectuée dans les deux domaines (activité lucrative et travaux habituels), en déterminant le revenu sans invalidité et le revenu d'invalide par rapport à une activité exercée hypothétiquement à plein temps (cf. ATF 145 V 370 consid. 4). En conséquence, il n'y a plus de raison de ne pas reconnaître comme motif de révision le changement de statut de personne exerçant une activité lucrative à plein temps à personne exerçant une activité lucrative à temps partiel, même s'il trouve sa cause dans la naissance d'un enfant. Dès lors, l'office AI soutient qu'il a révisé à bon droit la rente d'invalidité de l'intimée en raison de son changement de statut.
5.
5.1. Dans l'ATF 147 V 124, le Tribunal fédéral a jugé qu'un changement de statut, pour des raisons d'ordre familial, en faveur de celui d'une personne exerçant une activité lucrative à temps partiel constitue un motif de révision depuis l'entrée en vigueur de la modification de la législation entrée en vigueur le 1er janvier 2018 (cf. modification de l'art. 27bis RAI [RO 2017 7581]), y compris dans une constellation similaire à celle examinée par la CourEDH dans l'affaire Di Trizio contre Suisse. Le fait que le changement de statut - et donc de la méthode d'évaluation de l'invalidité applicable - puisse conduire, en cas de révision, à la suppression ou à la réduction de la rente d'invalidité (c'est-à-dire à un résultat défavorable pour la personne assurée) n'y change rien (consid. 5 et 6; cf. aussi arrêts 8C_658/2022 du 30 juin 2023 consid. 4.2; 9C_122/2020 du 26 février 2021 consid. 3.3.1; 8C_280/2020 du 21 décembre 2020 consid. 3).
5.2. Au vu de la jurisprudence qui vient d'être exposée, on ne peut pas suivre les juges précédents en tant qu'ils ont nié l'existence d'un motif de révision en se référant à l'arrêt de la CourEDH du 2 février 2016 et à la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue antérieurement à la modification de l'art. 27bis RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2018 (cf. consid. 4.1 supra). Cela ne suffit cependant pas pour admettre la conclusion de l'office recourant visant à la confirmation de la décision de révision, dès lors que la cause n'est pas en état d'être jugée.
En effet, dans sa détermination sur le recours, l'intimée fait valoir que l'instance précédente ne s'est pas prononcée sur l'intégralité des griefs qu'elle avait soulevés pour remettre en cause le statut de personne exerçant partiellement une activité lucrative retenu par l'office recourant et, à sa suite, par les juges cantonaux. Elle conteste en substance ce statut en se prévalant de circonstances que la juridiction cantonale aurait manqué d'examiner. Or à cet égard, on constate que le Tribunal cantonal a confirmé le statut (de personne active à temps partiel) déterminé par l'office AI, en se fondant uniquement sur le fait que l'assurée avait donné naissance à un enfant, sans plus de précisions. Ce faisant, il n'a pas pris en considération l'argumentation développée par l'intimée dans le recours cantonal, selon laquelle la réduction de son taux d'activité à la suite de la naissance de son enfant n'était que temporaire (jusqu'à ce que l'enfant atteigne l'âge d'une année), ce qui ressortait, selon elle, de différents éléments dont elle se prévalait alors. En conséquence, il convient d'annuler l'arrêt entrepris et de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu'elle examine le bien fondé de la réduction du droit à la rente de l'intimée à l'aune des griefs de l'intimée relatifs au statut retenu par l'office recourant. Le recours doit être admis dans cette mesure.
6.
En ce qui concerne la répartition des frais judiciaires et des dépens, le renvoi de la cause pour nouvel examen et décision revient à obtenir gain de cause au sens des art. 66 al. 1 et 68 al. 1 et 2 LTF, indépendamment du fait qu'une conclusion ait ou non été formulée à cet égard, à titre principal ou subsidiaire (ATF 141 V 281 consid. 11.1; arrêt 9C_328/2021 du 3 janvier 2022 consid. 6). Les frais de justice devraient donc être mis à la charge de l'intimée; compte tenu des circonstances, il convient cependant de renoncer à la perception de frais judiciaires (art. 66 al. 1, 2e phrase, LTF), ce qui rend la demande d'assistance judiciaire présentée par l'intimée sans objet sur ce point. En ce qu'elle tend à la désignation d'un avocat d'office, la requête d'assistance judiciaire doit être admise, les conditions en étant réalisées (art. 64 LTF). L'intimée est cependant rendue attentive au fait qu'elle devra rembourser la caisse du Tribunal fédéral, si elle devient ultérieurement en mesure de le faire (art. 64 al. 4 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, du 19 juillet 2024 est annulé. La cause est renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
La demande d'assistance judiciaire est admise, dans la mesure où elle n'est pas sans objet. Maître Blaise Obrist est désigné comme avocat d'office de l'intimée.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Une indemnité de 3'000.- fr. est allouée à l'avocat de l'intimée à titre d'honoraires à payer par la Caisse du Tribunal fédéral.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel, Cour de droit public, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 24 avril 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
La Greffière : Perrenoud