7B_1307/2024 09.05.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_1307/2024
Arrêt du 9 mai 2025
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Koch et Hofmann,
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________ Ltd (in Liquidation), représentée par
Me Garen Ucari et Me Olivier Wehrli, avocats,
recourante,
contre
Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
intimé.
Objet
Ordonnance de classement (droit d'accès au dossier et de participer à la procédure cantonale de recours),
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 31 octobre 2024
(ACPR/801/2024 - P/2498/2022).
Faits :
A.
A.a. Le 1er février 2022, B.________ S.R.L. (ci-après : la partie plaignante) a déposé une plainte pénale contre C.________ Ltd, D.________, E.________ et F.________ pour abus de confiance et blanchiment d'argent. Elle leur reprochait notamment d'avoir disposé sans droit des titres qu'elle avait déposés auprès de C.________ Ltd - société sous contrôle a priori des trois mis en cause précités -, en particulier en les transférant à son insu à des sous-dépositaires, en "participant" à leur nantissement en faveur de A.________ Ltd et en les vendant pour partie; E.________ et F.________ auraient ainsi, par le biais de C.________ Ltd, acquis A.________ Ltd et celle-ci aurait prêté pour ce faire les fonds nécessaires à celle-là, laquelle lui aurait alors remis en nantissement les avoirs de la partie plaignante (art. 105 al. 2 LTF; arrêt 7B_681/2023 du 27 juin 2024 let. A.a).
A.b. Le 16 février 2022, le Ministère public de la République et canton de Genève (ci-après : le Ministère public) a ordonné le séquestre du compte détenu par A.________ Ltd (USD 24 millions) auprès de la banque G.________ SA, à U.________ (art. 105 al. 2 LTF; arrêt 7B_681/2023 du 27 juin 2024 let. A.b).
B.
B.a. Par ordonnance du 13 décembre 2022, le Ministère public a classé la procédure pénale et a levé le séquestre portant sur le compte détenu par A.________ Ltd (in Liquidation) auprès de la banque G.________ SA.
B.b. Le 28 décembre 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Chambre pénale de recours) a accordé l'effet suspensif au recours déposé par la partie plaignante contre cette ordonnance; il en résultait notamment le maintien du séquestre précité.
B.c. Par lettre du 9 mars 2023 adressée à la Chambre pénale de recours, A.________ Ltd (in Liquidation) a indiqué que "dans la mesure où ce classement [pouvait] entraîner la levée des mesures de blocage visant [ses] avoirs [...], [elle] souhait[ait] pouvoir recevoir une copie du recours et de ses pièces afin de pouvoir se prononcer à son sujet".
B.d. Par arrêt du 4 mai 2023, la Chambre pénale de recours a admis le recours de la partie plaignante, a annulé l'ordonnance de classement et a renvoyé la cause au Ministère public pour qu'il poursuive l'instruction. Elle a également indiqué que "le séquestre ordonné sur le compte détenu par A.________ Ltd dans les livres de la banque G.________ SA [était] maintenu à ces fins".
B.e. Par arrêt du 27 juin 2024 (cause 7B_681/2023), le Tribunal fédéral a admis le recours formé par A.________ Ltd (in Liquidation) contre cet arrêt, l'a annulé et lui a renvoyé la cause pour qu'elle examine les requêtes formulées les 9 et 20 mars 2023 par la précitée, reprenne, le cas échéant, l'instruction du recours cantonal en garantissant à l'ensemble des parties qui devraient être admises à cette procédure de recours leur droit d'être entendues - dans les limites du statut accordé -, puis rende une nouvelle décision (cf. consid. 3).
C.
C.a. Dans le cadre de la reprise de la cause, la partie plaignante a demandé le 27 août 2024 à la Chambre pénale de recours si les mesures provisionnelles ordonnées le 28 décembre 2022 étaient toujours en vigueur.
Les parties, dont A.________ Ltd (in Liquidation), ont pu se déterminer.
C.b. Par arrêt du 31 octobre 2024, la Chambre pénale de recours a déclaré sans objet la demande de A.________ Ltd (in Liquidation) de pouvoir prendre position sur le recours interjeté le 23 décembre 2022 par la partie plaignante. Elle a dès lors rejeté sa requête tendant à obtenir une copie du mémoire de recours et des pièces déposées par la partie plaignante.
C.c. Par acte du 4 décembre 2024, A.________ Ltd (in Liquidation) interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre cet arrêt, en concluant à son annulation et à ce qu'ordre soit donné à l'autorité précédente :
- de reprendre l'instruction du recours formé le 23 décembre 2022 par la partie plaignante contre l'ordonnance de classement du Ministère public du 13 décembre 2022;
- de lui remettre une copie dudit recours ainsi que de toute pièce annexée à celui-ci;
- de lui remettre une copie de toutes les écritures (et pièces annexées à celles-ci) déposées auprès de la Chambre pénale de recours par les autres parties à la procédure à la suite du recours formé le 23 décembre 2022 par la partie plaignante;
- de lui remettre toute autre pièce du dossier sous référence P/2498/2022 qui lui permettrait d'exercer convenablement son droit d'être entendue;
- de lui octroyer un délai suffisant pour qu'elle puisse formuler ses observations, une fois que les pièces susmentionnées lui auraient été remises.
À titre subsidiaire, elle demande l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
L'autorité précédente a renoncé à formuler des observations. Quant au Ministère public, il s'en est remis à justice s'agissant de la recevabilité ainsi que du bien-fondé du recours.
Considérant en droit :
1.
1.1. L'arrêt attaqué, rendu par une autorité statuant en tant que dernière instance cantonale (cf. art. 80 al. 1 LTF) dans une cause pénale (cf. art. 78 ss LTF), concerne des requêtes d'un tiers séquestré (la recourante) visant en substance à pouvoir accéder au dossier de la procédure cantonale ouverte à la suite du recours de la partie plaignante contre une ordonnance classant sa plainte pénale et levant le séquestre portant sur les avoirs de la recourante, ainsi qu'à pouvoir participer à cette procédure de recours.
1.2. Il ne semble plus contesté que la recourante soit la titulaire des avoirs sur lesquels le séquestre a été maintenu et dispose dès lors de la qualité de tiers touché par un acte de procédure (cf. art. 105 al. 1 let. f CPP; p. 2 de l'arrêt attaqué). Dans ce cadre, elle peut faire valoir des droits de partie dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts (cf. art. 105 al. 2 CPP; ATF 145 IV 161 consid. 3.1 et les arrêts cités; arrêt 6B_1004/2022 du 23 mai 2023 consid. 3.1.2 et les arrêts cités).
Dès lors en outre que l'autorité précédente l'a en substance écartée de la procédure cantonale de recours, faute d'intérêt actuel et pratique à se voir reconnaître la qualité de partie dans la procédure cantonale de recours (cf. p. 3 de l'arrêt attaqué), la recourante a un intérêt juridique à obtenir l'annulation ou la modification de l'arrêt attaqué (cf. art. 81 al. 1 let. a et b LTF; ATF 146 IV 76 consid. 2; 141 IV 1 consid. 1.1; 133 IV 278 consid. 1.3; arrêts 7B_1357/2024 du 20 février 2025 consid. 1.2; 6B_1004/2022 du 23 mai 2023 consid. 1.2).
1.3. Il n'y a pas lieu de déterminer si l'arrêt attaqué, qui ne met pas un terme à la procédure pénale, pourrait revêtir le caractère d'une décision partielle au sens de l'art. 91 let. b LTF s'agissant de la recourante.
En effet, l'existence d'un risque de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF doit de toute façon être admise. Même si l'arrêt attaqué ne statue pas expressément sur la question du séquestre des avoirs de la recourante, sa motivation retient que c'est en raison du maintien de cette mesure notamment dans l'arrêt ACPR_1 du 4 mai 2023 que la requête de la recourante visant à participer à la procédure cantonale de recours contre l'ordonnance de classement est devenue sans objet (cf. p. 4 de l'arrêt attaqué); la recourante, en tant que titulaire des avoirs séquestrés, se trouve par conséquent toujours privée de leur libre disposition (cf. ATF 128 I 129 consid. 1; arrêt 7B_968/2024 du 17 mars 2025 consid. 1.1). Cette conclusion s'impose d'autant plus que, selon la jurisprudence, un refus d'autoriser l'accès au dossier est susceptible de causer un préjudice irréparable s'il est opposé à une partie qui peut en principe se prévaloir d'un droit de consulter le dossier, notamment au sens de l'art. 101 al. 1 CPP; il en va de même du tiers touché par un acte de procédure au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP, à qui les droits de partie sont reconnus aux conditions de l'art. 105 al. 2 CPP (arrêts 7B_603/2023 du 23 février 2024 consid. 1.2 et les arrêts cités; 1B_635/2022 du 15 juin 2023 consid. 3.1; 1B_321/2021 du 29 octobre 2021 consid. 1.3).
1.4. Pour le surplus, les autres conditions de recevabilité n'appellent aucune considération, de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1. La recourante se plaint d'un déni de justice, de violations du principe de l'autorité de l'arrêt de renvoi et de violations des droits dont peut bénéficier le tiers touché par un acte de procédure au sens de l'art. 105 al. 1 let. f CPP.
2.2. Pour dénier à la recourante un intérêt actuel et pratique à avoir accès au dossier de la procédure cantonale de recours, respectivement à y participer en tant que partie, l'autorité précédente a considéré que "nulle levée du blocage en vigueur depuis les décisions de la Chambre [pénale de recours] des 28 décembre 2022 et 4 mai 2023 n'[était] intervenue" (cf. p. 4 de l'arrêt attaqué).
2.3. Ce raisonnement ne saurait être suivi. En effet, l'autorité précédente se méprend sur les intérêts de la recourante : celle-ci n'entend pas, contrairement à la partie plaignante recourante sur le plan cantonal, obtenir le maintien du séquestre. De plus, dans son arrêt 7B_681/2023 du 27 juin 2024, le Tribunal fédéral a exposé la configuration qui prévaut en l'occurrence, à savoir que "l'annulation [ordonnée par l'arrêt ACPR_1 du 4 mai 2023] de la levée du séquestre litigieux [...] a pour conséquence que l'éventuel titulaire des avoirs concernés [...] voit ainsi sa position péjorée". Cela suffit à démontrer que ce dernier - soit la recourante en tant que tiers séquestré - a un intérêt, actuel et pratique (sur cette notion, en lien notamment avec l'art. 382 al. 1 et 105 CPP, ATF 150 IV 409 consid. 2.5.1; 144 IV 81 consid. 2.3.1; arrêts 7B_59/2022 du 11 février 2025 consid. 2.1.1; 6B_1004/2022 du 23 mai 2023 consid. 3.1.1 et 3.1.2), à pouvoir faire valoir ses arguments sur cette question particulière préalablement à toute décision la concernant.
La manière de procéder de la cour cantonale apparaît d'autant plus critiquable qu'elle fonde sa motivation sur l'arrêt ACPR_1 du 4 mai 2023, lequel a été rendu sans que la recourante ait pu faire valoir ses moyens en lien avec la mesure la concernant et a pour ce motif été annulé par le Tribunal fédéral dans la cause 7B_681/2023.
Il découle de ce qui précède qu'en tant que tiers touché par un acte de procédure (cf. art. 105 al. 1 let. f CPP) et au regard de la possible annulation de la levée du séquestre portant sur ses avoirs à la suite du recours cantonal formé par la partie plaignante contre l'ordonnance de classement, la recourante dispose d'un intérêt actuel et pratique à pouvoir participer à la procédure cantonale de recours et accéder aux pièces de cette procédure, cela dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de ses intérêts (cf. art. 105 al. 2 CPP). En déniant à la recourante un tel intérêt malgré le statut procédural reconnu, la Chambre pénale de recours viole le droit fédéral.
3.
Il s'ensuit que le recours doit être admis, l'arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle détermine quelles pièces de la procédure cantonale de recours peuvent être transmises à la recourante vu son statut de tiers touché par un acte de procédure, lui octroie un délai pour se déterminer, garantisse ensuite, le cas échéant, le droit d'être entendues des autres parties, puis rende une nouvelle décision.
Il ne sera pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 et 4 LTF). La recourante, qui obtient gain de cause avec l'assistance de mandataires professionnels, a droit à une indemnité de dépens (cf. art. 68 al. 1 LTF), laquelle sera mise à la charge du canton de Genève.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt ACPR/801/2024 du 31 octobre 2024 de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève est annulé et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Une indemnité de dépens, fixée à 2'500 fr., est allouée à la recourante, à la charge de la République et canton de Genève.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève et, pour information, aux mandataires de B.________ S.R.L., de D.________ et de E.________.
Lausanne, le 9 mai 2025
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Kropf