4A_266/2024 12.05.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_266/2024
Arrêt du 12 mai 2025
I
Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux
Hurni, Président, Kiss et Denys.
Greffier : M. Botteron.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Michel Bosshard, avocat,
recourante,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Jean-Noël Jaton, avocat,
intimée.
Objet
compétence à raison de la matière,
recours contre l'arrêt rendu le 28 mars 2024 par la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud (XZ20.028885-230182, 144).
Faits :
A.
Par jugement du 14 juillet 2022, le Tribunal des baux du canton de Vaud a dit que A.________ SA devait verser à B.________ SA la somme de 91'402 fr. 15, avec intérêt à 5 % l'an dès le 26 août 2020, dont à déduire les montants de 2'601 fr. 70, valeur au 24 mai 2019, de 4'653 fr. 65, valeur au 14 juin 2019, de 401 fr. 95, valeur au 30 juin 2019, de 80 fr. 80, valeur au 15 août 2019, et de 2'768 fr., valeur au 8 novembre 2019 (I), a dit que les oppositions formées aux poursuites n°s zzz, yyy et xxx de l'Office des poursuites du district du Jura - Nord vaudois étaient définitivement levées à concurrence de, respectivement, 6'728 fr. 55, 1'076 fr. 55 et 831 fr. 45, chaque somme portant intérêt à 5 % l'an dès le 11 août 2019, que les oppositions formées aux poursuites n°s www, vvv et uuu de l'office précité étaient définitivement levées à concurrence de, respectivement, 9'087 fr. 40, 748 fr. 30 et 1'435 fr. 55, chaque somme portant intérêt à 5 % l'an dès le 11 décembre 2019, que l'opposition formée à la poursuite n° 9668286 de l'office précité était définitivement levée à concurrence de la somme de 11'752 fr. 75, avec intérêt à 5 % l'an dès le 11 mars 2020, et que l'opposition formée à la poursuite n° ttt de ce même office était définitivement levée à concurrence de la somme de 9'402 fr. 20, avec intérêt à 5 % l'an dès le 11 octobre 2020 (II).
Le Tribunal des baux a considéré que le "contrat de prestations de services" conclu par les parties était un contrat composé, qui comprenait notamment tous les éléments objectivement essentiels constitutifs d'un contrat de bail commercial. B.________ SA avait, entre autres prestations mentionnées dans le contrat, cédé à A.________ SA l'usage exclusif d'une surface de 250 m2 pour une durée - prolongeable - de trois ans, moyennant le versement par celle-ci d'un montant de 100 fr. par mètre carré et par an, ce qui correspondait à l'évidence à un loyer. A.________ SA pouvait librement accéder à la surface en question, puisqu'elle en possédait les clés, ce qui excluait de qualifier le contrat de dépôt ou d'entrepôt. Le même raisonnement s'appliquait à la surface de 40 m2et à celle d'une taille variable, à cela près que les parties avaient conclu pour celles-ci un contrat de bail oral. Le tribunal a ainsi admis sa compétence ratione materiae. Les premiers juges ont relevé que, le contrat relatif à la location de la surface de 250 m2 ayant été résilié avec effet au 31 octobre 2019, la locataire A.________ SA n'avait pas démontré s'être acquittée des loyers des mois d'avril à octobre 2019 ni des indemnités d'occupation illicite pour les mois de novembre 2019 à décembre 2021, de sorte que ces montants étaient dus. S'agissant de la surface de 40 m2, A.________ SA restait débitrice des loyers et indemnités pour occupation illicite pour la période d'avril 2019 à juillet 2020. Enfin, pour la surface variable, l'impayé s'étendait sur 33 mois. Le Tribunal des baux a estimé que la température des locaux représentait une qualité promise, dont l'absence constituait un défaut de la chose louée. Le tribunal a toutefois considéré que A.________ SA n'avait pas démontré l'existence de la marchandise dont elle déplorait la prétendue perte et n'avait pas prouvé son dommage, si bien que ses conclusions en paiement de dommages-intérêts résultant d'un défaut de la chose louée devaient être rejetées.
B.
Par arrêt du 28 mars 2024, la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud a partiellement admis l'appel formé par A.________ SA et a réformé le ch. I du jugement du Tribunal des baux en ce sens que A.________ SA doit verser à B.________ SA la somme de 84'867 fr. 35 avec intérêt à 5 % l'an dès le 26 août 2020, dont à déduire 2'601 fr. 70 valeur au 24 mai 2019, 4'653 fr. 65 valeur au 14 juin 2019, 401 fr. 95 valeur au 30 juin 2019, 80 fr. 80 valeur au 15 août 2019, 2'768 fr. valeur au 8 novembre 2019. Elle a confirmé le jugement pour le surplus.
C.
A.________ SA (ci-après: la recourante) forme un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre cet arrêt. Elle conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'arrêt attaqué, à ce qu'il soit constaté que la relation entre les parties ne relève pas du bail et à ce que les poursuites n° zzz, yyy, xxx, www, vvv, uuu et ttt n'aillent pas leur voie. Au pied de ses conclusions, la recourante demande également qu'B.________ SA soit déboutée de toutes autres ou contraires conclusions. Elle sollicite l'effet suspensif.
B.________ SA (ci-après: l'intimée) conclut, avec suite de frais et dépens, au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.
Les parties ont répliqué et dupliqué. La cour cantonale se réfère à son arrêt.
D.
Par ordonnance du 6 février 2025, le Juge instructeur de la I re Cour de droit civil du Tribunal fédéral a octroyé l'effet suspensif au recours.
Considérant en droit :
1.
Le recours est dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu en matière civile (art. 72 al. 1 LTF) par un tribunal supérieur désigné comme autorité cantonale de dernière instance, lequel a statué sur recours (art. 75 LTF). La cause atteint le seuil de 15'000 fr. fixé à l'art. 74 al. 1 let. a LTF. Au surplus, le recours est exercé par la partie qui a succombé dans ses conclusions et qui a donc qualité pour recourir (art. 76 al. 1 LTF). Déposé dans le délai (art. 100 al. 1 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi, le recours est en principe recevable.
2.
2.1. Le recours en matière civile peut être exercé pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), y compris le droit constitutionnel (ATF 136 I 241 consid. 2.1). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, compte tenu de l'obligation de motiver qui incombe au recourant en vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il n'examine pas, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser, mais uniquement celles qui sont soulevées devant lui, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 86 consid. 2, 115 consid. 2). Il ne traite donc pas les questions qui ne sont plus discutées par les parties (ATF 140 III 86 consid. 2). Il n'examine pas non plus les griefs qui n'ont pas été soumis à l'instance cantonale précédente (principe de l'épuisement des griefs, ATF 147 III 172 consid. 2.2; 143 III 290 consid. 1.1).
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). "Manifestement inexactes" signifie ici "arbitraires" (ATF 143 I 310 consid. 2.2). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF. La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi les conditions précitées seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 140 III 264 consid. 2.3).
Il est observé que dans son mémoire, la recourante se limite à donner sa propre vision des faits dans une approche appellatoire, partant irrecevable.
3.
3.1. Le recours en matière civile des art. 72 ss LTF étant une voie de réforme (art. 107 al. 2 LTF), la partie recourante ne peut pas se borner à demander l'annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l'instance cantonale; elle doit également, sous peine d'irrecevabilité, prendre des conclusions sur le fond du litige. Les conclusions réformatoires doivent en outre être déterminées et précises, c'est-à-dire indiquer exactement quelles modifications sont demandées. Il n'est fait exception à l'exigence de conclusions réformatoires précises que lorsque le Tribunal fédéral, en cas d'admission du recours, ne serait de toute manière pas en situation de statuer lui-même sur le fond et ne pourrait que renvoyer la cause à l'autorité cantonale pour complément d'instruction (ATF 137 II 313 consid. 1.3; 134 III 379 consid. 1.3).
L'application du principe de la confiance impose d'interpréter les conclusions à la lumière de la motivation; l'interdiction du formalisme excessif commande de ne pas se montrer trop strict dans la formulation des conclusions si, à la lecture du mémoire, l'on comprend clairement ce que veut le recourant (parmi plusieurs: arrêt 5A_645/2021 du 2 février 2022 consid. 3.3 et les références).
Selon un principe général de procédure, les conclusions constatatoires ne sont recevables que lorsque des conclusions condamnatoires ou formatrices sont exclues; les conclusions constatatoires ont donc un caractère subsidiaire (ATF 141 II 113 consid. 1.7).
3.2. La recourante a conclu à l'annulation de l'arrêt attaqué et à ce qu'il soit constaté n'être pas liée à l'intimée par un contrat de bail. Elle n'a pas pris de conclusion réformatoire tendant en particulier à ce que la demande en paiement de l'intimée soit rejetée. Sa conclusion tendant à ce que diverses poursuites n'aillent pas leur voie ne peut guère être interprétée comme une conclusion réformatoire concernant le rejet de la demande en paiement dès lors que les poursuites concernées portent sur des montants largement inférieurs. Cette conclusion n'est par ailleurs étayée par aucune motivation de sorte qu'elle est irrecevable (art. 42 al. 2 LTF). La conclusion tendant à ce que l'intimée soit déboutée de toutes autres ou contraires conclusions est une tournure générique qui n'a de portée que pour le sort du recours par anticipation aux conclusions que prendrait l'intimée dans sa réponse mais ne tend nullement à la réforme de la décision attaquée sur le fond.
3.3. La motivation du recours ne permet pas non plus d'interpréter différemment les conclusions et d'y déceler une conclusion réformatoire. La recourante ne discute en rien des prétentions de l'intimée mais base tout son argumentaire sur la seule qualification juridique du contrat. Pour elle, la relation contractuelle - dont elle ne remet pas en cause l'existence en tant que telle - ne relève pas d'un contrat de bail. Elle en déduit que le Tribunal des baux n'était pas compétent pour statuer. Autrement dit, tout l'argumentaire de la recourante revient à contester la compétence du Tribunal des baux. C'est pourquoi elle se limite à une conclusion en annulation.
3.4. La recourante se méprend sur la portée de la qualification juridique du contrat liant les parties.
3.4.1. L'art. 59 al. 2 let. b CPC prévoit que la compétence du tribunal à raison de la matière est une condition de recevabilité de l'action. Le tribunal examine d'office si les conditions de recevabilité sont remplies (art. 60 CPC). Dans le canton de Vaud, les art. 1 et 2 de la loi vaudoise sur la juridiction en matière de bail instituent le Tribunal des baux pour les contestations relatives aux baux à loyers portant sur des choses immobilières.
3.4.2. A l'instar de ce qui prévaut pour un contrat de travail, l'existence d'un contrat de bail est un fait doublement pertinent, soit un fait déterminant pour la compétence du tribunal comme pour le bien-fondé de l'action (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2; 142 III 466 consid. 4.1; arrêts 4A_393/2022 du 26 avril 2023 consid. 2.1.1; 4A_429/2020 du 5 mai 2021 consid. 2.; 4A_186/2017 du 4 décembre 2017 consid. 2). Le tribunal n'est toutefois pas obligé de rendre une décision séparée sur la compétence (ATF 147 III 159 consid. 4.2).
3.4.3. En présence de faits doublement pertinents, la jurisprudence prescrit de procéder de la façon suivante (ATF 147 III 159 consid. 2.1.2; 141 III 294 consid. 5.2; arrêt 4A_429/2020 précité consid. 2.1) :
- Lors de l'examen de la compétence, que le juge effectue d'office in limine litis, les faits doublement pertinents sont réputés vrais et n'ont pas à être prouvés. En s'appuyant sur les allégués, moyens et conclusions du seul demandeur, le juge doit toutefois rechercher si ces faits sont concluants, i.e. permettent de déduire juridiquement la qualification du contrat de bail, et partant la compétence matérielle invoquée.
Si, à ce stade déjà, il aboutit à la conclusion qu'un tel contrat ne peut être retenu, le juge peut déclarer la demande irrecevable par décision séparée. S'il y renonce, le procès se poursuit normalement et le juge procède à l'administration des preuves.
- Si, en examinant le fond de la cause, le juge réalise finalement qu'il n'y a pas de contrat de bail, il ne peut rendre un jugement sur la compétence mais doit rejeter la demande par une décision de fond, revêtue de l'autorité de la chose jugée. Le cas échéant, il doit examiner si la prétention repose sur un autre fondement; en effet, en vertu du principe jura novit curia (cf. art. 57 CPC), un seul et même juge doit pouvoir examiner la même prétention sous toutes ses "coutures juridiques" (arrêts 4A_218/2022 du 10 mai 2023 consid. 3.1.3; 4A_429/2020 précité consid. 2.1 et les arrêts cités).
3.4.4. Au vu de ce qui précède et contrairement à ce que soutient la recourante, le Tribunal des baux, même en supposant l'absence d'un contrat de bail, n'aurait pas dû à ce stade procédural décliner sa compétence en déclarant la demande irrecevable mais bien statuer sur la relation contractuelle des parties, non contestée par la recourante, et les prétentions invoquées en application du principe jura novit curia. C'est ainsi en vain que la recourante se prévaut de l'incompétence du Tribunal des baux.
3.5. Hormis la compétence du Tribunal des baux, la recourante ne soulève aucun grief de fond relatif aux prétentions de l'intimée. En particulier, nonobstant la relation contractuelle dont elle ne conteste pas en soi l'existence, elle ne dit nullement en quoi l'intimée serait dépourvue de toute prétention. Faute de conclusion réformatoire et de grief matériel recevable (art. 42 al. 2 LTF), le recours est irrecevable.
4.
La recourante supporte les frais de procédure (art. 66 al. 1 LTF) et doit verser des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est irrecevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 4'500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante est condamnée à verser à l'intimée une indemnité de 5'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour d'appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 12 mai 2025
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Hurni
Le Greffier : Botteron