6B_238/2025 19.05.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_238/2025
Arrêt du 19 mai 2025
Ire Cour de droit pénal
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jacquemoud-Rossari, Présidente,
Wohlhauser et Guidon.
Greffière : Mme Corti.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Hüsnü Yilmaz, avocat,
recourant,
contre
Ministère public central du canton de Vaud,
avenue de Longemalle 1, 1020 Renens VD,
intimé.
Objet
Frais et indemnité,
recours contre le jugement de la Cour d'appel
pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud,
du 23 janvier 2025 (n° 94 PE22.023606-ALS).
Faits :
A.
Par jugement du 11 octobre 2024, le Tribunal correctionnel de l'arrondissement de La Côte a notamment ordonné la cessation des poursuites pénales dirigées contre A.________ pour actes d'ordre sexuel avec des enfants, contrainte sexuelle et actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance [pour cause de prescription de l'action pénale], a renvoyé B.B.________ et C.B.________ à agir devant le juge civil, a constaté qu'aucune indemnité à forme de l'art. 429 al. 1 CPP n'était due à A.________ et a mis les frais de la procédure, arrêtés à 18'078 fr. 10, y compris les indemnités allouées au défenseur d'office et au conseil juridique gratuit des plaignantes, à la charge de A.________.
B.
Par jugement du 23 janvier 2025, la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a rejeté l'appel de A.________, confirmé le jugement du 11 octobre 2024 et mis les frais d'appel à la charge du prénommé.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral. Il conclut, avec suite de frais et dépens, à ce que les jugements de première et deuxième instance soient annulés en ce sens qu'ils le déclarent, en violation du principe de la présomption d'innocence, coupable des faits qui lui étaient reprochés et à ce que le jugement de la cour cantonale soit annulé en ce sens qu'il met les frais de justice à sa charge et lui refuse toute indemnité aux termes de l'art. 429 CPP. Il conclut également, pour les deux instances cantonales, à ce que les frais de justice soient laissés à la charge de l'État et à ce que la cause soit renvoyée à la cour cantonale pour fixer les dépens sur la base des notes d'honoraires déposées par ses soins.
Considérant en droit :
1.
Eu égard à la teneur des conclusions prises par le recourant, qui conclut notamment à l'annulation du jugement attaqué et au renvoi de la cause à l'autorité précédente, il apparaît que ce dernier ne prend pas à proprement parler de conclusions réformatoires. Or, il y a lieu de rappeler que des conclusions purement cassatoires ne sont en principe pas suffisantes dans le cadre d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral (art. 107 al. 2 LTF). On comprend cependant de ses écritures que le recourant demande qu'une violation du principe de la présomption d'innocence soit constaté et que les jugements cantonaux soient épurés des passages qui le déclarent, selon lui, coupable en violation dudit principe. Le recourant conclut ensuite de manière claire à ce que les frais de justice soient mis à la charge de l'État et on comprend qu'il requiert qu'une indemnité au sens de l'art. 429 CPP lui soit allouée pour les deux instances cantonales. Il sied en conséquence de ne pas se montrer trop formaliste et d'entrer en matière sur le recours (cf. ATF 137 II 313 consid. 1.3; arrêts 6B_423/2024 du 7 août 2024 consid. 1; 6B_1199/2023 du 18 mars 2024). Pour le reste, dans la mesure où le recourant s'en prend au jugement de première instance, ses conclusions sont irrecevables (art. 80 al. 1 LTF).
2.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir violé le principe de la présomption d'innocence.
2.1.
2.1.1. Aux termes de l'art. 10 al. 1 CPP, toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force.
2.1.2. Selon l'art. 6 par. 2 CEDH, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
La CourEDH considère que l'art. 6 par. 2 CEDH régit l'ensemble de la procédure pénale, indépendamment de l'issue des poursuites, et non le seul examen du bien-fondé de l'accusation (arrêts de la CourEDH Poncelet c. Belgique du 30 mars 2010 [requête n° 44418/07], § 50; Garycki c. Pologne du 6 février 2007 [requête n° 14348/02], § 68; Minelli c. Suisse du 25 mars 1983 [requête n° 8660/89], § 30). Dès lors, la présomption d'innocence s'applique aux motifs exposés dans un jugement prononçant l'acquittement du prévenu dans son dispositif, duquel le raisonnement ne peut être dissocié. Elle peut être violée si se dégage du raisonnement l'opinion que le prévenu est en réalité coupable (arrêt de la CourEDH Cleve c. Allemagne du 15 janvier 2015 [requête n° 48144/09], § 41). La présomption d'innocence se trouve méconnue si une décision judiciaire ou une déclaration officielle concernant un prévenu reflètent le sentiment qu'il est coupable, alors que sa culpabilité n'a pas été préalablement et légalement établie. Il suffit, même en l'absence de constat formel, d'une motivation donnant à penser que le juge ou l'agent de l'État considère l'intéressé comme coupable. Une distinction fondamentale doit être établie entre, d'une part, une déclaration selon laquelle une personne est simplement soupçonnée d'avoir commis une infraction et, d'autre part, une déclaration claire, faite en l'absence de condamnation définitive, selon laquelle la personne a commis l'infraction en question (arrêts de la CourEDH Ismoïlov et autres c. Russie du 24 avril 2008 [requête n° 2947/06], § 166; Ne sták c. Slovaquie du 27 février 2007 [requête n° 65559/01], § 89; voir aussi ATF 147 I 386 consid. 1.2; arrêts 6B_1059/2023 du 17 mars 2025 consid. 2.2; 6B_853/2021 du 16 novembre 2022 consid. 3.2). La seconde porte atteinte à la présomption d'innocence, tandis qu'il ne peut pas être tiré grief de la première (arrêt de la CourEDH Garycki c. Pologne du 6 février 2007 [requête n° 14348/02], § 67; arrêt 6B_1059/2023 précité consid. 2.2).
2.2. Le recourant soutient en substance que, à lire les juges cantonaux, il aurait certainement été condamné, pour le cas où les faits n'étaient pas prescrits, puisqu'il avait été retenu qu'il avait commis les faits décrits par les plaignantes et qu'il serait interdit de laisser une telle impression en cas de prescription de l'action pénale. De l'avis du recourant, la cour cantonale ne pouvait plus, dès le constat évident de la prescription, instruire les faits, ni se prononcer sur le prétendu comportement coupable du recourant.
2.3. Contrairement à ce qu'affirme le recourant, rien n'empêche le juge pénal, ayant procédé à une instruction pénale complète et étant ainsi amené à examiner une accusation au terme de l'enquête, de déterminer si celle-là est factuellement fondée ou non, cette question restant pertinente pour statuer sur les frais et conclusions civiles (cf. arrêt 6B_1059/2023 du 17 mars 2025 consid. 2.3), et cela aussi dans le cadre d'une procédure qui a pris fin en raison de la prescription de l'action pénale (cf. notamment arrêts 6B_4/2019 du 19 décembre 2019 consid. 4.4 et 6B_1172/2016 du 29 août 2017 consid. 1.4 et 1.6). En l'espèce, comme souligné par la cour cantonale, les premiers juges avaient procédé à un examen complet des faits et avaient statué (sur la prescription de l'action pénale et sur les frais et dépens) après une appréciation complète des preuves; ils avaient du reste eux-mêmes indiqué avoir dû procéder à une instruction complète pour déterminer les dates auxquelles avaient été commises les éventuelles infractions. Ainsi, s'il est vrai que le tribunal de première instance avait estimé avoir acquis la conviction que le prévenu avait adopté le comportement reproché par les plaignantes, on comprend que, en dépit de cette formulation équivoque, cette constatation se rapporte uniquement aux faits, aucun constat de commission d'une quelconque infraction pénale n'ayant été faite par le tribunal. Du reste, comme relevé à juste titre par la cour cantonale, à l'issue de l'instruction et des délibérations, les premiers juges n'ont pas prononcé un verdit de culpabilité, mais ont retenu que le recourant avait commis des actes illicites constitutifs des graves atteintes à la personnalité au sens de l'art. 28 CC causées aux plaignantes. Aussi, sous l'angle de l'art. 426 al. 2 CPP, la cour cantonale a confirmé le raisonnement des premiers juges, lesquels avaient estimé que le recourant avait provoqué l'ouverture de la procédure par son comportement illicite au sens civil du terme.
Par surabondance, il est à relever qu'il n'est pas exclu que le comportement civilement fautif qui donne lieu à la condamnation aux frais puisse coïncider factuellement avec le fait reproché dans l'accusation pénale, alors que les conditions légales pour une condamnation pénale en vertu de l'infraction correspondante font défaut (cf. arrêts 6B_272/2019 du 26 février 2020 consid. 2.3.4; 6B_4/2019 du 19 décembre 2019 consid. 4.4; 6B_1172/2016 du 29 août 2017 consid. 1.6.4; 6B_998/2010 du 31 août 2011 consid. 5.1; ATF 109 Ia 160 consid. 4b). Cette coïncidence factuelle n'a aucune incidence sur la présomption d'innocence (cf. arrêts 7B_343/2024 du 22 janvier 2025 consid. 3.4.1; 6B_1172/2016 précité consid. 1.6.4).
En conséquence, la cour cantonale pouvait confirmer le raisonnement des premiers juges, lesquels se sont essentiellement fondés sur une approche civile, sans donner l'impression qu'il existait une culpabilité pénale pour les faits reprochés au recourant. Dès lors, la cour cantonale pouvait retenir que la motivation des juges précédents n'emportait pas violation de la présomption d'innocence. Le grief doit en conséquence être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
3.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir confirmé le jugement de première instance en tant qu'il mettait à sa charge les frais de la procédure et lui refusait une indemnité au sens de l'art. 429 CPP. Il fait également grief à la cour cantonale d'avoir mis les frais de deuxième instance à sa charge et lui avoir refusé toute indemnité pour ses dépens.
3.1.
3.1.1. Conformément à l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.
La condamnation d'un prévenu acquitté à supporter tout ou partie des frais doit respecter la présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais n'est ainsi admissible que si le prévenu a provoqué l'ouverture de la procédure pénale dirigée contre lui ou s'il en a entravé le cours. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. Pour déterminer si le comportement en cause est propre à justifier l'imputation des frais, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO. Le fait reproché doit constituer une violation claire de la norme de comportement. Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. Elle est en tout cas exclue lorsque l'autorité est intervenue par excès de zèle, ensuite d'une mauvaise analyse de la situation ou par précipitation. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception (ATF 144 IV 202 consid. 2.2 et les références citées; arrêts 6B_76/2024 du 7 octobre 2024 consid. 3.1; 6B_761/2020 du 4 mai 2021 consid. 7.1). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis (ATF 112 Ia 371 consid. 2a; arrêts 6B_76/2024 précité consid. 3.1; 6B_162/2022 du 9 janvier 2023 consid. 2.1; 6B_1003/2021 du 8 septembre 2022 consid. 1.1).
3.1.2. Aux termes de l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, il a droit à une indemnité fixée conformément au tarif des avocats, pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure. Selon l'art. 430 al. 1 let. a CPP, l'autorité pénale peut réduire ou refuser l'indemnité ou la réparation du tort moral prévues par l'art. 429 CPP lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci. L'art. 430 al. 1 let. a CPP est le pendant de l'art. 426 al. 2 CPP en matière de frais. La question de l'indemnisation (art. 429 à 434 CPP) doit être traitée après celle des frais. Dans cette mesure, la décision sur les frais préjuge de la question de l'indemnisation. En d'autres termes, si le prévenu supporte les frais en application de l'art. 426 al. 1 ou 2 CPP, une indemnité est en règle générale exclue, alors que le prévenu y a, en principe, droit si l'État supporte les frais de la procédure pénale (ATF 147 IV 47 consid. 4.1; 144 IV 207 consid. 1.8.2; arrêts 7B_216/2022 du 1er avril 2025 consid. 3.2; 7B_343/2024 du 22 janvier 2025 consid. 3.2).
3.1.3. Aux termes de l'art. 428 al. 1 CPP, les frais de la procédure de recours sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé. La partie dont le recours est irrecevable ou qui retire le recours est également considérée avoir succombé.
3.2. Le recourant soutient que le fait de mettre les frais à sa charge et de lui nier toute indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 CPP serait une peine déguisée, laquelle n'aurait pas été possible sans une déclaration de culpabilité pour des faits qui étaient prescrits.
Comme on vient de voir, la cour cantonale a rappelé le raisonnement des premiers juges, selon lequel le recourant avait commis des actes illicites constitutifs des graves atteintes à la personnalité au sens de l'art. 28 CC causées aux plaignantes. Le recourant ne conteste nullement que ses comportements, clairement établis dans le jugement de première instance (cf. consid. 5.2 p. 37 deuxième paragraphe), constituent des atteintes à la personnalité au sens de l'art. 28 CC. Au demeurant, comme on l'a vu, le tribunal de première instance pouvait établir les faits à la base des accusations, si ce n'est que pour déterminer si la prescription de l'action pénale était acquise ou non. Du reste, comme mentionné supra, ces faits restent pertinents pour statuer sur les frais et conclusions civiles.
La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, considérer que le tribunal de première instance était fondé à mettre les frais de justice à la charge du recourant et à lui refuser une indemnité au sens de l'art. 429 al. 1 CPP.
3.3. Le recourant se plaint enfin de la mise à sa charge des frais de deuxième instance et il semble demander à ce qu'une indemnité pour ses dépens lui soit octroyée. Il n'expose cependant pas en quoi la cour cantonale aurait violé les art. 428 al. 1 et 429 al. 1 CPP en mettant les frais à sa charge et en rejetant de lui octroyer une indemnité pour ses dépens, dans la mesure où il avait entièrement succombé au recours. À défaut de formuler un grief répondant aux exigences de motivation de l'art. 42 al. 2 LTF, sa critique doit être déclarée irrecevable.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour d'appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud.
Lausanne, le 19 mai 2025
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
La Greffière : Corti