9C_382/2024 03.06.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_382/2024
Arrêt du 3 juin 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mme et MM. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente,
Stadelmann et Parrino.
Greffier : M. Cretton.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Séverine Monferini Nuoffer, avocate,
recourant,
contre
Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg,
impasse de la Colline 1, 1762 Givisiez,
intimé.
Objet
Assurance-invalidité (nouvelle demande; évaluation de l'invalidité),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg du 21 mai 2024 (608 2023 65).
Faits :
A.
A.a. Arguant souffrir de divers troubles somatiques et/ou psychiques, A.________, né en 1959, a requis des prestations de l'assurance-invalidité à plusieurs reprises à partir de 1983. L'Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg (ci-après: l'office AI) a rejeté certaines de ses demandes, excepté la première qui avait abouti à l'octroi d'une mesure de réadaptation, ou refusé d'entrer en matière sur d'autres.
A.b. A.________ a présenté une nouvelle demande de prestations le 3 septembre 2020. Par décision du 31 mars 2023, l'office AI lui a accordé un quart de rente d'invalidité depuis le 1er janvier 2021. Sa décision reposait essentiellement sur un rapport d'expertise bidisciplinaire (rhumatologique - psychiatrique) établi par le Bureau d'Expertises Médicales (BEM), de Montreux, le 22 mars 2022.
B.
Statuant par arrêt du 21 mai 2024, la IIe Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a rejeté le recours interjeté par A.________. Elle a réformé la décision administrative au détriment de l'assuré en ce sens qu'un quart de rente lui était alloué à partir du 1er mars 2021 et non du 1er janvier 2021.
C.
A.________ forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt. Il en demande l'annulation et conclut à la reconnaissance de son droit à trois quarts de rente d'invalidité dès le 1er mars 2021.
L'office AI renvoie à l'arrêt attaqué. L'Office fédéral des assurances sociales a renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière de droit public (au sens des art. 82 ss LTF) peut être formé pour violation du droit (circonscrit par les art. 95 et 96 LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est limité ni par l'argumentation de la partie recourante ni par la motivation de l'autorité précédente. Il statue sur la base des faits établis par cette dernière (art. 105 al. 1 LTF). Cependant, il peut rectifier les faits ou les compléter d'office s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant ne peut critiquer les faits que s'ils ont été constatés de façon manifestement inexacte ou contraire au droit et si la correction d'un tel vice peut influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
2.
Le litige s'inscrit dans le cadre d'une nouvelle demande de prestations de l'assurance-invalidité. Il porte sur l'étendue du droit du recourant à une rente de l'assurance-invalidité depuis le 1er mars 2021, plus particulièrement - au regard des motifs du recours - sur l'évaluation de son taux d'invalidité (revenu sans invalidité et abattement).
3.
3.1. Dans le cadre du "développement continu de l'AI", la LAI, le RAI et la LPGA - notamment - ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Le litige porte en l'espèce sur l'étendue du droit du recourant à une rente de l'assurance-invalidité depuis le 1er mars 2021. La décision administrative contestée dans l'arrêt attaqué a été rendue le 31 mars 2023. Cette date délimite la période de l'examen de l'autorité judiciaire (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1; 132 V 215 consid. 3.1.1). Conformément aux principes généraux de droit intertemporel applicables à l'état de fait déterminant (cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1; 129 V 354 consid. 1 et les références), il convient en l'occurrence d'abord de juger d'après la situation juridique valable jusqu'au 31 décembre 2021 si le droit à la rente s'est modifié et - le cas échéant - comment il a évolué jusqu'à cette date (cf. arrêt 9C_641/2024 du 31 janvier 2025 consid. 2.1). C'est pourquoi les dispositions de la LAI et de la LPGA dans leur teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2021 sont en premier lieu applicables.
3.2. L'arrêt attaqué cite les normes et la jurisprudence nécessaires à la résolution du litige, en particulier celles concernant la détermination du revenu sans invalidité (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1; 144 I 103 consid. 5.3) et la possibilité d'opérer un abattement supplémentaire sur le revenu d'invalide (ATF 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b). Il suffit donc d'y renvoyer.
4.
4.1. En premier lieu, l'assuré conteste la façon dont le tribunal cantonal a déterminé son revenu sans invalidité.
4.2. La juridiction cantonale s'est en l'occurrence fondée sur le dernier salaire perçu par le recourant en 2004 (celui-ci ayant été licencié pour le 31 janvier 2004) en qualité de magasinier auprès de B.________ SA (soit 68'250 fr., correspondant à un salaire mensuel brut de 5'250 fr. versé treize fois par année, selon le questionnaire pour l'employeur du 9 décembre 2003) et l'a indexé à l'année de naissance du droit à la rente (soit 2021) en prenant en considération l'évolution de l'indice des salaires nominaux (valeur totale pour les hommes) entre 2004 et 2021 (soit 68'250 fr. x 130,9 / 113,3) pour finalement fixer le revenu sans invalidité à 78'852 fr. en 2021, et non pas à 78'692 fr. comme retenu par l'office intimé. Elle a indiqué que la "faible variation" entre les chiffres retenus s'expliquait probablement par des différences d'arrondis et/ou de tables d'indexation.
4.3.
4.3.1. Le recourant soutient que le revenu sans invalidité doit être fixé en fonction du salaire perçu en 2001 (qui, contrairement au salaire perçu en 2003, comprenait notamment une gratification), dès lors qu'il était déjà atteint dans sa santé pendant les années 2002 et 2003. Il considère à ce sujet que la diminution du montant de ses gratifications, telle qu'elle ressort de l'attestation de l'employeur (soit 2'500 fr. en 2001; 1'800 fr. en 2002; 0 fr. en 2003), était due aux nombreuses périodes d'incapacité de travail déjà attestées par le docteur C.________, spécialiste en médecine interne générale, dans son rapport du 27 novembre 2003. Il précise qu'il convient néanmoins de se référer au chiffre ressortant de l'extrait de son compte individuel AVS pour l'année 2001 (soit 70'843 fr.) et pas au chiffre fourni par l'employeur (soit 70'300 fr.), dès lors que celui-ci ne contenait pas certains éléments de salaire tels que les indemnités de piquet et les heures supplémentaires régulières. Il ajoute que l'indexation doit être faite année après année (application pour chaque année considérée de la variation en pour cent par rapport à l'année précédente) et non d'une façon globale (addition de chaque variation en pour cent et application de la variation globale à l'année de référence). Il déduit de ce qui précède que son revenu sans invalidité doit être fixé à 86'074 fr. 20 pour l'année 2021.
4.3.2. Cette argumentation est infondée. Les premiers juges n'avaient effectivement aucun motif de se distancier du dernier salaire perçu par l'assuré avant son licenciement, comme le veut la règle générale fixée par la jurisprudence (cf. ATF 144 I 103 consid. 5.3; 139 V 28 consid. 3.3.2), dès lors que celui-ci n'a pas établi au degré de vraisemblance requis en matière d'assurance (cf. ATF 144 V 427 consid. 3.2) que ses revenus, en 2002 et 2003, étaient déjà influencés par son atteinte à la santé. Certes, il apparaît que dans son rapport du 27 novembre 2003, le docteur C.________ a attesté la survenance en 2002/2003 de plusieurs périodes d'incapacité de travail liées essentiellement à des syndromes lombo-vertébral et dorso-vertébral et que dans le courrier qui était joint au questionnaire pour l'employeur, ce dernier était conscient des problèmes limitatifs de dos rencontrés par le recourant. Il ressort cependant de ces documents que ce n'est pas l'atteinte à la santé qui a justifié le licenciement, une place qui convenait à l'assuré (variations des tâches à la demi-journée afin d'éviter les mouvements répétitifs pendant une longue période, port de charges non excessives, travail pas trop statique) ayant été trouvée après des tentatives de mutations dans différents secteurs, mais des critiques virulentes sur l'encadrement et la direction de l'entreprise. Le recourant n'avance de surcroît aucun élément qui établirait au degré de vraisemblance requis que la diminution de salaire et des gratifications survenue depuis 2002 aurait été causée par la performance de travail, qui serait elle-même liée à la situation médicale. Il n'apporte pas davantage d'éléments qui démontreraient qu'il aurait pu prétendre des indemnités particulières et qu'il aurait effectué des heures supplémentaires que l'employeur aurait omis d'indiquer dans son attestation. On relèvera au demeurant que l'assuré n'a pas contesté la décision du 2 novembre 2005, dans laquelle l'office intimé s'était fondé sur les mêmes éléments pour évaluer le revenu sans invalidité. Dans ces circonstances, il n'était ni contraire au droit, ni arbitraire de la part du tribunal cantonal de se référer au salaire réalisé par le recourant comme magasinier en 2004 pour en déduire le revenu sans invalidité.
On ajoutera que l'argument du recourant relatif à l'indexation de son revenu en 2004 à l'année de la naissance du droit à la rente ne lui est d'aucune utilité. En effet, contrairement à ce qu'il prétend, la juridiction cantonale n'a nullement additionné les variations en pour cent du salaire nominal entre 2004 et 2021 et appliqué la variation globale obtenue à l'année de référence, mais a appliqué la variation de l'indice des salaires nominaux déterminés pour les années considérées, ce qui revient au même que la méthode préconisée par l'assuré (à savoir l'application pour chaque année considérée de la variation en pour cent par rapport à l'année précédente). On précisera en outre qu'il n'y a pas lieu d'examiner le grief du recourant en relation avec le caractère arbitraire de l'évaluation par les premiers juges de son revenu sans invalidité à partir du salaire réalisé en tant que mécanicien indépendant à partir de 2006, dans la mesure où le tribunal cantonal n'a pas retenu cette éventualité en raison du résultat nettement défavorable à l'assuré qui en découlait.
Il n'y a dès lors pas de raison de s'écarter du revenu sans invalidité de 78'852 fr. en 2021 retenu en l'occurrence par la juridiction cantonale.
5.
5.1. En second lieu, l'assuré conteste l'abattement de 5 % opéré par les premiers juges sur son revenu d'invalide.
5.2. Le tribunal cantonal a considéré que l'âge du recourant (qu'il fixait à près de 63 ans au moment du prononcé de la décision administrative litigieuse) ne constituait pas un obstacle à l'exploitation de sa capacité résiduelle de travail sur le marché équilibré du travail. Il a relevé à cet égard que l'assuré était titulaire d'un certificat fédéral de capacité et qu'il pouvait encore faire valoir plusieurs expériences professionnelles, tant en qualité d'employé (dans une entreprise de distribution pendant dix ans ainsi que dans un garage) qu'en qualité d'indépendant (à la tête d'un atelier de mécanique), de sorte que les travaux administratifs et les relations avec la clientèle lui étaient également familiers. Il a considéré que, compte tenu de la diversité des activités pratiquées et de la capacité d'adaptation à de nouvelles situations et à un nouvel environnement dont avait fait preuve le recourant, un éventail suffisant de postes lui restaient ouverts malgré son âge. Il a par ailleurs constaté que, selon les conclusions des experts du BEM, l'assuré était en mesure d'exercer à 70 % une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (permettant l'aménagement de pauses et l'alternance des positions; limitant le port de charges à 6 kg au-dessus de l'horizontal; évitant une manutention impliquant des sollicitations du rachis lombaire en flexion antérieure ou en rotation). Il a considéré que, si de telles limitations excluaient les travaux lourds, elles ne restreignaient pas de manière significative les travaux légers dès lors que le niveau de compétences 1 du Tableau TA1 de l'Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) retenu pour fixer le revenu d'invalide recouvrait un panel d'activités simples permettant au recourant de se ménager. Il a dès lors conclu que l'abattement de 5 % retenu par l'office intimé apparaissait adapté au cas particulier et qu'il n'avait pas de motif pertinent de substituer sa propre appréciation à celle de l'administration.
5.3.
5.3.1. L'assuré reproche à la juridiction cantonale de n'avoir pris en compte que le seul critère des limitations fonctionnelles, qui excluaient les travaux lourds mais permettaient les activités légères. Il soutient en substance que le cumul des critères - à savoir son âge (63 ans et trois mois au moment du prononcé de la décision administrative litigieuse), sa capacité partielle de travail (70 %) ne lui permettant d'exercer que des activités légères avec de surcroît nombre de restrictions physiques susceptibles de décourager les employeurs, ainsi que les différentes pathologies pouvant engendrer des incapacités de travail ponctuelles et répétées et impliquant des pauses ainsi qu'une baisse de rendement - justifiait de retenir un abattement maximal de 25 % sur le revenu d'invalide.
5.3.2. Ce grief est en partie fondé. En effet, conformément à ce que le recourant soutient, les premiers juges se sont exclusivement focalisés sur le type d'activité que ses limitations fonctionnelles lui permettaient encore d'exercer. Ils ont considéré que l'abattement de 5 %, retenu par l'office intimé à ce propos, était adapté au cas particulier (consid. 8.5.3 de l'arrêt attaqué). Ils n'ont en revanche tenu aucun compte dans leur appréciation des autres critères retenus par la jurisprudence pour fixer l'abattement sur le revenu d'invalide. Ils ont ainsi exercé leur pouvoir d'appréciation de façon contraire au droit (cf. arrêt 8C_497/2024 du 8 avril 2025 consid. 5.1.2 et les références). Si les critères de la nationalité (suisse) et du taux d'occupation (70 %) ne jouent pas de rôle en l'occurrence, tel n'est pas le cas du critère de l'âge. Certes, le tribunal cantonal a expliqué les raisons pour lesquelles il considérait que l'âge de l'assuré (près de 63 ans) ne constituait pas un obstacle à l'exploitation de sa capacité résiduelle de travail sur le marché équilibré du travail. La question de la possibilité pour un assuré ayant atteint l'âge de 60 ans de mettre en oeuvre sa capacité de travail (à cet égard, cf. ATF 138 V 457 consid. 3) est toutefois différente de celle de l'âge dans l'évaluation de l'abattement. Il s'agit dans ce cas d'examiner si l'assuré peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché équilibré du travail sans subir un désavantage économique (cf. arrêt 8C_129/2022 du 25 novembre 2022 consid. 4.1 et les références). Or, pour un assuré de près de 63 ans, qui présente de nombreuses limitations fonctionnelles et doit changer de profession et abandonner une activité indépendante, un abattement global de 15 % est mieux approprié compte tenu du désavantage engendré par sa nouvelle situation. Le revenu d'invalide n'étant par ailleurs pas critiqué, il s'élève à 38'886 fr. (arrondi).
En comparant ce revenu d'invalide (38'886 fr.) avec le revenu sans invalidité (78'852 fr.; cf. consid. 4 supra), on obtient un taux d'invalidité de 51 % (arrondi), ouvrant le droit à une demi-rente d'invalidité. Il convient dès lors de réformer l'arrêt entrepris en ce sens que l'assuré a droit à une demi-rente d'invalidité dès le 1er mars 2021.
6.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires doivent être répartis par moitié entre les parties (art. 66 al. 1 LTF). Le recourant a droit à une indemnité de dépens réduite à la charge de l'office intimé (art. 68 al. 1 LTF). Ce dernier n'a pas droit à des dépens même s'il obtient partiellement gain de cause (art. 68 al. 3 LTF). La cause est renvoyée aux premiers juges pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure (art. 67 et 68 al. 5 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis. L'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, du 21 mai 2024 et la décision de l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Fribourg du 31 mars 2023 sont réformés en ce sens que le recourant à droit à une demi-rente d'invalidité dès le 1er mars 2021. Le recours est rejeté pour le surplus.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis pour 400 fr. à la charge du recourant et pour 400 fr. à la charge de l'intimé.
3.
L'intimé versera au recourant la somme de 1'500 fr. à titre de dépens pour la procédure devant le Tribunal fédéral.
4.
La cause est renvoyée au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, au Tribunal cantonal du canton de Fribourg, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 3 juin 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
Le Greffier : Cretton