TF 4A_508/2012

2012-2013

art. 161 al. 1, 261 al. 1 lit. b, 265 al. 2, 308 al. 1 lit. b, 319 lit. a CPC, art. 93 al. 1 lit. a, 98 LTF et art. 30 LPM

Nespresso III ; mesures superprovisionnelles ; mesures provisionnelles ; recours en matière civile ; recours constitutionnel subsidiaire ; effet d’un jugement du Tribunal fédéral annulant une ordonnance de mesures provisionnelles ; décision intermédiaire

Suite à l’arrêt 4A_36/2012 (publié in Sic ! 2012, p. 627) renvoyant la cause au juge délégué de la Cour civile vaudoise pour qu’il demande une expertise sommaire à un technicien indépendant avant de trancher la question controversée et décisive de savoir si la forme des capsules Nespresso est techniquement nécessaire et partant si l’absence de validité de la marque est vraisemblable, le juge délégué a rendu le 21 août 2012 une nouvelle ordonnance qualifiée d’ordonnance de mesures superprovisionnelles. Il s’agit de déterminer si cette dernière peut ou non faire l’objet d’un recours au TF. Les mesures superprovisionnelles sont rendues en cas d’urgence particulière. Le juge doit ensuite rapidement entendre la partie adverse et statuer sans délai sur la requête de mesures provisionnelles proprement dites. Il rend alors une décision sur mesures provisionnelles qui remplace la décision superprovisionnelle. Les mesures provisionnelles restent en principe en vigueur jusqu’à l’entrée en force de la décision au fond, mais elles peuvent être modifiées ou révoquées si les circonstances ont changé après leur prononcé ou s’il s’avère par la suite qu’elles sont injustifiées. Les mesures provisionnelles rendues par un tribunal de première instance peuvent être déférées à l’autorité cantonale supérieure par la voie de l’appel ou du recours stricto sensu (art. 308 al. 1 lit. b et art. 319 lit. a CPC) ; tandis que celles rendues par le tribunal supérieur statuant sur recours ou comme instance cantonale unique peuvent être portées devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile ou du recours constitutionnel subsidiaire (art. 98 LTF). Les mesures superprovisionnelles ne sont en revanche susceptibles d’aucun recours ni devant l’autorité cantonale supérieure lorsqu’elles émanent d’une autorité inférieure, ni devant le Tribunal fédéral. L’exclusion de tout recours au Tribunal fédéral contre les mesures superprovisionnelles découle de l’obligation d’épuiser les voies de recours cantonales et se justifie aussi pour des questions de rapidité de la procédure. La procédure provisionnelle doit être poursuivie devant l’autorité saisie afin d’obtenir le remplacement des mesures superprovisionnelles par des mesures provisionnelles. Lorsqu’un recours dirigé contre des mesures provisionnelles est admis et que la décision attaquée est annulée, la cause est renvoyée au Juge précédent pour nouvelle décision. La procédure se trouve ramenée au stade où elle se trouvait juste avant que la décision annulée soit rendue. L’annulation de la décision de mesures provisionnelles fait ainsi renaître les mesures superprovisionnelles (c. 1.1.1). Le juge à qui la cause est renvoyée doit à nouveau, et sans délai, statuer sur la requête de mesures provisionnelles proprement dites et donc rendre une nouvelle décision de mesures provisionnelles ordinaires terminant en principe la procédure provisionnelle. Si le juge n’est pas en mesure de statuer à bref délai, par exemple parce qu’il est tenu de requérir au préalable une expertise technique sommaire, il lui appartient le cas échéant de statuer sur le maintien, la modification ou la suppression des mesures précédemment ordonnées à titre superprovisionnel, pour la durée restante de la procédure provisionnelle jusqu’à ce qu’il ait réuni les éléments nécessaires pour se prononcer en principe définitivement sur les mesures provisionnelles requises. Cette décision est une décision intermédiaire qui ne met pas fin à la procédure provisionnelle et sera remplacée par une décision de mesures provisionnelles dès que le juge disposera des éléments nécessaires pour la rendre. Cette décision intermédiaire est prononcée après audition des parties et susceptible de rester en vigueur un laps de temps important. Elle ne saurait être assimilée à une décision sur mesures superprovisionnelles. Ainsi, lorsque le juge statue sur le sort de mesures superprovisionnelles réactivées par l’annulation d’une décision sur mesures provisionnelles et qu’il le fait à titre intermédiaire, pour la durée restante de la procédure provisionnelle, il rend une décision de mesures provisionnelles susceptible de recours (c. 1.1.2). A défaut d’éléments nouveaux, et en particulier avant le dépôt de l’expertise exigée par l’arrêt du 26 juin 2012 (4A_36/2012), le juge précédent ne peut pas rendre une nouvelle décision mettant fin à la procédure de mesures provisionnelles. La décision attaquée est ainsi une décision intermédiaire rendue sur la base des éléments disponibles à ce stade, non assimilable à une nouvelle décision mettant fin à la procédure de mesures provisionnelles (c. 4.1). Celui qui requiert des mesures provisionnelles doit rendre vraisemblable qu’une prétention dont il est titulaire fait l’objet d’une atteinte ou risque de le faire et qu’il s’expose ainsi à un préjudice difficilement réparable. L’enregistrement d’une marque n’intervient que si l’IPI n’a constaté aucun motif de nullité formel ou matériel. Il n’est pas arbitraire d’en déduire que la marque est, de prime abord et à défaut d’autres éléments, vraisemblablement valable. Il appartient à ceux qui contestent le bien-fondé de mesures provisionnelles de rendre vraisemblable que la marque sur la base de laquelle elles ont été rendues, ne pouvait pas être protégée (c. 4.2). Dans l’appréciation de l’existence d’un préjudice difficilement réparable, il n’y a pas à opposer les préjudices auxquels les parties sont exposées pour décider s’il y a lieu d’interdire ou non la commercialisation d’un produit par voie de mesures provisionnelles. Pour que des mesures provisionnelles soient justifiées, il suffit que la partie requérante risque un préjudice difficilement réparable. Il n’est pas nécessaire que ce préjudice soit plus important ou plus vraisemblable que celui qu’encourrait la partie adverse au cas où les mesures requises seraient ordonnées (c. 5).

Commentaire :

Il est intéressant de relever que pour le Tribunal fédéral la présomption de validité d’une marque enregistrée (l’enregistrement n’intervenant que si l’IFPI n’a constaté aucun motif de nullité formel ou matériel au sens de l’art. 30 LPM) suffit pour justifier une décision intermédiaire en interdiction de commercialisation des capsules enregistrées comme marque de forme qui sera remplacée à terme, une fois rendue l’expertise sommaire requise sur la validité de cette marque (établissant ou niant le caractère techniquement nécessaire de la forme des capsules), par une décision sur mesures provisoires proprement dites. Selon les conclusions de l’expertise, non anticipables par le juge des mesures provisoires, la nouvelle décision qu’il sera amené à prendre ne confirmera pas forcément l’interdiction provisoire de la décision intermédiaire. La décision intermédiaire durera nécessairement moins longtemps que les mesures provisoires qui la remplaceront et mettront fin à la procédure de mesures provisionnelles. En outre, comme le relève le Tribunal fédéral, le juge des mesures provisionnelles statue à l’aune de la simple vraisemblance, et sa décision n’est examinée sur recours que sous l’angle restreint de l’arbitraire. Il y a cependant un certain illogisme à casser d’une part une ordonnance sur mesures provisionnelles interdisant la commercialisation des capsules en demandant au juge de requérir une expertise sommaire pour trancher de la validité de la marque à l’origine de ces mesures provisionnelles, et à admettre d’autre part que, jusqu’à ce que l’expertise requise soit rendue, une nouvelle décision d’interdiction de commercialiser ces mêmes capsules puisse déployer des effets, à titre de décision intermédiaire. Le reproche fait aux recourantes de ne pas avoir rendu vraisemblable que la marque de forme litigieuse ne pouvait pas être protégée paraît aussi surprenant puisque c’est justement l’objet de l’expertise requise que d’établir ce qu’il en est. Le Tribunal fédéral a en effet admis,  dans sa décision précédente dans la même cause, que ce point technique était décisif et controversé, les recourantes ayant produit une expertise privée pour rendre vraisemblable l’absence de validité de la marque et le titulaire de celle-ci s’étant appuyé sur la déclaration d’un de ses employés pour établir la vraisemblance contraire. On ne peut s’empêcher d’être plus convaincu par la décision du Président du Tribunal de commerce de Saint-Gall du 28 août 2011 considérant que puisqu’une expertise sommaire devait être requise dont les conclusions étaient ouvertes et non prévisibles pour lui (qui n’avait pas les compétences techniques pour déterminer s’il était plus vraisemblable de considérer qu’on allait s’acheminer vers l’admission plutôt que vers la négation d’un risque de violation de la marque), il ne pouvait pas retenir que la partie ayant demandé les mesures provisoires avait réussi à démontrer que plus d’arguments parlaient pour que contre une violation de son droit à la marque. Il a, par conséquent, estimé qu’une telle violation n’avait pas été rendue vraisemblable (à plus de 50%), et que les conditions pour le maintien de la précédente interdiction n’étaient plus remplies. Il l’a donc levée.