TF 4A_691/2011

2012-2013

Art. 5 al. 1 lit. a et 405 al. 1 CPC, art. 75 al. 2 lit. a et b, et art. 103 al. 2 LTF, art. 332 al. 1 CO

Recours en matière civile au Tribunal fédéral, instance cantonale unique, invention de service, appartenance originaire du droit au brevet, versement d’une indemnité spéciale équitable.

Le recours en matière civile au Tribunal fédéral est recevable contre les décisions prises par les autorités cantonales de dernière instance, soit les tribunaux supérieurs institués par les cantons conformément à l’art. 75 al. 2 LTF. Ces tribunaux statuent sur recours sauf si une loi fédérale prévoit une instance cantonale unique (art. 75 al. 2 lit. a LTF). L’art. 75 al. 2 LTF pose donc l’exigence de principe d’une double instance au niveau cantonal, et l’art. 5 CPC y institue des exceptions. C’est en particulier le cas des litiges portant sur des droits de propriété intellectuelle (art. 5 al. 1 lit. a CPC). Lorsqu’elle émane d’une telle juridiction unique, la décision est directement déférée au Tribunal fédéral sans égard à la valeur litigieuse (art. 74 al. 2 lit. b LTF) (c. 2.1.1). Lorsque l’autorité cantonale a communiqué son jugement dans le cas d’espèce, le CPC fédéral était entré en vigueur, tout comme l’art. 75 al. 2 LTF. Les voies de droit contre le jugement de la Cour civile sont ainsi régies par ces nouvelles réglementations (cf. art. 405 al. 1 CPC et art. 103 al. 2 LTF) (c. 2.2). Une invention de service doit être réalisée dans l’exercice de l’activité au service de l’employeur et conformément  aux obligations contractuelles du travailleur. Ces deux critères sont interdépendants en ce sens que si l’employé accomplit une obligation contractuelle, il agit forcément dans l’exercice de son activité (c. 3.1 et doctrine citée). Si le rapport de connexité étroit nécessaire entre l’activité exercée par l’employé et l’invention est donné, il importe peu que l’invention ait été réalisée pendant les heures de travail ou le temps libre de l’employé (c. 3.1). Quant à l’obligation contractuelle de déployer une activité inventive, elle peut résulter d’une disposition expresse du contrat ou se déduire des circonstances. Entrent en considération les circonstances de l’engagement, les directives données à l’employé, la position de celui-ci dans l’entreprise, l’importance de son salaire, sa formation et ses connaissances particulières, le degré d’indépendance dans l’exécution de son travail, les ressources logistiques et financières à disposition, ainsi que le but social de l’entreprise qui l’emploie. L’employé peut aussi avoir d’autres tâches et n’être astreint à une obligation inventive qu’à titre accessoire (c. 3.1). Lorsque l’employé réalise une invention de service au sens de l’art. 332 al. 1 CO, la loi ne prévoit pas de rémunération autre que le salaire. Il y a toutefois une controverse doctrinale quant au fait qu’une indemnité spéciale pourrait devoir être allouée au travailleur lorsque les efforts déployés excèdent ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui ou lorsque son invention est dotée d’une valeur économique particulièrement élevée que les parties ne pouvaient pas prévoir lorsqu’elles ont fixé le salaire (c. 4.1).

Commentaire

Dans cet arrêt, le Tribunal Fédéral évoque, sans la trancher, la controverse doctrinale qui sépare les auteurs prêts à admettre que, même en présence d’une invention de service, une indemnité spéciale équitable pourrait « devoir être allouée au travailleur lorsque les efforts déployés excèdent ce qu’on pouvait raisonnablement attendre de lui, ou lorsque son invention est dotée d’une valeur économique particulièrement élevée que les parties ne pouvaient pas prévoir lorsqu’elles ont fixé le salaire » (le TF cite en particulier Manfred Rehbinder, Berner Kommentar, 1992, No 8 ad art. 332 CO, et Staehelin/Vischer, Zürcher Kommentar, 3ème éd., 1996, No 11 ad art. 332 CO qui se réfèrent tous à un arrêt Saint-Gallois publié in JAR 1989 1993, cons. 3) ; de ceux qui considèrent que ce problème a été pris en compte par le législateur et que de lege lata l’employeur n’a pas à rétribuer spécialement l’employé, sauf disposition contractuelle spéciale (le TF se réfère ici en particulier à Rémy Wyler, Droit du travail, 2ème éd., 2008, p. 375, note de bas de page 1330 et Wolfgang Portmann, Die Arbeitnehmererfindung, 1986, p. 76ss). Cette dernière conception paraît la plus conforme à la systématique de l’art. 332 CO, et reflète les différences voulues par le législateur entre les inventions de service pour lesquelles le risque économique est supporté par l’employeur, et les autres dont la réalisation va au-delà de ce qui était attendu du travailleur et donc de ce pour quoi il a été rémunéré.