(A. [société turque] c. B. [filiale turque d’un groupe étatsunien]). Recours contre la sentence rendue le 15 juillet 2021 par un Tribunal arbitral opérant sous l’égide de la Swiss Chambers’ Arbitration Institution (SCAI), avec siège à Bâle. Litige issu d’un contrat de joint venture (JVA) conclu en 2015 entre A. et B., portant création d’une filiale dédiée à l’élaboration et à la commercialisation de colorants et produits chimiques pour textiles en Turquie. Résiliation du JVA et dépôt d’une requête d’arbitrage par A., en 2017. Constitution d’un Tribunal arbitral de trois membres ; instruction par celui-ci de la cause au fond ; clôture de la procédure arbitrale en juin 2021, suivie de la reddition de la sentence (à la majorité des membres du Tribunal) en juillet 2021. La recourante demande, à titre principal, l’annulation de plusieurs points du dispositif de la sentence et la récusation de la Présidente du Tribunal et du co-arbitre nommé par sa partie adverse (co-arbitre E.), ou éventuellement seulement de la Présidente, et le renvoi de la cause à un Tribunal nouvellement constitué (sans la participation de(s) (l’)arbitre(s) recusé(s)), ou, à titre subsidiaire, l’annulation des mêmes points du dispositif de la sentence et le renvoi de la cause au même Tribunal pour qu’il statue à nouveau sur le litige. A. se plaint de la composition irrégulière du Tribunal arbitral, et pour fonder sa demande de récusation à l’encontre de la Présidente et du co-arbitre E., elle allègue l’existence d’erreurs « tellement graves » dans les motifs de la sentence qu’elles éveilleraient des doutes objectifs sur l’impartialité de ces arbitres. Selon le TF, les erreurs invoquées par la recourante portent sur la motivation au fond de la sentence et non sur la conduite de la procédure. De telles critiques reviennent en réalité à demander une révision au fond de la décision, ce qui rend déjà le grief soulevé à cet égard irrecevable. En tout état de cause, on ne voit pas, à la lecture de la sentence, en quoi les prétendues erreurs dans la décision seraient tellement grossières qu’elles révèleraient une intention de nuire à la demanderesse (consid. 3.2.2). A l’appui de sa demande de récusation dirigée contre la Présidente, la recourante fait également valoir que son défaut d’impartialité doit être constaté au motif que, durant l’arbitrage, elle a quitté son ancienne étude pour rejoindre l’étude G., dont l’intimée B. est l’un des « key clients » dans le domaine du contentieux, circonstance qu’elle a omis de révéler aux parties. La recourante allègue avoir connaissance de déclarations faites par la Présidente dans un autre arbitrage, qui démontreraient que, au moins à partir de juin 2021, la Présidente avait connaissance de la liste des clients de G. et aurait donc dû faire une révélation dans le présent arbitrage, auquel B. est partie. Il s’agit là d’une violation intentionnelle de son devoir de révélation, qui suffit à elle seule à prouver son manque d’impartialité. En outre, en tant qu’ancienne collaboratrice de G., la Présidente avait en réalité connaissance des rapports existant entre l’étude G. et l’intimée B. depuis bien plus longtemps (consid. 4.1). Le TF rappelle que selon sa jurisprudence, l’existence d’un mandat en cours ou d’un rapport de clientèle de durée entre l’étude à laquelle appartient l’arbitre et une partie à l’arbitrage constitue un conflit d’intérêts justifiant la récusation de l’arbitre (consid. 4.2). Toutefois, la recourante ne parvient pas à démontrer que la Présidente aurait manqué à son devoir d’indépendance et d’impartialité dans le cas d’espèce. En effet, dans ses observations sur le recours, signées par les trois arbitres, le Tribunal arbitral a expliqué qu’il avait délibéré par vidéo-conférence les 28 janvier et 5 février 2021, cette dernière étant la date à laquelle il était parvenu à sa décision finale sur le litige. Dans ses observations personnelles, la Présidente a indiqué que ce n’est que le 26 février 2021 qu’elle avait eu un entretien avec l’étude G. en vue de son éventuelle entrée dans l’association, suite à quoi, en mars 2021, elle avait échangé des informations concernant d’éventuels conflits d’intérêts avec ses interlocuteurs chez G., et le contrat d’engagement avait été signé fin avril de cette année. Au vu de cette chronologie et en particulier du fait que le premier entretien n’a eu lieu qu’après la délibération sur la décision finale du 5 février 2021, le fait que B. soit un « key client » de G. ne peut avoir influencé la délibération. La recourante rétorque que selon la jurisprudence du TF, l’obligation d’indépendance perdure jusqu’à la reddition de la sentence, comme le confirment le nouveau texte de l’art. 179 al. 6 LDIP (en vigueur depuis janvier 2021) et l’art. 9 des Swiss Rules applicables à la présente procédure. Les solutions et la motivation critiquables de la sentence montreraient par ailleurs que la Présidente a été influencée par le rapport entre son futur employeur et G. lors de la délibération déjà. La recourante échoue à convaincre le TF sur ce point, compte tenu du fait qu’un projet de sentence était déjà prêt au moment de la délibération du 5 février et que les trois arbitres ont expressément confirmé, dans leurs observations déposées en réponse au recours, que leur décision finale avait été prise à cette date. La jurisprudence à laquelle la recourante se réfère ne fait que confirmer qu’en cas d’écart temporel entre la prise de décision définitive du Tribunal et la reddition de la sentence, le seul critère déterminant est de savoir si cette décision peut encore être influencée par la prévention éventuelle d’un arbitre – ce qui n’était clairement pas le cas en l’espèce. La recourante fait enfin valoir que la violation délibérée par la Présidente de son devoir de révélation au sens des art. 179 al. 6 LDIP et 9 Swiss Rules, à la seule fin d’éviter une récusation, constitue en elle-même un motif de récusation. Le TF rappelle que selon sa jurisprudence, l’obligation de révélation concerne uniquement des faits susceptibles d’éveiller des doutes légitimes quant à l’indépendance de l’arbitre. Or, en l’espèce, il a été établi que la Présidente pouvait, compte tenu des circonstances, considérer qu’elle n’était pas tenue de révéler le changement d’étude puisqu’il avait été convenu seulement après la prise de décision finale du Tribunal (consid. 4.3). Recours rejeté.