Le dispositif de la décision de la Comco relative au cartel de soumissions de travaux routiers dans les Grisons, interdit à un concurrent (i) d’offrir ou de demander aux autres concurrents des offres de couverture ou de renoncer à une offre en lien avec des travaux routiers, (ii) de procéder – avant l’expiration du délai de dépôt des offres ou avant l’entrée en force de l’adjudication du marché – à des échanges d’informations avec d’autres concurrents en matière de prix, d’éléments de prix, de répartition de clientèles ou de territoires en lien avec des travaux routiers (avec quelques exceptions) et (iii) de procéder à des échanges d’informations quant à son propre intérêt ou à celui de concurrents à participer à de futurs travaux. Des mesures relatives aux comportements futurs des entreprises (art. 30 al. 1 LCart) peuvent être ordonnées à titre préventif dans le cadre d’une décision de la Comco relative à une violation de la LCart, à tout le moins lorsqu’il existe un risque de réitération que ces mesures visent à empêcher. Il importe peu que l’état de fait illicite soit aussi susceptible de sanctions directes (art. 49a al. 1 LCart) ou non ; il est aussi indifférent que la violation soit terminée ou qu’elle perdure au moment de la décision de la Comco. Les mesures ordonnées au titre de l’art. 30 al. 1 LCart contribuent à l’objectif de protection de la concurrence efficace poursuivi par la LCart, et facilitent l’imposition de futures sanctions en cas de récidive, cette dernière constituant alors la violation d’une décision entrée en force (art. 50 LCart) (consid. 4 et 5.3).
Les accords en matière de concurrence constituent soit des conventions, soit des pratiques concertées, lorsqu’elles visent ou entraînent une restriction de concurrence (art. 4 al. 1 LCart). Un échange unilatéral d’informations – portant soit sur des prix ou éléments de prix ou sur l’allocation de clientèle ou de territoires pour des marchés publics en cours, soit sur son propre intérêt ou celui de concurrents de participer à de futurs travaux de construction – peut constituer une pratique concertée visée par l’art. 4 al. 1 LCart lorsque certaines conditions sont remplies, car il peut amener les concurrents à adapter leurs comportements sur le marché en fonction des informations reçues (ATF 147 II 72). La Comco peut valablement ordonner des mesures (art. 30 al. 1 LCart) interdisant à l’avenir de tels échanges d’informations sur des marchés publics en cours de passation ou sur de futurs travaux de construction, dans la mesure où il s’agit de restrictions actuelles ou potentielles de concurrence susceptibles de violer la LCart (consid. 5.4).
Les mesures d’interdiction relatives aux comportements futurs de concurrents respectent le principe de proportionnalité (art. 30 al. 1 LCart et art. 5 al. 2 Cst). Sous l’angle matériel, l’interdiction peut porter sur de futurs échanges d’informations relatifs à l’allocation de territoire, même si une telle violation n’a pas été constatée dans la décision litigieuse, car la mesure ne fait que répéter ce que l’art. 5 al. 3 LCart prévoit déjà (consid. 5.4.4). Sous l’angle géographique, l’interdiction ordonnée peut s’étendre à tout le territoire suisse, même si la décision litigieuse porte sur des cartels de soumission et des échanges d’informations limités au seul canton des Grisons. En effet, l’entreprise recourante a déjà été impliquée dans le passé dans des accords de soumission dans d’autres régions de Suisse, comme l’Argovie ou See-Gaster. Pour la même raison et sous l’angle personnel, l’interdiction peut porter sur des violations à l’encontre non seulement des pouvoirs adjudicateurs victimes des restrictions de concurrence dans la décision litigieuse (à savoir les communes et canton des Grisons), mais aussi à l’encontre de pouvoirs adjudicateurs d’autres cantons ou communes ou de la Confédération ainsi que de maîtres d’ouvrage privés (consid. 5.5 et 5.3). Sous l’angle temporel, l’interdiction ordonnée ne doit pas être limitée quant à sa durée, car elle ne fait que concrétiser des comportements interdits par la LCart de manière illimitée (consid. 5.6).
Evelyne Clerc, Antony Martelli