ATF 148 II 564 (f)

2022-2023

Attribution d’un monopole d’affichage sans appel d’offres par la commune de Lancy à une société A, suivie de la conclusion d’une convention de monopole pour une durée de 10 ans, avec clause de reconduction tacite pour 5 ans. L’art. 2 al. 7 LMI impose deux obligations : d’une part un appel d’offres (qui implique d’organiser une procédure d’appel d’offres et d’attribuer la concession par le biais d’une décision sujette à recours) et, d’autre part, l’interdiction de discrimination (qui s’applique à la fois à la procédure d’appel d’offres, à la détermination des critères de sélection et au choix du concessionnaire, imposant ainsi le respect du principe de transparence qui est son corollaire (consid. 7.1 et 7.3, ATF 143 II 120).

Selon un principe général, la nullité d’un acte commis en violation de la loi doit résulter soit d’une disposition légale expresse, soit du sens et du but de la norme violée. Hormis les cas expressément prévus par la loi, la nullité n’est admise qu’à titre exceptionnel, lorsque l’annulabilité n’offre manifestement pas la protection nécessaire. La nullité d’une décision n’est admise que si elle est entachée d’un vice particulièrement grave, manifeste ou du moins facilement décelable et que si la constatation de nullité ne pas met pas sérieusement en danger la sécurité du droit (consid. 7.2). En l’absence de règle topique dans la LMI, la nullité de la décision d’attribution d’une concession de monopole violant l’art. 2 al. 7 LMI est justifiée par un vice particulièrement grave et facilement décelable, voire manifeste. En l’espèce, le vice est grave car, en attribuant une concession d’affichage pour 10 ans, avec prolongation possible pour 5 autres années, la commune a durablement exclu la concurrence au profit d’une entreprise, et ce sans procéder à aucun appel d’offres. La commune a bafoué les deux exigences fondamentales d’organisation d’un appel d’offres et d’interdiction de la discrimination prévues par l’art. 2 al. 7 LMI, qui concrétisent la garantie d’accès au marché poursuivie par la LMI (art. 1 al 1 LMI), en réduisant ainsi la compétitivité de l’économie suisse et la cohésion économique du pays (art. 1 al. 2 let. c et d LMI). Cette violation va à l’encontre de la liberté économique (art. 94 al. 1 Cst.), des principes de libre concurrence et de neutralité de l’Etat en matière de concurrence (art. 27 et 94 Cst.) ainsi que du droit des concurrents à l’égalité de traitement (art. 27 Cst.), sans aucune justification (consid. 7.4). Le vice est aussi manifeste ou facilement décelable, car tant la commune que A connaissaient ou pouvaient très facilement déceler l’irrégularité de la décision. Le TF avait rendu deux ans auparavant un arrêt de principe sur l’applicabilité de l’art. 2 al. 7 LMI lors de l’octroi d’une concession d’affichage, publié aux ATF (143 II 120) et rendu sur recours de A. A la même époque, A participait à d’autres appels d’offres relatifs à des concessions d’affichage organisés par plusieurs communes genevoises. Enfin, la recourante B avait contacté à plusieurs reprises la commune en exprimant clairement son souhait de participer au prochain appel d’offres qui serait organisé (consid. 7.5). La nullité de la décision d’attribution de la concession d’affichage ne met pas sérieusement en danger la sécurité du droit, car les investissements consentis par A (panneaux d’affichage) paraissent limités et méritent d’autant moins protection que la bonne foi de A est sujette à caution (consid. 7.6).

L’art. 2 al. 7 LMI ne traite pas expressément des conséquences matérielles et procédurales de la violation de l’obligation de procéder à un appel d’offres avant l’attribution d’une concession. Il diffère ainsi de la réglementation sur les marchés publics, en ce qu’il ne vise que certaines garanties procédurales minimales comme celles des voies de droit visées à l’art. 9 al. 1-2 LMI, mais non la règle spéciale de l’art. 9 al. 3 LMI (ég. art. 58 du nouvel AIMP du 15 novembre 2019). Il est admis de manière générale que les autorités peuvent ordonner les mesures nécessaires au rétablissement d’un état conforme au droit sans même qu’aucune base légale ne les y autorise expressément. En conséquence, l’autorité de recours peut se fonder directement sur l’art. 2 al. 7 LMI pour impartir à la commune un délai de 6 mois soit pour procéder à un appel d’offres en vue de réattribuer la concession d’affichage, soit pour réintégrer l’activité d’affichage dans ses propres activités (consid. 8.1-8.3).
Les conventions de concession entre l’autorité et le concessionnaire sont soumises au droit public, à la différence des contrats conclus à la suite de l’adjudication d’un marché public. Les conséquences d’une violation de l’art .2 al. 7 LMI commise lors de la décision d’attribution de la concession (en amont) sur la convention conclue (en aval) appellent des solutions nuancées qui dépendront toujours de la nature de la violation et des effets de celle-ci sur la concession. Ainsi, un juge administratif peut constater la nullité « par ricochet » d’une convention conclue consécutivement à une décision d’attribution de concession frappée de nullité en raison d’une violation crasse de l’art. 2 al. 7 LMI. En revanche, dans l’affaire portant sur une concession relative aux directions de deux théâtres, qui avait fait l’objet d’une mise au concours, qui ne portait que sur trois saisons, lesquelles avaient déjà programmées, et dont les contrats de subventionnement étaient conclus, le TF a jugé que seule l’éventuelle illicéité de la décision pouvait être constatée (consid. 9.1-9.2).