1B_52/2022 19.05.2022
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1B_52/2022
Arrêt du 19 mai 2022
Ire Cour de droit public
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Kneubühler, Président, Chaix et Jametti.
Greffière : Mme Nasel.
Participants à la procédure
A.________ SA en liquidation,
B.________,
tous les deux représentés par Me C.________, avocat,
C.________,
recourants,
contre
D.________,
intimé.
Objet
Procédure pénale; interdiction de représentation,
recours contre l'ordonnance de la Chambre pénale
du Tribunal cantonal du Valais, du 14 décembre 2021
(P3 20 111).
Faits :
A.
A la suite d'une dénonciation de B.________ du 19 décembre 2012, D.________ a fait l'objet d'une instruction pénale menée par l'Office central du Ministère public du canton du Valais. L'enquête a porté en particulier sur des infractions qui auraient été commises dans le cadre de la gestion de la société A.________ SA, désormais en liquidation. Cette dernière société ainsi que B.________ se sont constitués parties plaignantes dans cette procédure et ont mandaté l'avocat C.________ pour les représenter.
Par acte d'accusation du 22 juillet 2019, D.________ a été renvoyé en jugement devant le Tribunal du district de Sion (Tribunal du district) pour gestion déloyale, faux dans les titres et violation de l'obligation de tenir une comptabilité.
B.
Le 3 mars 2020, D.________ a contesté la capacité de postuler de Me C.________, faisant valoir l'existence d'un conflit d'intérêts entre B.________ et A.________ SA en liquidation.
Par décision du 14 avril 2020, la Juge suppléante du Tribunal du district a dénié la capacité de postuler à Me C.________. Ce dernier ainsi que B.________ et A.________ SA en liquidation ont formé un recours contre cette dernière décision, lequel a été déclaré irrecevable selon l'ordonnance rendue le 14 décembre 2021 par la Juge unique de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais (Chambre pénale).
Dans l'intervalle, D.________ a été condamné par jugement du 28 septembre 2020 pour gestion déloyale, faux dans les titres et obtention frauduleuse d'une constatation fausse. Le Ministère public, D.________, B.________, agissant seul, et l'avocate E.________, agissant pour le compte de A.________ SA en liquidation, ont formé appel de ce jugement.
C.
Me C.________, B.________ et A.________ SA en liquidation, forment un recours en matière pénale auprès du Tribunal fédéral, par lequel ils concluent à l'annulation et à la mise à néant de l'ordonnance du 14 décembre 2021 de la Chambre pénale, respectivement au renvoi de la cause aux instances précédentes pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invitée à se déterminer, la Chambre pénale y renonce et se réfère aux considérants de son ordonnance. D.________ conclut à l'irrecevabilité du recours, respectivement à son rejet et réclame l'allocation d'une indemnité équitable en sa faveur. Les recourants répliquent.
Considérant en droit :
1.
1.1. Comme l'interdiction de postuler prononcée par la Juge suppléante du Tribunal du district ne déploie d'effet que sur la procédure pénale actuellement menée par les autorités pénales valaisannes, la procuration produite par les recourants, désignant l'avocat C.________ comme leur mandataire pour la procédure au Tribunal fédéral, est valable (cf. art. 40 al. 2 LTF; arrêt 1B_209/2019 du 19 septembre 2019 consid. 2.1).
1.2. Le recours est dirigé contre une décision d'irrecevabilité prise en dernière instance cantonale (art. 80 LTF). Sur le fond, le litige porte sur l'interdiction prononcée à l'encontre de l'avocat C.________ de représenter B.________ et A.________ SA en liquidation dans la procédure pénale les opposant à D.________. Le recours est donc en principe recevable comme recours en matière pénale selon les art. 78 ss LTF.
La décision attaquée ne met pas fin à la procédure pénale et revêt un caractère incident. En principe, le recours ne serait recevable qu'aux conditions restrictives posées à l'art. 93 LTF. Toutefois, lorsque le recours porte sur l'existence même d'un recours cantonal, le recours auprès du Tribunal fédéral est en principe recevable indépendamment de l'exigence d'un préjudice irréparable (cf. ATF 143 I 344 consid. 1.2).
En outre, les recourants ont qualité, en vertu de l'art. 81 al. 1 let. a et b LTF, pour contester l'irrecevabilité de leur recours cantonal (cf. arrêt 1B_209/2019 du 19 septembre 2019 consid. 2.2).
Le recours a pour le surplus été déposé en temps utile et les conclusions prises sont recevables.
2.
Les recourants reprochent à la Chambre pénale d'avoir violé l'art. 382 CPP; ils se plaignent également d'un déni de justice et d'une violation du principe de la bonne foi. L'autorité précédente se serait à tort fondée sur un arrêt du Tribunal fédéral 4A_20/2021 rendu le 12 octobre 2021, pour conclure qu'ils n'avaient pas " un intérêt digne de protection actuel et pratique à recourir " contre l'interdiction de postuler signifiée à l'encontre de l'avocat C.________.
2.1.
2.1.1. La qualité pour recourir est définie à l'art. 382 al. 1 CPP. Selon cette disposition, elle est reconnue à toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision.
En raison du principe de l'unité de la procédure ancré à l'art. 111 al. 1 LTF, la qualité pour agir devant les autorités cantonales ne peut pas s'apprécier de manière plus restrictive que celle pour recourir devant le Tribunal fédéral en vertu de l'art. 81 LTF (arrêts 1B_376/2013 du 18 novembre 2013 consid. 3; 1B_7/2013 du 14 mars 2013 consid. 2.1, non publié in ATF 139 IV 121; cf. ATF 137 I 296 consid. 4.1). A cet égard, la qualité pour déposer un recours en matière pénale est aussi subordonnée à l'existence d'un intérêt juridique. Un intérêt général ou de fait ne suffit pas, l'intéressé devant au surplus être personnellement touché par la décision attaquée (cf. ATF 133 IV 121 consid. 1.2; arrêt 6B_67/2019 du 16 décembre 2020 consid. 1.3). Le recourant doit avoir été affecté dans des intérêts que la norme prétendument violée a pour but de protéger (arrêts 6B_664/2014 du 22 février 2018 consid. 2.3; 1B_376/2013 du 18 novembre 2013 consid. 3).
Par ailleurs, la partie recourante doit avoir un intérêt actuel et pratique au recours, respectivement à l'examen des griefs soulevés (ATF 146 II 335 consid. 1.3; 142 I 135 consid. 1.3.1). L'intérêt actuel est déterminé en fonction du but poursuivi par le recours et des conséquences et de la portée d'une éventuelle admission de celui-ci (cf. ATF 131 I 153 consid. 1.2; 118 Ia 488 consid. 2a). Il fait défaut en particulier lorsque la décision attaquée a été exécutée ou est devenue sans objet (ATF 125 II 86 consid. 5b; arrêt 1B_123/2021 du 27 avril 2021 consid. 1.1) ou encore lorsque l'admission du recours ne permettrait pas la réparation du préjudice subi (ATF 127 III 41 consid. 2b).
2.1.2. A teneur de l'art. 127 al. 3 CPP, un conseil juridique peut défendre dans la même procédure les intérêts de plusieurs participants à la procédure, dans les limites de la loi et des règles de sa profession. La défense des prévenus étant réservée aux avocats (art. 127 al. 5 CPP), les règles à respecter en l'espèce sont celles qui ressortent de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats (LLCA; RS 935.61; arrêts 6B_1210/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.1; 1B_20/2017 du 23 février 2017 consid. 3.1). Il s'agit en particulier de la règle énoncée à l'art. 12 let. c LLCA, qui commande à l'avocat d'éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Cette règle est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA, selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence, de même qu'avec l'obligation d'indépendance rappelée à l'art. 12 let. b LLCA (ATF 145 IV 218 consid. 2.1; 141 IV 257 consid. 2.1).
Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l'avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d'intérêts. Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, en particulier en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients - notammenten cas de défense multiple -, respectivement en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse acquises lors d'un mandat antérieur au détriment de celle-ci (ATF 145 IV 218 consid. 2.1; 141 IV 257 consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a ainsi jugé que celui qu'une décision prive de la possibilité de poursuivre la défense de ses intérêts par l'avocat de son choix, ou alors contraint de voir un ancien mandataire - ou l'associé de l'un de ses anciens mandataires - défendre les intérêts d'une partie adverse, est touchée de manière directe et dispose d'un intérêt digne de protection au sens de l'art. 89 al. 1 let. c LTF à l'annulation ou la modification de cette décision (ATF 138 II 162 consid. 2.5.2). En outre, un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée (art. 81 al. 1 let. a et b LTF) a été admis (arrêts 1B_510/2018 du 14 mars 2019 consid. 1, non publié in ATF 145 IV 218; 1B_209/2019 du 19 septembre 2019 consid. 2.2) pour les recourants - clients et avocats - se prévalant de l'absence de violation, respectivement de la violation de l'art. 12 let. c LLCA.
2.2. En l'espèce, en tant que parties plaignantes, les recourants B.________ et A.________ SA en liquidation ont un intérêt à être assistés de manière adéquate. Or, cette décision qui dénie la capacité de postuler de leur avocat implique qu'ils ne peuvent plus, dans le procès en cause, être représentés par la personne de leur choix respectant à leur sens les critères légaux, composante de leur droit à un procès équitable (art. 6 ch. 3 let. c CEDH) et de leur droit d'être entendus (cf. arrêt 5A_536/2021 du 8 septembre 2021 consid. 4.1.1; FRANÇOIS BOHNET, Conflits d'intérêts de l'avocat et qualité pour recourir du client et de son adversaire: derniers développements, in RSJ 2014 p. 234 ss [235]). Elle est la conséquence du constat de l'existence d'un conflits d'intérêts (cf. ATF 138 II 162 consid. 2.5.2) et vient ainsi péjorer leur position, respectivement entraver leurs droits de parties, tant que dure la procédure pénale. Il en va de même de l'avocat recourant, qui se voit privé définitivement de défendre ses clients dans la procédure pénale pendante. L'interdiction de postuler prononcée à son encontre porte en effet atteinte à sa liberté économique, laquelle est garantie par l'art. 27 Cst. (arrêts 1B_209/2019 du 19 septembre 2019 consid. 2.2; 1A.223/2002 du 18 mars 2003 consid. 4). Les recourants se trouvent ainsi dans une situation similaire à celle jugée dans l'ATF 145 IV 218 précité, où il a été admis que la partie plaignante ainsi que ses avocats, qui se prévalaient de l'absence de violation de la LLCA, avaient un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision interdisant à ces derniers de représenter la première.
Certes, le procès s'est en l'espèce poursuivi, à la demande des recourants, sans le mandataire éconduit; en outre, la procédure d'appel actuellement pendante se déroule avec l'intervention d'une autre mandataire désignée par A.________ SA en liquidation, le recourant B.________ ayant agi seul. Ces seules circonstances ne permettent toutefois pas de nier leur intérêt actuel à recourir contre l'ordonnance du 14 avril 2020. Cette décision a en effet toujours des répercussions directes et concrètes sur les recourants; l'admission de leur recours formé contre cette ordonnance permettrait en outre à Me C.________ de reprendre les rênes de cette défense, dans le cadre de la procédure d'appel pendante.
La lecture de l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 par le Tribunal fédéral, sur lequel s'est fondée l'autorité précédente, ne modifie pas cette appréciation. En effet, l'état de fait qui a donné lieu à cet arrêt, rendu en matière civile, n'est pas comparable à celui du cas d'espèce, tant du point de vue de la durée du mandat de l'avocat éconduit avant la décision d'interdiction que de l'effort fourni par la nouvelle avocate; en outre, il met en exergue la volonté des recourants de voir le procès civil suivre son cours, respectivement la désignation de la nouvelle avocate pour ne pas retarder la procédure. A cet égard, l'ordonnance entreprise constate que les recourants B.________ et A.________ SA en liquidation ont renoncé à se faire représenter par l'avocat C.________, afin que les débats de première instance puissent être tenus sans délai; cette renonciation avait pour but d'éviter de retarder, voire de paralyser la procédure pénale. Cela se comprend aisément dans la mesure où le principe de célérité revêt une importance particulière en matière pénale (cf. ATF 119 Ib 311 consid. 5; arrêt 6B_688/2014 du 22 décembre 2017 consid. 6.2.1), à la différence de l'affaire civile traitée dans l'arrêt 4A_20/2021 précité, où cette question ne se pose pas dans les mêmes termes. Ce sont autant de circonstances spéciales qui justifiaient de s'écarter de la solution adoptée dans cet arrêt.
2.3. En définitive, en estimant que les recourants ne disposaient pas d'un intérêt actuel et pratique à l'examen de leur recours contre la décision de la Juge suppléante du Tribunal du district du 14 avril 2020, l'autorité précédente a violé l'art. 382 al. 1 CPP et ce grief doit être admis.
3.
Il s'ensuit que le recours est admis. L'ordonnance attaquée est annulée et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle examine les autres conditions de recevabilité et, le cas échéant, entre en matière sur le recours formé devant elle par les recourants contre la décision du 14 avril 2020 de la Juge suppléante du Tribunal du district.
Les frais judiciaires sont supportés par l'intimé, qui succombe (art. 66 al. 1 LTF). Les recourants B.________ et A.________ SA en liquidation, qui obtiennent gain de cause avec l'assistance d'un avocat, ont droit à des dépens, à la charge de l'intimé (art. 68 al. 1 et 2 LTF). Il ne se justifie toutefois pas d'allouer de dépens au recourant C.________ dès lors qu'il a agi pour son compte sans invoquer un investissement particulier et sans faire valoir de frais spécifiques (cf. ATF 133 III 439 consid. 4; 125 II 518 consid. 5b; arrêt 5C_2/2017 du 11 mars 2019 consid. 8, non publié in ATF 145 I 183).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'ordonnance du 14 décembre 2021 de la Juge unique de la Chambre pénale du Tribunal cantonal du Valais est annulée et la cause est renvoyée à cette autorité pour qu'elle procède au sens des considérants.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
3.
Une indemnité de 2'500 fr. est allouée aux recourants B.________ et A.________ SA en liquidation à titre de dépens, à la charge de l'intimé.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre pénale du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 19 mai 2022
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Nasel