1B_167/2015 30.06.2015
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
Arrêt du 30 juin 2015
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Fonjallaz, Président,
Karlen, Eusebio, Chaix et Kneubühler.
Greffière : Mme Kropf.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Jacques Michod, avocat,
recourant,
contre
Ministère public de la Confédération, route de Chavannes 31, case postale, 1001 Lausanne.
Objet
Levée de scellés,
recours contre l'ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud du 23 mars 2015.
Faits :
A.
La procédure pénale pour blanchiment d'argent ouverte à l'encontre de deux ressortissants coréens a été étendue à leur défenseur, A.________. Le 14 juin 2013, le Ministère public de la Confédération (MPC) a procédé à une perquisition des locaux professionnels de l'avocat. Celui-ci a demandé la mise sous scellés des documents, ainsi que des données informatiques saisis. Le 27 suivant, le MPC a requis auprès du Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud (Tmc) la levée des scellés. Dans le cadre de cette procédure, un expert a procédé au tri des pièce saisies afin notamment de déterminer lesquelles étaient susceptibles d'être couvertes par le secret professionnel de l'avocat.
Le 23 mars 2015, le Tmc a rejeté les réquisitions de preuve formulées par A.________ et a levé les scellés apposés sur les documents physiques numérotés de 1 à 27 figurant dans un porte-document jaune, ainsi que sur ceux contenus sur les CD-rom n° 01.01.0001 et n° 01.01.0002, à l'exception des courriers électroniques enregistrés sous "B.________/Inbox et Oubtbox" et de ceux qui semblaient liés à d'autres mandats vraisemblablement couverts par le secret professionnel.
B.
Par acte du 8 mai 2015, A.________ (ci-après : le recourant) forme un recours en matière pénale contre cette ordonnance, concluant à la restitution de l'intégralité des pièces mises sous scellés. A titre subsidiaire, il demande qu'en l'état de l'enquête, les scellés apposés soient maintenus. Plus subsidiairement, il requiert la restitution des pièces relatives à des correspondances échangées avec d'autres avocats et, à titre encore plus subsidiaire, le renvoi de la cause au Tmc afin qu'il procède au tri des pièces protégées par l'art. 264 ch. 1 let. c et d CPP.
Invités à se déterminer, le Tmc s'est référé à ses considérants et le MPC a renoncé à prendre position.
Considérant en droit :
1.
Conformément à l'art. 393 al. 1 let. c CPP, le recours au sens du CPP n'est ouvert contre les décisions du Tmc que dans les cas prévus par ledit code. Aux termes de l'art. 248 al. 3 let. a CPP, cette autorité statue définitivement sur la demande de levée des scellés au stade de la procédure préliminaire. Le recours en matière pénale au sens des art. 78 ss LTF est donc en principe ouvert (art. 80 al. 2 in fine LTF).
Ne mettant pas un terme à la procédure pénale, la décision attaquée est de nature incidente. Elle est toutefois susceptible de causer un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF, dans la mesure où la levée des scellés pourrait porter atteinte au secret professionnel de l'avocat tel qu'invoqué par le recourant (arrêts 1B_120/ 2014 du 20 juin 2014 consid. 1.2; 1B_352/2013 du 12 décembre 2013 consid. 1.1).
Pour le surplus, le recourant, en tant que prévenu et détenteur des pièces saisies, a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision entreprise qui lève les scellés apposés sur ces documents (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 1 LTF). Le recours a en outre été déposé en temps utile (art. 46 al. 1 let. a et 100 al. 1 LTF) et les conclusions qui y sont prises sont recevables (art. 107 al. 2 LTF). Il y a donc lieu d'entrer en matière.
2.
Le recourant conteste l'existence de soupçons suffisants de la commission d'une infraction de sa part. Ce faisant, il soutient en substance que le séquestre opéré le 14 juin 2013 serait injustifié et que les documents mis sous scellés devraient lui être restitués dans leur intégralité.
2.1. Selon l'art. 246 CPP, les documents écrits, les enregistrements audio, vidéos et d'autre nature, les supports informatiques ainsi que les installations destinées au traitement et à l'enregistrement d'informations peuvent être soumis à perquisition lorsqu'il y a lieu de présumer qu'ils contiennent des informations susceptibles d'être séquestrées. Les documents sont mis sous scellés lorsque l'intéressé fait valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner (art. 248 al. 1 CPP).
Contrairement au juge du fond, l'autorité appelée à statuer sur les mesures de contrainte ne doit pas procéder à une pesée minutieuse des circonstances à charge ou à décharge, ni procéder à une évaluation complète des différents moyens de preuve disponibles. Il lui incombe uniquement d'examiner si, sur la base des actes d'instruction disponibles, l'autorité pouvait admettre l'existence d'indices suffisants et concrets de la commission d'une infraction (arrêt 1B_487/2012 du 18 février 2013 consid. 3.5 et les arrêts cités). Si le séquestre - mesure conservatoire provisoire - est fondé sur la vraisemblance (cf. art. 263 al. 1 CP), il en est à plus forte raison de même dans le cas d'une requête de levée des scellés. En effet, saisi d'une telle demande, le Tmc doit examiner, d'une part, s'il existe des soupçons suffisants de l'existence d'une infraction justifiant une perquisition et, d'autre part, si les documents mis sous scellés présentent apparemment une pertinence pour l'instruction en cours (cf. art. 197 al. 1 let. b à d CPP). Or ces questions ne peuvent être résolues dans le détail, puisque le contenu même des documents mis sous scellés n'est pas encore connu. L'autorité de levée des scellés doit s'en tenir, à ce stade, au principe de l' "utilité potentielle" des pièces saisies (arrêt 1B_300/2012 du 14 mars 2013 consid. 3.2).
2.2. Afin de retenir l'existence de soupçons suffisants d'une possible infraction, le Tmc a relevé la condamnation en 2012 des deux clients coréens du recourant par la justice de leur pays pour détournement d'une somme équivalente à 44.4 mio de francs suisses. L'autorité précédente a ensuite retenu que des fonds présumés suspects auraient transité par plusieurs pays, notamment par la place financière de Hong-Kong d'où des avoirs d'environ US$ 33 mio avaient été virés auprès de la banque C.________ à Lausanne. Or, selon la juridiction précédente, le recourant aurait joué un "rôle déterminant" auprès de cet établissement bancaire lors des démarches d'ouverture d'un compte par ses deux mandants, puis en vue du transfert - en urgence et en faveur d'un tiers - à la succursale de la banque sise à Singapour en juin 2011 du montant s'y trouvant (environ US$ 39 mio).
2.3. Si ces éléments paraissent insuffisants pour le recourant et nécessitaient, selon lui, un complément d'instruction - requêtes rejetées au considérant 7 du jugement entrepris -, l'appréciation différente qu'en fait l'autorité - s'estimant suffisamment renseignée - ne constitue pas pour autant une violation de son droit d'être entendu. Au demeurant, le recourant ne développe aucune argumentation propre à remettre en cause la motivation du Tmc, ce qui est contraire aux exigences posées à l'art. 42 al. 2 LTF.
Partant, ce grief est rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
2.4. Le recourant ne conteste pas les éléments retenus par le Tmc, mais fonde l'entier de son argumentation sur les conclusions du rapport du Procureur coréen déposé à la suite de la demande d'entraide judiciaire du Ministère public vaudois.
Certes, le Procureur de Séoul a conclu à l'absence de raison permettant de penser que les montants déposés auprès de la banque C.________ par les deux Coréens proviendraient des détournements de fonds qui leur sont reprochés ou de toute autre infraction. Cependant, il ressort également de ce document que les explications données quant à l'origine des fonds (dépôt par le mari, respectivement le père de l'un des prévenus) paraissent se fonder uniquement sur les déclarations des deux Coréens mis en cause; en effet, le magistrat coréen a relevé qu'aucune information n'avait pu être obtenue du gouvernement de Hong-Kong au sujet de la banque à l'origine du versement auprès de la banque C.________. Il ne peut ainsi être reproché à la juridiction précédente d'avoir retenu que ce rapport ne permettait pas d'exclure toute infraction, notamment faute d'élément venant confirmer les dires des deux prévenus.
Au vu de ces considérations - condamnation des clients du recourant pour détournement de fonds, rôle possible de ce dernier dans les démarches de ses mandants auprès d'une banque suisse, virements internationaux de montants importants, tentative de transfert vers l'étranger en faveur d'un tiers et manque d'information sur la provenance de ces sommes -, l'origine des fonds n'a, en l'état, pas été déterminée avec suffisamment de précision pour exclure toute infraction de blanchiment d'argent. Par conséquent, le Tmc n'a pas violé le droit fédéral en retenant l'existence de soupçons suffisants de la commission d'une infraction.
3.
Se référant aux art. 248 et 264 CPP, le recourant, en sa qualité d'avocat, se prévaut ensuite du secret professionnel pour s'opposer à la levée des scellés.
3.1. Selon l'art. 264 al. 1 CPP (dans sa teneur depuis le 1er mai 2013 [RO 2013 847]), quels que soient l'endroit où ils se trouvent et le moment où ils ont été conçus, ne peuvent notamment être séquestrés les objets et les documents concernant des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173 CPP, si cette personne n'a pas le statut de prévenu dans la même affaire (let. c) ou les objets et documents concernant des contacts entre une autre personne - par exemple le lésé ou un témoin (cf. Message du Conseil fédéral du 26 octobre 2011 concernant la loi fédérale sur l'adaptation de dispositions de procédure relatives au secret professionnel des avocats; FF 2011 7509) - et son avocat, si celui-ci est autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la loi fédérale du 23 juin 2000 sur les avocats (LLCA; RS 935.61) et n'a pas le statut de prévenu dans la même affaire (let. d).
Ces deux hypothèses limitent expressément l'interdiction du séquestre à la condition que la personne ayant le droit de refuser de témoigner (art. 264 al. 1 let. c CPP, en lien avec l'art. 171 CPP s'agissant des avocats) ou le mandataire au sens de la LLCA (art. 264 al. 1 let. d CPP) ne soient pas prévenus dans la cause examinée (arrêt 1B_303/2012 du 21 mars 2014 consid. 6). L'art. 264 al. 1 let. c ou d CPP peut notamment être invoqué lorsqu'il existe antérieurement à la mise en prévention de l'avocat en cause un autre mandat de représentation en justice avec un tiers avocat non prévenu (ATF 138 IV 225 consid. 6.3 p. 228). L'interdiction de séquestre s'applique sans égard au lieu où se trouvent les documents (cf. la teneur de l'art. 264 al. 1 CPP; arrêt 1B_303/2012 du 21 mars 2014 consid. 6).
En présence d'un secret professionnel avéré, au sens de l'art. 171 CPP, l'autorité de levée des scellés élimine les pièces couvertes par le secret professionnel et prend ensuite les mesures nécessaires pour préserver, parmi les documents remis aux enquêteurs, la confidentialité des tiers (ATF 132 IV 63 concernant la saisie de données chez un avocat).
3.2. Le Tmc a en substance considéré que le recourant ne pouvait pas se prévaloir du secret lié à sa profession, dès lors que, préalablement à août 2011 (début du mandat pénal en faveur des deux clients coréens), le recourant n'avait pas exercé une activité typique d'avocat. S'agissant ensuite de la période postérieure, la juridiction précédente a considéré que le secret professionnel ne pouvait pas non plus être invoqué puisque le recourant avait dorénavant la qualité de prévenu.
3.3. En l'espèce, le recourant ne remet pas en cause ce raisonnement. En revanche, il soutient que certaines pièces seraient protégées par l'art. 264 al. 1 let. c et d CPP car elles concerneraient des échanges qu'il aurait eus avec d'autres avocats également mandatés pour la défense pénale de ses clients. Selon le recourant, dès lors que ces avocats ne sont pas prévenus dans la cause qui le concerne, ces pièces bénéficieraient de la protection de leur secret professionnel.
Cette argumentation n'est pas nouvelle, puisque le recourant l'a déjà soulevée devant le Tmc, mentionnant même les noms des avocats en cause (cf. les écritures du 3 mars 2015). L'autorité précédente s'est pourtant limitée à se prononcer sur l'éventuelle application du secret professionnel du recourant, sans examiner si celui de tiers pouvait entrer en considération. Or, tel semble être le cas si les pièces indiquées par le recourant sont effectivement des correspondances de sa part avec des co-défenseurs des prévenus coréens. En effet, dans la mesure où ces autres avocats ne sont pas prévenus et sont des représentants au sens de l'art. 127 CPP, ils bénéficient d'un droit de refuser de témoigner au sens de l'art. 171 CPP (cf. le renvoi de l'art. 264 al. 1 let. c CPP).
Dès lors que la juridiction précédente n'a pas examiné l'art. 264 al. 1 let. c CPP sous l'angle du secret professionnel de tiers, elle a violé le droit fédéral. Le recours doit donc être admis sur ce point.
4.
4.1. Il s'ensuit que le recours est partiellement admis dans la mesure de sa recevabilité.
L'ordonnance du 23 mars 2015 du Tmc est annulée dans la mesure où elle lève les scellés sur les pièces surlignées en jaune dans le mémoire de recours du 8 mai 2015, documents susceptibles d'être couverts par le secret professionnel d'autres avocats. Dès lors que le Tribunal fédéral ne dispose pas de ces pièces et que le rapport d'expertise ne se prononce pas spécifiquement sur le contenu de celles-ci, il estime ne pas être suffisamment renseigné pour statuer sur la levée des scellés. La cause est donc renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision sur cette question au sens des considérants.
Pour le surplus, le recours est rejeté et le jugement attaqué est confirmé.
4.2. Le recourant, qui obtient partiellement gain de cause avec l'assistance d'un avocat, a droit à des dépens à la charge de la Confédération (art. 68 al. 1 LTF). Au vu de l'issue du litige, des frais judiciaires réduits sont mis à la charge du recourant (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis dans la mesure de sa recevabilité.
2.
L'ordonnance du 23 mars 2015 du Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud est annulée dans la mesure où elle lève les scellés sur les pièces surlignées en jaune dans le mémoire de recours du 8 mai 2015 et la cause est renvoyée à l'autorité précédente pour nouvelle décision au sens des considérants. Pour le surplus, l'ordonnance du 23 mars 2015 est confirmée.
3.
Une indemnité de dépens de 2'000 fr. est allouée au recourant à la charge de la Confédération.
4.
Des frais judiciaires réduits, arrêtés à 1'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
5.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Ministère public de la Confédération et au Tribunal des mesures de contrainte du canton de Vaud.
Lausanne, le 30 juin 2015
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Fonjallaz
La Greffière : Kropf