2C_879/2018 16.01.2019
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
2C_879/2018
Arrêt du 16 janvier 2019
IIe Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Seiler, Président,
Donzallaz et Stadelmann.
Greffier: M. Tissot-Daguette.
Participants à la procédure
X.________,
représenté par Me Cyrielle Friedrich, avocate,
recourant,
contre
Commission du Barreau de la République et canton de Genève.
Objet
Blâme,
recours contre l'arrêt de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 21 août 2018 (ATA/837/2018).
Faits :
A.
X.________ est titulaire du brevet d'avocat et inscrit au registre des avocats de la République et canton de Genève.
Par convention du 26 octobre 2000, X.________ s'est vu confirmer par écrit un mandat confié oralement au mois de juillet 1998, par lequel il détenait à titre fiduciaire des actions de la société A.________ N.V. (ci-après: A.________) pour B.Y.________, C.Y.________ et leurs deux enfants, D.________, née Y.________, et E.Y.________. La société A.________, constituée en 1990, est inscrite au registre du commerce de Curaçao, dans les Antilles néerlandaises. Elle détient l'entier du capital-social de la société Z.________ B.V. (ci-après: Z.________), constituée en 1985 et inscrite au registre du commerce de Delft aux Pays-Bas. Dans la convention précitée, chacun des quatre mandants déclarait être ayant droit économique de la société A.________ à raison de 25%. En outre et parmi d'autres dispositions, toute instruction donnée au mandataire emportait acceptation pour les autres et celui-ci s'engageait à suivre ces instructions, pour autant qu'elles soient conformes à la loi et aux intérêts de la société, ainsi qu'à exercer le droit de vote conformément aux consignes. A la suite d'une condamnation pénale de C.Y.________, une nouvelle convention fiduciaire, remplaçant la précédente, a été conclue le 27 novembre 2006 entre, d'une part, X.________ et, d'autre part, B.Y.________, ainsi que ses deux enfants. Celle-ci déclarait être ayant droit économique de la société A.________ à raison de 50%, ses enfants à raison de 25% chacun. Suite au divorce de D.________, une troisième convention, annulant et remplaçant la deuxième, a été conclue le 28 février 2011 avec effet au 1 er janvier 2011. Selon cette nouvelle convention, B.Y.________ était ayant droit économique de A.________ à raison de 75% et son fils à raison de 25%. Le 17 janvier 2013, X.________ et E.Y.________ ont conclu une nouvelle convention fiduciaire, annulant et remplaçant la précédente avec effet au 17 décembre 2012, reconnaissant E.Y.________ comme ayant droit économique unique et exclusif des sociétés A.________ et Z.________. En référence à cette dernière convention, D.________, en son nom et en celui de son père, a conclu une convention avec son frère, E.Y.________, le 21 janvier 2013. Selon celle-ci, E.Y.________ reconnaissait être propriétaire à titre fiduciaire de deux parts de 50% et 25% de la société A.________ aux noms et pour le compte de son père, respectivement de sa soeur.
B.Y.________ est décédée le 24 janvier 2013 en laissant un testament olographe par lequel elle a institué ses deux enfants comme légataires universels et privé son mari de tout droit. Le 10 mars 2014, X.________ a demandé à E.Y.________ de signer une procuration afin de lui permettre de liquider la société A.________. Il a par ailleurs confirmé par courrier électronique à E.Y.________ que celui-ci avait acquis 30 des 40 actions de la société Z.________.
E.Y.________ n'a pas donné suite à une demande de son père et de sa soeur, formulée fin 2015/début 2016, tendant à la remise de 50%, respectivement 25% des parts de Z.________ dont ceux-ci se prétendaient propriétaires. X.________ a alors initié une procédure d'arbitrage pour le compte de C.Y.________ et D.________ à l'encontre de E.Y.________. Le 20 septembre 2016, un confrère de X.________, représentant de E.Y.________, a dénoncé l'intéressé auprès du bâtonnier de l'ordre des avocats de la République et canton de Genève pour cause de conflit d'intérêts dans le cadre de la procédure d'arbitrage initiée à l'encontre de son client. Le 6 octobre 2016, X.________ a cessé de représenter C.Y.________ et sa fille dans cette procédure et, le 28 novembre 2016, il a rédigé une déclaration testimoniale produite dans le cadre de l'arbitrage. Il y rappelait notamment les conventions fiduciaires successives dans leur ordre chronologique. Il attestait que les faits qu'il relatait étaient vrais et authentiques, conformes à ce qu'il avait pu observer. Le 8 décembre 2016, E.Y.________, par son avocat, a demandé à X.________ de retirer sa déclaration de la procédure d'arbitrage, cette déclaration ayant été faite en violation de son obligation de garder le secret. X.________ a refusé d'y donner suite.
B.
Le 14 février 2017, E.Y.________ a dénoncé X.________ à la Commission du barreau de la République et canton de Genève (ci-après: la Commission du barreau) pour violation du secret professionnel, demandant en outre que la déclaration testimoniale du 28 novembre 2016 soit retirée de la procédure arbitrale. Par décision du 8 mai 2017, la Commission du barreau a prononcé un blâme à l'encontre de X.________ en raison d'une violation du secret professionnel de l'avocat. X.________ a contesté cette décision le 9 juin 2017 auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Cour de justice). Celle-ci, par arrêt du 21 août 2018, a rejeté le recours de X.________ et confirmé la décision de la Commission du barreau.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, X.________ demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, outre l'effet suspensif, d'annuler l'arrêt de la Cour de justice du 21 août 2018 et de constater qu'il n'a pas violé le secret professionnel.
Par ordonnance du 18 octobre 2018, le Président de la IIe Cour de droit public du Tribunal fédéral a admis la requête d'effet suspensif et suspendu l'inscription de la sanction litigieuse.
La Cour de justice persiste dans les considérants et le dispositif de son arrêt. La Commission du barreau se réfère à sa décision du 8 mai 2017.
Considérant en droit :
1.
Le litige concerne une décision traitant d'une sanction disciplinaire (blâme pris en application des art. 13 et 17 de la loi du 23 juin 2000 sur la libre circulation des avocats [LLCA; RS 935.61]), étant précisé que la demande de retrait de la procédure arbitrale de la déclaration testimoniale du 28 novembre 2016 n'a pas été examinée par l'autorité précédente et qu'aucune conclusion n'a été prise en relation avec cette question, si bien qu'il n'y a pas à en traiter (cf. ATF 142 I 155 consid. 4.4.2 p. 156). Le litige relève donc du droit public au sens de l'art. 82 let. a LTF et ne tombe pas sous le coup de l'une des exceptions de l'art. 83 LTF. Par conséquent, interjeté par l'avocat ayant pris part à la procédure devant l'autorité précédente, directement atteint par la décision attaquée et ayant un intérêt digne de protection à l'annulation de cette décision (cf. art. 89 al. 1 LTF), le recours en matière de droit public dirigé contre un jugement final (cf. art. 90 LTF) rendu par une autorité cantonale supérieure de dernière instance (cf. art. 86 al. 1 let. d et al. 2 LTF) est en principe recevable, puisqu'il a été déposé dans le délai et la forme prévus par la loi (cf. art. 42 et 100 al. 1 LTF). Il convient donc d'entrer en matière.
2.
Citant l'art. 97 al. 1 LTF, le recourant se prévaut en premier lieu d'un établissement inexact des faits.
2.1. Le Tribunal fédéral statue en principe sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), sous réserve des cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF (ATF 142 I 155 consid. 4.4.3 p. 156). Le recourant ne peut critiquer les constatations de fait ressortant de la décision attaquée que si celles-ci ont été effectuées en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire, et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF; ATF 142 II 355 consid. 6 p. 358). Conformément à l'art. 106 al. 2 LTF, le recourant doit expliquer de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées. Les faits invoqués de manière appellatoire sont irrecevables (ATF 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375). Par ailleurs, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut en principe être présenté devant le Tribunal fédéral (art. 99 al. 1 LTF).
2.2. Le recourant est tout d'abord d'avis qu'il ne ressort d'aucun élément de preuve qu'il " aurait conseillé ses mandants de modifier les conventions fiduciaires au vu de leurs accords internes ". Il affirme seulement avoir été " informé de ces accords internes à l'occasion de la conclusion des conventions fiduciaires ". Il en conclut que retenir une activité de conseil juridique est arbitraire, car ne reposant sur aucun élément de preuve.
Il estime en outre que la distinction opérée par la Cour de justice "entre l'activité déployée pour les actionnaires de A.________ et celle exercée pour Z.________ est également arbitraire ", dès lors qu'il n'a jamais agi sur instruction de la société A.________, " mais uniquement sur celle des membres de la famille Y.________ ". Selon le recourant, il s'agit de la même activité d'intermédiaire financier.
2.3. Il ressort de l'arrêt entrepris que l'activité du recourant s'est " étendue à la rédaction de conventions fiduciaires, soit des actes juridiques, lesquelles ont été adaptées suivant les circonstances aux besoins de la famille, sur conseil du recourant ". La Cour de justice a en outre retenu qu'il " n'est pas contesté que la répartition des actions au sein de la famille en question a été aménagée de façon à assurer leur maintien en mains de celle-ci. Il doit ainsi être considéré que les actionnaires ont fait appel à ses compétences pour élaborer les conventions fiduciaires successives en raison de son expertise d'avocat ".
S'agissant de la distinction opérée par l'autorité précédente et contestée par le recourant, celle-ci a retenu qu'il " faut considérer que l'activité d'intermédiaire financier du recourant au nom et pour le compte de Z.________ était distincte de celle visant à conseiller les actionnaires de A.________ dans la rédaction des conventions fiduciaires, qu'il a lui-même signées. C'est bien sa fonction d'avocat qui l'a amené à déployer une telle activité ".
2.4. Dans la mesure où il s'agit effectivement de questions de fait, on relèvera tout d'abord, comme cela ressort de l'arrêt entrepris, que les diverses conventions rédigées par le recourant contiennent plusieurs articles réglant le mandat du recourant envers ses clients/mandants et des références à des dispositions du CO. Dans ces conditions, on ne saurait considérer comme étant arbitraire le fait pour la Cour de justice de retenir que la rédaction de ces conventions fiduciaires constitue des actes juridiques nécessitant l'expertise d'un avocat. Ainsi, contrairement à ce qu'affirme le recourant ce n'est pas sans aucun élément de preuve que l'autorité précédente a retenu que la rédaction de ces conventions constituait un activité juridique, mais bien en prenant connaissance du contenu de celles-ci.
En outre, on doit également considérer comme étant pleinement soutenable le fait de différencier l'activité déployée par le recourant pour Z.________ et celle déployée pour ses mandants. Dans le premier cas, il est intervenu comme intermédiaire financier, alors que dans le second, il a conseillé ses clients, afin de permettre l'élaboration des conventions fiduciaires pour les représenter au mieux dans l'entreprise A.________.
2.5. Sur le vu de ce qui précède, il convient donc d'écarter le grief d'arbitraire dans l'établissement des faits.
3.
3.1. Le secret professionnel est protégé par l'art. 13 al. 1 LLCA. Selon cette disposition, l'avocat est soumis au secret professionnel pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l'exercice de sa profession; cette obligation n'est pas limitée dans le temps et est applicable à l'égard des tiers; le fait d'être délié du secret professionnel n'oblige pas l'avocat à divulguer des faits qui lui ont été confiés.
En application de l'art. 13 al. 1 LLCA, l'avocat est le titulaire de son secret et il reste maître de celui-ci en toutes circonstances. L'avocat doit toutefois obtenir le consentement de son client, bénéficiaire du secret, pour pouvoir révéler des faits couverts par le secret. En cas de pluralité de mandants, chacun d'eux doit donner son accord. Lorsque l'accord du client ne peut pas être obtenu, l'avocat peut s'adresser à l'autorité compétente en vue d'obtenir la levée du secret professionnel. Une procédure de levée du secret professionnel de l'avocat ne saurait par conséquent avoir lieu que dans la mesure où le client s'oppose à la levée de ce secret ou n'est plus en mesure de donner son consentement (arrêt 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.4 et les références).
Le secret professionnel des avocats ne couvre toutefois que leur activité professionnelle spécifique et ne s'étend pas à une activité commerciale sortant de ce cadre (cf. ATF 143 IV 462 consid. 2.2 p. 467; 135 III 410 consid. 3.3 p. 414 et les références; arrêt 1B_486/2017 du 10 avril 2018 consid. 3.2). D'après le Tribunal fédéral, l'activité typique de l'avocat se caractérise par des conseils juridiques, la rédaction de projets d'actes juridiques, ainsi que l'assistance ou la représentation d'une personne devant une autorité administrative ou judiciaire (ATF 135 III 410 consid. 3.3 p. 414 et les références; arrêts 1B_264/2018 du 28 septembre 2018 consid. 2.1; 1B_486/2017 du 10 avril 2018 consid. 3.2).
3.2. En l'occurrence, il ressort des constatations de fait, effectuées sans arbitraire par la Cour de justice, que le recourant a en particulier rédigé plusieurs conventions fiduciaires en faveur de ses clients. Ces diverses conventions, qui faisaient en particulier référence au CO, contenaient toutes des dispositions réglant précisément le mandat du recourant. Par exemple, elles prévoyaient qui assumait les risques découlant du fait qu'aucun retrait de fonds ne pouvait être effectué sans l'accord préalable du mandant ou encore quel mandant pouvait donner des instructions au mandataire et l'effet de ces instructions sur les autres mandants. Cette activité de rédaction, purement juridique, relève de toute évidence de l'activité professionnelle typique de l'avocat, couverte par le secret professionnel, et pas, comme désirerait le faire croire le recourant, de l'activité d'intermédiaire financier.
Par conséquent, en s'exprimant dans le cadre d'une procédure d'arbitrage, par déclaration testimoniale, et en y rappelant chronologiquement les conventions fiduciaires successives, constituant justement le résultat de son activité d'avocat, sans avoir préalablement requis l'accord de l'ensemble de ses mandants pour se faire, le recourant a violé le secret professionnel de l'avocat contenu à l'art. 13 LLCA.
3.3. Le recourant ne conteste pas (la quotité de) la mesure disciplinaire prononcée à son encontre, c'est-à-dire le blâme. Sur le vu de l'art. 17 LLCA et de la motivation de la Cour de justice y relative, on ne peut que confirmer cette mesure, l'autorité précédente ayant procédé à une pesée des intérêts en présence, prenant à juste titre en compte l'importance du secret professionnel dans le métier de l'avocat et l'absence d'antécédents disciplinaires du recourant.
4.
Sur le vu de ce qui précède, le recours est rejeté. Succombant, le recourant doit supporter les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il n'est pas alloué de dépens (art. 68 al. 1 et 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire du recourant, à la Commission du Barreau et à la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève, ainsi qu'à l'Office fédéral de la justice.
Lausanne, le 16 janvier 2019
Au nom de la IIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Seiler
Le Greffier : Tissot-Daguette