6B_138/2023 18.10.2023
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_138/2023
Arrêt du 18 octobre 2023
Ire Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux
Denys, Juge présidant, Muschietti et van de Graaf.
Greffière : Mme Kistler Vianin.
Participants à la procédure
Ministère public de l'État de Fribourg,
case postale 1638, 1701 Fribourg,
recourant,
contre
1. A.________,
représenté par Me Quentin Cuendet, avocat,
2. B.B.________,
représentée par Me Christian Delaloye, avocat,
3. D.________,
représenté par Me Gaspard Genton, avocat,
4. E.________,
représenté par Me Tali Paschoud, avocate,
5. F.________,
représentée par Me Sébastien Voegeli, avocat,
6. G.________,
représenté par Me Arnaud Nussbaumer, avocat,
7. H.________,
intimés.
Objet
Contrainte, arbitraire,
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'État de Fribourg, Cour d'appel pénal, du 30 novembre 2022
(501 2021 89, 99, 105, 108, 109, 112 et 114).
Faits :
A.
Par jugement du 18 juin 2021, le Tribunal de police de l'arrondissement de la Sarine a reconnu A.________, B.B.________, D.________, E.________, F.________, G.________ et H.________ coupables de contrainte (art. 181 CP) et de contravention à la loi fribourgeoise sur le domaine public (art. 19 et 60 LDP; RSF 750.1) et les a condamnés à une peine pécuniaire de 10 jours-amende et au paiement d'une amende de 150 francs.
B.
Par arrêt du 30 novembre 2022, la Cour d'appel pénal du Tribunal cantonal du canton de Fribourg a partiellement admis les appels de A.________, B.B.________, D.________, E.________, F.________, G.________ et H.________. En conséquence, il a réformé le jugement attaqué en ce sens qu'il a acquitté les appelants des chefs de prévention de contravention à la loi fribourgeoise sur le domaine public au sens des art. 19 et 60 et de contrainte au sens de l'art. 181 CP, mais les a reconnu coupables de contravention à la loi fribourgeoise d'application du code pénal (art. 11 al. 1 let. b LACP; RSF 31.1) et les a condamnés au paiement d'une amende de 150 fr., qui, en cas de non-paiement, fera place à un jour de peine privative de liberté de substitution (art. 106 al. 2 et 3 CP).
En résumé, elle a retenu les faits suivants:
B.a. Le vendredi 29 novembre 2019, à l'occasion de la journée commerciale dite "black friday", des sympathisants des mouvements "Extinction rébellion U.________" et "Grève du climat U.________", au cours d'une action menée sous le slogan "black friday", ont manifesté entre 17 et 19 heures en ville de U.________ afin de dénoncer notamment les effets de la surproduction et de la surconsommation sur le climat.
Un groupe de manifestants s'est placé dans le hall de l'entrée principale de I.________, du côté de l'avenue de V.________, et a barré l'accès au public. À cet effet, six caddies ont été placés en travers du Sas d'entrée et trois manifestants se sont couchés à l'intérieur des caddies et s'y sont enchaînés. Des planches ont été installées entre les caddies afin de mieux les solidifier entre eux et des coussins ont été déposés au fond de ceux-ci afin de garantir un certain confort pour les trois manifestants allongés. De chaque côté de la barrière de caddies, une dizaine de manifestants se sont assis et certains se sont attachés aux caddies avec des chaînes. Une fois le dispositif mis en place, les treize personnes appelées les "bloqueurs" ont expliqué à la police ne plus disposer des clefs des cadenas qui avaient servi à relier les chaînes entre elles. Vers 19 heures, les forces de l'ordre, après avoir coupé les cadenas et les chaînes utilisés par les manifestants, ont dû porter vers la sortie les derniers récalcitrants, qui refusaient de se lever.
B.b. A.________, C.B.________ (dont l'identité est rectifiée en B.B.________ à la suite d'un changement inscrit dans le registre de l'état civil le 22 mars 2022), D.________, E.________, F.________, G.________ et H.________ ont pris part à cette manifestation non autorisée.
D.________ et G.________ se sont enchaînés à d'autres participants et se sont couchés dans des caddies enchaînés à d'autres caddies et placés de manière à empêcher tout passage par l'accès principal de I.________.
De leur côté, A.________, B.B.________, E.________, F.________ et H.________, ainsi que plusieurs autres personnes, se sont enchaînés les uns aux autres et assis au sol de manière à empêcher tout passage par l'accès principal de I.________.
À 19 heures, malgré plusieurs sommations des forces de l'ordre, A.________, B.B.________, D.________, E.________, F.________, G.________ et H.________ ont refusé de quitter les lieux.
C.
Le Ministère public du canton de Fribourg forme un recours en matière pénale devant le Tribunal fédéral contre l'arrêt cantonal du 30 novembre 2022. Il conclut, principalement, à sa réforme en ce sens que A.________, B.B.________, D.________, E.________, F.________, G.________ et H.________ sont reconnus coupables de contrainte. A titre subsidiaire, il requiert l'annulation de l'arrêt attaqué et le renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouveau jugement.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office (art. 29 al. 1 LTF) et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 144 II 184 consid. 1; 144 V 280 consid. 1).
1.1. En application de l'art. 81 al. 1 let. b ch. 3 LTF, l'accusateur public a qualité pour former un recours en matière pénale. Savoir quelle autorité au sein d'un canton constitue l'accusateur public est une question qui doit se résoudre à l'aune de la LTF. Lorsqu'il existe un ministère public compétent pour la poursuite de toutes les infractions sur l'ensemble du territoire, seule cette autorité aura la qualité pour recourir au Tribunal fédéral. En revanche, savoir qui, au sein de ce ministère public, a la compétence de le représenter est une question d'organisation judiciaire, à savoir une question qui relève du droit cantonal (ATF 142 IV 196 consid. 1.5.2; arrêt 6B_619/2022 du 8 février 2023 consid. 1).
1.2. Dans le canton de Fribourg, le ministère public est composé d'un office unique dont la compétence s'étend à l'ensemble du territoire cantonal (art. 66 al. 1 de la loi fribourgeoise sur la justice; LJ, RSF 130.1). Il ne connaît pas de morcellement territorial ou par matière. Le Ministère public de l'État de Fribourg, seul accusateur public, est par conséquent compétent pour recourir au Tribunal fédéral. Conformément à l'art. 6 al. 2 du règlement du 14 mars 2011 relatif à l'organisation et au fonctionnement du ministère public (ROF; RSF 132.11), chaque procureur peut interjeter les recours nécessaires auprès des instances cantonales et fédérales. Le procureur général est également compétent pour interjeter un recours en appel ou en matière pénale dans tous les dossiers traités par le ministère public (art. 2 al. 3 ROF).
En l'espèce, le recours a été formé et signé par le Procureur général. Il est donc recevable sous cet angle.
2.
Le recourant reproche à la cour cantonale d'être tombée dans l'arbitraire en omettant de retenir que, en refusant de quitter les lieux après la tolérance de deux heures dont ils avaient bénéficié, les intimés ont obligé une partie des employés du centre commercial à travailler plus longtemps.
2.1. Le Tribunal fédéral est un juge du droit. Il ne peut revoir les faits établis par l'autorité précédente que s'ils l'ont été de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF), c'est-à-dire arbitraire (sur cette notion, cf. ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1; 145 IV 154 consid. 1.1), ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et pour autant que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Encore faut-il, à peine d'irrecevabilité, que la réalisation de ces conditions soit démontrée dans le recours (cf. arrêts 6B_338/2008 du 7 janvier 2009 consid. 10.1.1 et 4A_28/2007 du 30 mai 2007 consid. 1.3).
2.2. Le recourant n'explique pas en quoi la correction de ce vice pourrait influer sur l'issue du jugement. Il se borne à affirmer, dans son argumentation relative à la contrainte, que les intimés avaient eu "la conscience et la volonté de contraindre (...) une partie des employés du centre commercial qui a dû, soit se résoudre à ne pas travailler et subir une perte de leur chiffre d'affaire, soit rester plus longtemps sur son lieu de travail" (mémoire de recours p. 7). Cette seule affirmation ne saurait toutefois suffire à établir que les faits prétendument omis par la cour cantonale tomberaient sous l'art. 181 CP et, partant, devraient influer sur l'issue du litige. La cour cantonale ne semble pas au demeurant avoir méconnu que la manifestation avait duré au-delà de l'heure de fermeture du centre commercial et qu'en conséquence une partie des employés avait dû travailler plus longtemps. Comme l'a relevé le recourant lui-même, elle a retenu que les intimés s'étaient rendus coupables de contravention à la loi d'application du code pénal (art. 11 al. 1 let. b LACP) en refusant de suivre les injonctions des forces de l'ordre qui cherchaient à permettre au centre commercial de fermer ses portes (arrêt attaqué p. 12 consid. 2.8). Insuffisamment motivé, l'argumentation du recourant est irrecevable.
3.
Le recourant soutient que les intimés devraient être condamnés pour contrainte au sens de l'art. 181 CP.
3.1. Se rend coupable de contrainte au sens de l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.
Cette disposition protège la liberté d'action et de décision (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1). La contrainte est illicite lorsque le moyen ou le but est contraire au droit ou encore lorsque le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux moeurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1; arrêt 6B_598/2022 du 9 mars 2023 consid. 2.1.2).
3.2. La cour cantonale a considéré que l'intensité nécessaire pour conclure à un acte de contrainte au sens du code pénal n'était pas donnée dans la mesure où l'action des manifestants a été structurée de telle manière que les autres entrées et sorties du centre commercial restaient accessibles moyennant un petit détour. Elle a ajouté que leurs actes n'avaient été accompagnés d'aucune violence et n'avaient causé aucun dommage, de sorte qu'ils pouvaient être considérés comme relevant d'une manifestation pacifique d'opinion qui pouvait profiter de la protection offerte par la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après: CEDH).
Le recourant soutient, au contraire, que les intimés devraient être punis pour contrainte pour avoir bloqué l'entrée principale du centre commercial, empêchant par-là les clients d'entrer ou de sortir. Il relève que la jurisprudence admet déjà que le fait de retenir quelqu'un contre son gré pendant quelques minutes ou de gêner d'autres automobilistes par des coups de frein intempestifs constituent une forme de contrainte. Selon le recourant, dès lors que la manifestation ne s'est pas déroulée sur le domaine public, les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme relatifs aux libertés d'expression et de réunion seraient sans pertinence.
3.3. Dans la mesure où les actes des intimés se sont inscrits dans une démarche de protestation politique, il convient d'examiner si ceux-ci sont protégés par la liberté d'expression et de réunion.
3.3.1. Les libertés d'opinion et d'information sont garanties par l'art. 16 al. 1 Cst. Toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion (art. 16 al. 2 Cst.). Selon l'art. 10 § 1 CEDH, la liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.
L'art. 22 Cst. garantit la liberté de réunion (al. 1), toute personne ayant le droit d'organiser des réunions et d'y prendre part ou non (al. 2). Sont considérées comme des réunions les formes les plus diverses de regroupements de personnes dans le cadre d'une organisation déterminée, dans le but, compris dans un sens large, de former ou d'exprimer mutuellement une opinion (ATF 144 I 281 consid. 5.3.1; 132 I 256 consid. 3; 132 I 49 consid. 5.3; arrêt 6B_655/2022 du 31 août 2022 consid. 4.2). L'art. 11 § 1 CEDH (en relation avec l'art. 10 CEDH), qui consacre notamment le droit de toute personne à la liberté de réunion et à la liberté d'association, offre des garanties comparables (ATF 132 I 256 consid. 3; arrêt 6B_655/2022 précité consid. 4.2); son exercice est soumis aux restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 11 § 2, 1ère phrase, CEDH).
3.3.2. Le Tribunal fédéral a récemment rappelé, en référence à la jurisprudence de la CourEDH, qu'en l'absence d'actes de violence, les pouvoirs publics devaient faire preuve d'une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques non autorisés afin que la liberté de réunion garantie par l'art. 11 CEDH ne soit pas vidée de sa substance (arrêt 6B_246/2022 du 12 décembre 2022 consid. 3.2.4; arrêts de la CourEDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], § 150; Navalnyy et Yashin c. Russie du 4 décembre 2014, § 63; Bukta et autres c. Hongrie du 17 juillet 2007, § 37; Oya Ataman c. Turquie du 5 décembre 2006, §§ 41-42). La liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu'une personne ne peut faire l'objet d'une quelconque sanction - même une sanction se situant vers le bas de l'échelle des peines disciplinaires - pour avoir participé à une manifestation non autorisée, dans la mesure où l'intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible (arrêts 6B_246/2022 précité consid 3.2.4; 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 du 31 juillet 2023 consid. 6.1.3; arrêts de la CourEDH Navalnyy c. Russie du 15 novembre 2018 [GC], § 128; Solari c. République de Moldova du 28 mars 2017, § 37; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], § 149).
La tolérance qui est demandée aux pouvoirs publics à l'égard des rassemblements pacifiques "illégaux" s'étend aux cas dans lesquels la manifestation en cause se tient dans un lieu public en l'absence de tout risque pour la sécurité, et si les nuisances causées par les manifestants ne dépassent pas le niveau de perturbation mineure qu'entraîne l'exercice normal du droit à la liberté de réunion pacifique dans un lieu public. Elle doit également s'étendre aux réunions qui entraînent des perturbations mineures de la vie quotidienne, notamment de la circulation routière (arrêts 6B_246/2022 précité consid. 3.2.4; 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 précités consid. 6.1.3; arrêts de la CourEDH Navalnyy c. Russie du 15 novembre 2018 [GC], § 128; Egitim ve Bilim Emekcileri Sendikasi et autres c. Turquie du 5 juillet 2016, § 95; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], § 155). Les limites de la tolérance que les autorités sont censées démontrer à l'égard d'un rassemblement illicite dépendent des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la durée et de l'ampleur du trouble à l'ordre public causé par le rassemblement ainsi que de la question de savoir si ses participants se sont vu offrir une possibilité suffisante d'exprimer leurs opinions (arrêts 6B_246/2022 précité consid. 3.2.4; 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 précités consid. 6.1.4; arrêts de la CourEDH Frumkin c. Russie du 5 janvier 2016, § 97; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 155-157 et 176-177).
Selon la CourEDH, le refus des manifestants de se conformer aux règles en vigueur et leur décision de structurer tout ou partie d'une manifestation de façon à provoquer des perturbations de la vie quotidienne et d'autres activités à un degré excédant le niveau de désagrément inévitable dans les circonstances constituent un comportement qui ne saurait bénéficier de la même protection privilégiée offerte par la CEDH qu'un discours ou débat pacifique d'opinions (arrêt de la CourEDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC] § 156). La CourEDH a admis que lorsque des manifestants perturbent intentionnellement la vie quotidienne et les activités licites d'autrui, ces perturbations, lorsque leur ampleur dépasse celle qu'implique l'exercice normal de la liberté de réunion pacifique, peuvent être considérés comme des "actes répréhensibles" et justifier l'imposition de sanctions, y compris pénales (arrêts 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 précités consid. 6.1.4; 6B_655/2022 du 31 août 2022 consid. 4.5; arrêt de la CourEDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 173-174; voir aussi arrêt de la CourEDH Barraco c. France du 5 mars 2009, §§ 46-47). Elle a ainsi considéré que le blocage quasi total de trois autoroutes importantes, au mépris flagrant des ordres de la police et des intérêts et droits des usagers de la route, s'analysait en un comportement qui, tout en étant moins grave que le recours à la violence physique, pouvait être qualifié de "répréhensible" et que les sanctions pénales prononcées dans le cas particulier étaient proportionnées (arrêts de la CourEDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 173-174; voir aussi Barraco c. France, §§ 46-47).
3.4.
3.4.1. La manifestation à laquelle les intimés ont participé s'est déroulée de manière pacifique. Elle n'avait pas de but violent et ne s'est pas déroulée dans une atmosphère agressive. Certes, les intimés ont mis en place un barrage dans la galerie commerciale et devant l'entrée principale, à l'aide de caddies et se sont enchaînés les uns aux autres, de manière à empêcher des passants de pénétrer dans le centre commercial. Un tel comportement n'est toutefois pas d'une nature ou d'une gravité propres à faire échapper la participation des manifestants au domaine de protection du droit à la liberté de réunion pacifique (cf. arrêt Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC] § 97 et 98).
C'est en vain que le recourant soutient, en référence à l'arrêt publié aux ATF 147 IV 297, que les différents arrêts de la CourEDH relatifs à l'application des art. 10 et 11 CEDH seraient sans pertinence dans la mesure où la manifestation ne s'est pas déroulée sur le domaine public, mais dans un centre commercial. En effet, la CourEDH a déjà admis que les art. 10 ou 11 CEDH s'appliquaient à une manifestation qui avait eu lieu dans un hypermarché (arrêt de la CourEDH Baldassi et autres c. France du 11 juin 2020). Il s'agit d'un lieu de transit ou d'un lieu destiné à accueillir de très nombreuses personnes. Le cas jugé aux ATF 147 IV 297, où les manifestants s'étaient réunis dans les locaux d'une succursale d'une grande banque sans le consentement de celle-ci, n'est pas comparable, l'accès étant conditionné à une relation de clientèle ou d'affaires avec la banque (cf. ATF 147 IV 297 consid. 3.2 p. 328).
3.4.2. Il est reproché en l'espèce aux intimés d'avoir intentionnellement bloqué l'entrée principale du centre commercial. Cette obstruction n'était pas un effet indirect d'un rassemblement, mais la conséquence d'une action intentionnelle des intimés, qui souhaitaient attirer l'attention de l'opinion publique sur la journée commerciale dite "black friday". Leur action visait directement une activité qu'ils réprouvaient, à savoir la surproduction et la surconsommation, et représentait un lien direct avec l'objet de leur contestation. Selon l'arrêt cantonal, l'obstruction de l'accès principal a créé quelques inquiétudes auprès des clients du centre commercial qui ont été empêchés de sortir de l'immeuble à cet endroit. Le rapport de police a relevé à cet égard que pour éviter des mouvements de foule, il a été nécessaire de rediriger les clients vers les autres sorties et de séparer les manifestants des badauds à l'aide de rubalises afin d'éviter tout débordement de la part de clients mécontents. Les intimés ont toutefois structuré leur action de manière à laisser accessibles les autres portes du centre commercial, de sorte que les clients et passants ont pu entrer ou sortir moyennant un petit détour. La contrainte exercée par les intimés sur les passants n'est donc pas comparable au blocage complet de trois autoroutes qui avait causé des embouteillages et de longues files dans l'affaire Kudrevicius ou à l'opération escargot sur une autoroute qui avait duré cinq heures dans l'affaire Barraco, affaires dans lesquels la CourEDH avait considéré que le blocage de la circulation avait été au-delà des nuisances normales causées par une manifestation et justifiait en conséquence une condamnation pénale.
Au vu des circonstances, notamment de la possibilité d'emprunter d'autres entrées/sorties, l'obstruction de l'entrée principale du centre commercial qui était en lien direct avec le but de la manifestation ne saurait en conséquence constituer une perturbation sérieuse de la vie quotidienne et constituer un "acte répréhensible". La cour cantonale pouvait ainsi admettre que l'action des intimés était protégée par la liberté d'expression et de réunion et les libérer du chef de prévention de l'infraction de contrainte.
4.
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Il est statué sans frais (art. 66 al. 4 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et au Tribunal cantonal de l'État de Fribourg, Cour d'appel pénal.
Lausanne, le 18 octobre 2023
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Juge présidant : Denys
La Greffière : Kistler Vianin