7B_149/2022 24.10.2023
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_149/2022
Arrêt du 24 octobre 2023
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Koch, Hurni, Kölz et Hofmann,
Greffière : Mme Schwab Eggs.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Mathieu Jacquérioz, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
2. Office cantonal de la population et des migrations du canton de Genève, route de Chancy 88, 1213 Onex,
intimés.
Objet
Non-report de l'expulsion judiciaire (art. 66d CP),
recours contre l'arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 2 août 2022 (ACPR/516/2022 PS/22/2022).
Faits :
A.
Par décision du 31 mars 2022, l'Office cantonal de la population et des migrations de la République et Canton de Genève (ci-après: l'OCPM) a refusé de reporter l'expulsion judiciaire de A.________.
B.
Par arrêt du 2 août 2022, la Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et Canton de Genève (ci-après: la Chambre pénale) a rejeté le recours formé par A.________ contre cette décision.
Il en ressort notamment les faits suivants.
B.a. A.________, né en Gambie en 1999, a quitté ce pays en 2018 pour rejoindre l'Italie. Selon ses indications, il serait venu en Suisse la même année. Sa demande d'asile a été refusée. A.________ n'a ni femme ni enfant et sa famille se trouve en Gambie.
B.b. Par jugement du 28 mars 2022, le Tribunal de police de la République et Canton de Genève a déclaré A.________ coupable de dommages à la propriété, violation de domicile, vol, séjour illégal et contravention à la LStup. Il l'a condamné à une peine privative de liberté de quatre mois, sous déduction de huitante-cinq jours de détention avant jugement, et à une amende de 100 francs. Il a en outre ordonné son expulsion judiciaire du territoire suisse (art. 66a bis CP) pour une durée de trois ans.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 2 août 2022 de la Chambre pénale. Il conclut principalement à sa réforme en ce sens que le report de son expulsion judiciaire soit ordonné. A titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt attaqué et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision. Il sollicite en outre l'octroi de l'assistance judiciaire et de l'effet suspensif.
La Chambre pénale et le Ministère public de la République et Canton de Genève s'en remettent à justice sur la demande d'effet suspensif.
Par ordonnance du 28 septembre 2022, la Présidente de la Cour de droit pénal a admis la requête d'effet suspensif.
Le 28 juillet 2023, les parties ont été informées de la transmission du recours à la IIe Cour de droit pénal en raison de la réorganisation interne du Tribunal fédéral.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et contrôle librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 146 IV 185 consid. 2).
1.1.
1.1.1. Les décisions relatives à l'exécution d'une expulsion pénale, respectivement à son report, en vertu de l'art. 66d CP, sont susceptibles de faire l'objet d'un recours en matière pénale, dès lors qu'elles ont trait à l'exécution d'une mesure au sens de l'art. 78 al. 2 let. b LTF (ATF 147 IV 453 consid. 1.4.3; arrêts 6B_1392/2022 du 26 janvier 2023 consid. 2.1 et les références citées; 6B_884/2022 du 20 décembre 2022 consid. 1.1; 6B_1313/2019 du 29 novembre 2019 consid. 3.2).
1.1.2. Aux termes de l'art. 81 al. 1 LTF, a qualité pour former un recours en matière pénale quiconque a pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a) et a un intérêt juridique à l'annulation ou à la modification de la décision attaquée, soit en particulier l'accusé (let. b ch. 1).
1.1.3. En tant que le jugement ordonnant l'expulsion est entré en force, il ne peut plus être attaqué par un moyen juridictionnel ordinaire (force formelle) et ne peut plus être remis en discussion entre les mêmes parties (force matérielle); il en découle également des conséquences au plan procédural en ce qui concerne les possibilités de contester les mesures d'exécution de la décision entrée en force. Ainsi, même si les décisions sur l'exécution des peines et des mesures sont en principe sujettes au recours en matière pénale au sens de l'art. 78 al. 2 let. b LTF, ce recours n'est pas ouvert lorsque la décision d'exécution ne règle aucune question véritablement nouvelle, non prévue par la décision antérieure, qu'elle n'emporte aucune nouvelle atteinte à la situation juridique de l'intéressé, lorsque le jugement qui doit être exécuté n'a pas été rendu en violation d'un droit fondamental inaliénable et imprescriptible du recourant, s'il n'apparaît pas nul de plein droit ou enfin lorsque l'atteinte à un droit fondamental alléguée n'apparaît pas particulièrement grave. Le recours est alors irrecevable parce que la partie recourante ne démontre pas disposer d'un intérêt lui conférant la qualité pour recourir (cf. ATF 147 IV 453 consid. 1.4.3 et les références citées; arrêt 6B_1392/2022 du 26 janvier 2023 consid. 2.3).
Dès lors, dans la mesure où il incombe au recourant, en application de l'art. 42 al. 2 LTF (ATF 141 IV 1 consid. 1.1; 138 III 537 consid. 1.2), d'exposer précisément en quoi réside son intérêt au recours (cf. art. 81 al. 1 let. b LTF), il lui revient de rendre vraisemblable, dans le contexte d'une contestation concernant un refus de reporter l'expulsion, que des circonstances déterminantes se sont modifiées depuis le jugement ordonnant l'expulsion, que ces modifications sont concrètement susceptibles de conduire à une appréciation différente de la proportionnalité et que cela imposerait de renoncer à exécuter la mesure. A cet égard, compte tenu de l'ensemble des facteurs qui doivent être considérés, il ne suffit pas d'alléguer qu'une circonstance isolée se serait modifiée (ATF 147 IV 453 consid. 1.4.8 et les références citées; arrêts 6B_1392/2022 du 26 janvier 2023 consid. 2.3; 6B_711/2021 du 30 mars 2022 consid. 1.1).
1.2. En l'espèce, le recourant entend principalement se prévaloir de son orientation sexuelle, qui l'exposerait au risque de subir de mauvais traitements dans son pays d'origine et qui constituerait dès lors un obstacle à l'exécution de son expulsion.
1.2.1. Le jugement du 28 mars 2022 - entré en force - ordonnant l'expulsion du recourant présente la particularité de ne pas avoir été motivé, faute d'avoir fait l'objet d'une procédure d'appel. Il n'est donc pas possible de déterminer les circonstances sur lesquelles le juge de l'expulsion s'est fondé pour prononcer la mesure litigieuse, ni en particulier d'établir s'il a déjà été tenu compte de l'orientation sexuelle du recourant dont ce dernier se prévaut désormais. Quoi qu'il en soit, la Chambre pénale a relevé que le recourant mentionnait pour la première fois son homosexualité devant elle.
Il convient dès lors d'admettre, au stade de l'examen de la recevabilité, que le recourant rend vraisemblable une nouvelle circonstance potentiellement déterminante. Il justifie ainsi d'un intérêt actuel et concret à contester l'arrêt attaqué et dispose de la qualité pour recourir.
1.2.2. Pour le surplus, le recours a été formé en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et dans les formes requises (art. 42 LTF). Partant, il y a lieu d'entrer en matière sur le recours.
2.
Dans une première partie de son mémoire de recours, intitulée "Faits", le recourant présente une version personnelle des événements. Il s'écarte cependant des faits retenus par la Chambre pénale ou les complète, sans soutenir ni à plus forte raison démontrer que l'état de fait de l'arrêt attaqué serait manifestement inexact ou incomplet (cf. art. 97 al. 1 LTF). Son exposé est dès lors appellatoire et, partant, irrecevable (cf. art. 106 al. 2 LTF).
3.
Le recourant reproche à l'autorité cantonale d'avoir violé les art. 3 CEDH et 66d CP en refusant de reporter l'exécution de son expulsion en Gambie.
3.1.
3.1.1. Lorsque, comme en l'espèce, l'intéressé n'a pas le statut de réfugié, seule l'hypothèse de la lettre b de l'art. 66d al. 1 CP est applicable. Selon cette disposition, l'exécution de l'expulsion ne doit pas contrevenir aux "règles impératives du droit international".
A cet égard, l'art. 25 al. 3 Cst. dispose que nul ne peut être refoulé sur le territoire d'un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains. L'art. 3 par. 1 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (RS 0.105) prévoit qu'aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture. L'art. 3 CEDH dispose que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CourEDH), pour apprécier l'existence d'un risque réel de mauvais traitements au sens de l'art. 3 CEDH, il convient d'appliquer des critères rigoureux. Il s'agit de rechercher si, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé, si on le renvoie dans son pays, y courra un risque réel d'être soumis à un traitement contraire à l'art. 3 CEDH (arrêts de la CourEDH I.K. contre Suisse du 19 décembre 2017 [requête n° 21417/17] § 20 et 29; F.G. contre Suède du 23 mars 2016 [requête n° 43611/11] § 113; Saadi contre Italie du 28 février 2008 [requête n° 37201/06] § 125 et 128 et les références citées).
Pour tomber sous le coup de l'art. 3 CEDH, un mauvais traitement doit toutefois atteindre un minimum de gravité (arrêt CourEDH Saadi contre Italie précité § 134). L'appréciation de ce minimum dépend de l'ensemble des données de la cause (ATF 134 I 221 consid. 3.2.1). Si l'existence d'un tel risque est établie, l'expulsion, respectivement le refoulement de l'intéressé, emporterait nécessairement violation de l'art. 3 CEDH, que le risque émane d'une situation générale de violence, d'une caractéristique propre à l'intéressé ou d'une combinaison des deux (cf. arrêt de la CourEDH F.G. contre Suède précité § 116 et les références citées; voir aussi les arrêts 6B_122/2023 du 27 avril 2023 consid. 1.4.1; 6B_1392/2022 du 26 janvier 2023 consid. 3.1).
3.1.2. Celui qui invoque l'art. 3 CEDH pour s'opposer à son expulsion doit produire les éléments susceptibles de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un "risque réel" de se voir infliger des traitements contraires à cette disposition (arrêts de la CourEDH I.K. contre Suisse du 19 décembre 2017 [requête n° 21417/17], § 20; J.K. et autres contre Suède du 23 août 2016 [requête n° 59166/12], § 91 ss; cf. arrêt 6B_926/2022 du 8 juin 2023 consid. 2.4 et les références citées). Ainsi, la personne qui allègue appartenir à une catégorie de personnes qui se trouve systématiquement exposée à une pratique de mauvais traitements devra établir, d'une part, l'existence de raisons sérieuses de croire à la pratique en question et, d'autre part, son appartenance à la catégorie concernée (arrêt de la CourEDH I.K. contre Suisse précité, § 20 et 28 s.; Guide de la CourEDH, Droits des personnes LGBTI, mise à jour au 31 août 2022 [https://ks.echr.coe.int/fr/web/echr-ks/rights-of-lgbti-persons; cité ci-après: Guide CourEDH], n° 31).
Dans le contexte d'une demande d'asile motivée par l'orientation sexuelle, il peut être difficile d'établir précisément les faits pertinents (arrêt de la CourEDH I.K. contre Suisse précité, § 27 et la référence citée). Dans de tels cas, l'appréciation de la crédibilité doit être menée de manière individualisée et avec délicatesse (arrêt de la CourEDH I.K. contre Suisse précité, § 27 et les références citées; Guide CourEDH, op. cit., n° 34). Dans le cadre de cet examen, il y a notamment lieu de rechercher si le motif invoqué pour s'opposer à l'expulsion - en l'occurrence l'orientation sexuelle - a été invoqué en temps voulu. La CourEDH a ainsi considéré qu'était dénuée de crédibilité l'allégation d'une relation homosexuelle qui avait été formulée dans un second temps seulement, à savoir au moment du dépôt d'un recours contre une décision refusant l'octroi de l'asile, plus d'une année après l'arrivée dans le pays d'accueil (arrêt CourEDH M.N.K. contre Suède du 27 juin 2013 [requête n° 72413/10], § 43; cf. Guide CourEDH, op. cit., n° 36).
3.2. Le recourant reproche en substance à l'autorité cantonale d'avoir considéré que son renvoi dans son pays d'origine ne l'exposait pas à des risques concrets de mauvais traitements à cause de son homosexualité.
3.2.1. Dans son argumentation, le recourant part de la prémisse que la Chambre pénale aurait tenu son homosexualité pour établie. La Chambre pénale a certes indiqué que ce motif était désormais invoqué. Cette formulation ne permet cependant pas de retenir qu'elle aurait considéré comme prouvée l'orientation sexuelle avancée par le recourant. La Chambre pénale a au contraire relevé que l'homosexualité du recourant était soulevée pour la première fois devant elle, soit au stade du recours contre la décision d'exécution de l'expulsion. Elle a souligné que le recourant ne s'en était pas prévalu auparavant - que ce soit devant l'autorité de jugement qui avait prononcé la mesure ou celle de l'exécution - et s'était contenté de faire état d'une préférence pour un renvoi en Italie plutôt qu'en Gambie. La Chambre pénale a en outre usé de l'épithète "allégué" pour qualifier l'homosexualité dont se prévalait le recourant. Au vu de ces éléments, il ne ressort pas de l'arrêt querellé que la Chambre pénale aurait considéré comme établie l'homosexualité dont se prévalait le recourant. On comprend tout au contraire qu'elle a estimé que le motif invoqué par le recourant à l'appui de son opposition à l'expulsion n'était pas établi; elle a cependant examiné à titre subsidiaire les risques encourus par le recourant en cas de renvoi dans son pays d'origine dans l'hypothèse où son homosexualité aurait été avérée.
3.2.2. En l'espèce, en soutenant que son homosexualité serait établie, le recourant se fonde sur une appréciation personnelle de la situation, dans une démarche strictement appellatoire, partant irrecevable. Autrement dit, il ne parvient pas à démontrer - ni même ne tente de démontrer - que l'appréciation de l'autorité précédente aurait été arbitraire sur ce point (cf. art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF).
En tout état, sur la base des éléments relevés par la Chambre pénale (cf. consid. 3.2.1 supra), il n'était pas manifestement insoutenable de retenir que l'homosexualité du recourant n'était pas établie. En effet, le recourant a invoqué son homosexualité pour la première fois le 11 avril 2022, à l'occasion de son recours contre la décision d'exécution de son expulsion, comme motif qui l'exposerait à des risques de mauvais traitements dans son pays d'origine. Or il n'a indiqué à aucun moment que son orientation sexuelle aurait sous-tendu sa demande d'asile en 2018, ni qu'il l'aurait invoquée en vain dans le cadre de la procédure pénale introduite à son endroit, voire devant l'autorité d'exécution. Il n'a pas non plus fait état de motifs qui l'auraient empêché de soulever plus tôt cet élément, pourtant décisif dans l'examen des critères de non-refoulement. Ainsi, près de quatre années se sont écoulées depuis l'arrivée du recourant en Suisse sans qu'il soulève ce motif, alors qu'il a été confronté durant cette période à plusieurs procédures - d'asile et de droit pénal. Dans ces circonstances, l'allégation de son homosexualité au stade du recours contre la décision d'exécution de son expulsion seulement apparaît dénuée de crédibilité; la tardiveté de cette invocation empêche de tenir ce motif pour prouvé (cf. consid. 3.1.2 supra). A cet égard, la simple déclaration à la police de l'homme ayant hébergé le recourant, selon laquelle il aurait été son "petit ami la dernière semaine" durant laquelle ils avaient été ensemble, n'est pas suffisante pour remettre en cause cette appréciation.
3.2.3. Dans la mesure où l'homosexualité alléguée par le recourant n'est pas établie - sans que celui-ci démontre l'arbitraire de cette conclusion -, il n'y a pas lieu d'examiner plus avant les dangers auxquels seraient exposées les personnes homosexuelles en Gambie dont le recourant se prévaut. Pour le surplus, le recourant n'invoque pas d'autres motifs lui permettant de s'opposer à son expulsion.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté.
Comme il était dénué de chances de succès, la demande d'assistance judiciaire doit être rejetée (art. 64 al. 1 LTF). Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires, dont le montant sera fixé en tenant compte de sa situation financière, laquelle n'apparaît pas favorable (art. 65 al. 2 et 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Les frais judiciaires, arrêtés à 1'200 fr., sont mis à la charge du recourant.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours.
Lausanne, le 24 octobre 2023
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
La Greffière : Schwab Eggs