5A_94/2024 12.08.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
5A_94/2024
Arrêt du 12 août 2024
IIe Cour de droit civil
Composition
MM. et Mme les Juges fédéraux Herrmann, Président,
von Werdt, Bovey, Hartmann et De Rossa.
Greffier : M. Piccinin.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Silvia Tevini Du Pasquier, avocate,
recourant,
contre
B.________,
représentée par Mes Kaspar Schudel et Katia Favre, avocats,
intimée.
Objet
exequatur d'un jugement étranger,
recours contre l'arrêt de la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève du 21 décembre 2023 (C/15325/2023, ACJC/1729/2023).
Faits :
A.
A.a. Par " decreto ingiuntivo telematico provvisoriamente esecutivo " du 15 mai 2019 (ci-après: " decreto ingiuntivo "), rendu dans la procédure 2714/2019 R.G. n. 7008/2019 et déclaré immédiatement exécutoire, le Tribunal de Bologne (Italie) a condamné A.________ à payer 16'713'196,81 euros à C.________, devenue par la suite D.________.
A.b. Par décision du 28 juin 2021, le Tribunal de Bologne a rejeté l'opposition formée par A.________ contre le " decreto ingiuntivo " et l'a confirmé (procédure 1546/2021 R.G. n. 12731/2019).
Il ressort de l'attestation délivrée par le tribunal précité le 26 juin 2023 en application de l'art. 54 CL que ce décret est exécutoire en Italie. Il en va de même de la décision sur opposition du 28 juin 2021 conformément à l'attestation du 4 juillet 2023 déposée à l'appui de la requête de séquestre (art. 105 al. 2 LTF).
A.c. Le 11 novembre 2021, A.________ a formé appel de la décision du Tribunal de Bologne du 28 juin 2021. Cette procédure est toujours pendante.
A.d. Le 30 décembre 2021, D.________ a cédé à B.________ sa créance de 16'713'196,81 euros à l'encontre de A.________.
B.
B.a. Par requête datée du 21 juillet 2023 et reçue par le greffe le 24 suivant, B.________ a conclu à ce que le Tribunal de première instance du canton de Genève (ci-après: Tribunal) ordonne le séquestre des avoirs de A.________ auprès de E.________ AG, à U.________, à concurrence de 16'118'207 fr. 01, correspondant à 16'713'196,81 euros, et déclare exécutoire en Suisse le " decreto ingiuntivo " du Tribunal de Bologne du 15 mai 2019.
B.b. Par ordonnance du 3 août 2023, le séquestre requis a été accordé.
B.c. Par ordonnance du même jour, le Tribunal a déclaré exécutoire en Suisse le " decreto ingiuntivo " du Tribunal de Bologne du 15 mai 2019.
B.d. Le 6 septembre 2023, A.________ a formé recours contre cette dernière ordonnance, concluant à ce que la Cour de justice du canton de Genève (ci-après: Cour de justice) l'annule, dise que le " decreto ingiuntivo " n'est ni reconnaissable, ni exécutable en Suisse et révoque le séquestre.
B.e. Par arrêt du 21 décembre 2023, expédié le 8 janvier 2024, la Cour de justice a rejeté le recours.
C.
Par acte posté le 7 février 2024, A.________ exerce un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 21 décembre 2023. Il conclut principalement à son annulation et à sa réforme dans le sens des conclusions de son recours cantonal. Subsidiairement, il sollicite, après annulation de l'ordonnance du 3 août 2023 et constat que le " decreto ingiuntivo " n'est ni reconnaissable, ni exécutable en Suisse, que la cause soit renvoyée à la Cour de justice ou au Tribunal pour révocation " [du] ou [d]es séquestre (s) ordonné (s) " (sic).
La Cour de justice se réfère aux considérants de son arrêt.
L'intimée conclut au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité.
Les parties ont chacune exercé leur droit à la réplique.
Considérant en droit :
1.
Le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF) et en la forme prévue par la loi (art. 42 al. 1 LTF), contre une décision finale (art. 90 LTF) prise en application de normes de droit public dans une matière connexe au droit civil (art. 72 al. 2 let. b ch. 1 LTF; arrêt 5A_999/2022 du 20 février 2024 consid. 1 et la référence), par un tribunal cantonal supérieur statuant en dernière instance et sur recours (art. 75 al. 1 et 2 LTF), dans un litige de nature pécuniaire dont la valeur litigieuse requise est manifestement atteinte (art. 74 al. 1 let. b LTF). Le recourant a en outre qualité pour recourir (art. 76 al. 1 let. a et b LTF). Le recours en matière civile est ainsi en principe recevable au regard des dispositions qui précèdent.
2.
2.1. Lorsque le litige porte sur la reconnaissance ou l'exequatur d'un acte étranger, la cognition du Tribunal fédéral n'est pas limitée à la violation des droits constitutionnels, quelle que soit la nature - provisionnelle ou non - de l'acte en discussion (ATF 143 III 51 consid. 2.3; 135 III 670 consid. 1.3.2). Il s'ensuit que la partie recourante peut invoquer tous les motifs de recours prévus aux art. 95 et 96 LTF. Le litige étant de nature pécuniaire, le Tribunal fédéral ne peut toutefois revoir l'application du droit étranger que sous l'angle restreint de l'arbitraire (ATF 143 III 51 consid. 2.3; 138 III 489 consid. 4.3 et les références; arrêt 5A_999/2022 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Cela étant, compte tenu de l'obligation de motiver qui incombe au recourant en vertu de l'art. 42 al. 1 et 2 LTF, il n'examine pas toutes les questions juridiques qui peuvent se poser, mais seulement celles qui sont soulevées devant lui (ATF 142 III 364 consid. 2.4 et les références). L'art. 42 al. 2 LTF exige par ailleurs que le recourant discute les motifs de la décision entreprise et indique précisément en quoi il estime que l'autorité précédente a méconnu le droit (ATF 142 I 99 consid. 1.7.1; 142 III 364 consid. 2.4 et la référence). Lorsqu'une décision attaquée se fonde sur plusieurs motivations indépendantes, alternatives ou subsidiaires, toutes suffisantes pour sceller le sort de la cause, la partie recourante doit, sous peine d'irrecevabilité, démontrer que chacune d'entre elles est contraire au droit en se conformant aux exigences de motivation requises (ATF 142 III 364 consid. 2.4; 138 III 728 consid. 3.4; 136 III 534 consid. 2). En outre, le Tribunal fédéral ne connaît de la violation des droits fondamentaux que si de tels griefs ont été invoqués et motivés par le recourant ("principe d'allégation"; art. 106 al. 2 LTF), c'est-à-dire s'ils ont été expressément soulevés et exposés de façon claire et détaillée (ATF 146 IV 114 consid. 2.1; 144 II 313 consid. 5.1; 142 II 369 consid. 2.1).
2.2. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ceux-ci ont été constatés de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF). Le recourant qui soutient que les faits ont été établis d'une manière manifestement inexacte, c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 148 IV 39 consid. 2.3.5; 147 I 73 consid. 2.2), doit satisfaire au principe d'allégation susmentionné (art. 106 al. 2 LTF; cf. supra consid. 2.1). Une critique des faits qui ne satisfait pas à cette exigence est irrecevable (ATF 147 IV 73 consid. 4.1.2). Lorsque, comme dans le cas particulier, l'autorité précédente était saisie d'un recours, de sorte que son pouvoir d'examen était limité à l'arbitraire s'agissant des faits retenus par le premier juge (art. 320 let. b CPC), le Tribunal fédéral contrôle librement la manière dont elle a fait usage de sa cognition limitée, en recherchant, dans le cadre des griefs qui lui sont présentés, si elle a nié - ou admis - à tort l'arbitraire de l'appréciation en fait opérée par le premier juge (interdiction de l'" arbitraire au carré "; ATF 116 III 70 consid. 2b; 112 I 350 consid. 1; arrêt 5A_999/2022 précité consid. 2.2 et les autres références).
3.
La Cour de justice a jugé que, contrairement à ce que faisait valoir le recourant, le " decreto ingiuntivo " du 15 mai 2019 constituait bien une décision au sens de l'art. 32 CL, susceptible d'être reconnue en Suisse, car le recourant avait pu exercer, après son prononcé, son droit d'être entendu dans le cadre d'une procédure contradictoire. À l'issue de cette procédure, le " decreto ingiuntivo " avait été confirmé par décision du Tribunal de Bologne du 28 juin 2021. Cette instruction contradictoire avait eu lieu avant le dépôt de la requête de reconnaissance et d'exequatur par l'intimée, intervenu le 23 juillet 2023. Toutes les conditions posées par la loi et la jurisprudence pour retenir que la décision litigieuse est bien une décision au sens de l'art. 32 CL et qu'elle est susceptible de reconnaissance et d'exequatur en Suisse étaient donc réalisées. Le recourant ne soulevant par ailleurs pas d'autre grief à l'encontre du raisonnement du Tribunal, la Cour de justice en a conclu que l'ordonnance querellée devait être confirmée.
4.
Le recourant se plaint d'un déni de justice formel (art. 29 al. 2 Cst.), d'une constatation manifestement inexacte des faits, d'arbitraire (art. 9 Cst.), ainsi que d'une violation des art. 32 et 38 ch. 1 CL.
Il reproche en substance à la Cour de justice d'avoir omis de constater que la décision en cause, selon son texte et comme admis par les parties, avait été prononcée au sens de l'art. 642 CPCit. et de n'avoir pris en considération que les " decreti ingiuntivi " considérés comme des décisions au sens de l'art. 32 CL, car ils deviennent exécutoires suite à une procédure contradictoire ou parce que le débiteur a renoncé à une telle procédure (art. 647, 648, 653 ss CPCit.). Or seule une décision prononcée en procédure contradictoire ( inter partes) peut constituer une décision au sens de l'art. 32 CL. Sur la base de l'arrêt de la CJCE Hengst Import BV, le Tribunal fédéral considère en effet indispensable (condition) l'activation du contradictoire avant que la mesure devienne exécutoire dans l'État d'origine (ATF 139 III 232 consid. 2.1 et 2.3). Par définition, tel n'est pas le cas du " decreto ingiuntivo " de l'art. 642 CPCit., qui est exécutoire dès son prononcé. Le " decreto ingiuntivo " en cause n'est dès lors pas une décision au sens de l'art. 32 CL; il n'est, partant, ni reconnaissable ni exécutable en Suisse. C'est ce que le Tribunal fédéral avait du reste jugé dans un arrêt 5A_752/2014 du 21 août 2015, auquel il convient, selon le recourant, de se référer en son entier, état de fait compris, au vu de la similitude avec le cas d'espèce. Le recourant relève en outre que la procédure contradictoire au fond (" opposition ") n'a pas d'effet guérisseur. En effet, comme cela ressort de l'arrêt 5A_752/2014 et contrairement à ce qu'a retenu la Cour de justice, peu importe que le débiteur ait pu, après le prononcé du " decreto ingiuntivo ", exercer son droit d'être entendu dans le cadre d'une procédure contradictoire. L'issue de cette procédure, soit, en l'occurrence que l'opposition a été rejetée, n'a pas plus de pertinence. Peu importe également que le " decreto ingiuntivo " en cause soit muni d'un certificat constatant sa force exécutoire en Italie. Le recourant relève enfin que ces arguments avaient été développés dans son recours cantonal, avec citation in extenso de considérants de l'ATF 139 III 232, de l'arrêt 5A_752/2014, ainsi que de la doctrine qui approuvait cette jurisprudence. Or la Cour de justice n'en avait pas tenu compte, ayant omis toute référence à l'art. 642 CPCit. et n'ayant, par conséquent, pas abordé la question qui lui était soumise. Elle avait ainsi ignoré intégralement la jurisprudence en matière de " decreto ingiuntivo " au sens de l'art. 642 CPCit., pourtant alléguée devant elle, et avait, ce faisant, violé le droit d'être entendu et décidé sans raison - ou de manière arbitraire - contrairement à la jurisprudence suisse, des pays voisins et à l'opinion de la doctrine suisse et étrangère.
5.
La question qui se pose est de savoir si le " decreto ingiuntivo " du 15 mai 2019 rendu sur la base de l'art. 642 du Code de procédure civile italien (ci-après: CPCit.) est une décision au sens de l'art. 32 CL et donc susceptible d'être reconnu et déclaré exécutoire en Suisse.
5.1.
5.1.1. La Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano, CL - RS 0.275.12) instaure, à ses art. 38 à 56, une procédure permettant la mise en exécution dans un État lié par la convention des décisions rendues dans un autre État également lié par elle. Selon l'art. 38 ch. 1 CL, les décisions rendues dans un État lié par la convention et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État lié par ladite convention après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée. Le caractère exécutoire dans l'État d'origine peut découler directement de la loi, de la décision elle-même, ou d'une attestation postérieure au jugement (ATF 127 III 186 consid. 4a; arrêt 5A_104/2019 du 13 décembre 2019 consid. 5.3.1 et les autres références, in FamPra.ch 2020 p. 456).
Les décisions rendues dans un État partie à la CL et qui sont exécutoires dans cet État sont reconnues et déclarées exécutoires en Suisse (art. 33 al. 1 et 38 ch. 1 CL) dans la mesure où elles entrent dans le champ d'application de la convention (art. 1 CL; ATF 146 III 157 consid. 6.2).
5.1.2. Selon l'art. 32 CL, aux fins de la convention, on entend par " décision " toute décision rendue par une juridiction d'un État lié par la convention, quelle que soit la dénomination qui lui est donnée, telle qu'arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d'exécution, ainsi que la fixation par le greffier du montant des frais du procès. En principe, des mesures conservatoires constituent également des décisions au sens de l'art. 32 CL (cf. ATF 143 III 693 consid. 3.1). En vertu de la convention, des mesures provisoires ordonnées sans que la partie contre lesquelles elles sont prononcées ait été citée à comparaître, et destinées à être exécutées sans lui avoir été préalablement notifiées, ne peuvent être ni reconnues, ni exécutées en vertu de la convention (arrêt 5A_460/2021 du 5 août 2021 consid. 2.1 et les références, in SJ 2021 I p. 429; cf. ég. WALTHER, in Stämpfli Kommentar, LugÜ, 3ème éd. 2021, n° 22 ad art. 32 CL). Il en va de même des mesures conservatoires, comme un séquestre ou une saisie, qui n'ont pas pu être précédées d'une instruction contradictoire dans l'État d'origine au moment où leur reconnaissance et leur caractère exécutoire sont sollicités dans l'État requis (cf. ég. art. 34 ch. 2 CL; arrêt 5A_460/2021 précité consid. 2.1 et les références). Le droit d'être entendu de la partie contre laquelle la mesure provisionnelle est dirigée doit en effet être respecté. Pour que la décision rendue dans l'État d'origine puisse bénéficier du mécanisme simplifié de reconnaissance et d'exécution, le Tribunal fédéral exige ainsi, en se fondant sur la décision de la CJCE du 13 juillet 1995 Hengst Import BV (affaire C-474/93, Rec. 1995 I-2113, points 14, 19 et 20), que, si la procédure initiale a été unilatérale, la décision rendue dans l'État d'origine ait fait ou ait été susceptible de faire l'objet d'une instruction contradictoire dans l'État d'origine avant que soit demandée la reconnaissance ou l'exécution dans l'État requis (ATF 139 III 232 consid. 2.3; arrêts 5A_711/2018 du 9 janvier 2019 consid. 6.3.1, in RSPC 2019 no 2216 p. 174; 5A_752/2014 du 21 août 2015 consid. 2.4.1 et les références; arrêt de la Chambre des poursuites et faillites du Tribunal d'appel du canton du Tessin 14.2019.125 du 20 novembre 2019 consid. 5.1/a, in RtiD 2020 II no 37c p. 927; FAVALLI / AUGSBURGER / CRIFASI-KÄSER, in Basler Kommentar, LugÜ, 3ème éd. 2024, n° 211 ad art. 31 CL et les références; SCHULER/ROHN/MARUGG, in Basler Kommentar, LugÜ, 3ème éd. 2024, n° 30 ad art. 32 CL et les références).
5.1.3. Le " procedimento d'ingiunzione " italien (art. 633 ss CPCit.; procédure d'injonction de payer) est une procédure sommaire permettant au créancier, sur la base d'une requête non communiquée initialement à la partie adverse, d'obtenir un titre exécutoire à l'encontre du débiteur. Tout créancier d'une somme d'argent liquide et exigible (ou bien tout créancier d'une certaine quantité de choses de genre ou fongibles, ou d'un bien meuble déterminé) peut obtenir sur-le-champ un " decreto ingiuntivo " (injonction de payer), pourvu qu'il apporte la preuve écrite de son droit (OBERTO, La gestion de l'urgence dans le procès civil italien, in Revue internationale de droit comparé 2001, p. 715).
En vertu de l'art. 643 al. 2 CPCit., une copie du " decreto ingiuntivo " et de la requête sont signifiées au débiteur. À partir de cette signification, celui-ci peut former opposition jusqu'à l'expiration du délai qui lui a été imparti, conformément à l'art. 641 CPCit., pour s'exécuter volontairement. L'injonction de payer n'est en principe pas exécutoire par elle-même; une autorisation du juge donnée après l'expiration du délai d'opposition, à la requête du créancier, est nécessaire à cette fin. Est réservée l'application de l'art. 642 CPCit., qui permet au juge de rendre l'injonction de payer immédiatement exécutoire, à savoir dès son prononcé. Si le débiteur fait opposition dans le délai imparti, la procédure devient contradictoire (art. 645 CPCit.). Faute d'opposition, le juge déclare l'injonction de payer exécutoire à la requête du créancier. Il doit toutefois ordonner au préalable une nouvelle signification lorsqu'il est vraisemblable que le débiteur n'en a pas eu connaissance (art. 647 CPCit.). En l'absence d'opposition du débiteur, l'injonction de payer vaut jugement rendu en contradictoire (ATF 135 III 623 consid. 2.1; sur le tout, cf. KILLIAS/LIENHARD, in DIKE Kommentar, LugÜ, 2ème éd. 2023, n° 39 ad art. 22 ch. 5 CL; TUNIK, L'exécution en Suisse de mesures provisionnelles étrangères: un état des lieux de la pratique, SJ 2005 II p. 299; OBERTO, op. cit., p. 714 s.).
En principe, l'art. 32 CL comprend également le " decreto ingiuntivo ", une fois déclaré exécutoire, dans la mesure où, avant cette déclaration, le débiteur a pu former opposition et transformer l'instance en une procédure contentieuse ordinaire (ATF 135 III 623 consid. 2.1; arrêts 5A_177/2018 du 28 novembre 2018 consid. 3.2.2; 5A_752/2014 précité consid. 2.4.1; 5A_48/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2.1.2, résumé in PJA 2012 p. 1620; 4A_145/2010 du 5 octobre 2010 consid. 4.1 et 4.2, in RtiD 2011 I no 62c p. 783; cf. ég. MARKUS, Schweizer Zahlungsbefehl als verfahrenseinleitender Mahntitel nach LugÜ, EuGH vom 30. März 2023, PT/VB, Rs. C-343/22, in PCEF 2023 p. 421 s.).
En revanche, le Tribunal fédéral a jugé que si le " decreto ingiuntivo " est déclaré immédiatement exécutoire dès son prononcé (art. 642 CPCit.), soit avant l'échéance du délai prévu par l'art. 641 CPCit. pour former opposition, il ne constitue pas une décision au sens de l'art. 32 CL pouvant être reconnue et exécutée en Suisse (ATF 139 III 232 consid. 2.3; arrêt 5A_752/2014 précité consid. 2.4.5; WALTHER, op. cit., n° 22 ad art. 32 CL; DOMEJ/OBERHAMMER, in DIKE Kommentar, LugÜ, 2ème éd. 2023, n° 14 ad art. 32 CL; SCHULER/ROHN/MARUGG, op. cit., n° 36 ad art. 34 CL; STOFFEL, in Basler Kommentar, SchKG II, 3ème éd. 2021, n° 131 ad art. 271 LP).
5.2. En l'espèce, l'intimée ne conteste pas que le " decreto ingiuntivo " litigieux a été prononcé ex parte et déclaré immédiatement exécutoire sur la base de l'art. 642 CPCit. Cela ressort au demeurant expressément de la teneur même de ladite décision figurant au dossier. Il n'est pas non plus contesté que, selon la jurisprudence, une telle injonction n'est pas une décision au sens de l'art. 32 CL puisqu'elle accorde l'exécution provisoire avant audition des parties au stade de l'examen de la demande, c'est-à-dire sans débat contradictoire. Il ne suffit pas que le débiteur ait pu ensuite former une opposition, même assortie d'une demande de suspension de l'exécution provisoire au sens de l'art. 649 CPCit. L'exercice d'une telle possibilité n'est en effet pas en lui-même suspensif d'exécution et son admission est subordonnée à la démonstration de " motifs sérieux " ( gravi motivi; cf. arrêt 5A_752/2014 précité consid. 2.4.5; cf. aussi arrêt de la Chambre des poursuites et faillites du Tribunal d'appel du canton du Tessin 14.2021.62 du 15 octobre 2021 consid. 4 i.f.). Le débiteur ne voit donc pas son droit d'être entendu pleinement garanti avant l'exécution de l'injonction de payer (arrêts de la Chambre des poursuites et faillites du Tribunal d'appel du canton du Tessin 14.2021.62 précité consid. 5.1 et 8 et 14.2019.125 précité consid. 5.1/b).
Cela étant, quoi qu'en dise le recourant, le Tribunal fédéral n'a pas encore été confronté à l'hypothèse où, comme en l'espèce, la requête de reconnaissance et d'exequatur du " decreto ingiuntivo " prononcé sur la base de l'art. 642 CPCit. a été déposée en Suisse après que la décision sur opposition au sens de l'art. 653 CPCit. a été rendue en Italie et notifiée au débiteur. En effet, comme le soutient à raison l'intimée, dans l'affaire ayant donné lieu à l'ATF 139 III 232, la débitrice n'avait pas formé opposition et, partant, aucune procédure contradictoire n'avait été menée en Italie. Quant aux faits de l'arrêt 5A_752/2014, il en résulte que, si une procédure en opposition avait bien été engagée, la décision sur opposition n'avait pas encore été rendue au moment où la reconnaissance et l'exequatur du " decreto ingiuntivo " fondé sur l'art. 642 CPCit. avaient été requis en Suisse.
Or, ainsi que l'a jugé la Chambre des poursuites et faillites du Tribunal d'appel du canton du Tessin (arrêt 14.2019.125 précité consid. 5.1/c et 5.2), il y a lieu d'admettre que le "decreto ingiuntivo" prononcé sur la base de l'art. 642 CPCit. peut être reconnu et déclaré exécutoire en Suisse si la décision sur opposition le confirmant a été rendue et dûment notifiée au débiteur avant le dépôt de la requête de reconnaissance et d'exequatur. En effet si l'opposition a été rejetée, l'injonction de payer devient définitivement exécutoire et a le même effet que la décision par laquelle le juge accorde l'exécution provisoire à l'occasion de l'opposition formée (art. 648 CPCit.), après que le débiteur a pu pleinement exercer son droit d'être entendu et faire valoir ses moyens de défense.
Ainsi, comme l'intimée le soutient à raison, ce qui est en l'espèce déterminant, c'est que la décision sur opposition confirmant le " decreto ingiuntivo " prononcé sur la base de l'art. 642 CPCit. ait été rendue et notifiée à l'issue d'une procédure contradictoire lors de laquelle le débiteur aura pu exercer son droit d'être entendu avant que la requête de reconnaissance et d'exequatur de cette injonction ait été déposée en Suisse. Or, tel est bien le cas en l'espèce. Le recourant a formé une opposition (art. 645 CPCit.) contre le " decreto ingiuntivo " litigieux auprès du Tribunal de Bologne et celui-ci a rendu sa décision le 22 juin 2021 (publiée le 28 juin 2021), rejetant l'opposition et confirmant ledit " decreto ingiuntivo ". Il n'est pas contesté que cette décision est exécutoire en Italie comme le spécifie l'attestation du 4 juillet 2023 déposée à l'appui de la requête de séquestre, le recourant ne contestant au demeurant pas que l'appel qu'il a formé contre la décision sur opposition est dénué d'effet suspensif (cf. art. 283 et 351 CPCit.). La requête de reconnaissance et d'exequatur a, quant à elle, été déposée en Suisse le 21 juillet 2023, soit à un moment où la décision confirmant le " decreto ingiuntivo " litigieux avait déjà été rendue et notifiée au terme d'une procédure contradictoire lors de laquelle le recourant a pu exercer pleinement son droit d'être entendu. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le " decreto ingiuntivo " en cause est une décision au sens de l'art. 32 CL, susceptible d'être reconnue et déclarée exécutoire en Suisse. Le raisonnement de la Cour de justice ne prête donc pas le flanc à la critique et doit être intégralement confirmé.
Les développements qui précèdent rendent sans objet les critiques que le recourant entend tirer d'un établissement arbitraire des faits ou d'un déni de justice formel, respectivement d'une violation de son droit d'être entendu, étant rappelé que les vices dénoncés doivent avoir une incidence sur le sort de la cause (cf. parmi plusieurs: arrêt 5A_959/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2 et les références [droit d'être entendu]; ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 [établissement arbitraire des faits]).
6.
En définitive, le recours est rejeté. Les frais judiciaires et les dépens de la procédure fédérale seront mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 66 al. 1 et art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 15'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le recourant versera à l'intimée une indemnité de 20'000 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Chambre civile de la Cour de justice du canton de Genève.
Lausanne, le 12 août 2024
Au nom de la IIe Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Herrmann
Le Greffier : Piccinin