7B_443/2024 26.07.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
7B_443/2024
Arrêt du 26 juillet 2024
IIe Cour de droit pénal
Composition
MM. les Juges fédéraux Abrecht, Président,
Kölz et Hofmann.
Greffier : M. Tinguely.
Participants à la procédure
A.________, représenté par Me Nicola Meier, avocat,
recourant,
contre
1. B.________, experte,
2. C.________, expert,
3. D.________, expert,
4. Mélanie Wyss, anciennement Procureure, p.a. Tribunal civil, rue de l'Athénée 6-8, 1205 Genève,
intimés.
Objet
Récusation,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, du 28 février 2024 (ACPR/148/2024 - PS/117/2023).
Faits :
A.
A.a. Le Ministère public de la République et canton de Genève a dirigé une instruction pénale contre A.________ notamment en raison des chefs de prévention d'abus de confiance (art. 138 ch. 1 al. 2 CP), d'escroquerie par métier (art. 146 al. 1 et 2 CP), de gestion fautive (art. 165 al. 1 CP), de détournement de valeurs patrimoniales mises sous main de justice (art. 169 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP).
Dans ce cadre, dès le 18 janvier 2016, A.________ a produit des certificats médicaux destinés à attester, outre d'une incapacité de travail, du fait qu'il devait, pour des raisons médicales, éviter autant que possible toute forme de tension, de stress ou d'anxiété susceptible d'influer négativement sur son système cardio-vasculaire.
A.b. Les problèmes de santé rencontrés par A.________, en particulier sur le plan cardiaque, ayant persisté dans la suite de la procédure, il s'est posé la question de sa capacité à prendre part à d'éventuels débats. Dès lors, les 9 et 22 juin 2020, la Procureure Mélanie Wyss, alors en charge de la direction de la procédure, a désigné à titre d'experts la Prof. B.________, assistée du Dr D.________, ainsi que le Prof. C.________ (ci-après également: les experts), avec pour mission:
"- [de] prendre connaissance de la procédure, [de] s'entourer de tous renseignements utiles, [de] prendre connaissance du dossier médical du/des médecins traitants du prévenu;
- [d']examiner A.________ et [de] décrire son état physique;
- [d']établir un rapport dont les conclusions doivent répondre à la question suivante: l'examen du prévenu met-il en évidence un trouble physique qui a pour conséquence de l'empêcher de prendre part aux débats dans la présente procédure? Si oui, pour quelle durée et dans quelle mesure (incapacité de compréhension, d'expression et/ou de déplacement) ?"
A.c. Dans leur rapport du 30 avril 2021, les experts sont parvenus à la conclusion qu'il n'existait alors pas de trouble physique empêchant A.________ de prendre part aux débats. Ils s'étaient à cet égard fondés sur l'étude du dossier pénal transmis par le Ministère public et sur les documents médicaux remis par A.________ le 28 janvier 2021, étant précisé que ce dernier avait, selon les experts, refusé de se présenter à l'examen médical prévu le 8 décembre 2020 et n'avait pas délié ses médecins traitants du secret médical.
Par courrier du 30 juillet 2021 adressé au Ministère public, A.________, se déterminant sur le rapport d'expertise, a contesté avoir refusé de se présenter à la convocation des experts le 8 décembre 2020. Il a expliqué les avoir informés qu'au regard de son "profil de risque extrêmement élevé au Covid-19", il n'était pas en mesure de se rendre durant une journée entière à l'Hôpital X.________ pour les examens sollicités. S'étant toutefois fait vacciner dans l'intervalle, il a demandé à être convoqué une nouvelle fois par les experts en vue d'un examen actualisé de son état de santé.
A.d. Après que, par avis de prochaine clôture du 23 décembre 2021, le Ministère public avait informé les parties qu'il entendait rédiger un acte d'accusation contre A.________, ce dernier a sollicité, à titre de réquisition de preuves, principalement la mise en oeuvre d'un complément d'expertise ainsi que, subsidiairement, l'audition des experts.
Le 15 décembre 2022, le Ministère public a rejeté ces réquisitions de preuve. Par acte d'accusation du même jour, adressé au Tribunal de police, il a en outre renvoyé A.________ en jugement à raison des infractions évoquées ci-avant (let. A.a supra).
A.e. Le 30 octobre 2023, le Tribunal de police a tenu son audience de jugement, à laquelle A.________ n'a pas comparu. Le défenseur de ce dernier, qui était pour sa part présent, a réitéré ses réquisitions de preuve, produisant un certificat médical émanant du cardiologue de son client, aux termes duquel ce dernier devait en l'état éviter "les situations engendrant un stress important ou une contrariété, notamment celles pouvant être engendrées par une audience en présentiel au tribunal".
Entendus par le Tribunal de police, les experts ont confirmé leur rapport d'expertise. Lors de leur audition, ils ont notamment fait état d'un appel téléphonique entre eux et la Procureure Mélanie Wyss, qui n'était pas mentionné dans leur rapport et lors duquel la Procureure avait acquiescé à leur proposition d'effectuer leur expertise sur la base du seul dossier médical. Cet appel remontait à une date comprise entre le 16 et le 18 février 2021. Évoquant également l'existence de courriels qui avaient été échangés avec la Procureure au sujet des options à envisager à la suite de l'absence de A.________ à la consultation prévue le 8 décembre 2020, ils se sont toutefois opposés à la production de ces courriels, qui ne faisaient selon eux pas partie du dossier.
B.
B.a. Le 30 octobre 2023 également, à l'issue de l'audition des experts, le défenseur de A.________ a requis, au nom de ce dernier, la récusation de la Procureure Mélanie Wyss ainsi que celle des experts, avec effet au 16 février 2021.
Par avis du 2 novembre 2023, le Président du Tribunal de police a transmis la requête de récusation à la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise, comme objet de sa compétence.
B.b. Par arrêt du 28 février 2024, la Chambre pénale de recours a déclaré la requête de récusation irrecevable.
C.
A.________ interjette un recours en matière pénale au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 28 février 2024. Il conclut principalement à sa réforme en ce sens que la demande de récusation soit déclarée recevable et que, cela fait, il soit prononcé, avec effet au 16 février 2021, la récusation de la Procureure Mélanie Wyss ainsi que celle des experts Prof. B.________, Prof. C.________ et Dr D.________, l'intégralité des actes de procédure auxquels ces quatre personnes ont participé devant être annulés. À titre subsidiaire, il conclut à l'annulation de l'arrêt du 28 février 2024 et au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.
Invités à se déterminer, la Procureure Mélanie Wyss et les experts concluent en substance au rejet du recours. La Chambre pénale de recours ne formule pas d'observations.
Lors d'ultimes déterminations, A.________ persiste dans ses conclusions.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral vérifie d'office sa compétence (art. 29 al. 1 LTF) et examine librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 149 IV 9 consid. 2).
1.1. La décision attaquée - rendue par une autorité statuant en tant qu'instance cantonale unique (cf. art 80 al. 2 LTF) - constitue une décision incidente notifiée séparément. Elle porte sur une demande de récusation déposée dans le cadre d'une procédure pénale. Elle peut donc en principe faire l'objet d'un recours immédiat en matière pénale au Tribunal fédéral (cf. art. 78 ss et 92 LTF).
1.2. Pour le surplus, le recours a été interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 LTF), de sorte qu'il y a lieu d'entrer en matière.
2.
2.1. Par un premier grief, le recourant reproche à la cour cantonale d'avoir considéré que sa requête de récusation était tardive et donc irrecevable (cf. arrêt attaqué, consid. 2.2 p. 7).
2.2. Point n'est toutefois besoin d'examiner si la requête de récusation avait été formée dans le respect des réquisits temporels de l'art. 58 al. 1 CPP (cf. sur ce point, parmi d'autres: arrêts 7B_143/2024 du 3 juin 2024 consid. 4.1.1; 1B_163/2022 du 27 février 2023 consid. 3.1), dès lors que, comme on va le voir ci-après (cf. consid. 3 infra), la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en estimant, dans une motivation présentée à titre subsidiaire (cf. arrêt attaqué, consid. 3.5), que le comportement dénoncé ne dénotait aucune apparence de partialité de la Procureur ni des experts.
3.
3.1.
3.1.1. Selon l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.
L'art. 56 let. f CPP - également applicable aux experts en vertu du renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP - a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP. Cette clause correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH (ATF 143 IV 69 consid 3.2). Elle concrétise aussi les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable cette protection lorsque d'autres autorités ou organes que des tribunaux sont concernés (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2). Cette clause générale n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit ainsi que ces circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat (ATF 149 I 14 consid. 5.3.2; 147 III 89 consid. 4.1; 144 I 159 consid. 4.3). Tel peut notamment être le cas de propos ou d'observations, formulés par le juge avant ou pendant le procès, dont la teneur laisse entendre que celui-ci s'est déjà forgé une opinion définitive sur l'issue de la procédure (ATF 137 I 227 consid. 2.1; 134 I 238 consid. 2.1; arrêt 7B_57/2022 du 27 mars 2024 consid. 8.2.1). Dans ce contexte toutefois, seules des circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération, les impressions purement subjectives des parties n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 732 consid. 4.2.2).
3.1.2. Selon la jurisprudence, des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs de la personne en cause, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que cette dernière est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 7B_450/2024 du 1er juillet 2024 consid. 2.2.3).
3.2.
3.2.1. Le recourant reproche en substance à la magistrate et aux experts intimés d'avoir renoncé, d'entente entre eux, à ce qu'il soit procédé à l'examen médical de sa personne et ainsi d'avoir substantiellement modifié, sans l'en informer, le mandat d'expertise qui avait été délivré. Il soutient que les échanges informels de la Procureure avec les experts trahiraient chez la première une apparence de partialité et témoigneraient d'un préjugé à son égard, l'expertise n'ayant selon lui servi à la magistrate intimée qu'à valider l'appréciation initiale qu'elle s'était forgée quant à son état de santé et à sa capacité de prendre part aux débats.
3.2.2. Ce faisant, le recourant s'attache exclusivement à revenir sur les circonstances ayant entouré le constat de sa capacité physique à prendre part aux débats. Ces aspects relèvent toutefois de problématiques qui doivent être traitées par le juge du fond, soit en l'occurrence par le Tribunal de police. On relèvera que le recourant, assisté d'un défenseur, apparaît en mesure de faire valoir les arguments qui justifieraient selon lui de considérer que le constat de sa capacité physique n'avait pas été opéré à satisfaction de droit dès lors par exemple que l'expertise serait viciée ou incomplète en tant qu'elle ne refléterait pas de manière fidèle son état de santé actuel ou qu'elle n'aurait pas été réalisée en conformité avec le mandat délivré.
On ne voit pas non plus que le recourant serait empêché de faire valoir ses arguments dans le cadre d'un éventuel appel contre le jugement à rendre, qui lui serait par hypothèse défavorable, voire de formuler une demande de nouveau jugement si le Tribunal de police devait estimer que les conditions d'un jugement par défaut sont réunies en l'espèce (cf. art. 366 ss CPP).
3.2.3. Le recourant ne parvient par ailleurs pas à démontrer que l'instruction menée au sujet de sa capacité de prendre part aux débats serait entachée d'irrégularités ou d'erreurs qui puissent être qualifiées de particulièrement lourdes ou répétées.
En tant que l'on pourrait certes à première vue s'interroger sur le fait que le dossier cantonal ne comporte aucune mention de l'appel téléphonique intervenu en février 2021 entre la Procureure et les experts, ni des courriels qu'ils s'étaient adressés entre eux à la même période, il apparaît néanmoins que ces échanges s'inscrivaient, comme la cour cantonale l'a retenu sans arbitraire en se fondant sur les explications des différents intimés (cf. arrêt attaqué, consid. 3.5 p. 9), dans une démarche purement organisationnelle, les experts cherchant alors à informer la Procureure qu'ils étaient en mesure de rendre leur rapport sur la base des documents médicaux qu'ils avaient à disposition, ce qui en soi n'est pas d'emblée inadmissible (cf. ATF 146 IV 1 consid. 3.2.2). En tout état, on relèvera que le fait qu'un expert formule, dans son rapport, des conclusions défavorables à l'une des parties ne constitue pas un motif de récusation (ATF 132 V 93 consid. 7.2.2; arrêt 7B_266/2023 du 6 décembre 2023 consid. 4.4).
Enfin, le rejet de la réquisition de preuve tendant à la réalisation d'un complément d'expertise n'est pas de nature, en tant que tel, à dénoter une apparence de prévention de la Procureure, étant à cet égard rappelé qu'une procédure de récusation n'a pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction, ni de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).
3.3. C'est dès lors à bon droit que la cour cantonale a estimé que la requête de récusation était infondée tant concernant la Procureure que s'agissant des experts.
4.
Il s'ensuit que le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
Le recourant, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Il ne sera pas alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale de recours, au Ministère public de la République et canton de Genève et au Tribunal de police de la République et canton de Genève.
Lausanne, le 26 juillet 2024
Au nom de la IIe Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Abrecht
Le Greffier : Tinguely