1C_283/2024 30.08.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_283/2024
Arrêt du 30 août 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Chaix et Müller.
Greffière : Mme Arn.
Participants à la procédure
A.________,
recourant,
contre
Secrétariat d'État aux migrations,
Quellenweg 6, 3003 Berne.
Objet
Annulation de la naturalisation facilitée,
recours contre l'arrêt du Tribunal administratif fédéral, Cour VI, du 8 avril 2024 (F-1822/2023).
Faits :
A.
Le 27 février 2009, A.________, ressortissant algérien né en octobre 1984, a épousé, à Vernier, B.________, ressortissante suisse née en 1986. Il a été mis au bénéfice d'une autorisation de séjour au titre du regroupement familial. De cette union sont issus deux enfants, nés en 2009 et 2012.
Le 27 février 2014, A.________ a introduit une requête de naturalisation facilitée. Les époux ont dans ce cadre signé, le 27 février 2015, une déclaration concernant la communauté conjugale, affirmant que leur couple était stable et qu'ils n'avaient pas l'intention de se séparer.
Par décision du 4 mars 2015, entrée en force le 20 avril 2015, le Secrétariat d'État aux migrations (ci-après: le SEM) a accordé la naturalisation facilitée au requérant.
Après avoir quitté le domicile conjugal au mois d'octobre 2015, B.________ a déposé une requête de mesures protectrices de l'union conjugale le 19 janvier 2016. Sur demande unilatérale de divorce introduite par cette dernière, le divorce du couple a été prononcé par jugement du 14 septembre 2018.
Le 30 juin 2019, A.________ s'est remarié en Algérie avec une compatriote; cette dernière s'est vue délivrer un visa d'entrée en Suisse le 20 avril 2020. Le 21 octobre 2022, l'Office cantonal de la population et des migrations de la République et canton de Genève (ci-après: l'OCPM) a informé le SEM d'un éventuel abus en matière de naturalisation facilitée.
Par courrier du 1 er novembre 2022, le SEM a informé A.________ de l'ouverture d'une procédure d'annulation de la naturalisation facilitée et lui a octroyé le droit d'être entendu dont ce dernier a fait usage le 21 novembre 2022. A la même date, le SEM a informé B.________ qu'il envisageait de requérir des autorités genevoises son audition et l'a invitée à lui indiquer si elle était disposée à être auditionnée en présence de son ex-conjoint. Le 14 novembre 2022, B.________ a informé le SEM ne pas vouloir être confrontée à son ex-époux et a communiqué des renseignements sur son ancien couple. Le questionnaire envoyé par le SEM à l'ex-épouse de l'intéressé par courrier recommandé du 6 décembre 2022 (à l'adresse confirmée par l'OCPM) a été retourné par la poste avec la mention "courrier non réclamé".
B.
Par décision du 27 février 2023, le SEM a rejeté la requête de A.________ tendant à l'audition de son ex-épouse et annulé sa naturalisation facilitée, retenant en substance que la naturalisation avait été octroyée sur la base d'une dissimulation de faits essentiels.
Dans son arrêt du 8 avril 2024, le Tribunal administratif fédéral (ci-après: TAF) a rejeté le recours formé par A.________ contre la décision du SEM du 27 février 2023.
C.
Par acte du 7 mai 2024, A.________ forme un recours en matière de droit public, par lequel il demande au Tribunal fédéral, sous suite de frais et dépens, d'annuler l'arrêt du TAF et, subsidiairement, de renvoyer la cause à ce dernier pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Invité à se prononcer, le SEM estime que le recours ne contient aucun élément permettant de remettre en question l'arrêt attaqué. Le TAF renonce à prendre position.
Par ordonnance du 27 mai 2024, le Président de la Ire Cour de droit public a admis la demande d'effet suspensif présentée par le recourant.
Considérant en droit :
1.
Dirigé contre la décision du TAF qui confirme l'annulation de la naturalisation facilitée accordée au recourant, le recours est recevable comme recours en matière de droit public (art. 82 let. a et 86 al. 1 let. a LTF). Le motif d'exclusion de l'art. 83 let. b LTF n'entre pas en ligne de compte (cf. arrêts 1C_46/2023 du 14 août 2023 consid. 1; 1C_574/2021 du 27 avril 2022 consid. 1). Pour le surplus, le recourant a la qualité pour recourir au sens de l'art. 89 al. 1 LTF. Il convient donc d'entrer en matière sur le recours.
2.
L'entrée en vigueur, le 1 er janvier 2018, de la nouvelle loi fédérale sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN; RS 141.0) a entraîné l'abrogation de la loi fédérale du 29 septembre 1952 sur l'acquisition et la perte de la nationalité suisse (aLN; RO 1952 1115), conformément à l'art. 49 LN (en relation avec le chiffre I de son annexe). En vertu de la réglementation transitoire prévue par l'art. 50 LN, l'acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s'est produit. Le Tribunal fédéral a précisé sur ce point la jurisprudence en matière d'annulation de la naturalisation facilitée et a considéré que le droit applicable était celui en vigueur au moment de la signature de la déclaration de vie commune, voire de l'octroi de la naturalisation (arrêt 1C_574/2021 du 27 avril 2022 consid. 2.4). En l'espèce, les époux ont signé une déclaration de vie commune le 27 février 2015; la naturalisation facilitée est intervenue par décision du 4 mars 2015. L'ancien droit est donc applicable.
3.
Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu en tant que son ex-épouse n'avait pas été auditionnée et affirme que le SEM ne pouvait pas renoncer à une telle audition visant à préciser la genèse temporelle des tensions survenues au sein du couple et l'impact possible de la liaison qu'a entretenue, après leur séparation, son ex-épouse avec un ressortissant tunisien.
3.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour les parties de produire des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il soit donné suite à leurs offres de preuve lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 148 II 73 consid. 7.3.1; 135 II 286 consid. 5.1). L'autorité peut cependant renoncer à procéder à des mesures d'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Le refus d'une mesure probatoire par appréciation anticipée des preuves ne peut être remis en cause devant le Tribunal fédéral qu'en invoquant l'arbitraire de manière claire et détaillée (art. 106 al. 2 LTF).
3.2. Confronté à un rejet d'offre de preuve fondé sur une appréciation anticipée de celle-ci, le recourant devrait entreprendre de démontrer, s'agissant d'un grief d'ordre constitutionnel, que l'arrêt attaqué serait arbitraire ou violerait son droit à la preuve. Les éléments que le recourant apporte ne permettent cependant pas une telle démonstration. En l'occurrence, au vu des motifs exposés ci-dessous (cf. consid. 5.2), le TAF pouvait, sans verser dans l'arbitraire, retenir que le SEM disposait des éléments nécessaires pour rendre sa décision, à savoir en particulier les informations communiquées par l'ex-épouse dans son courrier du 14 novembre 2022, les nombreuses observations du recourant à cet égard, ainsi que les procès-verbaux des audiences tenues dans le cadre de la séparation et du divorce des époux. Pour le surplus, c'est de manière soutenable que le TAF a considéré qu'en négligeant de retirer le courrier recommandé qui lui avait pourtant valablement été envoyé par le SEM, l'ex-épouse avait manifesté son intention de ne plus collaborer. La critique du recourant doit donc être rejetée.
4.
Le recourant se plaint ensuite d'une violation de l'art. 41 al. 1bis aLN et d'une constatation arbitraire des faits. A l'appui de cette critique, il affirme que le TAF serait tombé dans l'arbitraire en retenant que le SEM n'avait été informé de la séparation des ex-époux que par le courrier de l'OCPM du 1er novembre 2022; le recourant entend notamment tirer argument du fait que son épouse actuelle avait bénéficié d'un visa d'une durée de six mois le 20 avril 2020 et qu'à cette date l'autorité savait qu'il était divorcé et remarié.
4.1. Aux termes de l'art. 41 al. 1 bis aLN (cf. art. 36 al. 2 LN), la naturalisation ou la réintégration peut être annulée dans un délai de deux ans à compter du jour où l'office a pris connaissance des faits déterminants, mais au plus tard huit ans après l'octroi de la nationalité suisse. Un nouveau délai de prescription de deux ans commence à courir après tout acte d'instruction communiqué à la personne naturalisée. Les délais sont suspendus pendant la procédure de recours.
4.2. En l'espèce, il ressort de l'arrêt attaqué que le SEM a eu connaissance des faits déterminants pour engager une procédure d'annulation de la naturalisation facilitée au plus tôt le 21 octobre 2022, date à laquelle il a été informé par l'OCPM de la séparation et du divorce du couple; le 1er novembre 2022, le SEM a aussitôt avisé le recourant de l'ouverture d'une procédure d'annulation de sa naturalisation facilitée et a prononcé l'annulation de la naturalisation de ce dernier le 27 février 2023. Le recourant se prévaut en vain du fait que son épouse actuelle avait bénéficié d'un visa d'une durée de six mois le 20 avril 2020 et que les courriels qu'il avait adressés au SEM (les 28 mars et 20 avril 2020) en vue du regroupement familial mentionnait l'identité de ladite épouse. En effet, la loi sur la nationalité n'exige pas que le SEM entreprenne des recherches pour déterminer si des "faits déterminants" permettant d'engager une procédure d'annulation se sont produits (cf. arrêt 1C_410/2021 du 21 décembre 2021 consid. 4.2). Le TAF peut donc être suivi lorsqu'il considère que le SEM n'était pas tenu de procéder à des vérifications visant à établir si la personne suisse sollicitant le regroupement familial avait été auparavant naturalisée. L'échange de courriels des 28 et 30 mars et 20 avril 2020 - dont le recourant se prévaut - ne mentionne en l'occurrence pas que celui-ci avait bénéficié d'une naturalisation facilitée (note interne: pièce 8 et 10 du bordereau complémentaire du 29 juin 2023). Il n'est dès lors pas arbitraire d'avoir retenu que le SEM avait eu connaissance au plus tôt le 21 octobre 2022, de la séparation et du divorce des époux.
La décision d'annulation a donc été prononcée dans un délai de deux ans dès la connaissance de l'élément déclencheur, soit en l'espèce, la connaissance par le SEM de la séparation et du divorce des époux. Les délais de prescription absolue et relative de l'art. 41 al. 1 bis aLN (art. 36 al. 2 LN) ont donc été respectés. Mal fondée, la critique du recourant doit par conséquent être rejetée.
5.
Sur le fond, le recourant se plaint d'une violation des art. 27 al. 1 et 41 aLN. Il affirme que les difficultés au sein du couple ne sont intervenues que postérieurement à la signature de la déclaration de vie commune, soit au plus tôt après les vacances d'été 2015 et leur inscription à l'hospice général.
5.1. Les principes applicables à l'annulation de la naturalisation facilitée sont rappelés dans l'arrêt attaqué, ainsi que dans le recours. Il n'est dès lors pas utile de les rappeler une nouvelle fois. Comme le relève le TAF, il s'est écoulé environ huit mois entre la signature de la déclaration de vie commune (27 février 2015) et la séparation définitive des époux (octobre 2015). Un tel délai permet de fonder la présomption que la naturalisation a été acquise au moyen de déclarations mensongères (cf. notamment arrêt 1C_82/2018 du 31 mai 2018 consid. 4.3 et les arrêts cités), ce que ne conteste pas le recourant.
Il convient dès lors, conformément à la jurisprudence (ATF 135 II 161 consid. 3 et les arrêts cités), d'examiner si le recourant est parvenu à renverser cette présomption en rendant vraisemblable, soit la survenance d'un événement extraordinaire susceptible d'expliquer une dégradation aussi rapide du lien conjugal, soit l'absence de conscience de la gravité des problèmes de couple au moment de la signature de la déclaration commune.
5.2. Dans son écriture, le recourant affirme que les difficultés au sein du couple n'étaient intervenues que postérieurement à la signature de la déclaration de vie commune, soit au plus tôt après les vacances d'été 2015 et leur inscription à l'hospice général en octobre 2015. Il soutient que sa situation financière était stable en février 2015, puisqu'il ne s'était inscrit au chômage qu'au mois de mai 2015 et qu'ils avaient pu partir en vacances en Algérie en juillet et août 2015. Le recourant insiste sur le fait que son ex-épouse était à l'origine de la décision de se séparer, réaffirmant avoir en vain tenté la réconciliation avec l'aide de son frère venu d'Algérie, ainsi qu'en proposant une thérapie à son ex-épouse, qui l'avait refusée. Enfin, il expose que son ex-épouse a, après leur séparation, entretenu une relation avec un ressortissant tunisien avec qui elle s'était mariée le 17 juin 2019.
Les explications du recourant ne permettent toutefois pas de renverser la présomption établie. Quoi qu'en pense le recourant, il importe peu que son ex-épouse ait pris l'initiative de la séparation. Le TAF a certes reconnu qu'il ressortait du dossier que le recourant avait tenté de sauver son couple après la séparation; il a toutefois souligné que le recourant n'avait entrepris des démarches dans ce sens qu'après la séparation, à laquelle il avait au demeurant consenti, comme au divorce d'ailleurs. Le TAF pouvait considérer que le fait que les ex-conjoints (qui avaient deux enfants en commun alors âgés de 4 et 7 ans) n'aient pas tenté de sauver leur union avant d'envisager une solution aussi abrupte que la séparation semblait confirmer qu'ils ne formaient déjà plus un couple uni et stable au moment de leur déclaration conjointe (27 février 2015), soit à peine huit mois auparavant. Le recourant a en l'occurrence assez rapidement consenti à la séparation définitive, comme cela ressort du mémoire de réponse du recourant du 20 mai 2016 déposé dans le cadre des mesures protectrices de l'union conjugale.
L'appréciation du TAF paraît en outre confirmée par les explications données par l'ex-épouse dans son courrier du 14 novembre 2022, ainsi que par les procès-verbaux d'audience et les écritures déposées dans le cadre de la procédure de séparation et de divorce. Ainsi, dans son courrier du 14 novembre 2022, l'ex-épouse du recourant a déclaré que "les raisons de ma décision sont dues à des différends personnels du couple que [sic] pour moi n'avaient pas de solution". Il ressort en particulier du dossier de séparation et de divorce des ex-époux que ceux-ci connaissaient des difficultés financières notamment. L'ex-épouse a, entre autres, affirmé, dans sa requête de séparation, que le recourant "se comporte de manière inconsidérée et égoïste avec l'argent du couple, privilégiant ses propres besoins, de sorte que son épouse doit souvent demander l'aide de ses parents pour payer certaines factures de la famille". L'instance précédente pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, juger que ces éléments permettaient de corroborer le fait que la séparation et le divorce résultaient d'une dégradation progressive de l'union conjugale antérieure à la signature de la déclaration de vie commune, respectivement à la décision de naturalisation entrée en force le 20 avril 2015. Il apparaît peu vraisemblable que les problèmes au sein du couple ne soient intervenus qu'après les vacances d'été et qu'il aient conduit en moins de deux mois à la fin subite de la vie d'un couple, avec enfants, marié depuis de nombreuses années, sauf précisément à considérer que leur union n'était pas stable. Le TAF pouvait retenir que les problèmes conjugaux étaient antérieurs à la signature de la déclaration de vie commune et que le recourant ne pouvait pas en ignorer l'ampleur. Le recourant ne fournit en effet aucun élément concret susceptible de démontrer qu'il n'avait pas conscience - au moment de la signature de la déclaration de vie commune, puis lors du prononcé de la naturalisation - que la communauté conjugale alors vécue par les époux ne présentait plus l'intensité et la stabilité requises. Les vacances passées en famille avec les enfants en Algérie en juillet et août 2015, quelques mois seulement avant la séparation du couple, ne suffisent pas à renverser la présomption, ce d'autant moins que, comme souligné par le TAF, un tel voyage permettait aux enfants de voir leurs grands-parents.
Enfin, le recourant n'apporte aucun élément propre à démontrer la survenance d'un événement extraordinaire postérieur à la signature de la déclaration commune susceptible d'expliquer une dégradation aussi rapide du lien conjugal. Quoi qu'en pense le recourant, la liaison de son ex-épouse avec un ressortissant tunisien, survenue après la séparation du couple, ne constitue pas un tel événement, le lien conjugal entre les époux étant alors déjà rompu.
5.3. En définitive, les éléments avancés par le recourant ne suffisent pas à renverser la présomption établie. Il en découle que les conditions d'application de l'art. 41 aLN sont réunies; le TAF n'a dès lors pas violé le droit fédéral en confirmant l'annulation de la naturalisation facilitée octroyée au recourant.
6.
Il s'ensuit que le recours est rejeté.
Dans la mesure où le recours paraissait d'emblée voué à l'échec, l'assistance judiciaire ne peut être accordée pour la procédure devant le Tribunal fédéral (art. 64 al. 1 et 2 LTF). A titre exceptionnel, il est renoncé à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1, 2ème phrase, LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté.
2.
La demande d'assistance judiciaire est rejetée.
3.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires.
4.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire du recourant, au Secrétariat d'État aux migrations et au Tribunal administratif fédéral, Cour VI.
Lausanne, le 30 août 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Arn