4A_274/2024 20.08.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_274/2024
Arrêt du 20 août 2024
I
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, présidente, Kiss et Rüedi.
Greffier: M. O. Carruzzo.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Stéphane Jordan, avocat,
recourante,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Michel Ducrot, avocat,
intimée.
Objet
contrat d'entreprise,
recours en matière civile contre l'arrêt rendu le 4 avril 2024 par la Cour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais (C1 21 291).
Faits :
A.
A.a. Par contrat du 14 juin 2012, A.________ SA (ci-après: A.________ SA), société ayant son siège à..., a confié à l'entreprise B.________ SA (ci-après: B.________ SA), sise à Martigny, la réalisation de l'enveloppe et du cloisonnement intérieur horizontal d'un restaurant d'altitude. Lesdits travaux impliquaient notamment la pose d'un dôme ("...") et l'installation de divers équipements en lien avec celui-ci. Les parties sont convenues d'un prix forfaitaire de 950'000 fr., TVA en sus, pour l'exécution de l'ensemble des travaux, un acompte de 50'000 fr. devant être payé à la signature du contrat.
A.b. Selon le contrat conclu par les parties, la pose du dôme devait débuter le 22 juillet 2012. Toutefois, les travaux n'ont pu commencer que fin août, avec des conditions météorologiques moins clémentes.
A.________ SA a acheté les éléments du dôme à monter par B.________ SA auprès de la société de droit français C.________.
B.________ SA a sous-traité divers travaux à l'entreprise D.________, notamment ceux de montage du dôme, sans que le sous-traitant et A.________ SA n'aient entretenu directement des relations contractuelles.
En cours d'exécution des travaux, A.________ SA a constaté la présence de défauts dans les plans et la construction du dôme. Les différents intervenants sur le chantier ont évoqué diverses solutions aux fins d'y remédier.
Le 30 novembre 2012, le gérant de A.________ SA a indiqué qu'il lui apparaissait désormais évident qu'une expertise devait être mise en oeuvre afin de déterminer qui était responsable des malfaçons lors de la mise en place du dôme.
A.c. Le restaurant d'altitude a pu être exploité dès la mi-décembre 2012, sans que l'ouvrage n'ait été formellement réceptionné. Les travaux n'étaient pas terminés, car il fallait encore renforcer des poutres notamment.
A.d. Le 12 janvier 2013, le plancher intermédiaire du dôme s'est affaissé sous la charge d'un groupe d'une dizaine de personnes.
Le 19 janvier 2013, A.________ SA, B.________ SA, D.________, le directeur des travaux et C.________ ont signé une "convention de désignation d'un expert". Elles ont désigné le Dr E.________ en qualité d'expert et se sont engagées à accepter les conclusions de l'expert. Selon les termes de la convention, le travail de l'expert devait porter sur la propriété des structures, le respect des normes de construction suisse en adéquation avec les exigences de la destination du bâtiment, les démarches à entreprendre pour l'élimination des défauts constatés et l'évaluation du comportement attendu.
Entre le 18 avril 2013 et le 16 avril 2014, l'expert a rendu plusieurs rapports. Dans un document établi le 27 août 2014, il a chiffré le coût total de la remise en état de l'ouvrage à 431'710 fr. 80.
A.e. En avril 2014, B.________ SA a transmis à A.________ SA un décompte laissant apparaître un solde dû en sa faveur de 247'471 fr. 95.
De son côté, A.________ SA a reconnu devoir à B.________ SA un montant de 226'000 fr.
A.f. Le 10 novembre 2014, A.________ SA a fait notifier à B.________ SA un commandement de payer le montant de 145'226 fr. 35, intérêts en sus, en indiquant comme cause de l'obligation le "dommage constaté selon [l']expertise arbitrage E.________".
B.
Après une procédure de conciliation infructueuse, A.________ SA a saisi, en date du 4 septembre 2015, le Tribunal des districts de Martigny et St-Maurice d'une demande dirigée contre B.________ SA en vue d'obtenir le paiement de 199'131 fr. 90, intérêts en sus.
La défenderesse a conclu au rejet de la demande. À titre reconventionnel, elle a réclamé le paiement de 302'000 fr. avec intérêts.
Une expertise judiciaire a été mise en oeuvre. L'expert désigné a rendu son rapport le 5 février 2019. Il a remis au tribunal un rapport complémentaire le 14 février 2020 puis a répondu aux nouvelles questions formulées par B.________ SA.
Par jugement du 3 novembre 2021, le Tribunal des districts de Martigny et St-Maurice, admettant partiellement la demande principale et rejetant les conclusions reconventionnelles, a condamné B.________ SA à payer à A.________ SA le montant de 89'997 fr. 10, intérêts en sus.
Statuant par arrêt du 4 avril 2024 sur appel de B.________ SA, la Cour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais a réformé le jugement attaqué en rejetant la demande principale et en faisant partiellement droit aux prétentions élevées à titre reconventionnel. Partant, elle a condamné A.________ SA à verser à son adversaire la somme de 226'000 fr. avec intérêts. Les motifs qui étayent cette décision seront examinés plus loin dans la mesure utile à la compréhension des critiques dont celle-ci est la cible.
C.
Le 8 mai 2024, A.________ SA (ci-après: la recourante) a formé un recours en matière civile à l'encontre de cet arrêt.
Le 27 mai 2024, la recourante a présenté une requête d'effet suspensif.
B.________ SA (ci-après: l'intimée) a conclu au déboutement de la recourante et a acquiescé à la demande d'effet suspensif.
La cour cantonale a indiqué n'avoir pas d'observations à formuler sur le recours et s'est référée à certains passages précis de son arrêt.
La requête d'effet suspensif a été admise, faute d'opposition, par ordonnance présidentielle du 25 juin 2024.
Le 3 juillet 2024, la recourante a déposé des observations sur l'écriture de son adversaire.
Considérant en droit :
1.
Les conditions de recevabilité du recours en matière civile sont satisfaites sur le principe, notamment celle afférente à la valeur litigieuse minimale de 30'000 fr. (art. 74 al. 1 let. b LTF). Demeure réservé l'examen de la recevabilité, sous l'angle de sa motivation, de l'unique moyen invoqué par la recourante.
2.
Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut rectifier ou compléter les constatations de l'autorité précédente que si elles sont manifestement inexactes ou découlent d'une violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). " Manifestement inexactes " signifie ici " arbitraires " (ATF 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 135 III 397 consid. 1.5). Encore faut-il que la correction du vice soit susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Les critiques dites appellatoires, tendant simplement à une nouvelle appréciation des preuves, sont irrecevables (ATF 133 II 249 consid. 1.4.3).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3). L'arbitraire ne résulte pas du seul fait qu'une autre solution serait concevable, voire préférable (ATF 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2).
3.
Dans un unique grief, la recourante reproche à la cour cantonale d'avoir enfreint l'art. 368 CO. Avant d'examiner la recevabilité et, le cas échéant, le mérite des critiques formulées au soutien de ce moyen, il convient de rappeler certains principes et d'exposer le raisonnement tenu par les juges précédents.
3.1.
3.1.1. Lorsque la maxime des débats (art. 55 al. 1 CPC) est applicable comme en l'espèce, il incombe aux parties, et non au juge, de rassembler les faits du procès. Les parties doivent alléguer les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions (fardeau de l'allégation subjectif), produire les moyens de preuve qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC) et contester les faits allégués par la partie adverse, le juge ne devant administrer les moyens de preuve que sur les faits pertinents et contestés (art. 150 al. 1 CPC; ATF 144 III 519 consid. 5.1). A cet égard, il importe peu que les faits aient été allégués par le demandeur ou par le défendeur puisqu'il suffit que les faits fassent partie du cadre du procès pour que le juge puisse en tenir compte (ATF 143 III 1 consid. 4.1; arrêts 4A_537/2020 du 23 février 2021 consid. 3.3.1; 4A_288/2018 du 29 janvier 2019 consid. 3.1.2 et les références citées). Il n'en demeure pas moins que celui qui supporte le fardeau de la preuve (art. 8 CC) et donc, en principe, le fardeau de l'allégation objectif, a toujours intérêt à alléguer lui-même les faits pertinents, ainsi qu'à indiquer au juge ses moyens de preuve, pour qu'ils fassent ainsi partie du cadre du procès (ATF 149 III 105 consid. 5.1; 143 III 1 consid. 4.1).
Doivent être allégués les faits pertinents, c'est-à-dire les éléments de fait concrets correspondant aux faits constitutifs de l'état de fait de la règle de droit matériel (c'est-à-dire les "conditions" du droit) applicable dans le cas particulier (arrêt 4A_191/2023 du 13 février 2024 consid. 4.1.2 et les références citées).
3.1.2. En cas de livraison d'un ouvrage défectueux, le maître a le choix, aux conditions de l'art. 368 CO, d'exiger soit la réfection de l'ouvrage, soit l'annulation du contrat, soit la réduction du prix; le maître est lié par son choix, qui procède de l'exercice d'un droit formateur. S'il demande la réfection de l'ouvrage et obtient satisfaction, il ne saurait exercer l'action rédhibitoire ou minutoire (ATF 136 III 273 consid. 2.2 et la référence citée). Le maître de l'ouvrage ne peut pas, en lieu et place des droits alternatifs qui lui sont octroyés par l'art. 368 CO, soutenir qu'il y a mauvaise exécution du contrat et se prévaloir des art. 97 ss CO (ATF 136 III 273 consid. 2.2 et la référence citée). Le droit formateur ne peut être exercé que par celui auquel il appartient; le juge ne peut en principe pas suppléer une volonté qui n'a pas été manifestée (ATF 136 III 273 consid. 2.2; 135 III 441 consid. 3.3).
Selon l'art. 366 al. 2 CO, qui sanctionne l'exécution défectueuse de l'ouvrage, lorsqu'il est possible de prévoir avec certitude, pendant le cours des travaux, que, par la faute de l'entrepreneur, l'ouvrage sera exécuté d'une façon défectueuse ou contraire à la convention, le maître peut fixer ou faire fixer à l'entrepreneur un délai convenable pour parer à ces éventualités, en l'avisant que, s'il ne s'exécute pas dans le délai fixé, les réparations ou la continuation des travaux seront confiées à un tiers, aux frais et risques de l'entrepreneur. Le maître de l'ouvrage dispose aussi des facultés offertes par l'art. 107 al. 2 CO lorsque les conditions d'application de l'art. 366 al. 2 CO sont réalisées (ATF 126 III 230 consid. 7a/bb).
3.2. Dans l'arrêt attaqué, la cour cantonale constate que les prétentions élevées par la recourante sont toutes en lien avec des malfaçons dont elle tient l'intimée pour responsable. Elle observe, par ailleurs, que la recourante a toujours affirmé que l'ouvrage litigieux n'était pas achevé en décembre 2012 - période à laquelle a débuté l'exploitation du restaurant d'altitude -, raison pour laquelle on se trouve en présence d'une exécution défectueuse des travaux survenue avant la livraison de l'ouvrage devant être examinée au regard de l'art. 366 al. 2 CO. Or, la juridiction cantonale estime que l'intéressée n'a jamais allégué ni a fortiori démontré avoir respecté les conditions d'application de la norme précitée.
Dans une argumentation subsidiaire, l'autorité précédente précise que la solution serait identique dans l'hypothèse où l'on devrait considérer que la recourante avait consenti à une livraison partielle de l'ouvrage en décembre 2012. Dans un tel cas, le maître de l'ouvrage doit, conformément au régime de la garantie en raison des défauts (art. 367 ss CO), opter pour l'un des trois droits formateurs alternatifs que constituent la résolution du contrat, la réduction du prix ou la réparation de l'ouvrage. Pareil choix s'opère par une manifestation de volonté adressée à l'entrepreneur. Or, en l'espèce, l'option choisie par la recourante, après avoir obtenu les résultats de l'expertise E.________, n'a fait l'objet d'aucune allégation. La seule réaction avancée en procédure, et dûment établie, est le commandement de payer que la recourante a fait notifier à son adversaire, le 10 novembre 2014, en raison du "dommage constaté selon [l']expertise arbitrage E.________". Selon la juridiction cantonale, une telle mention ne permet pas de retenir que la recourante a, ce faisant, exercé son droit formateur à la réduction du prix, ne serait-ce que de manière implicite.
3.3. Dans ses écritures, la recourante soutient qu'il y a lieu de retenir qu'une livraison partielle de l'ouvrage est intervenue en décembre 2012, entraînant ainsi l'application des règles de la garantie en raison des défauts. A l'en croire, la cour cantonale aurait enfreint l'art. 368 CO, en jugeant qu'elle n'avait pas démontré avoir opté pour la réduction du prix. A cet égard, l'intéressée indique que les parties avaient demandé à l'expert E.________ d'établir une répartition des responsabilités entre les divers intervenants sur le chantier, ce qui signifie que le but poursuivi était de chiffrer les moins-values liées aux défauts affectant l'ouvrage et de les porter en déduction du prix de celui-ci. Dans ces conditions, elle estime qu'il "allait de soi" qu'elle ne demandait pas la réfection de l'ouvrage mais entendait obtenir une diminution du prix. La recourante fait aussi valoir qu'elle a contesté la facture finale de l'intimée et qu'elle lui a fait notifier un commandement de payer. Elle indique qu'elle a confié une partie des travaux de réfection à des entreprises tierces, exigé de l'entrepreneur la restitution d'une partie de la rémunération versée et refusé de lui payer le solde du prix de l'ouvrage au motif que celui-ci était défectueux, ce qui démontre qu'elle avait exercé son droit formateur à la réduction du prix.
3.4. Semblable argumentation n'emporte nullement la conviction de la Cour de céans.
On peut d'emblée s'interroger sur le point de savoir si la recourante n'adopte pas un comportement contradictoire, incompatible avec les règles de la bonne foi, lorsqu'elle défend la thèse selon laquelle il y aurait eu une acceptation partielle de l'ouvrage en décembre 2012, alors qu'elle a toujours soutenu, y compris dans sa réponse à l'appel, que l'ouvrage n'était pas achevé à époque-là et que l'on était ainsi en présence d'un dommage survenu "en cours d'exécution, donc avant la livraison". Point n'est toutefois besoin de pousser plus avant l'examen de cette question comme on va le voir.
En l'occurrence, la cour cantonale a constaté que le choix de l'un des trois droits formateurs visés par l'art. 368 CO n'avait fait l'objet d'aucune allégation de la part de la recourante, raison pour laquelle l'application de la norme précitée était exclue. Or, dans ses écritures, la recourante, qui mélange de manière inextricable les critiques relevant du fait et les arguments ressortissant au droit, en les formulant d'ailleurs de manière essentiellement appellatoire, ne s'en prend pas au motif exposé par la cour cantonale pour justifier la solution retenue par elle, à savoir l'absence d'allégation quant à l'option choisie par le maître de l'ouvrage. Il est évident que l'affirmation selon laquelle pareil choix "allait de soi" ne constitue pas une motivation digne de ce nom et qu'elle est impropre à démontrer que l'autorité précédente aurait enfreint le droit fédéral. Pour le reste, l'intéressée tente, en pure perte, de déplacer le problème sur le terrain de l'appréciation des preuves lorsqu'elle s'évertue à démontrer, de façon guère convaincante, que, par son comportement, elle avait implicitement choisi de réclamer une réduction du prix de l'ouvrage.
4.
Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté dans la mesure de sa recevabilité. La recourante, qui succombe, supportera les frais de la procédure fédérale (art. 66 al. 1 LTF) et versera des dépens à l'intimée (art. 68 al. 1 et 2 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 6'500 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
La recourante versera à l'intimée une indemnité de 7'500 fr. à titre de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties et à la Cour civile I du Tribunal cantonal du canton du Valais.
Lausanne, le 20 août 2024
Au nom de la I re Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
Le Greffier : O. Carruzzo