1C_76/2023 24.10.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_76/2023, 1C_81/2023
Arrêt du 24 octobre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Haag et Merz,
Greffier : M. Alvarez.
Participants à la procédure
1C_76/2023
A.________ AG,
représentée par Me Lorenz Lehmann, avocat,
recourante,
contre
B.________ SA,
représentée par Me Michel Ducrot, avocat,
C.________ AG,
intimées,
Conseil d'État du canton du Valais,
place de la Planta, Palais du Gouvernement, 1950 Sion,
Commune de Sierre,
Administration communale, Hôtel-de-Ville, case postale 96, 3960 Sierre,
représentée par Me Thibault Blanchard, avocat,
et
1C_81/2023
B.________ SA,
représentée par Me Michel Ducrot, avocat,
recourante,
contre
A.________ AG,
représentée par Me Lorenz Lehmann, avocat,
C.________ AG,
intimées,
Conseil d'État du canton du Valais,
place de la Planta, Palais du Gouvernement, 1950 Sion,
Commune de Sierre,
Administration communale, Hôtel-de-Ville, case postale 96, 3960 Sierre,
représentée par Me Thibault Blanchard, avocat,
Objet
Protection de l'environnement; coûts d'assainissement d'un site pollué,
recours contre les arrêts de la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais des 16 janvier 2023 (1C_76/2023) et 11 janvier 2023 (1C_81/2023).
Faits :
A.
Les parcelles n os 5246, 5247 et 8563 de la Commune de Sierre totalisent une surface de plus 11'000 m 2 et sont sises en bordure immédiate du Rhône, sur la rive gauche, dans la zone agricole située entre le pont du Rhône menant à Chippis et celui qui dessert la sortie d'autoroute Sierre-Ouest. La société B.________ SA en est propriétaire depuis 2003. Ces parcelles forment aujourd'hui un important remblai adossé à la digue du Rhône, sur lequel ont été construits deux bâtiments exploités par la société propriétaire. Le site est inscrit au cadastre cantonal des sites pollués.
À partir du début des années 1940, jusqu'en 1959, des scories provenant de l'usine d'aluminium de Chippis, alors exploitée par la D.________ AG ( ndr. devenue plus tard E.________, puis F.________ SA après sa fusion avec la société G.________), ont été déposées sur ces biens-fonds.
B.
Le 29 septembre 2014, le Service cantonal de protection de l'environnement (actuellement, le Service cantonal de l'environnement - ci-après: SEN) a ordonné à la société A.________ AG, dernier successeur juridique de D.________ AG (reprise des immeubles de la société F.________ SA), de procéder sur ce site à des travaux d'investigation de détail au sens de l'art. 14 de l'ordonnance sur l'assainissement des sites pollués du 26 août 1998 (OSites; RS 814.680). Sur recours, le Tribunal cantonal du Valais a confirmé cette décision par arrêt du 12 février 2016; le recours au Tribunal fédéral contre ce dernier arrêt a pour sa part été jugé irrecevable le 30 mars 2016, les conditions posées à l'art. 93 al. 1 LTF n'étant pas réalisées (arrêt 1C_130/2016). Se conformant à la décision du SEN, A.________ AG a procédé aux travaux d'investigation sur les parcelles précitées.
C.
Le 20 novembre 2018 A.________ AG a requis que soit rendue une décision de répartition des coûts d'assainissement au sens de l'art. 32d al. 4 de la Loi fédérale sur la protection de l'environnement du 7 octobre 1983 (LPE; RS 814.01). Le 24 septembre 2020, le Département cantonal de la mobilité, du territoire et de l'environnement (ci-après: DMTE) a rendu une décision partielle de répartition des "coûts engendrés jusqu'au 9 juin 2020". A.________ AG était perturbatrice par comportement et devait, à ce titre, supporter une part de 55%. Les anciens propriétaires fonciers, décédés depuis lors, étaient également considérés comme perturbateurs par comportement et une part des coûts de 25% leur était imputée; cette part était supportée par la Commune de Sierre à la place des parties défaillantes (cf. art. 32d al. 3 LPE). Était encore et notamment concernée par cette décision, B.________ SA, propriétaire des fonds depuis 2003, considérée comme perturbateur par situation; une part de 10% des coûts était mise à sa charge. Au 9 juin 2020, le montant à répartir, couvrant les "frais des mesures nécessaires d'investigation, de surveillance et d'assainissement ainsi que les frais de procédure du site contaminé dit «Remblai H.________ SA»", s'élevait à 419'930 fr. 07 (ramené à 415'126 fr. 07 suite à la décision du Conseil d'État du canton du Valais du 6 avril 2022; voir ci-dessous).
D.
Le 22 octobre 2020, A.________ AG a recouru contre cette décision au Conseil d'État valaisan. Par acte du 26 octobre 2020, B.________ SA a également saisi le Conseil d'État. Par décision du 6 avril 2022, après avoir joint les causes, le Conseil d'État a très partiellement admis le recours de A.________ AG, la décision du DMTE du 24 septembre 2020 était réformée en ce sens que les frais étaient nouvellement fixés à 415'126 fr. 07 et la part à charge de A.________ AG (55%) ramenée à 228'319 fr. 33. Le recours de B.________ SA était pour sa part rejeté.
Le 5 mai 2022, B.________ SA a déposé un recours contre cette décision devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal du Valais, qui l'a rejeté par arrêt du 11 janvier 2023, confirmant en particulier la part des frais de 10% mise à sa charge.
Le 10 mai 2022, A.________ AG s'est également pourvue contre cette décision au Tribunal cantonal. Par arrêt du 16 janvier 2023, la cour cantonale a rejeté le recours, confirmant également la part des frais de 55% imputée à A.________ AG par la décision du DMTE, confirmée par le Conseil d'État.
E.
Par acte du 15 février 2023, A.________ AG dépose un recours en matière de droit public contre l'arrêt cantonal du 16 janvier 2023 (cause 1C_76/2023). Elle demande au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt attaqué, la décision sur recours du Conseil d'État du 6 avril 2022 ainsi que la décision du DMTE du 24 septembre 2020 et de les modifier en ce sens que la part des frais à sa charge est fixée à 20% et que la part à la charge de la Commune de Sierre est arrêtée à 60%, ainsi le montant à sa charge est de 83'025 fr. 20 et le montant à la charge de la commune de 249'075 fr. 65
Le 17 février 2023, agissant également par la voie du recours en matière de droit public, B.________ SA conclut à l'annulation de l'arrêt du 11 janvier 2023 et demande au Tribunal fédéral de dire qu'elle ne doit pas supporter 10% des coûts d'assainissement du site pollué ni payer 41'993 fr. pour des frais de mesure d'investigation, de surveillance, d'assainissement, et des frais de procédure (cause 1C_81/2023).
Par ordonnance du 23 février 2023, le Président de la Ire Cour de droit public a ordonné la jonction des causes 1C_76/2023 et 1C_81/2023; en outre, l'instruction ainsi que la rédaction de l'arrêt se feraient en français (cf. art. art. 54 al. 1 LTF)
A.________ AG conclut au rejet du recours de B.________ SA; cette dernière conclut pour sa part principalement à l'irrecevabilité du recours de A.________ AG, subsidiairement à son rejet.
Le Tribunal cantonal renonce à se déterminer sur les recours. Le Conseil d'État n'a pas d'observations particulières et se rallie aux considérants des arrêts attaqués; il dépose par ailleurs en cause les déterminations du DMTE, qui conclut au rejet des recours, dans la mesure de leur recevabilité. La Commune de Sierre demande également le rejet de chacun des recours, pour autant qu'ils soient jugés recevables. Sans prendre de conclusions formelles, l'Office fédéral de l'environnement (ci-après: OFEV) demande implicitement le rejet des recours. Dans le cadre d'un second échange d'écritures, la Commune de Sierre, A.________ AG ainsi que B.________ SA ont persisté dans leurs conclusions respectives. A.________ AG s'est exprimée en dernier lieu, le 28 septembre 2023.
Considérant en droit :
1.
1.1. Le Tribunal fédéral examine d'office la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATF 141 II 113 consid. 1; arrêt 1C_369/2020 du 29 décembre 2020 consid. 1). En vertu de l'art. 42 al. 2 LTF, il appartient cependant à la partie recourante d'alléguer, sous peine d'irrecevabilité, les faits et éléments qu'elle considère comme propres à fonder la recevabilité de son recours, lorsque ceux-ci n'apparaissent pas évidents (cf. ATF 149 II 170 consid. 1.3; 142 V 26 consid. 1.2; 141 IV 1 consid. 1.1; 141 IV 284 consid. 2.3; arrêts 1C_384/2021 du 18 août 2022 consid. 3; 1C_461/2021 du 20 août 2021 consid. 2.2; 1C_274/2019 du 28 septembre 2020 consid. 1.3).
1.2. Le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral est recevable contre les décisions qui mettent fin à la procédure (art. 90 LTF), qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause (art. 91 let. a LTF) ou qui mettent fin à la procédure à l'égard d'une partie des consorts (art. 91 let. b LTF). Il est également recevable contre certaines décisions préjudicielles et incidentes. Il en va ainsi de celles qui concernent la compétence et les demandes de récusation (art. 92 LTF). Quant aux autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément, elles peuvent faire l'objet d'un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Si le recours n'est pas recevable en vertu des al. 1 et 2 ou qu'il n'a pas été utilisé, les décisions préjudicielles et incidentes peuvent être attaquées par un recours contre la décision finale dans la mesure où elles influent sur le contenu de celle-ci (art. 93 al. 3 LTF).
1.3. Selon la jurisprudence, une décision de répartition des coûts relevant du droit des sites contaminés est qualifiée d'autre décision préalable ou incidente au sens de l'art. 93 LTF lorsqu'elle fixe d'abord le pourcentage des quotes-parts de répartition, avant que les coûts exacts - et partant les montants à payer - ne soient déterminés (cf. arrêts 1C_339/2023 du 11 septembre 2024 consid. 1.1; 1C_315/2020 du 22 mars 2021 consid. 1.1; 1C_490/2019 du 2 juillet 2020 consid. 1.1; 1C_17/2019 du 29 juillet 2019 consid. 1.2; 1C_397/2013 du 21 avril 2015 consid. 1.3). Sont en revanche considérées comme des décisions finales au sens de l'art. 90 LTF les décisions qui n'arrêtent pas uniquement les quotes-parts de répartition, mais chiffrent également le montant des coûts de l'assainissement (arrêt 1C_610/2019 du 9 décembre 2020 consid. 1.1 et l'arrêt cité). Dans d'autres arrêts, le Tribunal fédéral a qualifié la répartition des coûts d'investigation (investigation préalable et de détail), fixés de manière définitive, de décision finale (cf. arrêts 1C_18/2023 du 15 décembre 2023 consid. 1.1 et 1.4; 1C_117/2020 du 7 décembre 2020 consid. 1.1; voir également arrêt 1C_231/2012 du 29 novembre 2012, Faits let. A et consid. 1 non publiés in ATF 139 II 106 et consid. 5.5.3 publié), notamment parce que la répartition des coûts d'un éventuel assainissement du site avait été renvoyée à une procédure séparée (arrêt 1C_170/2017 du 7 septembre 2017 consid. 1) ou que la clé de répartition choisie n'est pas déclarée contraignante pour la répartition des coûts futurs (arrêt 1C_315/2020 du 22 mars 2021 consid. 1.1).
1.4. En l'espèce, la procédure repose sur une décision partielle de répartition des coûts, au sens de art. 32d al. 4 LPE, rendue par le DMTE le 24 septembre 2020 et confirmée successivement, sur recours et sous réserve d'une correction des frais de procédure, par le Conseil d'État et le Tribunal cantonal. La décision du DMTE fixe la clé de répartition des "frais des mesures nécessaires d'investigation, de surveillance et d'assainissement ainsi que les frais de procédure du site contaminé dit «Remblai H.________»"; une quote-part de 55% est mise à la charge de A.________ AG et une part de 10% à la charge de B.________ SA (le solde étant réparti entre la commune, le canton et C.________ SA). La décision arrête également le montant des "frais des mesures nécessaires d'investigation, de surveillance et d'assainissement ainsi que les frais de procédure du site contaminé dit «Remblai H.________»" à 419'930 fr. 07. Le DMTE précise cependant qu'il s'agit d'un état au 9 juin 2020 et ajoute que "lorsque l'assainissement sera terminé, l'autorité [...] établira un décompte final des coûts et procédera aux ajustements nécessaires, notamment les déductions liées aux frais reconnus et déjà engagés par les perturbateurs".
1.5. Il est vrai que cette décision arrête non seulement les quotes-parts de répartition, mais également des montants mis à la charge des différents perturbateurs concernés. Il ne s'agit cependant que d'un état provisoire, l'autorité réservant les ajustements nécessaires ainsi qu'un décompte final ultérieur. De ce point de vue, la décision revêt un caractère incident. Il n'est d'ailleurs pas mentionné dans les décisions prises par les autorités précédentes que les coûts imputables à l'avenir seront répartis selon les mêmes quotes-parts, ni que ceux-ci devront faire l'objet d'une procédure distincte (OFEV, Aide à l'exécution pour la détermination des obligations de fournir des prestations effectives, d'assumer des coûts et de fournir des garanties selon les dispositions sur les sites contaminés, état 2023, p. 21); au contraire, la réserve quant aux adaptations nécessaires et à l'établissement d'un décompte l'exclut. Il ne ressort par ailleurs pas non plus des considérants de la décision du DMTE que les quotes-parts et les montants arrêtés ne porteraient que sur les coûts d'investigation (préalable ou de détail) ni que ceux-ci seraient définitivement fixés, cas de figure conférant à la répartition, le cas échéant, un caractère définitif; sont en effet indistinctement évoqués des "mesures nécessaires d'investigation, de surveillance et d'assainissement ainsi que les frais de procédure", si bien qu'on ne peut retenir avec certitude que les montants indiqués concerneraient une, ou plusieurs phases bien délimitées et définitives du projet d'assainissement. Dans ces conditions, les quotes-parts de répartitions et les montants retenus à ce stade ne peuvent pas être réexaminés de manière indépendante des décisions ultérieures. Il s'ensuit que les arrêts attaqués, qui confirment en définitive la décision du département, revêtent un caractère incident. A ce titre, ils ne peuvent être déférés devant le Tribunal fédéral qu'aux conditions de l'art. 93 LTF.
Or, en l'espèce, il n'apparaît pas que les arrêts attaqués causeraient aux recourantes un préjudice irréparable au sens de la jurisprudence rendue en application de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. ATF 149 II 170 consid. 1.3; 147 III 159 consid. 4.1); ils n'ordonnent en particulier pas l'avance de frais supplémentaires susceptibles, par hypothèse, de remettre en cause la pérennité des entreprises recourantes, respectivement d'entraîner leur faillite (cf. arrêt 1C_17/2019 du 29 juillet 2019 consid. 1.1 et la référence à l'ATF 136 II 370 consid. 1.5). Au surplus, alors même que cette démonstration leur incombe, les recourantes ne fournissent à cet égard aucune motivation permettant d'envisager l'existence d'un tel préjudice; au stade de la recevabilité, elles n'envisagent pas le caractère incident des arrêts attaqués, en dépit de la jurisprudence, et malgré les indications explicites figurant dans la décision du département quant au caractère provisoire de la répartition prononcée. Quant à la seconde condition de l'art. 93 al. 1 let. b LTF, elle n'entre pas en considération, vu qu'une admission des recours ne conduirait pas à une décision finale, une partie des frais d'assainissement n'étant à ce stade pas encore connue. Il n'apparaît ainsi pas non plus évident qu'une décision immédiate permettrait d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse au sens de cette disposition, ce que les recourantes ne prétendent du reste pas au stade de la recevabilité. Il apparaît dès lors raisonnable de ne statuer définitivement sur la part de chacun des perturbateurs concernés qu'une fois le montant global de l'opération connu (cf. ATF 142 II 232 consid. 5.3; 139 II 106 consid. 5.5; arrêt 1C_117/2020 du 7 décembre 2020 consid. 5.7 139).
2.
Pour les motifs qui précèdent, les recours doivent être déclarés irrecevables. Compte tenu de cette issue, les frais de justice sont répartis entre les recourantes, qui succombent (art. 66 al. 1 LTF). C.________, qui n'a pas procédé, n'a pas droit à des dépens (cf. art. 68 al. 1 LTF). La Commune de Sierre, qui agit pour la défense de son intérêt patrimonial, a en revanche droit à des dépens (art. 66 al. 3 LTF; cf. arrêt 1C_524/2014 du 24 février 2016 consid. 11).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Les recours sont irrecevables.
2.
Les frais de justice, arrêtés à 4'000 fr., sont mis à la charge de B.________ SA à raison de 2'000 fr., et à la charge de A.________ AG à hauteur de 2'000 fr.
3.
Une indemnité de 2'000 fr. est allouée à la Commune de Sierre, à titre de dépens, à la charge de B.________ SA, à hauteur de 1'000 fr., et de A.________ AG, à raison de 1'000 fr.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires des parties, au Conseil d'État du canton du Valais, au mandataire de la Commune de Sierre, à la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton du Valais ainsi qu'à l'Office fédéral de l'environnement.
Lausanne, le 24 octobre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
Le Greffier : Alvarez