1C_27/2024 31.10.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_27/2024
Arrêt du 31 octobre 2024
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Kneubühler, Président,
Merz et Müller.
Greffière : Mme Rouiller.
Participants à la procédure
1. A.________,
2. B.________,
tous les deux représentés par Me Miriam Mazou, avocate, Mazou Avocats,
recourants,
contre
Ministère public de la Confédération, Guisanplatz 1, 3003 Berne.
Objet
Consultation d'un dossier d'entraide judiciaire archivé,
recours contre l'arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 12 décembre 2023 (RR.2023.63 + RR.2023.64).
Faits :
A.
Suite à une demande d'entraide judiciaire des autorités françaises du 15 décembre 2016 et à une décision de délégation de l'Office fédéral de la justice (ci-après: OFJ), le Ministère public de la Confédération (ci-après: MPC) a obtenu de la banque C.________ SA la documentation relative aux relations bancaires n o xxx ouverte aux noms de A.________ et B.________ et n o yyy ouverte au nom de A.________. Cette procédure d'entraide a été référencée sous le n o RH.16.0254-CHS.
Le 27 août 2020, le MPC a rendu une décision de clôture, ordonnant notamment la remise de la documentation susmentionnée à l'autorité requérante.
B.
Le 25 juillet 2019, le MPC a effectué une communication spontanée à l'attention de l'Administration fédérale des contributions (ci-après: AFC) concernant les relations bancaires sises dans la sphère de puissance de A.________.
Le 3 décembre 2020, l'Administration cantonale vaudoise des impôts (ci-après: ACI-VD) a informé A.________ et B.________ de l'ouverture d'une procédure pour rappel et soustraction d'impôts les concernant. Le 9 septembre 2021, elle a informé A.________ et B.________ de la prochaine clôture de ladite procédure.
Dans le cadre de cette procédure, A.________ et B.________ ont appris que l'ACI-VD avait obtenu des informations de l'AFC, certaines provenant du MPC en lien avec la procédure d'entraide RH.16.0254-CHS.
En avril 2022, et suite à leur demande, le MPC a remis à A.________ et B.________ une copie anonymisée de la communication spontanée du 25 juillet 2019. Le 4 avril 2023, le MPC a rejeté la requête de A.________ et B.________ d'obtenir un accès intégral au dossier de la procédure d'entraide RH.16.0254-CHS, subsidiairement d'obtenir la communication des données personnelles les concernant. Le 11 octobre 2023, A.________ et B.________ ont également obtenu une table des matières caviardée du dossier de la procédure d'entraide.
C.
Par arrêt du 12 décembre 2023, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (ci-après: TPF) a rejeté le recours formé par A.________ et B.________ contre la décision du MPC du 4 avril 2023. Elle a en substance considéré qu'il existait un intérêt public prépondérant permettant de refuser la consultation par les intéressés du dossier de la procédure d'entraide close. Ceux-ci avaient par ailleurs été informés du traitement de leurs données personnelles dans le respect des exigences légales.
D.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, A.________ et B.________ demandent au Tribunal fédéral de réformer l'arrêt du TPF en ce sens qu'il est ordonné au MPC de leur accorder un accès intégral au dossier de la procédure d'entraide RH.16.0254-CHS. Ils concluent subsidiairement à ce que l'arrêt attaqué soit réformé en ce sens qu'ils obtiennent accès à l'intégralité des données personnelles les concernant traitées par le MPC dans le cadre de la procédure d'entraide RH.16.0254-CHS, à tout le moins à certains documents qu'ils énumèrent. Plus subsidiairement, les recourants demandent au Tribunal fédéral d'annuler l'arrêt du TPF et de désigner une autorité à laquelle renvoyer la cause pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Le TPF persiste dans les termes de son arrêt, sans formuler d'observations. Le MPC conclut à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet. L'OFJ conclut à l'irrecevabilité du recours. Les recourants persistent dans leurs conclusions.
Par ordonnance du 9 février 2024, le Juge présidant de la Ire Cour de droit public du Tribunal fédéral a rejeté la requête de mesures provisionnelles formulées par les recourants.
Considérant en droit :
1.
Le Tribunal fédéral examine d'office sa compétence et contrôle librement la recevabilité et la qualification juridique des recours qui lui sont soumis. Le présent recours concerne une demande d'accès à un dossier d'une procédure d'entraide internationale en matière pénale déjà close.
1.1. Les recourants soutiennent que le recours doit être traité comme un recours en matière de droit public au sens de l'art. 82 let. a LTF, dès lors qu'il a pour objet une contestation relevant de la procédure administrative fédérale. Le MPC et l'OFJ considèrent à l'inverse que le recours s'inscrit dans le domaine de l'entraide pénale internationale et que les conditions de recevabilité prévues à l'art. 84 al. 1 LTF ne sont en l'espèce pas remplies.
1.2. Cette question peut rester indécise. En effet, même à être qualifié de recours en matière de droit public au sens de l'art. 82 let. a LTF et à supposer qu'il soit recevable notamment au regard de l'art. 89 al. 1 let. c LTF (intérêt digne de protection), le recours devrait de toute manière être rejeté (cf. consid. 2 et 3 ci-dessous).
2.
Les recourants se plaignent de violations de leur droit d'être entendus.
Ils soutiennent que l'autorité précédente aurait, en considérant que les décisions prises par le MPC dans le cadre de la procédure d'entraide avaient été notifiées conformément aux dispositions légales applicables, violé les art. 29 al. 2 Cst., 6 § 1 CEDH, ainsi que 80b de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur l'entraide internationale en matière pénale (EIMP; RS 351.1) et 26 et 27 PA (RS 172.021).
Ils dénoncent également une violation de leur droit d'être entendus au motif que l'arrêt attaqué n'examinerait pas leur intérêt privé à se voir octroyer un accès au dossier d'entraide.
2.1. Le droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour la personne intéressée de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 143 V 71 consid. 4.1).
Le droit d'être entendu comprend également le devoir pour l'autorité de motiver sa décision. Il suffit que celle-ci mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que la personne intéressée puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 143 III 65 consid. 5.2; cf. également art. 112 al. 1 let. b LTF). L'autorité n'est pas tenue de se prononcer sur tous les moyens des parties et peut ainsi se limiter aux points essentiels pour la décision à rendre (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; 141 III 28 consid. 3.2.4). La motivation peut pour le reste être implicite et résulter des différents considérants de la décision (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1; arrêt 1C_548/2021 du 24 février 2023 consid. 5.2).
Dans ce contexte, la partie recourante est soumise aux exigences de motivation de l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 146 I 62 consid. 3).
2.2. La présente procédure porte sur l'accès à un dossier clôturé. Dans ce cadre, il ne s'agit plus de sauvegarder les droits de procédure d'une partie (cf. art. 80b EIMP), mais de mettre en balance les intérêts du recourant avec l'intérêt de l'État et d'éventuelles autres personnes concernées au maintien du secret. Partant, et comme l'a relevé le TPF, la manière dont le droit d'être entendu des recourants a été respecté par le MPC dans le cadre de la procédure d'entraide n'est ni pertinente, ni d'actualité.
En tout état, et de jurisprudence constante, seules les personnes ayant élu domicile en Suisse (ce qui n'est pas le cas des recourants) peuvent se voir notifier les décisions prises en matière d'entraide judiciaire (art. 80m al. 1 EIMP et art. 9 de l'ordonnance du 24 février 1982 sur l'entraide internationale en matière pénale [OEIMP; RS 351.11]). À défaut d'élection de domicile, les décisions sont notifiées au seul détenteur des documents (par exemple une banque), à charge pour celui-ci d'informer rapidement son client. Cela vaut également lorsque la relation bancaire a été clôturée (ATF 136 IV 16 consid. 2.2; arrêt 1C_186/2017 du 5 avril 2017 consid. 1.4). En l'espèce, les décisions du MPC rendues dans le cadre de la procédure d'entraide, à tout le moins la décision d'entrée en matière, ont été notifiées, selon les dispositions légales applicables, à l'établissement bancaire. Il ressort au demeurant du dossier que les comptes des recourants ont été clôturés après la levée de l'interdiction de communiquer. Il revenait partant à l'établissement bancaire d'informer ses clients et une violation du droit d'être entendu des recourants ne saurait être reprochée au MPC.
2.3. Au surplus, et contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'autorité précédente a relevé que leur intérêt à consulter le dossier intégral de la procédure d'entraide résidait dans leur volonté de se prononcer sur la nature des preuves qui leur sont opposées dans la procédure fiscale vaudoise (cf. consid. 2.4 de l'arrêt attaqué). Le TPF a toutefois considéré que l'intérêt privé des recourants relevait de la procédure fiscale en question (cf. consid. 2.4 de l'arrêt attaqué). Il a également estimé qu'un intérêt public prépondérant s'opposait au droit à la consultation du dossier de la procédure d'entraide close depuis 2020, notamment parce qu'une telle intervention pourrait remettre en cause la collaboration internationale, alors même que les renseignements transmis par la Suisse auraient déjà été utilisés par l'autorité étrangère (cf. consid. 2.1.3 et 2.3 de l'arrêt attaqué; cf. ATF 136 IV 16 consid. 2.4). À cet égard, le seul fait que les recourants affirment ne pas avoir "l'intention de s'en prendre directement aux décisions prises par le MPC dans le cadre de la procédure d'entraide litigieuse" ne fait pas disparaître l'existence de l'intérêt de l'État à refuser l'accès au dossier d'entraide clos.
Partant, le grief de violation du droit d'être entendu doit être rejeté.
3.
Les recourants dénoncent ensuite une violation de l'art. 8 de l'ancienne loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (aLPD; RS 235.1, resp. RO 1993 1945). Ils soutiennent que les documents de la procédure d'entraide leur ayant été transmis ne permettent pas de vérifier la finalité du traitement et d'établir le but dans lequel leurs données ont été traitées; de même, la base juridique du traitement ne leur aurait pas été communiquée.
Dans ce cadre, les recourants se plaignent également d'une violation de leur droit d'être entendus au motif que l'arrêt attaqué serait insuffisamment motivé et ne leur permettrait pas de discerner le raisonnement de l'autorité précédente.
3.1. En matière de protection des données, les procédures de recours qui, comme en l'espèce, concernent une décision de première instance rendue avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale du 25 septembre 2020 (LPD; RS 235.1) sont régies par l'aLPD (art. 70 LPD).
Selon l'art. 8 aLPD, toute personne peut demander au maître d'un fichier si des données la concernant sont traitées (al. 1). Le maître du fichier doit lui communiquer: toutes les données la concernant qui sont contenues dans le fichier, y compris les informations disponibles sur l'origine des données (al. 2 let. a); le but et éventuellement la base juridique du traitement, les catégories de données personnelles traitées, de participants au fichier et de destinataires des données (al. 2 let. b). Ce droit de consultation existe indépendamment de tout intérêt; ce n'est qu'en cas de refus de la part du maître du fichier, qu'une pesée d'intérêts doit avoir lieu (ATF 147 III 139 consid. 1.7.2; 141 III 199 consid. 7.1.1).
3.2. Le TPF rappelle que les recourants ont obtenu la décision du MPC du 4 avril 2023, la communication spontanée à l'AFC caviardée et la table des matières du dossier d'entraide caviardée. Il considère ainsi qu'ils ont été informés du traitement des données personnelles les concernant dans le cadre de la procédure d'entraide et que ces documents leur permettaient de connaître l'origine desdites données, le but du traitement, sa base juridique, ainsi que les catégories de données personnelles traitées, les participants et les destinataires des données. L'art. 8 aLPD avait par conséquent été respecté et le recours était sans objet sur ce point.
3.3. Contrairement à ce qu'affirment les recourants, il apparaît que les documents remis permettent d'établir le but du traitement. En effet, il ressort de ceux-ci que les données traitées l'ont été dans le cadre d'une procédure d'entraide internationale en matière pénale, ouverte suite à une demande d'entraide émanant des autorités françaises, et portant sur les relations bancaires des recourants avec la banque C.________ SA. Donner aux recourants plus de précisions sur le but du traitement reviendrait à leur révéler le contenu de la demande d'entraide présentée par la France, ce qui irait à l'encontre des principes applicables en matière de procédure d'entraide pénale internationale dès lors que la décision de clôture n'a pas été contestée en temps utile par les recourants et est entrée en force (cf. ATF 136 IV 16 consid. 2.4 et références).
S'agissant de l'absence d'indications relatives à la base juridique du traitement, il convient de relever que ledit traitement s'inscrit dans le cadre d'une procédure d'entraide internationale en matière pénale, ce qui renvoie nécessairement à l'EIMP et à la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale (CEEJ; RS 0.351.1).
Au surplus, on peine à comprendre en quoi l'obtention de documents auxquels n'a pas eu accès l'ACI-VD, dès lors qu'ils ne se trouvent pas dans le dossier de cette autorité que les recourants ont pu consulter, s'avérerait nécessaire pour prouver une prétendue origine illicite des documents utilisés par l'ACI-VD dans le cadre de la procédure fiscale.
Il apparaît en définitive que l'accès restreint au dossier de la procédure d'entraide ne consacre en rien une violation des dispositions du droit fédéral.
3.4. À cet égard, il ne saurait non plus être retenu que l'autorité précédente n'a pas suffisamment détaillé les motifs l'ayant guidée (cf. consid. 2.1 ci-dessus). En effet, le TPF détaille non seulement le contenu des documents remis aux recourants (consid. 3.3 de l'arrêt attaqué), mais également en quoi celui-ci satisfait aux conditions de l'art. 8 aLPD (consid. 3.5 de l'arrêt attaqué).
Le grief de violation du droit d'être entendu sous cet angle doit partant également être écarté.
4.
Il résulte de ce qui précède que le recours est rejeté en tant qu'il est recevable.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants (art. 66 al. 1 et 5 LTF). Il n'y a pas lieu d'allouer des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté, en tant qu'il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge des recourants.
3.
Il n'est pas octroyé de dépens.
4.
Le présent arrêt est communiqué à la mandataire des recourants, au Ministère public de la Confédération, à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral et à l'Unité Entraide judiciaire de l'Office fédéral de la justice.
Lausanne, le 31 octobre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Kneubühler
La Greffière : Rouiller