9C_61/2024 07.11.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_61/2024
Arrêt du 7 novembre 2024
IIIe Cour de droit public
Composition
M. et Mmes les Juges fédéraux Parrino, Président, Moser-Szeless et Scherrer Reber.
Greffier : M. Bleicker.
Participants à la procédure
Personalvorsorgestiftung Elenka, représentée par A.________ Sàrl,
recourante,
contre
Caisse de prévoyance de l'État de Genève (CPEG),
intimée,
B.________,
représentée par Me Marie-Josée Costa, avocate,
Objet
Prévoyance professionnelle (début de l'incapacité de travail),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 5 décembre 2023 (A/385/2023 - ATAS/943/2023).
Faits :
A.
A.a. B.________, née en 1967, a travaillé à 80 % comme aide-familiale pour la Fondation C.________ du 1 er septembre 2004 au 27 septembre 2008. À ce titre, elle était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la Caisse de prévoyance du personnel des établissements publics médicaux du canton de Genève (devenue la Caisse de prévoyance de l'État de Genève [ci-après: la CPEG]).
En arrêt de travail à 100 % du 1 er décembre 2006 au 15 avril 2007, puis à 50 % dès le 16 avril 2007, l'assurée a déposé une première demande de prestations de l'assurance-invalidité le 13 novembre 2007. Par décision du 24 avril 2008, l'Office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après: l'office AI) a rejeté la demande. En application de la méthode mixte d'évaluation de l'invalidité, il a retenu un degré d'invalidité arrondi de 38 % (30 % pour la part professionnelle, et 7,50 % pour la part ménagère).
A.b. L'assurée a suivi une formation à l'École D.________ de janvier à mai 2009, puis a bénéficié d'un délai-cadre d'indemnisation de l'assurance-chômage. Durant l'année 2010, elle a travaillé comme assistante administrative à l'Office E.________, puis comme secrétaire à un taux d'activité de 80 % pour F.________ SA du 1er février 2011 au 30 juin 2017. À ce titre, elle était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la fondation LPP Personalvorsorgestiftung Elenka (ci-après: la fondation Elenka).
Le 27 juin 2013, l'office AI a refusé d'entrer en matière sur une nouvelle demande de prestations formulée par l'assurée le 28 mars 2013. À la suite d'un nouvel arrêt de travail dès mars 2016, l'assurée a déposé une troisième demande de prestations de l'assurance-invalidité le 4 juillet 2016. L'office AI a notamment mis en oeuvre une expertise médicale. Dans un rapport du 31 juillet 2019, le docteur G.________, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a diagnostiqué - avec répercussion sur la capacité de travail - un trouble dépressif récurrent, avec détresse anxieuse, sévère et une personnalité du registre abandonnique, probablement de type état limite, avec quelques éléments anxieux (autre trouble de la personnalité spécifié), décompensée. Selon le psychiatre, l'assurée présentait une incapacité de travail complète depuis le 7 mars 2016 dans toute activité. Par décision du 11 mars 2020, l'office AI a octroyé à l'assurée une rente entière de l'assurance-invalidité dès le 1 er mars 2017, soit une année après le début de l'incapacité de travail.
Le 23 novembre 2020, la fondation Elenka a versé des prestations préalables de la prévoyance professionnelle à l'assurée à compter du 1 er octobre 2018. La CPEG a pour sa part refusé de prendre en charge des prestations de la prévoyance professionnelle (correspondances des 28 juin 2021 et 9 mars 2022).
B.
Par demande datée du 3 février 2023, la fondation Elenka a ouvert action contre la CPEG devant la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève, en concluant à ce que la CPEG soit tenue de lui rembourser les prestations d'invalidité préalables versées. Statuant le 5 décembre 2023, la Cour de justice a rejeté la demande.
C.
La fondation Elenka forme un recours en matière de droit public contre cet arrêt dont elle demande l'annulation. Elle conclut à ce qu'il soit "admis que le lien de connexité matérielle et temporelle entre l'invalidité de Mme B.________ à partir du 1 er mars 2017 et le rapport de la prévoyance auprès de la Caisse de prévoyance de l'Etat de Genève (CPEG) soit admis".
B.________ a informé spontanément le Tribunal fédéral de la prochaine fusion de la fondation Elenka avec une autre institution de prévoyance.
Considérant en droit :
1.
En tant que la fondation Elenka conclut à la constatation de l'admission d'un lien de connexité matérielle et temporelle entre l'invalidité de l'assurée à partir du 1 er mars 2017 et le rapport de prévoyance auprès de la CPEG, elle prend une conclusion préjudicielle, c'est-à-dire qu'elle formule un grief qui pourrait constituer un motif de réforme de l'arrêt entrepris. De telles conclusions sont irrecevables devant le Tribunal fédéral (cf. arrêt 2C_255/2011 du 23 mars 2011 consid. 4.1) car elles ont un caractère préparatoire. On comprend toutefois à la lecture des motifs du recours - qui peuvent servir à en interpréter les conclusions (ATF 137 III 313 consid. 1.3) - que la recourante conclut en substance à ce que la CPEG soit condamnée à lui restituer les prestations de la prévoyance professionnelle versées en faveur de l'assurée depuis le 1 er octobre 2018. Dans cette mesure, il convient d'entrer en matière sur le recours.
2.
Le recours en matière de droit public peut être formé notamment pour violation du droit fédéral (art. 95 let. a LTF), que le Tribunal fédéral applique d'office (art. 106 al. 1 LTF), n'étant limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral fonde son raisonnement sur les faits retenus par la juridiction de première instance (art. 105 al. 1 LTF) sauf s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte (c'est-à-dire arbitraire au sens de l'art. 9 Cst.; ATF 148 V 366 consid. 3.3 et les références) ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF).
3.
3.1. Compte tenu des conclusions et motifs du recours, le litige porte sur le point de savoir si la juridiction cantonale a violé le droit fédéral en déboutant la recourante de ses conclusions visant à condamner la CPEG à lui verser les prestations préalables de la prévoyance professionnelle (au sens de l'art. 26 al. 4 LPP). En particulier, il s'agit d'examiner si les premiers juges ont constaté de manière arbitraire que le lien de connexité temporelle avait été interrompu entre l'incapacité de travail survenue à l'époque où l'assurée était affiliée à la CPEG, soit entre septembre 2004 et octobre 2008 (art. 10 al. 3 LPP), et l'invalidité survenue dès mars 2017. À cet égard, l'arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d'invalidité de la prévoyance professionnelle (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l'incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l'obligation de prester d'une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références). Il suffit d'y renvoyer.
3.2. On rappellera que la preuve suffisante d'une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l'angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l'attestation médicale d'une incapacité de travail "en temps réel" ("echtzeitlich"). Toutefois, des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L'atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d'autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s'être manifestée sous l'angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l'employeur ou une accumulation d'absences du travail liées à l'état de santé (arrêt 9C_556/2019 du 4 novembre 2019 consid. 4.3 et la référence).
4.
4.1. La juridiction cantonale a retenu que le lien de connexité temporelle entre l'incapacité de travail de l'assurée survenue pendant les rapports d'affiliation à la CPEG et l'invalidité survenue à compter de mars 2017 avait été interrompu. Elle a constaté que l'assurée avait recouvré une capacité entière de travail dès février 2011. En particulier, celle-ci avait travaillé à 80 % de février 2011 à octobre 2012, puis de 2013 à mars 2016. Durant ces périodes, aucun élément médical n'attestait que l'assurée avait été en arrêt de travail de 20 % au moins. Le docteur G.________ avait d'ailleurs conclu à une incapacité de travail de 80 % à compter seulement de mars 2016. Ce n'était également qu'à partir de mars 2016 que l'office AI avait admis que l'assurée présentait une incapacité de travail déterminante. Dès lors, les premiers juges ont considéré que la CPEG n'était pas tenue de prester.
4.2. La recourante soutient que la cour cantonale a retenu de manière arbitraire que l'assurée avait recouvré une capacité de travail supérieure à 80 % dès le 1 er février 2011. Elle rappelle tout d'abord que l'office AI avait reconnu à l'assurée un taux d'invalidité de 38 % dès le 1 er décembre 2006. Elle fait ensuite valoir que l'assurée, qui présentait un taux d'invalidité supérieur à 20 %, avait indiqué à l'office AI que, sans atteinte à la santé, elle aurait travaillé à 100 %, et non pas à 80 %. Enfin, l'expert mandaté par l'office AI avait conclu que la capacité de travail de l'assurée était nulle à compter de mars 2016 (et non pas à une incapacité de travail 80 %).
5.
En l'espèce, la recourante reconnaît tout d'abord que l'assurée a repris une activité professionnelle à un taux d'activité de 80 % dès le 1er février 2011, soit à un taux d'activité supérieur à celui de 50 % pris en compte par l'office AI dans sa décision du 24 avril 2009. Dès lors, la juridiction cantonale pouvait conclure sans arbitraire à une amélioration de l'état de santé de l'assurée survenue postérieurement à sa période d'affiliation à la CPEG (de septembre 2004 à fin octobre 2008). Ensuite, bien que l'assurée ait indiqué à l'office AI qu'elle aurait travaillé à 100 % en l'absence d'atteinte à la santé (correspondance du 3 septembre 2019), cette simple déclaration, en tant que telle, ne suffit pas à établir au degré de la vraisemblance prépondérante requis en assurances sociales qu'une atteinte à la santé l'aurait empêchée de travailler à plus de 80 % dès le 1 er février 2011. L'office AI s'est d'ailleurs écarté de l'affirmation de l'assurée, considérant plutôt qu'elle se serait toujours consacrée à 80 % à son activité professionnelle, et à 20 % à l'accomplissement de ses travaux habituels dans le ménage (décision de l'office AI du 11 mars 2020). Enfin, la recourante ne prétend pas qu'un médecin aurait confirmé que l'assurée aurait été empêchée, dans une activité adaptée, de travailler à 100 % (ou à plus de 80 % [cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4]) pour des raisons médicales dès le 1 er février 2011, et pour une période de plus de trois mois. Au contraire, dans l'expertise psychiatrique, le docteur G.________ a constaté que l'assurée avait présenté un "nouvel épisode dépressif" dès mars 2016, en raison notamment de conflits et de l'ambiance à son travail. Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de s'écarter des constatations des premiers juges, ni de leur appréciation.
6.
Mal fondé, le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.
7.
Vu l'issue du litige, les frais de la procédure doivent être mis à la charge de la recourante (art. 66 al. 1 LTF). Les autres participants à la procédure, qui n'ont pas été invités à répondre, n'ont pas droit à des dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge de la recourante.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à B.________, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 7 novembre 2024
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Parrino
Le Greffier : Bleicker