4A_339/2022 31.10.2024
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
4A_339/2022
Arrêt du 31 octobre 2024
Ire Cour de droit civil
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jametti, Présidente, Kiss, Hohl, Rüedi et May Canellas.
Greffière : Mme Fournier.
Participants à la procédure
A.________ SA,
représentée par Me Michel Esseiva, avocat,
recourante,
contre
1. B.________,
2. C.________,
tous les deux représentés par Me Alain Ribordy, avocat,
intimés.
Objet
bail à loyer; action en fixation du loyer initial; rendement brut admissible (art. 269a let. c CO),
recours contre l'arrêt du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg, IIe Cour d'appel civil, du 17 juin 2022
(102 2022 2).
Faits :
A.
A.a. Le 20 juin 2014, A.________ SA en qualité de bailleresse, d'une part, et C.________ et B.________ en qualité de locataires, d'autre part, ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur un appartement de 3,5 pièces, comprenant deux places de parc dans un immeuble locatif de trois appartements construit en 2013 à (...) pour un loyer mensuel net de 1'600 fr. S'agissant des frais accessoires, il n'a été convenu ni acompte ni forfait.
Le bail a débuté le 1er juillet 2014 pour une durée indéterminée. Il pouvait être résilié avec un délai de trois mois pour la fin de chaque mois.
A.b. Le 20 décembre 2019, les locataires ont résilié le bail pour le 31 mars 2020. L'état des lieux de sortie a eu lieu quelques jours avant cette échéance.
A.c. Ultérieurement, la bailleresse a fait savoir aux locataires qu'elle les tenait pour responsables de certains dégâts constatés à cette occasion et leur a réclamé 4'829 fr. 50 de frais de réfection.
B.
B.a. Le 30 avril 2020, les locataires ont saisi la Commission de conciliation en matière de bail à loyer de la Gruyère, de la Glâne, de la Broye et de la Veveyse d'une requête tendant à la restitution d'un trop-perçu de loyers et à la libération de la garantie de loyer en leur faveur. Devant l'échec de cette procédure, ils ont porté leur demande devant le Tribunal des baux de la Broye en réclamant à la bailleresse, outre la libération de la garantie de loyer, 33'600 fr. avec intérêts à 5 % l'an dès le 1er mai 2020, au titre de loyers payés en trop.
La défenderesse a conclu principalement au rejet de la demande et pris des conclusions reconventionnelles tendant à ce que les locataires lui versent 12'825 fr. de loyers supplémentaires pour la période du 1er juillet 2014 au 29 février 2020, 1'600 fr. de loyer pour mars 2020, 4'829 fr. 50 en réparation de différents dégâts, avec les intérêts correspondants, et à ce que la garantie de loyer soit libérée en sa propre faveur, en déduction des montants réclamés.
Par décision du 10 novembre 2021, le Tribunal des baux a partiellement admis la demande et (quasi-) intégralement rejeté la demande reconventionnelle (400 fr. de dommage prétendu ayant été admis). Il a condamné la bailleresse à payer aux locataires 33'600 fr. avec intérêts et ordonné la libération de la garantie de loyer en leur faveur. En substance, il a estimé que le loyer initial était nul faute pour la bailleresse d'avoir annexé au contrat de bail la formule officielle topique, dont l'usage était alors obligatoire dans le canton de Fribourg. Le Tribunal des baux a calculé le loyer mensuel net admissible selon la méthode absolue du rendement brut (art. 269a let. c CO), l'immeuble ayant été construit moins de dix ans auparavant. Ce loyer était inférieur à celui que les locataires estimaient correct et sur lequel ils avaient calibré leurs conclusions (1'100 fr. par mois), de sorte que celles-ci ont été admises. Partant, la bailleresse devait verser aux locataires 34'000 fr., correspondant aux loyers perçus en trop du 1er juillet 2014 au 29 février 2020 (500 fr. de différentiel durant 68 mois). Après compensation avec le montant de 400 fr. correspondant au dommage dont les locataires étaient responsables, il en résultait un solde de 33'600 fr. dû aux locataires, avec intérêts à 5 % dès l'entrée en force de cet arrêt.
B.b. Par arrêt du 17 juin 2022, le Tribunal cantonal du canton de Fribourg a rejeté l'appel de la bailleresse. Ses motifs seront évoqués dans les considérants en droit qui suivent.
C.
La bailleresse forme un recours en matière civile en concluant principalement à ce que le loyer soit fixé à 1'469 fr. 50 du 1er juillet 2014 au 31 mai 2015, 1'402 fr. 70 du 1er juin 2015 au 31 mai 2017 et 1'335 fr. 90 du 1er juin 2017 au 28 février 2020, ce qui fait qu'elle devrait aux locataires 14'486 fr. avec intérêts à 5 % l'an "dès l'entrée en force de l'arrêt rendu sur appel", et non davantage.
Dans leur réponse, les locataires concluent au rejet du recours. De son côté, la cour cantonale se réfère aux considérants de son arrêt.
Considérant en droit :
1.
Interjeté en temps utile (art. 100 al. 1 et 46 al. 1 let. b LTF) par la bailleresse qui a succombé dans ses conclusions (art. 76 al. 1 LTF) et dirigé contre un arrêt final (art. 90 LTF) rendu sur appel par un tribunal cantonal supérieur (art. 75 LTF) dans une affaire de bail à loyer (art. 72 al. 1 LTF), dont la valeur litigieuse atteint le seuil de 15'000 fr. requis en cette matière (art. 74 al. 1 let. a LTF), le recours en matière civile est recevable au regard de ces dispositions.
2.
2.1. Le Tribunal fédéral statue sur la base des faits établis par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s'en écarter que si ces faits ont été établis de façon manifestement inexacte - ce qui correspond à la notion d'arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. (ATF 143 I 310 consid. 2.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; 140 III 115 consid. 2; 137 I 58 consid. 4.1.2; 137 II 353 consid. 5.1) - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF), et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
Concernant l'appréciation des preuves, le Tribunal fédéral n'intervient, du chef de l'art. 9 Cst., que si le juge du fait n'a manifestement pas compris le sens et la portée d'un moyen de preuve, a omis sans raisons objectives de tenir compte des preuves pertinentes ou a effectué, sur la base des éléments recueillis, des déductions insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3; 137 III 226 consid. 4.2; 136 III 552 consid. 4.2; 134 V 53 consid. 4.3; 129 I 8 consid. 2.1).
La critique de l'état de fait retenu est soumise au principe strict de l'allégation énoncé par l'art. 106 al. 2 LTF (ATF 140 III 264 consid. 2.3 et les références). La partie qui entend attaquer les faits constatés par l'autorité précédente doit expliquer clairement et de manière circonstanciée en quoi ces conditions seraient réalisées (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1 et les références). Si elle souhaite obtenir un complètement de l'état de fait, elle doit aussi démontrer, par des renvois précis aux pièces du dossier, qu'elle a présenté aux autorités précédentes, en conformité avec les règles de la procédure, les faits juridiquement pertinents à cet égard et les moyens de preuve adéquats (ATF 140 III 86 consid. 2). Si la critique ne satisfait pas à ces exigences, les allégations relatives à un état de fait qui s'écarterait de celui de la décision attaquée ne pourront pas être prises en considération (ATF 140 III 16 consid. 1.3.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 130 I 258 consid. 1.3).
2.2. Le Tribunal fédéral applique en principe d'office le droit (art. 106 al. 1 LTF) à l'état de fait constaté dans l'arrêt cantonal (ou à l'état de fait qu'il aura rectifié). Cela ne signifie pas que le Tribunal fédéral examine, comme le ferait un juge de première instance, toutes les questions juridiques qui pourraient se poser. Compte tenu de l'obligation de motiver imposée par l'art. 42 al. 2 LTF, il ne traite que les questions qui sont soulevées devant lui par les parties, à moins que la violation du droit ne soit manifeste (ATF 140 III 115 consid. 2). Il n'est en revanche pas lié par l'argumentation juridique développée par les parties ou par l'autorité précédente; il peut admettre le recours, comme il peut le rejeter en procédant à une substitution de motifs (ATF 137 II 313 consid. 1.4; 135 III 397 consid. 1.4).
3.
Les parties ont été liées par un contrat de bail. Lors de la conclusion du bail en cause, la bailleresse n'a pas remis aux locataires la formule officielle prévue à l'art. 270 al. 2 CO qui a pour but d'informer le locataire, en lui fournissant toutes les indications utiles, de sa possibilité de saisir l'autorité de conciliation afin de contester le montant du loyer. Après la fin du bail, les locataires ont fait valoir que le loyer initial (1'600 fr. par mois) était nul, demandé qu'il soit fixé par le juge et que le trop-perçu par la bailleresse leur soit restitué. Le Tribunal des baux et, à sa suite, la cour cantonale ont considéré que le loyer convenu était frappé de nullité compte tenu du défaut de formule officielle (ATF 140 III 583 consid. 3.2.1 et 3.2.2; arrêt 4A_607/2015 du 4 juillet 2016 consid. 3.1.3). Il sied de relever que les premiers juges ont fait bénéficier les locataires de la présomption d'ignorance de l'existence de cette formule officielle, sans vérifier si ceci se justifiait au regard des circonstances (cf. ATF 148 III 63 consid. 6.2; 146 III 82 consid. 4.1.3). Cela étant, la question n'a pas été soulevée devant l'instance cantonale, la bailleresse ne soutenant pas que ses adverses parties connaissaient pertinemment le caractère obligatoire de cette formule. Le loyer initial étant nul, il appartenait au juge de le fixer lui-même pour toute la durée du bail, à savoir du 1er juillet 2014 au 29 février 2020, sachant que la cour cantonale a jugé que le loyer de mars 2020 n'était pas dû en raison des travaux exécutés par la bailleresse durant le mois en question. Jusque-là, il n'y a point de désaccord.
Les parties admettent que le loyer admissible doit être calculé à l'aide de la méthode (absolue) du rendement brut permettant de couvrir les frais, la construction étant récente ( i.e. en général de moins de dix ans, sachant qu'ici, elle remonte à 2013) au sens de l'art. 269a let. c CO.
Le noeud du problème se situe en aval, au niveau du calcul lui-même.
4.
Pour bien comprendre les enjeux, une mise en perspective s'avère nécessaire.
4.1. Dans le cadre de la méthode du rendement net (art. 269 CO), le loyer admissible est calculé en additionnant le rendement des fonds propres aux charges immobilières (soit les intérêts hypothécaires, les frais d'entretien et les frais d'exploitation effectifs) (cf. à ce sujet, arrêts 4A_288/2020 du 13 janvier 2021 consid. 5.1 et 4A_239/2018 du 19 février 2019 consid. 5.2.2). Le rendement des fonds propres correspond aux fonds propres investis, multipliés par le taux hypothécaire de référence auquel on ajoute un supplément. Ce supplément a été pendant longtemps de 0,5 % jusqu'à ce que le Tribunal fédéral le porte à 2 % en 2020, tant que le taux hypothécaire de référence est inférieur ou égal à 2 % (ATF 147 III 14 consid. 8.4).
4.2. Cela étant, lorsque l'immeuble est récent, le critère absolu applicable est celui du rendement brut de l'art. 269a let. c CO (introduit en 1989).
Le rendement brut doit permettre de "couvrir les frais", ce qui signifie qu'il doit être suffisant pour que le bailleur puisse rentabiliser son capital propre, assumer ses charges financières (intérêts des fonds empruntés), ses charges courantes (ou d'exploitation, telles que primes d'assurance liées à l'immeuble, impôts fonciers, rentes de droit de superficie, honoraires de gérance, abonnements d'entretien, frais d'eau et d'électricité des espaces communs, salaire du concierge, etc.) et les frais d'entretien. Il représente le rapport exprimé en pour-cent entre le loyer net (à l'exclusion des frais accessoires) de l'objet loué et son prix de revient, c'est-à-dire les frais d'investissement (art. 15 al. 1 OBLF) dans la mesure où ceux-ci ne sont pas manifestement exagérés (art. 15 al. 2 OBLF). Les frais d'investissement correspondent au prix du terrain et au coût de la construction ainsi qu'aux frais annexes qui leur sont liés (ATF 116 II 594), parmi lesquels les droits de mutation et les honoraires du notaire. Ils doivent être rapportés à l'appartement litigieux (sur les clés de répartition possibles, PETER HIGI/CHRISTOPH WILDISEN, in Zürcher Kommentar, 5e éd. 2022, n° 183 ad art. 269a CO; dans le cas de PPE et d'appartements dans une maison individuelle, cf. arrêt 4A_35/2008 du 13 juin 2008 consid. 4.3).
Le loyer admissible résulte donc de la multiplication suivante (HIGI/WILDISEN, op. cit., n° 160 ad art. 269a CO; et sur un raisonnement en cinq étapes, les mêmes, ibid., n° 166 ss) :
Prix de revient (de l'appartement) x taux de rendement brut admissible
4.3. Le calcul du rendement brut de l'art. 269a let. c CO se distingue du calcul du rendement net de l'art. 269 CO en ceci qu'il ne tient pas compte du mode de financement de l'immeuble; les fonds propres ne sont donc pas distingués des fonds étrangers (HIGI/WILDISEN, op. cit., n° 152 ad art. 269a CO; ROGER WEBER, in Basler Kommentar, 7e éd. 2020, n° 13 ad art. 269a CO; DAVID LACHAT/PIERRE STASTNY, Le bail à loyer, Lausanne 2019, p. 620 ch. 6.5; FRANÇOIS BOHNET/JULIEN BROQUET, in Commentaire pratique, Droit du bail à loyer et à ferme, 2e éd. 2017, n° 103 ad art. 269a CO).
Le prix de revient est simplement multiplié par le taux de rendement brut admissible. Ce taux englobe donc forfaitairement les charges du propriétaire (frais financiers, charges courantes et frais d'entretien). La raison de ce forfait tient au fait que les données concrètes représentatives sont lacunaires, voire inexistantes.
En pratique, le taux de rendement brut admissible est calculé en ajoutant deux éléments au taux hypothécaire de référence :
-- les charges courantes et frais d'entretien du propriétaire appréhendés par un quotient (en principe 1,5 %, à moins que des circonstances particulières ne justifient un pourcentage plus ou moins élevé; cf. arrêt 4C.464/1996 du 17 février 1997 consid. 3e);
-- un pourcentage de 0,5 % (par le passé) à titre de rémunération des fonds investis, calqué sur celui prévalant dans le calcul du rendement net (cf. supra consid. 4.1).
Partant, de longue date et jusqu'à présent, le rendement brut admissible correspondait au prix de revient (de l'appartement) multiplié par le taux hypothécaire de référence auquel on ajoute 2 % (1,5 % plus 0,5 %) (cf. ATF 118 II 124 consid. 5; arrêts 4A_285/2022 du 16 juin 2023 consid. 3.1.3 s.; 4C.464/1996 précité consid. 3e).
4.4. Ce mode de calcul a été conçu pour favoriser la construction de nouveaux logements, respectivement la rénovation complète d'immeubles locatifs (ATF 118 II 124 consid. 4a; avis du Conseil fédéral du 11 février 2015 au sujet de l'interpellation n°14.4246 du Conseiller national Hugues Hiltpold; PETER ZIHLMANN, Das neue Mietrecht, 1990, p. 151; BOHNET/BROQUET, op. cit., n° 97 ad art. 269a CO; PHILIPPE CONOD, Contestation du loyer initial - Rendement net, in Cahiers du bail 1/2021, p. 24 ss, p. 30).
5.
Ceci étant rappelé, il faut en venir à la pomme de discorde.
5.1. Selon l'arrêt cantonal, la bailleresse avait investi 1'090'117 fr. 50 pour l'acquisition et la construction de l'immeuble en cause (somme contestée par les locataires, mais sur laquelle il n'était pas nécessaire de se pencher compte tenu de l'issue du litige).
Toujours selon l'arrêt attaqué, la bailleresse avait calculé le loyer admissible sur la base des taux hypothécaires de référence suivants:
2 % lors de la conclusion du contrat de bail (2014), 1,75 % en 2015, 1,5 % de 2016 à 2019 et 1,25% en 2020; elle avait majoré ces taux de 2 %, de sorte qu'elle aboutissait à un taux de rendement admissible de 4 % en 2014, 3,75 % en 2015, 3,5 % de 2016 à 2019 et 3,25 % en 2020.
De leur côté, les locataires avaient admis en procédure que le loyer admissible soit fixé d'année en année en fonction de ces taux-ci, respectivement cette majoration de 2 %.
Les parties s'accordaient également sur le fait que l'immeuble était composé de trois appartements d'une surface totale de 323 m2, dont 95 m2 correspondaient à l'appartement (de 3,5 pièces) des locataires. Ce dernier appartement représentait ainsi 29,4118 % du total (95/323) (ou 320'622 fr. 80 par rapport à l'investissement total de 1'090'117 fr. 50).
Partant, le loyer admissible se calculait de la manière suivante:
Période Loyer mensuel
2014 320'622 fr. 80 x 4 % 1'068 fr. 75
2015 320'622 fr. 80 x 3,75 % 1'001 fr. 95
2016-2019 320'622 fr. 80 x 3,5 % 935 fr. 15
2020 320'622 fr. 80 x 3,25 % 868 fr. 35
Les juges cantonaux enchaînent en ces termes : comme les locataires avaient conclu à ce que le loyer soit fixé à 1'100 fr. par mois dès le début du bail, soit un montant supérieur à celui résultant des calculs précédents, et que le tribunal était lié par ces conclusions, le loyer admissible se montait à 1'100 fr. par mois.
5.2. Dans une première salve de griefs, la bailleresse soutient que la cour cantonale n'aurait pas dû s'en tenir aux taux hypothécaires de référence erronés figurant dans le document de calcul de sa fiduciaire produit par ses soins. Le principe de disposition ne permettait pas à la cour cantonale de s'arc-bouter sur des valeurs incorrectes, sauf à violer l'art. 58 al. 1 CPC. Les chiffres litigieux représentaient des faits notoires de sorte que les juges cantonaux auraient dû appliquer ceux publiés par l'Office fédéral du logement (OFL), en vertu de l'art. 151 CPC.
Un deuxième aspect vaut à l'arrêt cantonal d'être la cible de ses critiques. Selon la recourante, celui-ci aurait dû tenir compte de la nouvelle jurisprudence relative au taux de rendement net des fonds propres (ATF 147 III 14 consid. 8.4) laquelle aurait nécessairement une incidence sur le calcul du rendement brut; dans le cas présent, il aurait fallu ajouter aux taux hypothécaires de référence un pourcentage de 3,5 % (1,5 % plus 2 % [et non plus 0,5 % comme auparavant]). En s'estimant liée par les chiffres (1,5 plus 0,5 %) que la recourante elle-même avait utilisés dans les calculs présentés aux premiers juges, la cour cantonale aurait violé l'art. 57 CPC en conjonction avec l'art. 269a let. c CO.
5.3. De leur côté, les locataires reprennent dans leur réponse l'argumentation déjà présentée à la cour cantonale, que celle-ci n'a pas eu à trancher, puisqu'elle a fait droit à leurs conclusions pour d'autres motifs. Ils expliquent que, si le Tribunal fédéral devait revoir les chiffres correspondant aux taux hypothécaires de référence et à la majoration corrélative pour calculer le rendement brut admissible, il faudrait bien plutôt fixer le loyer sur la base des statistiques cantonales puisque la bailleresse serait demeurée floue sur les frais d'investissement de l'immeuble. En somme, le montant de 1'090'117 fr. 50 de frais d'investissement ne pourrait être retenu.
6.
La première question qui se pose est de savoir si la cour cantonale a considéré à juste titre qu'elle avait les mains liées par le principe de disposition.
6.1. La cour cantonale a estimé que le principe de disposition lui interdisait de s'écarter des chiffres sur lesquels la recourante avait bâti son calcul du rendement brut admissible. Cela concernait tout à la fois le taux hypothécaire de référence et le supplément corrélatif, à savoir deux éléments du calcul en question (cf. supra consid. 4.3).
Il ressort en effet de la réponse et demande reconventionnelle que la recourante a allégué (cf. détermination sur l'allégué n° 22 de la demande, p. 9) que le "loyer (mensuel) admissible" se montait à 1'907 fr. en 2014, 1'836 fr. en 2015, 1'764 fr. de 2016 à 2019 et 1'693 fr. en 2020, tant pour conclure au rejet des prétentions des locataires que pour fonder ses prétentions reconventionnelles; à titre de moyen de preuve, elle a produit une pièce (n° 18) dressée par sa fiduciaire, qui détaillait les calculs à la base de ces montants; c'est dans ce document que figurent les taux hypothécaires de référence erronés, ainsi que le pourcentage à leur ajouter, lequel correspond aux 2 % prévalant avant l'ATF 147 III 14. Dans leur réplique et réponse à la demande reconventionnelle, les locataires se sont empressés d'admettre ces taux-ci; et d'invoquer qu'ils liaient dès lors le tribunal, par référence aux art. 58 et 150 al. 1 CPC (cf. complètement sur la base du dossier; leur réplique, p. 7 ch. 23 let. i).
6.2. L'action en fixation du loyer initial est soumise au principe de disposition (art. 58 CPC). Conformément au principe de disposition, le tribunal est lié par les conclusions des parties; il ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qu'elle demande, ni moins que ce que l'autre partie reconnaît lui devoir ( ne eat iudex ultra petita partium; arrêts 4A_39/2022 du 7 février 2023 consid. 4.3; 4A_653/2018 du 14 novembre 2019 consid. 6.3). Il s'agit là de l'expression en procédure du principe de l'autonomie privée. Il appartient aux parties, et à elles seules, de décider si elles veulent initier un procès et ce qu'elles entendent y réclamer ou reconnaître (arrêts 5A_664/2021 du 15 novembre 2021 consid. 3.1; 5A_88/2020 du 11 février 2021 consid. 8.3; 4A_329/2020 du 10 février 2021 consid. 4.2).
6.3. Le taux hypothécaire de référence est un fait notoire (arrêt 4A_415/2015 du 22 août 2016 consid. 3.6.2), ce qui signifie qu'il n'est pas nécessaire de l'alléguer, ni de le prouver (art. 151 CPC: " ne doivent pas être prouvés "; ATF 143 IV 380 consid. 1.1.1; 135 III 88 consid. 4.1; 134 III 224 consid. 5.2; arrêts 5A_719/2018 du 12 avril 2019 consid. 3.2.1 et 4A_582/2016 du 6 juillet 2017 consid. 4.5).
6.4. Dans le cas présent, les taux hypothécaires de référence inexacts figurant dans la pièce élaborée par la fiduciaire de la recourante ne portent pas à conséquence puisqu'il s'agit de faits notoires. La cour cantonale devait donc se référer aux chiffres publiés par l'OFL, d'autant que la recourante en a fait l'un des motifs de son appel (complètement sur la base du dossier; cf. appel, p. 3) et que les faits notoires ne sont pas soumis aux restrictions de l'art. 317 CPC (arrêts 5A_719/2018 précité consid. 3.2.1 et 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1). Quant au principe de disposition auquel le jugement cantonal se réfère, il ne se conçoit que dans le cadre des conclusions d'une partie (sur la portée de ce principe, FABIENNE HOHL, Procédure civile, tome I, 2e éd. 2016, n° 1192 ss). Or, la recourante avait conclu, dans sa réponse, au rejet de la demande (indépendamment de ses conclusions reconventionnelles qui ont été - pour l'essentiel - rejetées). Ce n'est que s'il y avait eu acquiescement partiel, que le principe de disposition aurait interdit à la cour cantonale d'aller au-delà (c'est-à-dire de rejeter intégralement la demande).
Le grief est dès lors bien fondé sur ce premier point.
Ceci signifie que les taux de référence hypothécaires déterminants sont les suivants pour les périodes en cause (source : www.bwo.admin.ch/bwo/fr/home/mietrecht/referenzzinssatz/entwicklung-referenzzinssatz-und-durchschnittszinssatz.html) :
- Du 1er juillet 2014 au 1er juin 2015: 2 %
- Du 2 juin 2015 au 1er juin 2017: 1,75 %
- Du 2 juin 2017 au 29 février 2020: 1,5 %.
6.5. Quant au supplément qui vient se greffer sur ces taux de référence, il ne s'agit pas d'un élément de fait, mais d'une question de droit que la cour cantonale était appelée à revoir, compte tenu du grief soulevé par la bailleresse appelante (art. 310 let. a CPC). C'est dire que, bien que la recourante n'ait pas tenu compte de l'ATF 147 III 14 dans les calculs qu'elle avait initialement soumis au premier juge, le principe de disposition ne permettait pas à la cour cantonale de s'épargner cet examen: en effet, les conclusions de la bailleresse tendaient au rejet intégral de la demande ce qui seul traçait la frontière du jugement à rendre.
Sur ce second point, le grief de la recourante est également fondé.
7.
Demeure la question de savoir quel pourcentage ajouter au taux hypothécaire de référence pour déterminer le loyer admissible, selon la méthode du rendement brut.
7.1. Comme cela a déjà été rappelé (cf. supra consid. 4.3), l'un des éléments de ce pourcentage traduit les frais d'entretien et les charges courantes assumés par le propriétaire. Il correspond à 1,5 % et n'est pas la cible de critiques doctrinales. Tout au plus certains auteurs ont-ils exprimé le souci selon lequel ce supplément devra être différencié en fonction des particularités de l'investissement (BEAT ROHRER, in SVIT-Kommentar, 4e éd. 2018, n° 101 ad art. 269a CO; BOHNET/BROQUET, op. cit., n° 106 ad art. 269a CO; HIGI/WILDISEN, op. cit., n° 163 ad art. 269a CO; LACHAT/STASTNY, op. cit., p. 620 s. ch. 6.7). Cela étant, le Tribunal fédéral a déjà précisé que, si des circonstances particulières le commandent, cette majoration peut être plus ou moins élevée (arrêt 4C.464/1996 précité consid. 3e). Ceci signifie que, lorsque le prix du terrain est particulièrement élevé par rapport au coût de la construction, une majoration moins importante peut se concevoir, alors que si la construction comporte par exemple des installations particulièrement onéreuses ou à faible longévité, un pourcentage plus élevé est imaginable.
7.2. Quant au dernier élément intervenant dans le calcul, il correspondait à 0,5 % par le passé puisqu'il était calqué sur le pourcentage prévalant dans le cadre du calcul du rendement net (art. 269 CO). Comme la recourante l'a discerné, l'ATF 147 III 14 a toutefois changé cette donne.
Cet arrêt, rendu en 2020, modifie une jurisprudence remontant à 1986. A cette époque-là, un taux de 0,5 % avait été jugé admissible pour le rendement des fonds propres (ATF 112 II 149). Plus de trente ans plus tard, le Tribunal fédéral a considéré que le taux hypothécaire de référence avait continuellement baissé depuis 1995 jusqu'à atteindre 1,25 % à la date de son arrêt, de sorte que le rendement, calculé en ajoutant 0,5% audit taux, aboutissait à un loyer qui n'était plus en rapport avec la mise à disposition de l'usage de l'habitation et qui se révélait insuffisant pour les caisses de pension devant servir des rentes à leurs assurés ainsi que pour les propriétaires exposés aussi à des risques (défaut de paiement du loyer, locaux demeurant vides, etc.) (ATF 147 III 14 consid. 8.4). Le Tribunal fédéral a dès lors porté ce supplément de 0,5 à 2 %, tant que le taux hypothécaire de référence est inférieur ou égal à 2 %.
Il ne saurait être question de raisonner différemment pour le calcul du rendement brut. Les motifs qui ont dicté la solution de l'arrêt précité sont tout aussi pertinents dans ce calcul-là. D'ailleurs, comme déjà relevé, ce supplément est identique dans le calcul du rendement net et dans celui du rendement brut; la modification du premier doit donc logiquement se traduire dans le second. Partant, le pourcentage de 0,5 % qui prévalait jusqu'à présent dans le cadre de la méthode du rendement brut doit être porté à 2 %, tant que le taux hypothécaire de référence est inférieur ou égal à 2 %.
7.3. Ceci signifie que le prix de revient (de l'immeuble/de l'appartement) doit être multiplié par le taux hypothécaire de référence, auquel on ajoute 3,5 % (1,5 % représentant les frais d'entretien et les charges courantes auquel s'ajoute 2 % représentant le rendement des fonds investis) afin obtenir le rendement admissible dans la méthode du rendement brut (art. 269a CO), tant que le taux hypothécaire de référence est inférieur ou égal à 2 %.
7.4. Une partie de la doctrine partage d'ailleurs cet avis (cf. BEAT ROHRER, Konsequenzen aus der Änderung der Rechtsprechung des Bundesgerichts betreffend die zulässige Nettorendite (BGE 147 III 14), in MietRecht Aktuell 3/2021, p. 113 ss, p. 123; le même, Urteil des Bundesgerichts vom 26. Oktober 2020, in MietRecht Aktuell 4/2020, p. 163 ss, p. 181; CONOD, op. cit., p. 30; le même, Protection contre les loyers abusifs - ATF 147 III 14, in Droit du bail, 33/2021, p. 44 ss, p. 48 n. 53 ss; ZINON KOUMBARAKIS, Urteil des Bundesgerichts 4A_285/2022 vom 16. Juni 2023, in MietRecht Aktuell 3/2023, p. 148 ss, p. 155).
D'autres auteurs prônent un statu quo (HIGI/WILDISEN, op. cit., n° 162 s. ad art. 269a CO; également Pierre STASTNY, Jurisprudence fédérale relative au rendement net de la chose louée, in Plaidoyer 1/2021, p. 24 ss, p. 26 s.), mais cette solution ne saurait se concevoir, car le calcul du rendement brut englobe forfaitairement les frais d'entretien et les charges courantes (le pourcentage de 1,5 %) et car cette méthode permet au bailleur d'obtenir un rendement supérieur à celui autorisé par les autres critères légaux (ATF 118 II 124 consid. 4a; arrêt 4A_465/2015 du 1er mars 2016 consid. 5.6.1 et la réf. citée). D'aucuns relèvent que le calcul du rendement brut admissible ne fait pas de distinction entre fonds propres et fonds étrangers, au contraire du calcul du rendement net (HIGI/WILDISEN, op. cit., n° 162a ad art. 269a CO; STASTNY, op. cit., p. 26; PHILIPPE CONOD, Rendement net art. 269 CO; réévaluation des fonds propres; taux de rendement des fonds propres (arrêt TF 4A_554/2019), in Newsletter Bail.ch décembre 2020, p. 7). Cela étant, nul ne dénonçait cette assimilation avant l'ATF 147 III 14; c'était bien plutôt la complexité des calculs du rendement net qui focalisait la critique. Procéder désormais à une semblable distinction dans le calcul du rendement brut, comme cela a pu être suggéré (EMMANUEL PIAGET, Le rendement net de la chose louée, in 22e séminaire sur le droit du bail, 2022, p. 95 ss, p. 116 ch. 52), voire encore retenir une structure de financement standard (LAURENT BIERI, Le rendement brut de la chose louée, in PJA 2021, p. 437 ss, p. 438 et 439 note 19; PIAGET, op. cit., p. 116 ch. 53), ne ferait qu'ajouter à une complexité qui est décriée. Certes encore, la crainte a été exprimée d'aboutir à des loyers "aberrants" vu l'inflation du prix du sol et de la construction (STASTNY, op. cit., p. 26). Cela étant, le loyer auquel on aboutit dans le cas présent (cf. infra consid. 9) n'a rien d'aberrant, bien au contraire. Il a aussi été avancé que les loyers deviendraient impraticables, certains bailleurs peinant apparemment dans certaines régions du pays à trouver des locataires pouvant payer un loyer rentant à 3,25 % leur investissement (cf. DAVID LACHAT, La fixation du loyer contesté: une jurisprudence à bout de souffle?, in sui generis, p. 29 ss, p. 35 ch. 53). C'est oublier que le calcul du rendement brut ne fait qu'instaurer un plafond (le loyer abusif); en-deçà, les parties fixent librement le loyer, de sorte que l'offre et la demande en régulent le montant. Finalement, d'aucuns suggèrent que l'augmentation devrait impacter uniquement certains cas de loyers très bas (César MONTALTO/XAVIER RUBLI, Loyers abusifs et rendement net, in Revue de l'avocat, 2021, p. 59 ss, p. 60), mais ils n'articulent aucun chiffre. Ces opinions n'enlèvent donc rien à la conclusion qui ressort du considérant précédent.
7.5. En l'espèce, ceci signifie que le supplément au taux hypothécaire de référence dans le calcul du rendement brut n'est pas de 2 % (1,5 % plus 0,5 %) comme l'a retenu la cour cantonale, mais de 3,5 % (1,5 % plus 2 %) - ce qui englobe forfaitairement les frais d'entretien et les charges courantes (contrairement au calcul du rendement net) - sachant que les intimés ne prétendent pas que le prix du terrain serait particulièrement élevé par rapport au coût de la construction, que le dossier ne révèle d'ailleurs rien de tel (complètement d'office sur la base du dossier; le prix du terrain correspondait à 109'680 fr.) et que le taux hypothécaire de référence durant les périodes litigieuses n'était pas supérieur à 2 %.
Le recours s'avère donc bien fondé sur ce point également.
Somme toute, ceci signifie que les loyers admissibles se calculent à l'aide des taux de rendement brut suivants:
- du 1er juillet 2014 au 1er juin 2015: (2 % + 3,5 %) 5,5 %
- du 2 juin 2015 au 1er juin 2017: (1,75 % + 3,5 %) 5,25 %
- du 2 juin 2017 au 29 février 2020 (1,5 % + 3,5 %) 5 %
8.
Il faut encore trancher la motivation subsidiaire des locataires intimés relative aux frais d'investissement, puisque le calcul du rendement brut est fondé sur ceux-ci.
8.1. Il ressort du jugement de première instance que les frais d'investissement s'élevaient à 1'090'117 fr. 50. Ce montant résulte de l'addition des fonds propres (139'117 fr. 50) investis par la recourante et du montant du crédit de construction (951'000 fr.). Les premiers juges n'ont pas compté les travaux personnels que la bailleresse prétendait avoir effectués et qui étaient englobés dans son plan financier à hauteur de 75'000 fr., car aucun élément au dossier n'accréditait leur réalisation.
Cela étant, les locataires ont contesté le total des frais d'investissement en raison du fait que la recourante elle-même était bénéficiaire d'un bon nombre de débits du compte de construction (représentant 389'000 fr. au total). Que ces débits soient justifiés par des travaux correspondants n'était pas démontré. Et la recourante avait refusé de produire ses comptes car, à ses dires, " ceux-ci ne portaient aucune mention des lieux où les prestations avaient été effectuées ". D'après les locataires, il faudrait sanctionner le refus de produire les pièces nécessaires par la fixation du loyer selon le loyer statistique, celui-ci s'élevant à 1'100 fr. pour un logement de trois pièces dans le canton de Fribourg en 2010 et en 2015 (cf. annuaire statistique du canton de Fribourg 2019, p. 135).
8.2. Selon la jurisprudence, il appartient au locataire qui conteste le loyer initial d'apporter la preuve que le loyer convenu procure au bailleur un rendement excessif. Toutefois, selon les principes généraux tirés des règles de la bonne foi, la partie qui n'a pas la charge de la preuve (soit le bailleur) doit collaborer loyalement à l'administration des preuves et fournir les éléments qu'elle est la seule à détenir. La jurisprudence a dégagé certains principes (ATF 147 III 14 consid. 6.1; 142 III 568 consid. 2.1; arrêts 4A_17/2017 du 7 septembre 2017 consid. 2.2 et les arrêts cités; 4A_461/2015 du 15 février 2016 consid. 3.2 et 3.3) :
En premier lieu, il s'agit de déterminer si les documents remis par les parties sont suffisants ou non pour calculer le rendement (net ou brut). Si tel est le cas, c'est exclusivement sur cette base qu'il convient de déterminer si le loyer examiné est abusif (ATF 147 III 14 consid. 6.1.1).
Ensuite, si tel n'est pas le cas parce qu'aucun document n'est remis au juge ou que les documents fournis sont insuffisants, il faut distinguer selon que l'on peut ou non imputer cette carence au bailleur. Si le défaut de production du bailleur est justifié, il ne lui sera pas imputé dans l'appréciation des preuves (ATF 147 III 14 consid. 6.1.2).
Si en revanche, le bailleur a, sans aucune justification, refusé ou négligé de produire les pièces comptables en sa possession, il faut distinguer en fonction des moyens de preuve à disposition du juge. En l'absence de tout autre élément de preuve, le refus du bailleur pourra avoir pour conséquence de convaincre le juge de la fausseté complète ou partielle de ses allégations, et par conséquent de l'amener à croire les indications du locataire (ATF 147 III 14 consid. 6.1.3).
La jurisprudence relative au rendement net des fonds propres prescrit de tenir compte, dans ce dernier cas, des données statistiques cantonales ou communales dans le cadre de son appréciation globale des preuves; même insuffisamment différenciées au sens de l'art. 11 al. 4 OBLF, ces statistiques constituent en effet, faute de mieux, un repère objectif pouvant être pris en compte pour fixer le loyer admissible, en les pondérant le cas échéant en fonction des caractéristiques concrètes de l'appartement litigieux, du montant du loyer payé par le précédent locataire ou de l'expérience du juge (ATF 148 III 209 consid. 3.2.3; 147 III 14 consid. 6.1.3). Cela étant, ce raisonnement n'est pas transposable au calcul du rendement brut. En effet, dans ce dernier cas, les statistiques cantonales ou communales ne sont pas applicables (arrêt 4A_285/2022 précité consid. 3.3). La doctrine concède d'ailleurs que ce principe est dogmatiquement correct, puisque la méthode du rendement brut permet de fixer un loyer situé au-dessus du niveau des loyers du quartier (cf. WEBER, op. cit., n°14a ad art. 269a CO; KOUMBARAKIS, op. cit., p. 155 s.).
8.3. En l'espèce, le prix d'achat du terrain ressort de l'acte authentique versé au dossier. Pour ce qui est des coûts de construction, en revanche, les justificatifs sont lacunaires. Il appert en effet que l'extrait du compte bancaire dévolu au crédit de construction fait état d'un nombre important de débits opérés au bénéfice de la recourante elle-même (389'000 fr. sur 951'000 fr., chiffre que la recourante ne conteste pas), sans que cette pièce - ou une autre - fasse état d'une quelconque contrepartie, laquelle se serait par hypothèse matérialisée dans la construction en question. Il s'ensuit que les documents censés démontrer les coûts de construction sont insuffisants.
La recourante a expliqué son refus de produire ses comptes relatifs aux années considérées, requis par ses adverses parties, en prétendant qu'ils n'auraient pas apporté les réponses voulues. Cela étant, cet aveu d'opacité n'a rien d'une circonstance justificative. La recourante n'a même pas tenté d'expliquer quels travaux elle aurait elle-même exécutés, respectivement quels éléments de son stock elle aurait par hypothèse prélevés pour les besoins de cette construction. La recourante est liée par l'obligation de conserver les livres et pièces comptables durant dix ans (art. 958f al. 1 CO). Même si - par hypothèse - il règne un certain désordre dans sa comptabilité, elle en est responsable. La Cour peine par ailleurs à concevoir que la recourante ne soit pas en mesure de justifier, même partiellement, quelle aurait été son activité sur le chantier considéré. Que la banque ait, à l'époque, avalisé les débits en question n'y change rien : la recourante ne se hasarde pas à affirmer qu'elle lui aurait présenté en temps voulu des justificatifs destinés à accréditer des travaux exécutés par ses soins, lesquels auraient depuis lors par hypothèse été perdus ou détruits. Partant, il faut croire qu'une partie à tout le moins des versements dont elle a bénéficié ne correspond pas à des prestations qu'elle a exécutées sur ce chantier, respectivement à des matériaux qu'elle a apportés.
Ceci étant dit, il n'est pas possible d'en conclure - avec les intimés -que les statistiques cantonales font foi, puisqu'il s'agit ici de calculer le rendement brut, lequel se situe au-dessus des loyers du quartier (arrêt 4A_285/2022 précité consid. 3.3). Somme toute, compte tenu du caractère lacunaire des chiffres avancés et du peu de données à disposition, il est raisonnable de considérer en équité qu'un tiers des montants touchés par la recourante ne s'est pas matérialisé dans l'immeuble en cause. Les frais d'investissement totaux (1'090'117 fr. 50) doivent donc être réduits de 129'666 fr. (389'000 fr. / 3), ce qui les ramène à 960'451 fr. 50. Compte tenu d'une surface de 95m2 sur 323m2 au total, clé de répartition que les parties ne remettent pas en cause, l'appartement des locataires représente ainsi 282'485 fr. 70 du coût total (960'451 fr. 50 / 323 x 95).
9.
9.1. Partant, le rendement brut admissible se calcule de la manière suivante pour la période litigieuse :
Période Loyer mensuel Total/période
2014 (6 mois) et 2015 (5 mois)
282'485 fr. 70 x 5,5 % 1'294 fr. 70 14'241 fr. 70
2015 (7 mois); 2016 (12 mois);
2017 (5 mois)
282'485 fr. 70 x 5,25 % 1'235 fr. 90 29'661 fr. 60
2017 (7 mois); 2018 (12 mois)
2019 (12 mois); 2020 (2 mois)
282'485 fr. 70 x 5 % 1'177 fr. 38'841 fr. 00
total 82'744 fr. 30
Les locataires ont versé à la bailleresse un loyer de 1'600 fr. par mois durant 68 mois (du 1er juillet 2014 au 29 février 2020), soit 108'800 fr. Ce loyer était supérieur au plafond calculé à l'aide de la méthode du rendement brut. Partant, la bailleresse doit leur restituer, en vertu de l'enrichissement illégitime (art. 62 ss CO), 26'055 fr. 70 versés en trop (108'800 fr. - 82'744 fr. 30), sous déduction de 400 fr. de dommage dont ils ont reconnu être responsables, ce qui laisse subsister 25'655 fr. 70.
9.2. Quant aux intérêts moratoires, la cour cantonale ne leur a pas consacré une ligne, pas plus que la recourante et les intimés. Les locataires avaient demandé le versement d'intérêts moratoires à compter du 1er mai 2020, soit le lendemain de leur requête en conciliation. Les premiers juges ont considéré que ces intérêts couraient à partir de l'entrée en force de leur jugement sur le fondement de l'arrêt 4C.291/2001 du 9 juillet 2002 (consid. 6c) - lequel portait sur une action en réduction de loyer et en restitution du trop-perçu - et, visiblement, aucune des parties n'a formulé de grief à ce propos. D'aucuns soutiennent que, dans une situation telle que celle-ci, il serait plus approprié de retenir une date d'échéance moyenne (dans ce sens, PIERRE STASTNY, Jurisprudence choisie en matière de droit du bail, in Plaidoyer 2/2014, p. 36 ss, p. 39 ch. 3.2; LAURENT BIERI/SEMSIJA ETEMI, Nullité du loyer et créance en remboursement du trop-versé, in Jusletter du 17 février 2020, p. 3 note de bas de page 7). Quoi qu'il en soit, les conclusions de la demande n'allaient pas aussi loin. Et, à en juger par leurs écritures de recours et de réponse, tant la recourante que les intimés se satisfont de la date de l'entrée en force du jugement formateur, retenue dans l'arrêt cantonal. Le Tribunal fédéral n'a donc nulle raison de revoir cet aspect qui peut être entériné. Le montant susmentionné portera donc intérêts à 5 % l'an (art. 104 al. 1 CO) à compter de la date du présent arrêt.
10.
Partant, le recours doit être partiellement admis et la décision attaquée réformée dans le sens où la recourante doit verser 25'655 fr. 70 aux locataires, avec intérêts à 5 % l'an dès la date du présent arrêt. La garantie constituée par les locataires doit être libérée au profit de ces derniers. Compte tenu de cette issue, à mi-chemin des conclusions des parties, les frais judiciaires, calculés selon le tarif réduit, seront supportés par moitié par la recourante et par moitié par les intimés, ces derniers à parts égales et solidairement entre eux. Pour les mêmes motifs, les dépens seront compensés.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est partiellement admis, l'arrêt attaqué est annulé et il est prononcé ce qui suit :
A.________ SA doit verser à C.________ et B.________, créanciers solidaires, la somme de 25'655 fr. 70 avec intérêts à 5 % l'an dès la date du présent arrêt.
Le compte d'épargne pour garantie de loyer ouvert auprès de D.________ (...) doit être libéré en faveur de C.________ et B.________, créanciers solidaires.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 fr., sont mis à la charge de la recourante pour une moitié et à la charge des intimés, débiteurs solidaires, pour l'autre moitié.
3.
Les dépens sont compensés.
4.
L'affaire est renvoyée à la Cour cantonale afin qu'elle statue à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la IIe Cour d'appel civil du Tribunal cantonal de l'Etat de Fribourg.
Lausanne, le 31 octobre 2024
Au nom de la Ire Cour de droit civil
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jametti
La Greffière : Fournier