1C_224/2023 16.01.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
1C_224/2023, 1C_8/2024
Arrêt du 16 janvier 2025
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges fédéraux Haag, Président,
Chaix, Kneubühler, Müller et Merz.
Greffier : M. Kurz.
Participants à la procédure
Commune de Prilly, Administration communale, case postale 96, 1008 Prilly, représentée par Mes Feryel Kilani et Elie Bugnion, avocats,
recourante,
contre
PLR. Les Libéraux-Radicaux Ville de Prilly,
Le Centre Prilly,
La Section de l'Union démocratique du centre de Prilly,
intimés,
Conseil d'État du canton de Vaud, Château cantonal, 1014 Lausanne, agissant par la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes (DGAIC) du canton de Vaud, Direction des affaires juridiques, place du Château 1, 1014 Lausanne.
Objet
Délibération du Conseil communal de Prilly autorisant l'exercice par la Municipalité du droit de préemption sur la parcelle n° 1364; quorum; voie de recours,
recours contre la décision du Conseil d'État du canton de Vaud du 5 avril 2023 et contre l'arrêt du Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public, du 20 novembre 2023.
Faits :
A.
Par préavis n° 13-2022 du 2 septembre 2022, la Municipalité de Prilly a demandé au Conseil communal de Prilly de l'autoriser à procéder à l'acquisition de la parcelle n° 1364 de la commune, via le droit de préemption prévu à l'art. 31 al. 1 et 2 de la loi vaudoise du 10 mai 2016 sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL; RS/VD 840.15), aux conditions fixées dans la promesse de vente et d'achat conditionnelle conclue le 10 août 2022, en particulier pour une valeur de 62 millions de francs. Le Conseil communal était simultanément requis d'autoriser l'aliénation de la parcelle en faveur de la Société Coopérative d'Habitation Lausanne (ci-après: SCHL), selon une offre ferme du 31 août 2022.
La commission parlementaire compétente a conclu le 6 septembre 2022 à l'acceptation du préavis. Cet objet a été discuté lors d'une séance extraordinaire du Conseil communal du 15 septembre 2022. Plusieurs conseillers communaux ayant quitté la salle durant les débats, le quorum n'était plus atteint et la séance a été levée sans qu'il soit procédé au vote. Une nouvelle séance extraordinaire a été convoquée pour le 20 septembre 2022, lors de laquelle des conseillers communaux ont à nouveau quitté la salle après les débats. Le bureau du Conseil communal a toutefois estimé qu'avec 37 personnes présentes lors du vote, le quorum était atteint; le Conseil communal a accepté les conclusions du préavis par 34 voix contre 2. La Municipalité de Prilly a fait savoir dès le lendemain, le 21 septembre 2022, qu'elle exerçait son droit de préemption.
La décision du 20 septembre 2022 a fait l'objet d'un recours auprès du Conseil d'État vaudois de la part du PLR.Les Libéraux-Radicaux Ville de Prilly, du Centre Prilly et de la Section de l'Union démocratique du centre de Prilly (ci-après: les partis recourants).
B.
Par décision du 5 avril 2023, le Conseil d'État a admis le recours et a annulé la décision communale. La qualité pour agir des partis politiques était douteuse, mais le recours pouvait aussi être considéré comme formé à titre individuel par les trois conseillers communaux représentant les partis recourants. Selon l'art. 26 al. 1 de la loi vaudoise sur les communes (LC, RS/VD 175.11), le quorum était fixé pour le Conseil communal à la majorité absolue du nombre total des membres, soit 75 (sans prendre en compte les trois postes vacants), par analogie avec les règles applicables à la municipalité (art. 65 LC), ainsi que pour des raisons de représentativité et de sécurité du droit. La majorité absolue étant de 38, elle n'était pas atteinte pour le vote litigieux. Les cinq conseillers communaux qui s'étaient retirés de l'assemblée mais étaient restés dans la partie destinée au public et à la presse ne pouvaient être considérés comme présents au moment du vote. Les conseillers communaux qui s'étaient retirés avant le vote n'avaient pas commis d'abus de droit.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public (cause 1C_224/2023), la Commune de Prilly demande au Tribunal fédéral de constater que la décision du Conseil d'État est nulle, subsidiairement de la réformer en ce sens que la décision communale du 20 septembre 2022 est confirmée. Plus subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause au Conseil d'État pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Parallèlement à son recours au Tribunal fédéral, la commune recourante a également saisi la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal vaudois (CDAP) d'un recours contre la décision du Conseil d'État. La cause 1C_224/2023 a été suspendue par ordonnance du 26 mai 2023 jusqu'à droit connu sur ce recours cantonal. Par arrêt du 20 novembre 2023, la CDAP a déclaré le recours irrecevable, considérant que la question de la définition du quorum revêtait un caractère politique prépondérant, tout comme l'autorisation accordée à la municipalité d'exercer le droit de préemption. La cause 1C_224/2023 a été reprise par ordonnance du 22 novembre 2023. Le Conseil d'État (par la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes - DGAIC) conclut au rejet du recours dans la mesure où il est recevable. Les partis recourants (ici intimés) ont fait savoir - tardivement - qu'ils se référaient à leur écriture au Conseil d'État. La commune recourante a ensuite persisté dans ses conclusions. Les intimés ont renoncé à des observations supplémentaires, les présidents des partis recourants se ralliant aux déterminations du Conseil d'État.
D.
La commune de Prilly a également recouru, le 5 janvier 2024, contre l'arrêt de la CDAP (cause 1C_8/2024). Elle en demande l'annulation ainsi que le renvoi de la cause à la CDAP afin qu'elle traite au fond le recours cantonal. Elle requiert la jonction de cette cause avec la précédente, ce à quoi le Conseil d'État ne s'est pas opposé.
La CDAP renonce à se déterminer. Le Conseil d'État - par la DGAIC - conclut au rejet du recours. Les partis recourants ont produit leur recours au Conseil d'État pour valoir comme déterminations. La commune recourante a ensuite renoncé à des déterminations complémentaires.
Considérant en droit :
1.
Les deux recours portent sur une même délibération communale. La question de savoir quelle voie de droit était ouverte à l'encontre de cette décision se pose dans les deux causes. Cela justifie leur jonction afin qu'il soit statué par un même arrêt (art. 24 PCF par renvoi de l'art. 71 LTF). Il y a lieu par ailleurs de statuer sur le recours 1C_8/2024 en premier, car l'admission de celui-ci entraînerait le renvoi de la cause à la CDAP afin qu'elle se prononce sur le fond.
Cause 1C_8/2024
2.
Le recours est formé en temps utile contre un arrêt final rendu dans une cause de droit public. La commune recourante, dont le recours cantonal a été déclaré irrecevable, a qualité pour contester ce prononcé en invoquant une violation de ses droits de partie (art. 89 al. 1 LTF), indépendamment de sa qualité pour agir sur le fond et de l'existence d'une autonomie communale dans ce domaine.
3.
La recourante se plaint d'établissement manifestement inexact des faits. Elle reproche à la cour cantonale d'avoir méconnu le contenu du préavis municipal n° 13-2022 et de ne pas avoir tenu compte des interventions ayant eu lieu lors de la séance du 15 septembre 2022. Il en ressortirait que les débats ont porté non pas sur des questions politiques, mais sur les conditions juridiques d'exercice du droit de préemption au sens de la LPPPL, en particulier en lien avec la protection des intérêts juridiques des tiers.
3.1. Le Tribunal fédéral conduit son raisonnement juridique sur la base des faits constatés par l'autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF), hormis dans les cas prévus à l'art. 105 al. 2 LTF. Selon l'art. 97 al. 1 LTF, le recours ne peut critiquer les constatations de fait que si les faits ont été établis de façon manifestement inexacte - notion qui correspond à celle d'arbitraire - ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF et si la correction du vice est susceptible d'influer sur le sort de la cause (ATF 150 I 50 consid. 3.3.1; 148 I 160 consid. 3; 145 V 188 consid. 2; 142 II 355 consid. 6; 139 II 373 consid. 1.6).
3.2. La cour cantonale a en premier lieu retenu que la décision portée devant elle était celle du Conseil d'État annulant la décision communale en application des règles relatives au quorum. Considérant que ces règles ne confèrent aucun droit aux particuliers, mais tendent à assurer une légitimité minimale aux délibérations du parlement communal, elle a retenu qu'il s'agissait d'une question de nature politique. Pour autant que cette appréciation soit pertinente, s'agissant d'une décision sur recours (cf. consid. 5.2 infra), les éléments de fait dont se prévaut la recourante ne sont pas susceptibles de la remettre en cause. La cour cantonale a également examiné si, d'un point de vue plus large, la question de l'autorisation d'acheter puis d'aliéner conférée par le Conseil communal à la municipalité revêtait un caractère politique prépondérant; elle a jugé que tel était le cas, considérant qu'il s'agissait d'une décision fondée sur la LC et non la LPPPL, et qu'au surplus, le Conseil communal s'était fondé sur des critères politiques (politique du logement); en tant que telle, l'autorisation d'acquérir et d'aliéner ne portait pas atteinte aux droits des particuliers. La cour cantonale s'est ainsi fondée pour l'essentiel sur la nature de la décision en cause et non sur la manière dont elle a pu être motivée. Dans le cadre de cette appréciation, l'exposé des motifs ou la teneur des débats devant le Conseil communal n'avaient guère d'incidence, et c'est à juste titre que la cour cantonale n'en a pas tenu compte.
Le grief doit par conséquent être écarté.
4.
La recourante se plaint d'une violation de l'autonomie dont elle dispose en matière de politique du logement sur son territoire, et en particulier dans l'exercice de son droit de préemption prévu par la LPPPL. Elle relève également qu'elle dispose d'autonomie dans l'adoption de sa réglementation relative aux délibérations de son pouvoir législatif. L'irrecevabilité prononcée par la cour cantonale la priverait du droit de faire valoir ces griefs.
4.1. Selon l'art. 50 al. 1 Cst., l'autonomie communale est garantie dans les limites fixées par le droit cantonal. Une commune bénéficie de la protection de son autonomie dans les domaines que le droit cantonal ne règle pas de façon exhaustive, mais qu'il laisse en tout ou partie dans la sphère communale, conférant par là aux autorités municipales une liberté de décision relativement importante. L'existence et l'étendue de l'autonomie communale dans une matière concrète sont déterminées essentiellement par la constitution et la législation cantonales (ATF 147 I 136 consid. 2.1; 146 I 83 consid. 2.1; 144 I 193 consid. 7.4.1).
4.2. En l'occurrence, l'arrêt attaqué ne se prononce nullement sur le fond de la cause, dès lors qu'il déclare le recours cantonal irrecevable. Ce faisant, la CDAP a appliqué de simples règles cantonales de procédure telles que les art. 92 al. 2 de la loi vaudoise sur la procédure administrative (LPA/VD, RS/VD 173.36) et 145 al. 1 LC, soit des dispositions s'appliquant de manière générale à toutes les parties à une procédure de recours et ne conférant aucune autonomie aux communes. L'art. 50 al. 1 Cst. n'a dès lors aucune portée dans ce contexte et le grief doit être rejeté.
5.
La recourante invoque enfin les art. 29a al. 1 Cst. et 86 LTF, et fait valoir une application arbitraire de l'art. 92 al. 2 LPA/VD. Elle rappelle que les dérogations au droit d'accès à un juge doivent être interprétées restrictivement. La décision du Conseil communal serait fondée sur la LPPPL, de sorte que la délibération devait porter sur les conditions d'application de cette loi. Cela nécessitait une analyse et un débat juridique approfondis, quand bien même l'autorité communale disposait d'un certain pouvoir d'appréciation quant à l'opportunité d'exercer son droit de préemption. La décision communale porterait en outre atteinte, à tout le moins indirectement, à des intérêts privés.
5.1. Selon l'art. 92 LPA/VD, le Tribunal cantonal connaît des recours contre les décisions et décisions sur recours rendues par les autorités administratives, lorsque la loi ne prévoit aucune autre autorité pour en connaître (al. 1). Les décisions du Grand Conseil et du Conseil d'État, en première instance ou sur recours, ne sont pas susceptibles de recours au Tribunal cantonal (al. 2). Comme le rappelle la cour cantonale en se fondant sur l'exposé des motifs relatif à cette disposition, l'exclusion du recours contre les décisions des autorités législative et exécutive s'explique par le fait que celles-ci revêtent en général un caractère politique prépondérant. L'art. 145 LC va dans le même sens en ces termes: "Les décisions prises par le conseil communal ou général, la municipalité ou le préfet revêtant un caractère politique prépondérant, de même que les contestations portant sur des vices de procédure ou d'autres irrégularités susceptibles d'avoir affecté la décision du conseil ou de la municipalité, peuvent faire l'objet d'un recours administratif au Conseil d'État [al. 1]. En cas de doute sur la nature de la décision, l'article 7 de la loi du 28 octobre 2008 sur la procédure administrative est applicable [al. 2]".
La cour cantonale a retenu que ces dispositions cantonales, en tant qu'exception à la garantie de l'accès au juge découlant de l'art. 29a Cst., devaient être interprétées de manière restrictive, conformément à la jurisprudence relative à l'art. 86 al. 3 LTF. Ainsi, le caractère politique de la cause doit être manifeste. Le fait que la décision émane d'une autorité politique est certes un indice en ce sens, mais il n'est pas déterminant. Lorsque des intérêts particuliers sont touchés, l'accès au juge n'est exclu que si les considérations politiques l'emportent clairement. Il ne suffit donc pas que la cause ait une connotation politique, encore faut-il que celle-ci s'impose de manière indiscutable et relègue à l'arrière-plan les éventuels intérêts juridiques privés en jeu (ATF 149 I 146 consid. 3.3; 147 I 1 consid. 3.3.2; 141 I 172 consid. 4.4.1; cf. pour des exemples où le caractère politique a été respectivement admis ou nié: YVES DONZALLAZ, in Commentaire LTF, 3e éd., 2022, n° 34 et 35 ad art. 86 LTF).
5.2. En l'occurrence, la décision du Conseil d'État entreprise devant la CDAP était une décision sur recours contre une délibération communale. Dans un tel cas, la question du caractère politique prépondérant doit s'examiner non pas en rapport avec la décision sur recours, mais au regard de la décision du Conseil communal qui constitue l'objet de la contestation (cf. arrêt 2C_266/2018 du 19 septembre 2018 consid. 4.4 concernant un recours contre l'adoption d'un crédit d'étude, déclaré irrecevable par le Conseil d'État faute de qualité pour agir). Cela ressort également de l'art. 145 LC, qui s'applique aux "décisions prises par le conseil communal [...] revêtant un caractère politique prépondérant". Dans ce cadre, la question du respect du quorum constituait un simple grief soumis au Conseil d'État en tant qu'autorité de recours, et non l'objet même de la délibération initiale; il n'y a dès lors pas lieu de rechercher si cette question-là revêt ou non un caractère politique prépondérant.
5.3. La délibération communale du 15 septembre 2022 sur le préavis n° 13-2022 portait sur l'autorisation accordée à la municipalité d'exercer le droit de préemption communal, comme le prévoit l'art. 4 al. 1 ch 6 LC. Une autorisation générale avait été accordée le 8 novembre 2021 pour des opérations jusqu'à concurrence de 15 millions de francs. L'acquisition litigieuse portant sur 62 millions de francs, une autorisation spécifique, portant également sur l'aliénation de la parcelle en faveur de la SCHL, a dû être accordée. Cette décision porte pour l'essentiel sur l'opportunité politique d'une telle opération, dans le but de réaliser des logements d'utilité publique (cf. arrêt 2C_266/2018 du 19 septembre 2018 consid. 4.3 concernant la libération d'un crédit pour un appel d'offre dans le but de construire un centre de loisirs). Il s'agit d'une simple autorisation, qui ne dépend pas de conditions juridiques particulières. Comme le relève en outre la cour cantonale, une telle décision n'emporte pas en elle-même une atteinte aux droits des particuliers, notamment les propriétaires vendeurs et l'acquéreuse évincée. L'atteinte ne s'est en effet réalisée que lors de l'exercice effectif du droit de préemption par la municipalité, par décision ultérieure du 21 septembre 2022. C'est d'ailleurs contre cette dernière décision que les particuliers désireux de vendre, respectivement d'acheter la parcelle ont recouru auprès de la CDAP, puis du Tribunal fédéral.
La décision d'autoriser la municipalité à exercer son droit de préemption pouvait dès lors à juste titre être considérée comme présentant un caractère politique prépondérant. Il s'ensuit que le recours 1C_8/2024 doit être rejeté, dans la mesure où il est recevable.
Cause 1C_224/2023
6.
La décision attaquée du Conseil d'État annule une décision prise par le législateur communal. La commune de Prilly a manifestement qualité pour contester un tel prononcé en invoquant son autonomie tant en ce qui concerne, sur le fond, l'exercice du droit de préemption reconnu par l'art. 31 al. 1 LPPPL que, sur la forme, l'application des règles sur les délibérations du conseil communal, en particulier les règles sur le quorum (art. 89 al. 2 let. c LTF). Comme cela est relevé ci-dessus, la décision attaquée a été rendue par une autorité autre qu'un tribunal cantonal, en application de l'art. 86 al. 3 LTF. Au surplus, interjeté dans le délai et les formes utiles, le recours est lui aussi recevable.
7.
Dans un premier grief, la recourante estime que le Conseil d'État serait incompétent pour rendre la décision attaquée, dès lors que la décision du Conseil communal pouvait selon elle faire l'objet d'un recours administratif à la CDAP. Cette question a été traitée ci-dessus et le grief doit, comme on l'a vu, être rejeté.
8.
La recourante estime ensuite que le recours au Conseil d'État aurait dû être déclaré irrecevable. Elle invoque à ce sujet une constatation arbitraire des faits en relevant que ledit recours avait été interjeté exclusivement par les trois formations politiques communales, comme cela ressort notamment de l'intitulé du recours, des considérations sur la recevabilité et des conclusions, ainsi que des communiqués de presse et des autres actes de la procédure. Se plaignant ensuite d'arbitraire dans l'application de l'art. 75 LPA/VD, de partialité et d'une atteinte à la sécurité du droit, elle estime que le Conseil d'État aurait dû constater l'irrecevabilité du recours formé par les partis politiques et refuser d'entrer en matière. Il serait arbitraire et contraire au principe de la bonne foi de retenir (sur la base d'une phrase isolée figurant dans les déterminations complémentaires du 30 janvier 2023) que le recours était formé par ses signataires individuellement alors que ceux-ci agissaient clairement en tant que simples représentants et qu'ils n'ont au demeurant pas pris part à la décision attaquée comme l'exige l'art. 75 al. 1 let. a LPA/VD. La démarche des partis politiques était claire et il n'y avait pas lieu d'invoquer l'interdiction du formalisme excessif. La recourante invoque également l'art. 77 LPA/VD (l'invocation d'un recours à titre individuel aurait été faite après l'échéance du délai de recours), 45 ss et 91 LPA/VD (obligations de nature procédurale imposées aux seuls partis recourants). Elle invoque enfin son droit d'être entendue en relevant qu'elle n'a pas été interpellée avant la substitution de parties opérée en cours de procédure.
8.1. L'argumentaire relatif à l'établissement des faits doit être écarté. En effet, le Conseil d'État a correctement constaté que le recours était interjeté par les trois formations politiques, représentées chacune par un conseiller communal. Les autres éléments de fait rappelés par la recourante n'ont nullement été écartés, et, dans la mesure où ils ressortent du dossier, peuvent être invoqués sans restriction.
8.2. Les art. 137 ss LC ont trait au pouvoir de surveillance du Conseil d'État, en particulier aux recours contre les décisions prises par le conseil communal ou général, la municipalité ou le préfet (art. 145 et 146 LC). Selon l'art. 145 al. 1 LC (Recours), les décisions prises par le conseil communal ou général, la municipalité ou le préfet revêtant un caractère politique prépondérant, de même que les contestations portant sur des vices de procédure ou d'autres irrégularités susceptibles d'avoir affecté la décision du conseil ou de la municipalité, peuvent faire l'objet d'un recours administratif au Conseil d'État. Selon l'art. 146 LC (sans titre), sous réserve de dispositions légales spéciales, d'office ou sur requête du chef du département en charge des relations avec les communes, du préfet ou d'un administré, le Conseil d'État peut annuler pour illégalité toute décision visée par l'article 145 qu'une autorité communale a prise en vertu de ses attributions de droit public en application de la présente loi (al. 1). La requête doit être adressée au plus tard dans les trente jours dès la notification, la publication ou la reddition de la décision attaquée (al. 2).
Par renvoi de l'art. 149 LC, la qualité pour agir est définie à l'art. 75 al. 1 LPA/VD. Selon cette disposition, a qualité pour former recours: toute personne physique ou morale ayant pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou ayant été privée de la possibilité de le faire, qui est atteinte par la décision attaquée et qui dispose d'un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. a); toute autre personne ou autorité qu'une loi autorise à recourir (let. b).
Selon la pratique cantonale constante, la qualité pour recourir est reconnue aux membres du Conseil communal ou général dont un acte est attaqué. Le Conseil d'État a estimé qu'il était douteux que les partis politiques aient qualité pour recourir sur la base de l'art. 75 LPA/VD dans la mesure où ils n'ont pas pris part aux débats et ne sont pas personnellement atteints par la décision litigieuse. Cette appréciation doit être confirmée: les partis politiques ne prennent pas eux-mêmes part, en tant que personnes morales, aux débats devant le Conseil communal. En outre, comme le relève le Conseil d'État, les partis politiques ne sont pas directement touchés par la décision rendue par le parlement communal qui concerne l'exercice d'un droit de préemption à l'encontre de particuliers. Les conditions de recevabilité d'un recours corporatif (association consacrée à la défense des intérêts de ses membres, lesquels ont eux-mêmes qualité pour recourir à titre individuel - ATF 145 V 128 consid. 2.2; 142 II 80 consid. 1.4.2), ne sont pas non plus réunies dans le cas particulier. Les deux conditions posées par l'art. 75 al. 1 LPA/VD n'étaient dès lors pas remplies à l'égard des partis recourants, de sorte qu'il y a lieu d'examiner si le Conseil d'État pouvait considérer que le recours était formé par les trois conseillers municipaux qui l'ont signé.
8.3. Conformément au principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), les déclarations d'une partie en justice doivent être interprétées selon le sens que l'on peut raisonnablement leur prêter et sans s'arrêter aux formulations manifestement inexactes dont peut user le justiciable, en particulier lorsqu'il n'est pas assisté d'un avocat (ATF 124 II 265 consid. 4; 116 Ia 56 consid. 3b; 113 Ia 94 consid. 2 et les références).
Il y a formalisme excessif, constitutif d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst., lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux. En tant que l'interdiction du formalisme excessif sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, elle poursuit le même but que le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 et 9 Cst.; ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 IV 299 consid. 1.3.2).
8.4. Le recours au Conseil d'État du 13 octobre 2022 était formé par les trois partis politiques intimés, agissant par leurs présidents, respectivement (pour Le Centre Prilly) par un membre de son comité. S'agissant de la qualité pour recourir, les partis recourants prétendaient avoir participé aux séances du Conseil municipal et des commissions. Il était précisé que le recours était signé par des représentants de chaque parti, également conseillers communaux, dûment autorisés par leurs comités respectifs. Dans sa réponse au recours, la Municipalité (tout comme le Conseil communal) en a contesté la recevabilité, estimant que les partis recourants n'avaient pas qualité pour agir. Les déterminations du 30 janvier 2023 devant le Conseil d'État portent à nouveau l'en-tête des trois partis politiques et sont signées de la même façon que le recours. Il n'est pas pris position sur les objections concernant la qualité pour recourir, mis à part le fait que le recours devrait "à tout le moins... être considéré comme une dénonciation auprès du Conseil d'État d'irrégularités graves au sein des autorités communales prilléranes".
Le Conseil d'État a cru pouvoir considérer que le recours était formé à titre individuel par les trois signataires de l'acte. Il ressort toutefois de ce qui précède que les précités ont agi exclusivement et expressément en tant que représentants des partis recourants, en prenant soin de justifier de leurs pouvoirs de représentation et en s'exprimant sur la qualité pour agir des formations politiques. Le recours cantonal et les écritures ultérieures ne sont certes pas signés par un avocat, mais les déterminations du 30 janvier 2023 indiquent que les recourants bénéficiaient de l'assistance "à bien plaire" d'un avocat. Le Conseil d'État ne pouvait dès lors s'appuyer sur une phrase isolée du recours (les élus que nous sommes....") pour considérer que le recours était formé par les trois conseillers communaux. L'interdiction du formalisme excessif ne permettait pas non plus de faire fi de la volonté clairement exprimée par les recourants et de confondre les parties recourantes et leurs représentants (cf. arrêt 1C_515/2020 du 10 février 2021 consid. 2.2).
Au demeurant, la qualité pour agir ne pouvait pas non plus être reconnue aux conseillers communaux à titre personnel: dès lors que ceux-ci ont refusé de prendre part à la délibération du Conseil communal, ils ne pouvaient être considérés comme ayant pris part à la procédure devant l'autorité précédente ou ayant été privés de la possibilité de le faire, comme l'exige l'art. 75 LPA/VD. En outre, il apparaît douteux que les conseillers communaux en cause disposent d'un intérêt digne de protection - toujours au sens de l'art. 75 LPA/VD - à invoquer une irrégularité qu'ils avaient eux-mêmes créée. Dès lors, même à supposer que le recours ait pu être considéré comme formé par les trois conseillers communaux, il aurait également dû être déclaré irrecevable.
C'est donc à tort que le Conseil d'État est entré en matière sur le recours interjeté par les trois formations politiques intimées.
8.5. Dans ses déterminations, le Conseil d'État considère qu'il aurait pu entrer en matière en traitant le recours comme une dénonciation au sens de l'art. 146 LC. Cette disposition permet en effet au Conseil d'État, en tant qu'autorité de surveillance, d'annuler pour illégalité, d'office ou sur dénonciation, toute décision visée par l'article 145. Il s'agit toutefois d'une procédure de nature différente (non contentieuse) et subsidiaire, qui ne pourrait s'engager qu'en l'absence de recours au sens de l'art. 145 LC (DAVID EQUEY, Le droit d'initiative des membres du conseil général et communal et de la municipalité en droit vaudois, RDAF 2010 hors série p. 119 ss, 196). Quoi qu'il en soit, le Conseil d'État n'a nullement fait application de l'art. 146 LC dans sa décision.
Le recours doit dès lors être admis sur ce point. Cela implique l'annulation de la décision du Conseil d'État et le rétablissement de la décision du Conseil municipal, sans qu'il soit besoin d'examiner les griefs de fond.
9.
Il y a lieu néanmoins de relever que si les griefs relatifs au mode de calcul du quorum, soulevés sous l'angle de l'arbitraire, devraient prima facie être rejetés, il pourrait en aller différemment de l'argument tiré de l'abus de droit.
9.1. L'abus manifeste d'un droit n'est pas protégé par la loi (art. 2 al. 2 CC). Ce principe, applicable dans l'ensemble de l'ordre juridique suisse, permet de corriger les effets de la loi dans certains cas où l'exercice d'un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes, qui sont déterminantes. L'emploi dans le texte légal du qualificatif "manifeste" démontre que l'abus de droit doit être admis restrictivement. Les cas typiques en sont l'absence d'intérêt à l'exercice d'un droit, l'utilisation d'une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l'exercice d'un droit sans ménagement ou l'attitude contradictoire (ATF 143 III 279 consid. 3.1; 137 III 625 consid. 4.3; 135 III 162 consid. 3.3.1). En droit public, l'art. 5 al. 3 Cst. impose tant aux organes de l'État qu'aux particuliers d'agir de manière conforme aux règles de la bonne foi.
9.2. Lors de la séance extraordinaire du 20 septembre 2022, 61 personnes étaient présentes au moment de l'appel. A la fin des débats et après avoir requis en vain un renvoi, les députés opposés au préavis ont quitté la salle juste avant le vote. Tout comme lors de la séance précédente (où le vote n'avait pas pu avoir lieu), ils ont agi de la sorte dans le but délibéré d'empêcher le vote par l'application des règles sur le quorum. Aucune disposition n'oblige certes les conseillers communaux à se présenter aux séances, ou à rester sur place et à prendre part aux votes. En revanche, les députés en question ne pouvaient, après avoir participé aux débats et constaté que le préavis serait vraisemblablement adopté par le Conseil communal, se livrer à une action concertée dans le seul but d'empêcher un vote qui leur serait défavorable. Un tel procédé paraît relever de l'abus de droit manifeste et ne méritait aucune protection de la part du Conseil d'État. La question peut toutefois demeurer indécise, puisque le recours doit, comme on l'a vu, être admis pour les motifs qui précèdent.
10.
Sur le vu de ce qui précède, le recours 1C_8/2024 est rejeté. Il n'est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 4 LTF), ni alloué de dépens (art. 68 al. 3 LTF; les partis politiques intimés ont agi céans sans être représentés par un avocat et se sont contentés de produire leur recours au Conseil d'État en guise d'observations). Le recours 1C_224/2023 est admis et la décision du Conseil d'État est annulée. Il n'y a pas lieu de renvoyer la cause à l'instance précédente (pour examen des griefs qui n'auraient pas encore été traités) puisque, comme on l'a vu, le recours aurait dû être déclaré irrecevable. La décision du 20 septembre 2022 du Conseil communal de Prilly doit dès lors être confirmée. Dans cette seconde cause également, il n'y a pas lieu de percevoir de frais de justice, ni d'allouer de dépens.
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Les causes 1C_224/2023 et 1C_8/2024 sont jointes.
2.
Le recours 1C_8/2024 est rejeté.
3.
Le recours 1C_224/2023 est admis. La décision du Conseil d'État du canton de Vaud du 5 avril 2023 est annulée et la décision du Conseil communal de Prilly du 20 septembre 2022 est confirmée.
4.
Il n'est pas perçu de frais judiciaires ni alloué de dépens.
5.
Le présent arrêt est communiqué aux mandataires de la Commune de Prilly, aux intimés, au Conseil d'État du canton de Vaud et au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour de droit administratif et public.
Lausanne, le 16 janvier 2025
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président : Haag
Le Greffier : Kurz