6B_473/2024 12.03.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
6B_473/2024
Arrêt du 12 mars 2025
Ire Cour de droit pénal
Composition
Mmes et M. les Juges fédéraux
Jacquemoud-Rossari, Présidente,
Wohlhauser et Guidon.
Greffière : Mme Brun.
Participants à la procédure
A.________,
représenté par Me Reynald P. Bruttin, avocat,
recourant,
contre
1. Ministère public de la République et canton de Genève,
route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy,
2. B.B.________,
représentée par Me Miguel Oural, avocat,
intimés.
Objet
Lésions corporelles par négligence; présomption d'innocence; arbitraire,
recours contre l'arrêt de la Cour de justice
de la République et canton de Genève,
Chambre pénale d'appel et de révision,
du 22 avril 2024 (P/10008/2020 AARP/142/2024).
Faits :
A.
Par jugement du 11 octobre 2023, le Tribunal de police de la République et canton de Genève a reconnu A.________ coupable de lésions corporelles par négligence (art. 125 al. 1 CP) et l'a condamné à une peine pécuniaire de 90 jours-amende à 200 fr. le jour, assortie du sursis pendant trois ans, ainsi qu'à une amende de 3'600 fr. à titre de sanction immédiate. Il l'a en outre condamné à payer à B.B.________ une indemnité de 4'000 fr., avec intérêts à 5 % l'an dès le 15 mars 2020, à titre de réparation du tort moral et une indemnité de 13'871 fr. 75 à titre de juste indemnité pour ses dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.
B.
Par arrêt du 22 avril 2024, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice genevoise a rejeté l'appel de A.________ interjeté à l'encontre du jugement du 11 octobre 2023.
Par arrêt du 10 juin 2024, la cour cantonale a complété le dispositif de l'arrêt du 22 avril 2024, en ce sens qu'elle a condamné A.________ à verser à B.B.________ une indemnité de 2'735 fr. 45 à titre d'indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure d'appel. Elle a maintenu le dispositif pour le surplus.
La cour cantonale a retenu les faits suivants:
Le 15 mars 2020, vers 11h07 à U.________, A.________, alors qu'il circulait au volant de son véhicule, a percuté, en faisant un écart sur la gauche, le flanc droit du motocycle conduit par C.B.________, lequel dépassait le véhicule précité. Cette manoeuvre a causé la chute de la passagère et épouse du conducteur du motocycle, B.B.________. Cette dernière a subi une tuméfaction et un hématome à l'arcade sourcilière droite, des dermabrasions au niveau du visage, en particulier au niveau de la lèvre supérieure, de l'épaule droite, de la hanche droite et du genou droit, une luxation d'une dent ayant nécessité une avulsion, ainsi qu'un trouble neurocognitif léger à moyen non permanent.
C.
A.________ forme un recours en matière pénale au Tribunal fédéral à l'encontre de l'arrêt du 22 avril 2024. Il conclut principalement, avec suite de frais et dépens, à sa réforme en ce sens qu'il est acquitté du chef d'accusation de lésions corporelles par négligence et qu'il est libéré de sa condamnation à verser des indemnités pour tort moral et de défense. Subsidiairement, il conclut au renvoi de la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
Considérant en droit :
1.
Invoquant l'arbitraire dans l'appréciation des preuves et l'établissement des faits, ainsi qu'une violation du principe in dubio pro reo, le recourant conteste sa condamnation pour lésions corporelles par négligence (art. 125 CP).
1.1.
1.1.1. Le Tribunal fédéral n'est pas une autorité d'appel, auprès de laquelle les faits pourraient être rediscutés librement. Il est lié par les constatations de fait de la décision entreprise (art. 105 al. 1 LTF), à moins qu'elles n'aient été établies en violation du droit ou de manière manifestement inexacte au sens des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF, à savoir, pour l'essentiel, de façon arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. Une décision n'est pas arbitraire du seul fait qu'elle apparaît discutable ou même critiquable; il faut qu'elle soit manifestement insoutenable et cela non seulement dans sa motivation mais aussi dans son résultat (ATF 1150 IV 360 consid. 3.2.1). En matière d'appréciation des preuves et d'établissement des faits, il n'y a arbitraire que lorsque l'autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu'elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables. Le Tribunal fédéral n'entre en matière sur les moyens fondés sur la violation de droits fondamentaux, dont l'interdiction de l'arbitraire, que s'ils ont été invoqués et motivés de manière précise (art. 106 al. 2 LTF; ATF 150 IV 360 consid. 3.2.1). Les critiques de nature appellatoire sont irrecevables (ATF 150 I 50 consid. 3.1, 148 IV 409 consid. 2.2; 147 IV 73 consid. 4.1.2).
1.1.2. La présomption d'innocence, garantie par les art. 10 CPP, 32 al. 1 Cst., 14 par. 2 Pacte ONU II et 6 par. 2 CEDH, ainsi que son corollaire, le principe in dubio pro reo, concernent tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large. En tant que règle sur le fardeau de la preuve, elle signifie, au stade du jugement, que le fardeau de la preuve incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective. Lorsque l'appréciation des preuves et la constatation des faits sont critiquées en référence au principe in dubio pro reo, celui-ci n'a pas de portée plus large que l'interdiction de l'arbitraire (ATF 148 IV 409 consid. 2.2; 146 IV 88 consid. 1.3.1).
Dans une large mesure, le recourant se borne à porter en instance fédérale les griefs soulevés devant la cour cantonale et auxquels cette dernière a répondu de manière exhaustive et convaincante. L'argumentation proposée procède d'une vaste rediscussion des déclarations émises par les parties et témoins aux différents stades de la procédure. De tels moyens sont typiquement de nature appellatoire. Ils ne seront traités qu'autant qu'ils n'apparaissent pas d'emblée irrecevables pour cette raison (cf. art. 106 al. 2 LTF). En tant que le recourant se fonde sur des éléments nouveaux qui ne ressortent pas de l'arrêt entrepris, ses développements sont également irrecevables (cf. art. 99 al. 1 LTF).
1.2. Aux termes de l'art. 125 CP, quiconque, par négligence, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé est, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). Si la lésion est grave, l'auteur est poursuivi d'office (al. 2).
La réalisation de l'infraction réprimée par l'art. 125 CP suppose la réunion de trois éléments constitutifs, à savoir une négligence imputable à l'auteur, des lésions corporelles subies par la victime, ainsi qu'un lien de causalité naturelle et adéquate entre la négligence et les lésions (ATF 122 IV 17 consid. 2; cf. encore récemment arrêts 6B_1149/2023 du 7 août 2024 consid. 2.1; 6B_654/2023 du 5 janvier 2024 consid. 1.1.1).
1.2.1. Conformément à l'art. 12 al. 3 CP, il y a négligence si, par une imprévoyance coupable, l'auteur a agi sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. Il faut que l'auteur ait, d'une part, violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient pour ne pas excéder les limites du risque admissible et que, d'autre part, il n'ait pas déployé l'attention et les efforts que l'on pouvait attendre de lui pour se conformer à son devoir (ATF 143 IV 138 consid. 2.1; 135 IV 56 consid. 2.1 et les références citées). Pour déterminer plus précisément les devoirs imposés par la prudence, on peut se référer à des normes édictées par l'ordre juridique pour assurer la sécurité et éviter des accidents (ATF 143 IV 138 consid. 2.1). S'agissant d'un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 122 IV 133 consid. 2a; arrêt 6B_1149/2023 précité consid. 2.1.1).
Il faut en outre qu'il existe un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime. Le rapport de causalité est qualifié d'adéquat lorsque, d'après le cours ordinaire des choses et l'expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s'est produit (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3). La causalité adéquate sera admise même si le comportement de l'auteur n'est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d'autres causes, notamment à l'état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2).
La causalité adéquate peut être exclue si une autre cause concomitante, par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou d'un tiers, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinairement que l'on ne pouvait s'y attendre. L'imprévisibilité d'un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l'amener et notamment le comportement de l'auteur (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 134 IV 255 consid. 4.4.2; 133 IV 158 consid. 6.1; 131 IV 145 consid. 5.2). La question de la causalité adéquate constitue une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 142 IV 237 consid. 1.5.1 et 1.5.2; 139 V 176 consid 8.4.1 à 8.4.3; 138 IV 57 consid. 4.1.3).
1.2.2. Selon l'art. 34 al. 3 de la loi sur la circulation routière (LCR; RS 741.01), le conducteur qui veut modifier sa direction de marche, par exemple pour obliquer, dépasser, se mettre en ordre de présélection ou passer d'une voie à l'autre, est tenu d'avoir égard aux usagers de la route qui viennent en sens inverse ainsi qu'aux véhicules qui le suivent. Cette règle s'applique à tout changement de direction, qu'il s'agisse d'obliquer à gauche ou à droite, à la hauteur ou en dehors d'une intersection (ATF 91 IV 10 consid. 1; arrêt 6B_301/2024 du 5 novembre 2024).
1.3. Le recourant conteste avoir commis un écart et, par conséquent, avoir violé son devoir de prudence.
1.3.1. La cour cantonale a jugé que le recourant s'était déporté sur la gauche au moment où le motard, qui avait débuté une manoeuvre de dépassement, se trouvait au niveau de l'aile arrière gauche de son véhicule, le percutant et provoquant la chute de celui-ci et de sa passagère.
La cour cantonale a notamment fondé son verdict de culpabilité sur la constance des déclarations du conducteur de la moto, de la passagère et épouse du conducteur de la moto et de la conductrice du véhicule qui précédait celui du recourant lors de l'accident, témoin des faits.
Le conducteur de la moto a ainsi expliqué que durant la manoeuvre de dépassement du véhicule du recourant et de celui le précédant, alors qu'il avait atteint une vitesse d'environ 50 km/h et se trouvait au milieu de la voie de gauche à la hauteur de l'aile arrière de la voiture du recourant, ce dernier avait soudainement fait un écart sur la gauche, heurtant ainsi le côté droit de sa moto.
Ces déclarations sont corroborées par celles de la passagère et du témoin, desquelles il ressort que le recourant roulait très proche de son véhicule, de manière nerveuse, et qu'il s'était soudainement déporté sur la gauche.
La cour cantonale a jugé que les propos du recourant manquaient de crédibilité. À cet égard, elle a relevé qu'il avait persisté à contester les faits, indiquant que le motard, en le dépassant, l'avait touché, provoquant la chute du motocycle. Il a en particulier nié s'être déporté sur la voie de gauche, concédant que, s'il avait fait un écart, il n'avait toutefois pas été suffisant pour percuter la moto. Il a en outre indiqué que le véhicule qu'il conduisait possédait un système qui l'empêchait de franchir une ligne blanche et de se déporter sur la voie de gauche, à moins d'avoir enclenché le clignotant. Cette explication n'a jamais été démontrée par les éléments au dossier.
La cour cantonale a conclu qu'il appartenait au recourant de s'assurer qu'aucun véhicule ne se trouvait derrière lui ou sur la voie de circulation opposée avant de débuter sa manoeuvre de dépassement, ce qu'il n'a pas fait. Elle a estimé qu'il n'avait pas regardé dans son rétroviseur gauche avant de procéder à la manoeuvre de dépassement pour s'assurer que la voie de circulation était libre. La cour cantonale a enfin considéré, qu'au vu de la virulente altercation verbale - admise par les parties - qui a précédé l'accident, le recourant aurait dû être d'autant plus prudent.
1.3.2. Le raisonnement de la cour cantonale est convaincant. Lorsque le recourant indique qu'il n'y a eu ni écart de sa part, ni tentative de dépassement, qu'il explique que, s'il s'était réellement déporté, il y aurait eu obligatoirement une forte cinétique de percussion, que c'est le motocycle qui a mal évalué son dépassement et qui est passé trop près de lui et a touché son véhicule ou encore que, s'il avait voulu le dépasser, il l'aurait fait avant, il oppose sa propre appréciation à celle de la cour cantonale dans une démarche appellatoire, partant, irrecevable.
Sur la base des faits retenus, qui lient la cour de céans et dont l'arbitraire n'a pas été démontré, il ressort de l'arrêt attaqué que le recourant a procédé à une manoeuvre de dépassement sans regarder sur la gauche. C'est donc à juste titre que la cour cantonale a retenu une négligence qui peut être qualifiée de fautive. Le recourant ne formule aucun grief recevable.
1.4. Le recourant reproche à la cour cantonale de ne pas avoir pris en considération le fait que le conducteur de la moto, qui avait entrepris un dépassement inattendu, insensé et téméraire, avait lui même violé plusieurs règles de la circulation routière (art. 26, 32, 33, 34 et 35 LCR) et ce, d'une manière à rompre tout lien de causalité adéquate entre le comportement qui lui est reproché et les lésions subies par la victime.
Il ressort de l'arrêt attaqué que le recourant a procédé à un changement de voie de circulation sans prendre toutes les mesures imposées par la prudence. C'est à raison que la cour cantonale a estimé qu'il avait commis une négligence. Le conducteur de la moto, en effectuant son dépassement, pouvait s'attendre à ce que les autres usagers de la route respectent les mesures de prudence imposées par les circonstances, à savoir, dans le cas d'espèce, un "RTI" (Rétroviseur, Tête, Indicateur), avant d'enclencher une manoeuvre, pour vérifier que la voie de circulation opposée était libre, et n'avait pas à compter avec une violation de celles-là. Le recourant devait s'attendre à ce qu'un véhicule puisse le dépasser. Cette manoeuvre n'avait rien d'exceptionnel ou d'extraordinaire. Dès lors, ni une éventuelle vitesse excessive ni un éventuel dépassement dangereux ne permettaient de reléguer à l'arrière-plan le comportement du recourant.
Par ailleurs, l'argumentation du recourant tirée du comportement du motocycliste est irrecevable faute de reposer sur des faits établis. Pour le surplus, elle est irrecevable car de nature appellatoire. En effet, le recourant présente à nouveau sa propre appréciation des faits sans démontrer que ceux retenus par la cour cantonale seraient arbitraires.
1.5. Au vu de ce qui précède, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral en estimant que le comportement du recourant, qui a effectué une manoeuvre sans prendre toutes les mesures nécessaires imposées par les circonstances, en violation de son devoir de prudence découlant des règles de la circulation routière, constituait la cause la plus probable et la plus immédiate de la collision avec la victime.
Le recourant ne contestant pas, au surplus, que les blessures subies par la victime sont des conséquences de cette collision, sa condamnation pour lésions corporelles par négligence (art. 125 al. 1 CP) ne prête pas flanc à la critique.
2.
Le grief soulevé par le recourant en lien avec la violation de l'art. 429 CPP étant fondé sur les prémisses de l'admission de son grief précédent qu'il n'obtient pas (cf. supra consid. 1), il est sans objet.
3.
Le recours doit être rejeté dans la mesure où il est recevable. Le recourant, qui succombe, supporte les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est rejeté dans la mesure où il est recevable.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr., sont mis à la charge du recourant.
3.
Le présent arrêt est communiqué aux parties et à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre pénale d'appel et de révision.
Lausanne, le 12 mars 2025
Au nom de la Ire Cour de droit pénal
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Jacquemoud-Rossari
La Greffière : Brun