9C_52/2024 06.03.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
9C_52/2024
Arrêt du 6 mars 2025
IIIe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux
Moser-Szeless, Présidente, Stadelmann, Parrino, Beusch et Bollinger.
Greffier : M. Cretton.
Participants à la procédure
Retraites Populaires,
rue Caroline 9, 1003 Lausanne,
représentées par M e Guy Longchamp, avocat,
recourantes,
contre
A.________,
intimée,
Retraites Populaires Fondation de prévoyance,
c/o Retraites populaires,
rue Caroline 9, 1003 Lausanne,
représentée par M e Guy Longchamp, avocat,
Objet
Prévoyance professionnelle (prestation pour survivants),
recours contre le jugement du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 30 novembre 2023
(PP 29/21 - 36/2023).
Faits :
A.
A.a. B.________ a exercé la fonction de policier pour le compte de la commune de U.________. Il était à ce titre assuré par la Caisse C.________ (C.________) pour la prévoyance professionnelle. L'institution était gérée par les Retraites Populaires. B.________ a démissionné pour le 31 janvier 2006. Il a annoncé sa volonté de s'établir à son compte pour la première fois le 24 janvier 2008 et obtenu le remboursement de la part de la C.________ d'une partie de sa prestation de libre passage (137'528 fr. 30) le 27 février 2008. Il a en outre obtenu le remboursement de la part des Retraites Populaires du capital de sa police de libre passage (342'420 fr. 60) le 6 juin suivant. Il est décédé le 10 juin 2009.
A.b. A.________, épouse du défunt, s'est à plusieurs reprises adressée aux Retraites Populaires afin qu'elles lui expliquent les motifs pour lesquels elle-même et sa fille n'avaient pas droit à des prestations de survivants de la prévoyance professionnelle. L'institution de prévoyance l'a informée des remboursements d'une partie de la prestation de libre passage et de l'entièreté du capital de la police de libre passage, auxquels elle avait consenti par l'apposition de sa signature sur les formulaires y afférents. A.________ a nié avoir été au courant de ces remboursements et y avoir consenti. Les Retraites Populaires ont confirmé leur point de vue par lettre du 24 janvier 2011. A.________ a déposé une réclamation le 24 février 2011. Elle contestait l'authenticité de sa signature et blâmait l'institution de prévoyance pour le manque de vérifications. Le Conseil d'administration des Retraites Populaires a constaté que les remboursements litigieux avaient été effectués conformément à la législation et a décliné sa responsabilité le 26 septembre 2011. A.________ a repris son nom de célibataire le 17 janvier 2013.
A.c. A.________ a déposé des réquisitions de poursuite pour un montant de 342'420 fr. 60 avec intérêt à 5 % à compter du 10 juin 2009 (découlant de la police de libre passage de feu B.________) contre les Retraites Populaires et les Retraites Populaires Fondation de prévoyance le 6 juin 2019. Ces dernières se sont opposées aux commandements de payer y afférents notifiés le 13 juin 2019. Les Retraites Populaires ont aussi renoncé à invoquer la prescription les 3 juin 2020 et 16 juin 2021, jusqu'au 30 juin 2022.
B.
A.________ a ouvert des actions contre les Retraites Populaires Fondation de prévoyance, puis les Retraites Populaires devant le Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud les 9 novembre 2021 et 23 juin 2022. Elle concluait - de manière absolument identique - à ce qu'il soit constaté que l'institution de prévoyance visée par l'action n'avait pas rempli son incombance de vérifier la qualité d'indépendant de feu B.________ et l'authenticité de sa signature ainsi qu'à ce que ladite institution soit condamnée à lui payer la somme de 342'420 fr. 60 avec intérêts à 5 % l'an à partir du 10 septembre 2009.
Le tribunal cantonal a joint les causes le 27 octobre 2022.
Statuant le 30 novembre 2023, la juridiction cantonale a préalablement constaté que les Retraites Populaires avaient qualité de défenderesses, alors que les Retraites Populaires Fondation de prévoyance revêtaient la qualité d'intervenantes accessoires. Sur le fond, elle a partiellement admis l'action dirigée contre les Retraites Populaires et condamné l'institution de prévoyance à verser à A.________ la part du capital assuré par la police de libre passage n° xxx qu'elle pouvait prétendre en qualité de veuve de B.________, augmentée des intérêts applicables en vertu de la police de libre passage jusqu'au 10 juin 2009, le tout avec intérêt à 5 % l'an à compter du 10 septembre 2009.
C.
Agissant par la voie du recours en matière de droit public, les Retraites Populaires requièrent principalement l'annulation du jugement cantonal et concluent au renvoi de leur cause à l'autorité précédente afin qu'elle rende une nouvelle décision au sens des considérants. Elles sollicitent subsidiairement la réforme dudit jugement en ce sens que la demande de A.________ est rejetée.
Les Retraites Populaires Fondation de prévoyance s'en sont remises à justice, tandis que A.________ et l'Office fédéral des assurances sociales ont renoncé à se déterminer.
Considérant en droit :
1.
Le recours en matière de droit public (au sens des art. 82 ss LTF) peut être formé pour violation du droit (circonscrit par les art. 95 et 96 LTF). Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF). Il n'est limité ni par l'argumentation de la partie recourante ni par la motivation de l'autorité précédente. Il statue sur la base des faits établis par cette dernière (art. 105 al. 1 LTF). Cependant, il peut rectifier les faits ou les compléter d'office s'ils ont été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l'art. 95 LTF (art. 105 al. 2 LTF). Le recourant ne peut critiquer les faits que s'ils ont été constatés de façon manifestement inexacte ou contraire au droit et si la correction d'un tel vice peut influer sur le sort de la cause (art. 97 al. 1 LTF).
2.
Le litige porte sur le droit de l'intimée à des prestations découlant de la police de libre passage établie en faveur de B.________ le 15 avril 2008.
3.
En réponse à un grief de l'intimée, le tribunal cantonal a considéré que les recourantes avaient fait preuve de négligence lors de la vérification du soi-disant consentement donné par celle-ci au versement de l'entier du capital de la police de libre passage de son mari et lui avait dès lors causé un préjudice en la privant indûment de ses prétentions à la suite du décès de celui-ci. Pour ce faire, il a notamment retenu que le devoir de vérification des institutions de prévoyance avait été renforcé depuis la parution le 22 juin 2000 du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 51. Il a constaté que l'analyse comparative des signatures de A.________ sur sa carte d'identité et sur la demande de remboursement du capital de la police de libre passage de son mari démontrait qu'elles étaient manifestement différentes. Il a considéré que, compte tenu des circonstances notoires ayant contraint B.________ à démissionner de ses fonctions de policier, aucune confiance particulière ne devait lui être accordée dans le cadre du remboursement du capital de sa police de libre passage. Il a évalué le montant du dommage subi par l'intimée à la moitié du capital assuré et des intérêts convenus dans la police de libre passage jusqu'au décès de B.________, dans la mesure où la fille de celle-ci avait légalement droit à l'autre moitié. Il a fondé son argumentation sur un arrêt du Tribunal fédéral (ATF 130 V 103), dans lequel l'obligation de réparer le dommage, consécutif à l'impossibilité d'exécuter l'obligation qui était prévue par le contrat de prévoyance de droit privé (soit l'impossibilité de verser la prestation de sortie aux héritiers de l'assuré prédécédé en raison du remboursement de cette prestation à l'époux sur la base d'un formulaire qui comprenait la signature contrefaite de l'épouse) a été examinée en application de l'art. 97 CO.
En réponse à un grief des recourantes, la cour cantonale a par ailleurs exclu la prescription de la créance de l'intimée envers celles-ci lors de l'introduction de l'action. Elle a substantiellement retenu que le délai de prescription avait commencé à courir le 10 juin 2009, lors du décès de B.________, et non le 6 juin 2008, lors du versement du capital de la police de libre passage, dans la mesure où les prétentions de A.________ n'étaient pas exigibles du vivant de son mari. Elle a en outre relevé que le délai avait été valablement interrompu par le dépôt d'une réquisition de poursuite le 6 juin 2019, les déclarations de renonciation à invoquer la prescription le 3 juin 2020 et le 16 juin 2021 et l'ouverture de l'action le 9 novembre 2021. Elle a également admis l'intérêt moratoire requis (5 % l'an depuis le 10 septembre 2009), la créance étant devenue exigible lors du décès de B.________.
4.
4.1. Les recourantes font pour l'essentiel grief à la juridiction cantonale d'avoir violé le droit applicable à la prescription des prétentions de l'intimée envers elles ensuite du décès de son mari. Elles soutiennent d'abord en substance que le début du délai décennal de prescription coïncide avec la confirmation du versement en espèces de l'entièreté du capital de la police de libre passage, le 6 juin 2008, ou avec l'échéance d'un délai de 30 jours après la réception de la demande de remboursement, le 23 juin 2008, et non avec le décès de B.________, le 10 juin 2009, de sorte que les prétentions de A.________ étaient prescrites depuis le 23 juin 2018 au plus tard, avant le dépôt de ses réquisitions de poursuite, le 6 juin 2019.
4.2.
4.2.1. Les premiers juges ont fondé leur raisonnement sur l'art. 41 al. 2 LPP, aux termes duquel "les actions en recouvrement de créances se prescrivent par cinq ans quand elles portent sur des cotisations ou des prestations périodiques, par dix ans dans les autres cas. Les art. 129 à 142 CO sont applicables". Ils ont retenu que, dans la mesure où la prestation litigieuse était en l'espèce le versement d'un capital, et non d'une rente, c'était le délai décennal qui s'appliquait à la prescription. Ils ont en outre considéré que, comme la jurisprudence situait l'exigibilité d'une prestation de la prévoyance professionnelle lors de la naissance du droit à cette prestation d'après les dispositions légales et réglementaires qui lui étaient applicables (cf. ATF 132 V 159 consid. 3), ce délai avait débuté avec le décès de B.________. Par conséquent, les prétentions de A.________ n'étaient pas exigibles du vivant de son conjoint. Les premiers juges ont encore exposé que ce délai avait valablement été interrompu par le dépôt de la réquisition de poursuite le 6 juin 2019, les renonciations à invoquer la prescription des 3 juin 2020 et 16 juin 2021, ainsi que l'ouverture de l'action le 9 novembre 2021.
4.2.2. Sous cet angle, le raisonnement du tribunal cantonal est fondé. En cas de décès de l'assuré, le droit aux prestations de libre passage (qui ne tombent pas dans la succession) revient en principe aux bénéficiaires énumérés à l'art. 15 OLP (ATF 129 III 305 consid. 3; arrêt 2C_738/2021 du 23 décembre 2021 consid. 4.3.1), dont en premier lieu le conjoint survivant. Les bénéficiaires disposent d'un droit originaire qui leur est conféré par la loi (art. 15 OLP qui renvoie aux art. 19 à 20 LPP) ou par le règlement de l'institution de prévoyance. Dans cette dernière éventualité, les ayants droit apparaissent comme les bénéficiaires d'une stipulation pour autrui au sens de l'art. 112 CO (ATF 131 V 27 consid. 3.1; 113 V 287 consid. 4b; cf. arrêt 9C_588/2020 du 18 mai 2021 consid. 4.1.2). Dès lors que l'intimée faisait valoir son droit au capital de la police de libre passage de son mari et que ce capital n'était pas exigible avant le décès de celui-ci, elle a effectivement agi à temps, avant que son droit ne soit prescrit.
4.3.
4.3.1. Cependant, la juridiction cantonale a en l'espèce perdu de vue que, dans la mesure où le remboursement à B.________ de l'intégralité du capital de sa police de libre passage était intervenu le 6 juin 2008, les recourantes se retrouvaient dans l'impossibilité de donner suite aux prétentions de l'intimée.
4.3.2. Dans l'ATF 130 V 103, cité par les premiers juges, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si, comme en l'espèce, l'institution de prévoyance pouvait être tenue de verser une seconde fois le montant de la prestation de libre passage lorsque celle-ci avait été versée à l'assuré en violation de l'art. 5 al. 2 LFLP (soit sans le consentement écrit du conjoint de l'assuré). Il a considéré que, dans ces conditions, le versement en question n'était pas nul à la différence d'autres dispositions apparentées, telles que l'art. 494 al. 1 et 3 CO, où l'absence de consentement valable conduisait à la nullité de l'acte juridique, sans que la partie contractante ne puisse se prévaloir de sa bonne foi (cf. consid. 3.2). Il a alors fondé la prétention en cause sur les art. 97 ss CO et a retenu que l'institution de prévoyance est tenue de prester si elle n'a pas fait preuve de la diligence requise pour vérifier le consentement du conjoint (cf. consid. 3.3). Il a toutefois exclu que, dans la situation alors jugée, l'institution de prévoyance ait manqué à son devoir de diligence lors de la vérification du consentement des ayants droit et doive réparer le dommage en résultant (cf. consid. 3.4 et 3.5). Cette jurisprudence a été confirmée et appliquée à de nombreuses reprises (cf. ATF 133 V 205 consid. 4.4; arrêt B 126/04 du 20 mars 2006 consid. 2.3 et les cas d'application mentionnés; cf. en particulier arrêt B 58/01 du 7 janvier 2004; voir aussi THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI in: Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 59 ss ad art. 5 LFLP; Hans-Ulrich Stauffer, Berufliche Vorsorge, 3e éd. 2019, p. 472 n° 1465).
4.3.3. Les recourantes se retrouvaient donc en l'espèce vis-à-vis de A.________ dans la situation prévue à l'art. 97 al. 1 CO. Selon cette disposition "lorsque le créancier ne peut obtenir l'exécution de l'obligation ou ne peut l'obtenir qu'imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu'il ne prouve qu'aucune faute ne lui est imputable". La cour cantonale a considéré que, dès lors que l'institution de prévoyance avait été particulièrement négligente dans le traitement du remboursement du capital de la police de libre passage de B.________, elle avait causé un dommage à l'intimée et devait le réparer conformément à l'art. 99 CO. Une fois admise la non exécution du contrat de prévoyance, il reste à examiner si A.________ a fait valoir son droit à la réparation du dommage - et non son droit au capital de la police de libre passage - dans le délai de prescription. Or, d'après l'art. 127 CO applicable à l'inexécution des obligations contractuelles, "toutes les créances se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n'en dispose pas autrement". Les règles relatives à la responsabilité dérivant d'actes illicites s'appliquant par analogie aux effets de la faute contractuelle (art. 99 al. 3 CO), le début du délai de prescription correspond au moment où est survenu l'acte dommageable tant pour les prétentions contractuelles que pour les prétentions extra-contractuelles (cf. ATF 146 III 14 consid. 6.1.2). Dès lors que l'acte qui a privé l'intimée de ses prétentions envers les recourantes est en l'occurrence le versement du capital de la police de libre passage fondé sur une demande de remboursement contenant la signature contrefaite de A.________, le droit de celle-ci d'obtenir la réparation de son dommage s'est éteint dix ans après le 6 juin 2008 et était prescrit lors du dépôt de la première réquisition de poursuite le 6 juin 2019.
4.3.4. On précisera encore que, dans le domaine de la prévoyance professionnelle, les actes interruptifs de la prescription sont limités à ceux énumérés de façon exhaustive à l'art. 135 CO (cf. ATF 132 V 404 consid. 5.2; arrêt B 55/05 du 16 octobre 2006 consid. 4.2.3). Le fait que l'intimée a déposé le 24 février 2011 une réclamation contre une lettre des recourantes l'informant qu'elle avait consenti au remboursement du capital de la police de libre passage de son mari n'a donc pas interrompu la prescription.
4.4. Compte tenu de ce qui précède, il convient d'admettre le recours, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner les autres griefs de l'institution de prévoyance et de réformer le jugement cantonal en ce sens que les demandes de A.________ des 9 novembre 2021 et 23 juin 2022 sont rejetées.
5.
Vu l'issue du litige, les frais judiciaires sont mis à la charge de l'intimée (art. 66 al. 1 LTF). Les recourantes n'ont pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF). La cause est renvoyée à la juridiction cantonale pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure (art. 67 et 68 al. 5 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. Le jugement de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 30 novembre 2023 est réformé en ce sens que les demandes de A.________ des 9 novembre 2021 et 23 juin 2022 sont rejetées.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 500 fr., sont mis à la charge de l'intimée.
3.
La cause est renvoyée à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud pour nouvelle décision sur les frais et les dépens de la procédure antérieure.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Retraites Populaires Fondation de prévoyance, au Tribunal cantonal du canton de Vaud, Cour des assurances sociales, et à l'Office fédéral des assurances sociales.
Lucerne, le 6 mars 2025
Au nom de la IIIe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Moser-Szeless
Le Greffier : Cretton