8C_438/2024 18.03.2025
Bundesgericht
Tribunal fédéral
Tribunale federale
Tribunal federal
8C_438/2024
Arrêt du 18 mars 2025
IVe Cour de droit public
Composition
Mmes et MM. les Juges fédéraux Viscione, Présidente,
Maillard, Heine, Scherrer Reber et Métral.
Greffière : Mme Barman Ionta.
Participants à la procédure
AXA Assurances SA,
General-Guisan-Strasse 40, 8400 Winterthour,
recourante,
contre
A.________,
représenté par M e Pierre Banna, avocat,
intimé.
Objet
Assurance-accidents (notion d'accident),
recours contre l'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève du 28 juin 2024 (A/3701/2023 ATAS/546/2024).
Faits :
A.
A.________, né en 1965, travaille comme concierge à temps partiel au service de différents employeurs. Par déclaration d'accident du 20 septembre 2022, il a annoncé à AXA Assurances SA (ci-après: AXA), assureur-accidents de l'employeur pour lequel il avait travaillé en dernier lieu avant l'événement, s'être fait mal au dos le 13 septembre précédent en déplaçant des pierres dans son jardin. Invité à remplir un questionnaire sur les circonstances de l'événement, A.________ a précisé, le 11 octobre 2022, qu'il posait des plaques de parement sur un mur lorsqu'une plaque s'est décollée; en voulant la récupérer, il avait été entraîné par le poids du parement (environ 10 kilos) qui lui avait fait faire un faux mouvement; il avait ressenti comme une décharge électrique dans le bas du dos. À la question de savoir si quelque chose d'extraordinaire ou d'inattendu s'était produit dans son mouvement (dérapage ou chute p. ex.), il a répondu par la négative.
Par décision du 15 février 2023, confirmée sur opposition le 4 octobre 2023, AXA a nié le droit de l'assuré à des prestations d'assurance pour les suites de l'événement du 13 septembre 2022, motif pris qu'il ne s'agissait ni d'un accident ni d'une lésion corporelle assimilée à un accident.
B.
A.________ a déféré la décision sur opposition du 4 octobre 2023 à la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève. Lors d'une audience du 14 juin 2024, la cour cantonale a entendu l'assuré. Celui-ci a notamment déclaré qu'il venait de poser une plaque de pierre sur le mur lorsqu'il s'était aperçu que le maillet, à l'aide duquel il tapait sur la plaque, n'était pas à sa portée mais à 50 centimètres de son bras. Alors qu'il cherchait le maillet avec ses deux mains, la plaque de pierre s'était détachée; il l'avait récupérée avec les deux mains, à hauteur de la taille sur le côté, d'un geste extrêmement brusque. Par arrêt du 28 juin 2024, la cour cantonale a admis le recours, reconnu le caractère accidentel de l'événement du 13 septembre 2022 et renvoyé la cause à AXA pour examen des autres conditions du droit aux prestations d'assurance-accidents et calcul éventuel de celles-ci.
C.
AXA interjette un recours en matière de droit public contre cet arrêt en concluant à son annulation et au rétablissement de la décision sur opposition, l'événement du 13 septembre 2022 ne satisfaisant pas les critères d'un accident et l'assuré n'ayant pas droit aux prestations d'assurance-accidents. Elle sollicite en outre l'octroi de l'effet suspensif.
L'intimé conclut au rejet du recours. La juridiction cantonale et l'Office fédéral de la santé publique ont renoncé à se déterminer.
La recourante a répliqué et l'intimé a dupliqué.
Considérant en droit :
1.
1.1. D'un point de vue formel, l'arrêt entrepris est une décision de renvoi. En principe, les décisions de renvoi constituent des décisions incidentes qui ne peuvent faire l'objet d'un recours qu'aux conditions de l'art. 93 al. 1 LTF (ATF 142 V 551 consid. 3.2; 133 V 477 consid. 4.2 et 4.3). En règle générale, une décision de renvoi ne met pas fin à la procédure (ATF 140 V 282 consid. 4.2) et n'est pas non plus de nature à causer un préjudice irréparable aux parties, le seul allongement de la durée de la procédure ou le seul fait que son coût s'en trouve augmenté n'étant pas considéré comme constitutif d'un tel dommage (ATF 139 V 99 consid. 2.4). Néanmoins, lorsqu'un assureur social est contraint par l'arrêt incident à rendre une décision qu'il estime contraire au droit et qu'il ne pourra pas lui-même attaquer, les conditions de l'art. 93 al. 1 LTF sont en principe remplies et l'arrêt incident peut être déféré au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé de l'arrêt final (ATF 150 V 354 consid. 1.2; 144 V 280 consid. 1.2). Cette éventualité est réalisée en l'espèce dès lors que l'arrêt cantonal a un effet contraignant pour la recourante en tant qu'elle l'oblige à examiner à nouveau le droit aux prestations de l'intimé en tenant compte du fait que l'événement annoncé a été qualifié d'accident.
1.2. Pour le surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans le délai (art. 100 LTF) et la forme (art. 42 LTF) prévus par la loi. Il est donc recevable.
2.
2.1. Le litige porte sur le droit aux prestations de l'intimé ensuite de l'événement du 13 septembre 2022, singulièrement sur le caractère accidentel ou non de cet événement, au sens des art. 6 al. 1 LAA et 4 LPGA.
2.2. Lorsque la décision qui fait l'objet d'un recours concerne l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents, le Tribunal fédéral n'est pas lié par les faits établis par l'autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF). Aussi, lorsque sont en jeu des prestations en espèces et en nature, comme c'est le cas ici, le Tribunal fédéral dispose d'un pouvoir d'examen étendu en ce qui concerne les faits pertinents pour les prestations en espèces et ceux communs aux deux types de prestations (arrêt 8C_642/2023 du 20 mars 2024 consid. 2.2 et la référence).
2.3. Le recours en matière de droit public peut être formé pour violation du droit, tel qu'il est délimité par les art. 95 et 96 LTF. Le Tribunal fédéral applique le droit d'office (art. 106 al. 1 LTF) et n'est limité ni par les arguments de la partie recourante, ni par la motivation de l'autorité précédente. Le Tribunal fédéral n'examine en principe que les griefs invoqués, compte tenu de l'exigence de motivation prévue à l'art. 42 al. 2 LTF, sauf en cas d'erreurs juridiques manifestes (ATF 145 V 304 consid. 1.1), et ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 107 al. 1 LTF).
3.
3.1. L'assurance-accidents est en principe tenue d'allouer ses prestations en cas d'accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d'accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l'atteinte, le caractère involontaire de l'atteinte, un facteur extérieur à l'origine de l'atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l'un d'entre eux fasse défaut pour que l'événement ne puisse pas être qualifié d'accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 129 V 402 consid. 2.1 et les références).
3.2. Pour admettre la présence d'un accident, il ne suffit pas que l'atteinte à la santé trouve sa cause dans un facteur extérieur, soit une cause exogène au corps humain. Encore faut-il que ce facteur puisse être qualifié d'extraordinaire. Cette condition est réalisée lorsque le facteur extérieur excède le cadre des événements et des situations que l'on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d'habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1). Le caractère extraordinaire ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Celui-ci doit s'écarter de la mesure ordinaire et normale dans laquelle les influences de l'environnement agissent sur le corps humain (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L'assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, vol. XIV, 3 e éd. 2016, p. 923 n° 94).
3.3.
3.3.1. L'existence d'un facteur extérieur est en principe admise en cas de mouvement non coordonné, à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d'un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l'environnement extérieur, tel le fait de glisser, de trébucher, de se heurter à un objet ou d'éviter une chute. Le facteur extérieur - modification entre le corps et l'environnement extérieur - constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; arrêts 8C_24/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.2 in SVR 2023 UV n° 13 p. 40; 8C_404/2020 du 11 juin 2021 consid. 3.1 et les références). À titre d'exemples, l'existence d'un facteur extérieur extraordinaire a été admise dans le cas d'un assuré, blessé à l'épaule gauche, qui a retenu, par un mouvement du membre supérieur gauche, un panneau d'environ 80 kilos glissant des mains de la personne qui l'aidait à le transporter (arrêt 8C_404/2020 du 11 juin 2021 consid. 5.2), dans le cas d'un poseur de sols qui, par un mouvement brusque et incontrôlé au niveau du membre supérieur droit, présentant une certaine intensité, a rattrapé précipitamment un rouleau de moquette qui glissait d'une étagère (arrêt 8C_194/2015 du 11 août 2015 consid. 5.2.2), dans le cas d'un assuré rattrapant, à moins de 80 centimètres du sol, un gaufrier de 25 kilos qui tombait d'une table, le dos courbé et les bras en avant (arrêt 8C_579/2014 du 28 novembre 2014 consid. 5 et 6.3) ou encore dans le cas d'une infirmière, amenée à fournir un effort violent et improvisé lors du déplacement d'une patiente, déplacement qui devait impérativement s'effectuer à deux en raison des contraintes induites par l'invalidité de celle-ci; la collègue de l'infirmière avait lâché prise de manière subite, de sorte que cette dernière s'était retrouvée seule à supporter toute la charge pour éviter le pire (arrêt U 9/04 du 15 octobre 2004 consid. 5).
3.3.2. En revanche, le facteur extérieur extraordinaire a été nié dans les cas suivants: une assistante maternelle qui s'est blessée au poignet en empêchant un enfant de cinq ans, pesant 20 kilos, de tomber d'une chaise "Tripp-Trapp" (arrêt 8C_242/2021 du 2 novembre 2021 consid. 6 ss); un boucher qui s'est fait mal au dos en se saisissant d'une caisse de viande d'environ 25 kilos collant à l'étagère sur laquelle elle était posée, reculant de quelques pas pour retrouver l'équilibre (arrêt 8C_783/2013 du 10 avril 2014 consid. 6.2); un assuré qui a présenté des douleurs au dos après avoir tenté de redresser, par un mouvement réflexe, une plante en pot qui se trouvait sur un chariot de transport, lequel menaçait de basculer (arrêt U 144/06 du 23 mai 2006 consid. 2.1 et 2.2); une aide-soignante qui s'est blessée à l'épaule en rattrapant une caisse de livres qui lui avait glissé des mains (arrêt 8C_1019/2009 du 26 mai 2010 consid. 5.1.2); un infirmier qui s'est fait mal au niveau des cervicales en se retournant brusquement pour tenter de retenir une patiente, laquelle s'était levée de sa chaise roulante (arrêt 8C_726/2009 du 30 avril 2010 consid. 5); une infirmière, pesant 62 kilos, souffrant d'une hernie discale, qui a soudainement dû supporter le poids d'une patiente de 66 kilos, en la déplaçant de son lit au fauteuil (arrêt U 421/01 du 15 janvier 2003 consid. 3); une aide-soignante qui, avec une stagiaire, soutenait une patiente d'environ 90 kilos qui s'effondrait, la conduisant à se pencher plus fortement, entraînant une vive douleur à l'épaule (arrêt 8C_444/2009 du 11 janvier 2010 consid. 4.3); un acteur qui a souffert d'une hernie discale lors d'une représentation, alors qu'il devait amortir le saut d'une collègue (pesant environ 58 kilos) qui lui faisait face (arrêt U 67/94 du 10 octobre 1994 consid. 5).
3.4. Au sujet de la preuve de l'existence d'une cause extérieure prétendument à l'origine de l'atteinte à la santé, on rappellera que les explications d'un assuré sur le déroulement d'un fait allégué sont au bénéfice d'une présomption de vraisemblance. Il peut néanmoins arriver que les déclarations successives de l'intéressé soient contradictoires entre elles. En pareilles circonstances, selon la jurisprudence, il convient de retenir la première explication, qui correspond généralement à celle que l'assuré a faite alors qu'il n'était pas encore conscient des conséquences juridiques qu'elle aurait, les nouvelles explications pouvant être - consciemment ou non - le produit de réflexions ultérieures (ATF 143 V 168 consid. 5.2.2; 121 V 45 consid. 2a et les références).
4.
La juridiction cantonale a relevé que le déroulement de l'événement avait été précisé lors de l'audience du 14 juin 2024. Elle a retenu que l'intimé était en train de poser des plaques de pierre, à hauteur des yeux; alors qu'il s'apprêtait à prendre avec les deux mains le maillet situé à 50 centimètres de son bras, la plaque qu'il venait de poser, d'environ 10-12 kilos, s'était détachée; en la rattrapant à hauteur de la taille, sur le côté, il s'était blessé au dos par un mouvement en porte-à-faux, effectué brusquement par réflexe. Selon la cour cantonale, il ressortait des déclarations de l'intimé, en audience comme dans le questionnaire du 11 octobre 2022, que ce faux mouvement expliquait les douleurs de l'intimé. Elle a considéré que le 13 septembre 2022, ce dernier avait effectué un mouvement en porte-à-faux pour retenir un objet en train de tomber, soit un mouvement corporel non programmé et non maîtrisé, qui justifiait d'admettre l'existence d'un facteur extraordinaire. Reconnaissant le caractère accidentel de l'événement du 13 septembre 2022 - les autres critères étant manifestement remplis, ce que la recourante ne contestait pas -, les premiers juges ont considéré que la recourante devait examiner les autres conditions du droit aux prestations d'assurance et statuer sur les prestations éventuellement dues à l'intimé.
5.
5.1. La recourante soutient que l'intimé souffre d'une lombalgie, d'une discopathie étagée dégénérative et d'un effet de masse en regard du disque L2-L3 dont l'origine ne peut être attribuée à un facteur externe. Sans remettre en cause les constatations des premiers juges sur le déroulement de l'événement du 13 septembre 2022, elle affirme qu'aucun facteur extérieur extraordinaire n'est à l'origine des atteintes à la santé de l'intimé. En particulier, la dynamique du mouvement et l'effort réalisé ne seraient pas exceptionnels au regard de la constitution physique de l'intimé (entre 72 et 74 kilos) et de ses habitudes professionnelles. Elle reproche également aux premiers juges d'avoir retenu à tort un mouvement en porte-à-faux et, partant, d'avoir admis la réalisation d'un mouvement non coordonné. Enfin, elle fait valoir que l'événement du 13 septembre 2022 serait comparable à deux précédents (arrêts U 238/99 du 14 février 2000 et 8C_1019/2009 du 26 mai 2010) qui, comme en l'espèce, traiteraient de cas de réception d'un poids de manière soudaine et dans lesquels le Tribunal fédéral a nié la présence d'un facteur extérieur extraordinaire.
5.2. En l'occurrence, le point de vue de la juridiction cantonale quant au déroulement de l'événement du 13 septembre 2022 ne peut être suivi. Selon la déclaration de sinistre du 20 septembre 2022, l'intimé déplaçait des pierres dans son jardin. Il a ensuite expliqué, dans un questionnaire rempli le 11 octobre 2022, qu'il posait des plaques de parement sur un mur lorsqu'une plaque s'est décollée; en voulant la récupérer, il avait été entraîné par le poids du parement (environ 10 kilos) qui lui avait fait faire un faux mouvement. Force est de constater que cette description de l'événement ne permet pas de retenir une position penchée en avant ou un mouvement en porte-à-faux qui aurait résulté de la prise du maillet sur le sol. Il appert au contraire que l'intimé n'était pas en position de porte-à-faux lorsqu'il a réceptionné la plaque de pierre avant d'accompagner le mouvement de chute de celle-ci. Au vu du poids de cette pierre et de la jurisprudence mentionnée ci-avant (consid. 3.3.2), ces circonstances ne permettent pas de constater le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il s'ensuit que l'autorité précédente a qualifié à tort d'accidentel l'événement du 13 septembre 2022. Le recours se révèle dès lors bien fondé et doit être admis.
5.3. Le présent arrêt rend sans objet la requête d'effet suspensif présentée par la recourante.
6.
L'intimé, qui succombe, supportera les frais judiciaires (art. 66 al. 1 LTF). Bien qu'elle obtienne gain de cause, la recourante n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).
Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce :
1.
Le recours est admis. L'arrêt de la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, du 28 juin 2024 est annulé et la décision sur opposition d'AXA Assurances SA du 4 octobre 2023 est confirmée.
2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 800 fr., sont mis à la charge de l'intimé.
3.
La cause est renvoyée à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.
4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour de justice de la République et canton de Genève, Chambre des assurances sociales, et à l'Office fédéral de la santé publique.
Lucerne, le 18 mars 2025
Au nom de la IVe Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
La Présidente : Viscione
La Greffière : Barman Ionta