TF 2C_505/2009

2009-2010

Dans le TF 2C_505/2009 du 29 mars 2010, le TF a admis un recours en matière de droit public et a par conséquent ordonné l'octroi d'une autorisation de séjour appropriée en faveur d'une ressortissante de la République démocratique du Congo, mère d'un enfant reconnu par un ressortissant suisse d'origine congolaise. La Haute Cour a jugé que l'autorité cantonale de recours a violé le principe de la proportionnalité et, par conséquent, l'article 8 CEDH. En l'espèce, la mère, qui a quitté son pays à plus de 22 ans, est arrivée en Suisse en janvier 2001 de manière illégale, a commis des infractions mineures à la LTP, a enfreint la LSEE – ce qui lui a valu une condamnation à 15 jours de prison et CHF 500.- d'amende – et a été condamnée en France pour être entrée dans ce pays sous une fausse identité. Pour le TF, même si l'attitude de l'intéressée est répréhensible, elle n'a pas commis d'infractions portant gravement atteinte à l'ordre public et à la sécurité suisses. Pour l'essentiel, le comportement délictueux est en relation étroite avec l'illégalité de son séjour en Suisse et tombe sous le coup de dispositions pénales du droit des étrangers, soit de droit pénal administratif. Les infractions commises n'atteignent pas le degré de gravité qui, selon la jurisprudence (ATF 135 I 153), fait primer l'intérêt public au respect de l'ordre et de la sécurité sur l'intérêt privé de l'enfant à pouvoir vivre dans son pays avec le parent qui s'occupe de lui. Par ailleurs, le fait que l'enfant soit en bas âge (2 ans, ce qui signifie qu'il peut s'adapter facilement dans le pays de sa mère) n'a pas fait pencher la balance en faveur d'un départ de Suisse. Il en va de même pour les liens économiques et affectifs entre l'enfant et son père, liens considérés comme n'étant pas particulièrement forts (non-respect des engagements financiers, droit de visite réglé tardivement, les intéressés ne se rencontrent qu'une douzaine d'heures par semaine). Pour le TF, un éventuel départ de l'enfant pour suivre sa mère au Congo affecterait sensiblement l'exercice du droit de visite du père, ce qui serait regrettable pour le premier.

ž Dans cet arrêt, le TF a consacré une nouvelle jurisprudence en matière de regroupement familial. Compte tenu de l'importance centrale de cet arrêt, l'entier des considérants pertinents sont reproduits :

ž En résumé, il apparaît que, lors de l'élaboration des dispositions concernant le regroupement familial figurant aux art. 42 ss LEtr, les art. 42 al. 1 et 43 LEtr ont été rédigés de telle sorte qu'il ne soit plus nécessaire que les enfants vivent avec leurs deux parents, comme le prévoyait l'art. 17 al. 2 3e phrase LSEE. Même si la question du regroupement familial partiel n'a pas été évoquée expressément lors des débats parlementaires, cette situation est également envisagée par les art. 42 al. 1 et 43 LEtr. La preuve en est que les cas d'application de l'art. 42 al. 1 LEtr sont typiquement et essentiellement des situations de regroupement familial partiel, où une personne naturalisée suisse à la suite de son mariage demande une autorisation de séjour afin que ses enfants de nationalité étrangère puissent la rejoindre en Suisse. Un seul des parents peut donc se prévaloir des art. 42 al. 1 ou 43 LEtr pour obtenir l'octroi d'un titre de séjour pour son ou ses enfants de moins de 18 ans. Selon le système tel qu'il ressort du texte des dispositions applicables, si les délais prévus à l'art. 47 LEtr ou le délai transitoire de l'art. 126 al. 3 LEtr sont respectés, le titre de séjour est en principe accordé, à moins que le droit ne soit invoqué abusivement ou qu'il existe des motifs de révocation (cf. art. 51 LEtr). Le nouveau droit ne permet donc plus de justifier l'application des conditions restrictives posées par la jurisprudence en cas de regroupement familial partiel, qui se fondaient sur le fait que l'art. 17 LSEE exigeait que l'enfant vive auprès de « ses parents ». Par contre, ces conditions peuvent jouer un rôle en relation avec les « raisons familiales majeures » au sens de l'art. 47 al. 4 LEtr, qui régit le regroupement familial différé, qui est requis après l'échéance des délais de l'art. 47 al. 1 LEtr.

ž En ce sens, la décision attaquée, qui s'est fondée sur les arrêts rendus sous le régime de la loi sur le séjour et l'établissement des étrangers pour confirmer le refus de la demande d'autorisation de séjour du recourant pour sa fille, ne peut être suivie.

ž L'abandon de l'ancienne jurisprudence ne signifie pas pour autant que les autorités doivent appliquer les articles 42 al. 1 et 43 LEtr de manière automatique en cas de regroupement familial partiel. Cette forme de regroupement familial peut en effet poser des problèmes spécifiques, surtout lorsque l'enfant pour lequel une autorisation de séjour en Suisse est requise vit à l'étranger avec l'autre parent ou dans sa famille. L'évolution de la société, en particulier l'augmentation des divorces et des familles recomposées, entraîne pourtant un accroissement de demandes formées par l'un des parents résidant en Suisse, qui tendent à obtenir une autorisation de séjour en faveur d'un ou plusieurs de ses enfants célibataires de moins de 18 ans vivant à l'étranger.

ž En premier lieu, la loi prévoit de manière générale que le droit au regroupement familial s'éteint notamment lorsqu'il est invoqué de manière abusive (art. 51 al. 1 lettre a et al. 2 lettre a LEtr). Il appartient dès lors aux autorités compétentes en matière de droit des étrangers de vérifier que tel ne soit pas le cas.

ž En deuxième lieu, les auteurs s'accordent à dire que le parent qui demande une autorisation de séjour pour son enfant au titre du regroupement familial doit disposer (seul) de l'autorité parentale, même si cette exigence ne ressort pas des art. 42 al. 1 et 43 LEtr. Le risque est en effet que le parent résidant en Suisse utilise ces dispositions pour faire venir un enfant auprès de lui, alors qu'il n'a pas l'autorité parentale sur celui-ci ou, en cas d'autorité parentale conjointe, lorsque la venue en Suisse de l'enfant revient de facto à priver l'autre parent de toute possibilité de contact avec lui. Or, le regroupement familial doit être réalisé en conformité avec les règles du droit civil régissant les rapports entre parents et enfants et il appartient aux autorités compétentes en matière de droit des étrangers de s'en assurer.

ž En troisième lieu, le regroupement familial partiel suppose également de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme l'exige l'art. 3 par. 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2 novembre 1989 (CDE; RS 0.107). (…)

ž Statuant sur le cas d'espèce, le TF considère qu'est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant une demande formulée par un ressortissant de la République démocratique du Congo vivant en Suisse depuis 1983, cela pour une fille, née en 1999, qui n'a jamais vécu dans ce pays avec lui. Certes, il a apparemment financé en partie les frais de nourriture, d'habillement et de logement, mais ne l'aurait pas vue depuis au moins 2005, voire 2003. En outre, la mère a exercé de façon exclusive et ininterrompue la garde sur l'enfant et a pris en charge son éducation jusqu'à présent, d'une part, et la fillette a d'autres membres de sa famille en République démocratique du Congo, en particulier un grand-père, des oncles et des tantes, avec qui elle vivait également, d'autre part. Enfin, le déracinement de l'enfant est très problématique, car elle ne parle que difficilement le français (ATF 2C_270/2009 du 15 janvier 2010).

ž Peu de temps après l'arrêt précité, le TF a appliqué sa nouvelle jurisprudence dans une affaire (ATF 2C_606/2009 du 17 mars 2010) dont l'état de fait est résumé comme suit. Un ressortissant macédonien marié à une ressortissante suisse obtient la nationalité suisse en 1998. Cet homme a trois enfants d’un précédent mariage en Macédoine. Deux d’entre eux vivant déjà avec lui en Suisse, le regroupement familial est requis en 2008 pour le troisième enfant né en 1992 et vivant jusqu’alors avec sa mère en Macédoine. Après le rejet de la demande par le service de la population et le Tribunal administratif bernois, le TF a admis le recours pour les motifs suivants : l’autorisation d'entrée et de séjour requise pour l’enfant a été refusée au motif que les dispositions de la LEtr régissant le regroupement familial étaient invoquées de manière contraire à leur but et partant abusivement. Le TF constate que l’autorité précédente s'était basée sur la jurisprudence relative à l'abus de droit développée sous l'empire de l'ancienne LSEE, en tenant compte de certains aspects de l'ancienne jurisprudence concernant le regroupement familial partiel. Or, les juges fédéraux le rappellent : d'une part, la notion d'abus de droit n'a plus le même contenu dans le contexte de la nouvelle LEtr (consid. 2.4.1) et, d'autre part, la jurisprudence relative au regroupement familial partiel rendue sous l'ancien droit n'a plus cours sous la nouvelle loi.

ž Le recours a également été admis pour le cas suivant (ATF 2C_764/2009 du 31 mars 2010). Un ressortissant camerounais, marié à une ressortissante suisse depuis 2005 et étant au bénéfice depuis 2006 d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial, a requis une autorisation d’entrée et de séjour pour ses trois enfants restés au Cameroun et issus d’un premier mariage. Le service de la population et le Tribunal cantonal fribourgeois ont successivement rejeté la demande en considérant, en substance, que le père n’avait pas gardé de relation prépondérante avec ses trois enfants. Pour le TF, le droit de séjour de l’enfant au titre du regroupement familial dépend du statut du parent qui souhaite faire venir son enfant et non du statut du conjoint. En l’espèce, il s’agit donc du père au bénéfice d’une autorisation de séjour. L’art. 44 LEtr s’applique donc mais cette disposition ne donnant pas droit à une autorisation de séjour, la voie du recours en matière de droit public n’est pas ouverte à ce titre (art. 83 let. c ch. 2 LTF) (consid. 2.1.1). Le recours a toutefois été déclaré recevable sous l’angle de l’art. 8 CEDH. Quant au fond, le TF a été d’avis que la jurisprudence concernant le droit au regroupement familial partiel rendue sous l’ancien droit est obsolète. A cet égard, les trois nouvelles conditions posées par le TF sont rappelées. Premièrement, le droit ne doit pas avoir été invoqué de manière abusive. Deuxièmement, le parent qui demande le regroupement doit disposer seul de l’autorité parentale, à moins que le parent à l’étranger ait donné son accord exprès. Troisièmement, l’intérêt de l’enfant est à prendre en considération (consid. 4). La deuxième condition a été, en l’espèce, mal examinée par l’autorité précédente. En effet, il n’était pas établi que l’autorité parentale et la garde aient été données officiellement au père. Une simple autorisation de la mère à l’étranger ne suffit pas (consid. 5).

ž Mentionnons enfin un autre cas où le recours a été admis en raison du changement de jurisprudence (ATF 2C_537/2009 du 31 mars 2010). En 2008, une jeune ressortissante brésilienne née en 1993 rejoint sa mère en Suisse et sollicite l’octroi d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial afin de vivre avec cette dernière, mariée désormais à un ressortissant suisse. La requérante vivait jusqu’alors au Brésil chez son père, sa mère lui rendant visite chaque année. Le service de la population et le Tribunal cantonal vaudois ont rejeté successivement la demande en considérant que la relation mère-fille n’était plus prépondérante depuis 2004. Le TF a à nouveau rappelé que le droit de séjour de l’enfant au titre du regroupement familial dépend du statut du parent qui souhaite faire venir son enfant et non du statut du conjoint. Comme dans l’arrêt précédent, la deuxième condition concernant le droit au regroupement familial partiel a été mal examinée par l’autorité. Il n’était en effet pas établi que l’autorité parentale ait été donnée officiellement à la mère au moment du divorce au Brésil. Là non plus, une simple autorisation du père ne suffit pas (consid. 4).

ž Dans l’ATF 136 II 120 du 22 janvier 2010, le TF admet qu'il existe actuellement une discrimination à rebours car, en raison des conditions de l'article 42 alinéa 2 LEtr, le Suisse est moins bien traité qu'un ressortissant d'un Etat membre de l'UE/AELE (Cf. également ATF 2C_624/2009 du 5 février 2010 et ATF 2C_635/2009 du 26 mars 2010). Mais cette constatation ne saurait entraîner l'admission du recours, cela à cause de l'article 190 Cst. D'ailleurs, le Parlement est au courant du problème, preuve en est l'initiative Tschümperlin (08.4949). La balle est donc dans le camp du législateur.