(A. [investisseur turc actionnaire de D.], B. [investisseur turc actionnaire de D.], C. [investisseur turc actionnaire de D.], D. [société anonyme de droit turc active dans le domaine de la construction et dans la production de ciment] c. République Arabe Syrienne). Recours contre la sentence arbitrale rendue le 31 août 2020 par un Tribunal arbitral CCI avec siège à Genève. Sentence retenant que la Syrie avait enfreint ses obligations en vertu du Traité bilatéral d’investissement Syrie-Turquie, et devait indemniser les investisseurs (demandeurs dans l’arbitrage, recourants devant le TF) pour les pertes qu’ils avaient subies en raison du conflit armé qui avait ravagé le pays à partir de 2011. Décision condamnant l’Etat défendeur (intimé devant le TF) à verser la somme de 4,565,469,288.64 livres syriennes (SYP), majoré d’intérêts au taux de 10%, composés sur une base annuelle et courant dès la date de la sentence, avec la faculté pour les recourants d’exiger le paiement de leur créance en dollars étatsuniens (USD) convertis au taux de change appliqué par la Banque centrale syrienne le jour du paiement. Les recourants reprochent au Tribunal de leur avoir alloué une somme en SYP alors que leurs conclusions pécuniaires étaient libellées en USD, c’est-à-dire d’avoir statué extra petita. Dans le cadre du recours contre les sentences arbitrales rendues en Suisse, l’adage ne eat judex ultra vel extra petita partium est fréquemment interprété à la lumière de la jurisprudence relative au droit suisse. Il reflète le principe de l’autonomie privée et son corollaire procédural, la maxime de disposition, qui sont ancrés dans le droit des obligations. Depuis l’entrée en vigueur du Code de procédure civile, la maxime de disposition est consacrée à l’art. 58 CPC : elle s’oppose à ce que le juge émette une condamnation pécuniaire dans une monnaie autre que celle utilisée dans les conclusions du demandeur (consid. 5.3-5.4). Dans le cas d’espèce, les recourants ont formulé toutes leurs prétentions en USD : il faut dès lors reconnaître que, techniquement, le Tribunal leur a alloué un aliud, c’est-à-dire qu’il a décidé extra petita, en fixant le montant dû en SYP. Les singularités de la situation font toutefois qu’il n’y a pas lieu d’annuler la sentence. D’une part, il faut reconnaître que la question de la monnaie d’indemnisation, inévitable dans les litiges internationaux relatifs à la protection des investissements, ne fait pas l’objet de règles générales bien définies. Ainsi, sous réserve des dispositions plus ou moins spécifiques qu’on peut trouver dans le(s) traité(s) applicable(s), les arbitres disposent de latitude à cet égard. Il n’est en tout cas pas certain que la maxime de disposition s’applique en droit international avec la même rigueur qu’en droit suisse. La question peut de toute manière rester indécise, car les recourants ne justifient pas d’un intérêt digne de protection à obtenir l’annulation de la sentence (art. 76 al. 1 let. b LTF). Compte tenu du rejet du grief de la contrariété à l’ordre public de la décision des arbitres d’allouer l’indemnité en SYP (cf. le résumé des consid. 4 ci-dessous, en relation avec l’art. 190 al. 2 let. e LDIP), ainsi que des circonstances particulières de cette affaire, l’intérêt des recourants à formuler une nouvelle demande après l’annulation de la sentence attaquée n’est pas démontré (consid. 5). Grief irrecevable.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler