(A. [investisseur turc actionnaire de D.], B. [investisseur turc actionnaire de D.], C. [investisseur turc actionnaire de D.], D. [société anonyme de droit turc active dans le domaine de la construction et dans la production de ciment] c. République Arabe Syrienne). Recours contre la sentence arbitrale rendue le 31 août 2020 par un Tribunal arbitral CCI ayant son siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en relation avec l’art. 190 al. 2 let. c LDIP. Les recourants reprochent au Tribunal de leur avoir fait supporter indûment la dévaluation vertigineuse subie par la livre syrienne (SYP), en leur octroyant des dommages-intérêts dans cette monnaie-là plutôt qu’en dollars étatsuniens (USD), comme ils l’avaient demandé. Ils soulignent qu’une fois convertie en USD, l’indemnité allouée par les arbitres équivalait à seulement 4,6% de la perte subie par eux, évaluée au moment déterminant (2012). Consacrant une forme d’expropriation sans indemnité adéquate, la sentence contreviendrait ainsi à l’ordre public (consid. 4.1). Avant d’examiner le grief, le TF passe en revue les règles et principes régissant la réparation du préjudice, l’indemnisation pour expropriation et la détermination de la monnaie d’indemnisation en droit international public, des investissements et sous le régime de la CEDH, auxquels les recourants se sont en partie référés (consid. 4.2-4.3). Selon la jurisprudence constante du TF, une mesure spoliatrice sans indemnisation heurte l’ordre public. Si cette formulation peut également couvrir des cas où l’indemnisation existe mais est dérisoire, la notion d’ordre public au sens de l’art. 190 LDIP requiert que l’indemnisation apparaisse à ce point disproportionnée avec la valeur du bien perdu qu’elle heurte de façon choquante les principes les plus essentiels de l’ordre juridique. En effet, le recours de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP n’a pas pour but d’assurer l’application correcte – ou même non arbitraire – d’un traité d’investissement, du droit coutumier international, des principes généraux du droit international ou même des garanties conférées par la CEDH. Ainsi, l’ordre public matériel n’est pas nécessairement enfreint par une sentence qui n’octroie pas une réparation intégrale du dommage ou alloue une indemnité ne se trouvant pas dans une proportion raisonnable avec la valeur des investissements perdus (consid. 4.4). En l’espèce, l’indemnité allouée aux recourants apparaît indéniablement très basse par rapport à la valeur estimée de leur perte, et il n’est pas douteux que cet état de choses est imputable à la forte dépréciation de la SYP. Cependant, les arbitres disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la fixation des dommages-intérêts et des méthodes pour redresser l’effet de la dépréciation monétaire. Les recourants n’ont pas justifié leur choix du dollar devant le Tribunal, ni démontré que l’adoption de la monnaie de l’Etat hôte leur serait préjudiciable au point de justifier une mesure plus importante que l’application d’un taux d’intérêt élevé (comme l’avait fait le Tribunal). En fin de compte, une appréciation globale de la situation, prenant en considération le risque pris par les recourants, qui ont choisi d’investir dans un pays à l’économie instable déjà avant le conflit armé, ainsi que le type spécial de responsabilité assumée par l’Etat hôte (responsabilité objective, et non pour fait illicite) et la situation notoirement très difficile de ce pays, toujours en proie à de graves conflits internes, permet d’affirmer que la compensation allouée ne contrevient pas à l’ordre public (consid. 4.6). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler