Arbitrage

(A. [individu domicilié en Belgique] c. B. Ltd [société ayant son siège à Hong Kong], C. [individu dont le domicile n’est pas spécifié]). Recours contre la sentence finale rendue le 31 mai 2021 par un Tribunal arbitral opérant sous l’égide de la Swiss Chambers’ Arbitration Institution (SCAI), avec siège à Genève. Voir le récapitulatif des faits pertinents présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants de l’arrêt en relation avec l’art. 190 al. 2 let. b LDIP. Dans la première branche de son moyen tiré de la violation de l’ordre public procédural, le recourant reproche au Tribunal d’avoir méconnu l’autorité de la chose jugée de la sentence incidente. Le moyen est insuffisamment motivé et, quoi qu’il en soit, la critique tombe à faux pour les mêmes motifs qui ont conduit le TF à rejeter le grief de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP (voir ci-dessus, le résumé du consid. 5 en relation avec la disposition précitée). Le recourant soutient également, dans la seconde branche du moyen examiné, que le Tribunal aurait doublement méconnu la garantie de l’art. 29a Cst., d’une part en lui fermant l’accès à toute autre juridiction arbitrale, du fait que le dispositif de la sentence finale ne fait que rejeter toutes les prétentions du recourant, sans préciser que le Tribunal s’est déclaré incompétent pour statuer sur certaines d’entre elles, et d’autre part, parce que le refus des arbitres de statuer sur les prétentions du recourant envers B. Ltd signifie que le recourant ne pourra pas saisir valablement un autre tribunal arbitral au sujet de ces prétentions, faute de convention d’arbitrage liant B. Ltd dans les autres contrats pertinents. La violation des normes constitutionnelles ne compte pas en tant que telle au nombre des griefs énumérés à l’art. 190 al. 2 LDIP, et le recourant n’explique pas, dans son recours, en quoi il faut rattacher la violation alléguée au grief de la violation de l’ordre public procédural. En tout état de cause, le grief devrait être rejeté car la portée de l’autorité de la chose jugée du dispositif d’une sentence peut être déterminée en se référant aux considérants de la décision, dans lesquels le Tribunal s’est explicitement déclaré incompétent pour connaître de certaines prétentions de nature extracontractuelle, qu’il a clairement identifiées, si bien que l’exception de chose jugée ne pourrait pas être opposée au recourant au cas où il saisirait une autre juridiction arbitrale ou étatique pour lui soumettre ces mêmes prétentions. Pour ce qui est de la prétendue impossibilité de saisir la voie arbitrale résultant de la sentence, il suffit de rappeler qu’une partie ne saurait tirer de la garantie de l’art. 29a Cst. un quelconque droit à soumettre ses prétentions à un tribunal arbitral plutôt qu’à un juge étatique (consid. 6.3). Recours rejeté.

(A. S.p.A. [société de droit italien] c. B. S.p.A. [société de droit italien]). Recours contre la sentence rendue le 22 juin 2021 par un Tribunal CCI avec siège à Genève. Litige issu d’un contrat d’achat d’actions (SPA) par lequel B. S.p.A. a cédé à A. S.p.A. la totalité du capital-actions d’une société détenant entièrement une filiale (société F.) opérant dans l’industrie chimique et exploitant des sites dans lesquels avait été observée, par la suite, une contamination environnementale. Sentence intitulée Partial Award, condamnant A. S.p.A. à indemniser B. S.p.A. pour les pertes subies jusqu’au 31 décembre 2016 en conséquence des travaux d’assainissement qui se sont rendus nécessaires sur les sites de F., et réservant l’examen des prétentions en dommages-intérêts visant la période courant du 1er janvier 2017, ainsi que les intérêts relatifs à l’ensemble des pertes subies par B. S.p.A., à un stade ultérieur de la procédure. Le TF considère que le recours, fondé sur le seul grief de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, est recevable contre la sentence entreprise, qu’il y a lieu de considérer comme une sentence partielle dans la mesure où elle tranche une partie quantitativement limitée des prétentions litigieuses, même si, en vertu du SPA, les intérêts sont inclus dans la définition contractuelle des pertes à indemniser, de sorte que, en réservant la détermination des intérêts pour un stade ultérieur de la procédure, le Tribunal n’a pas véritablement réglé de manière exhaustive la question des dommages-intérêts dus pour la période allant jusqu’à fin 2016 (consid. 3.4). Argument de la recourante selon lequel le Tribunal arbitral a usurpé le pouvoir de statuer en équité, faisant fi du droit italien applicable et allant même à l’encontre de celui-ci. Il ressort clairement de la sentence attaquée que la décision du Tribunal est fondée sur le droit matériel italien, spécifiquement les dispositions du Code civil et la jurisprudence topique de la Cour suprême italienne, et que les allusions faites par les arbitres à des considérations de principe et/ou extra-juridiques n’ont pour fonction que de venir étayer leur raisonnement en droit (consid. 4.3). La question de savoir si l’usurpation du pouvoir de statuer en équité constitue une violation de l’ordre public, qui demeure controversée selon la jurisprudence du TF, reste donc indécise (consid. 4.1.1). Recours rejeté.

(A. SA c. B.). Recours contre la sentence rendue le 22 juillet 2021 par un arbitre unique siégeant à Genève, dans un arbitrage CCI. Dépôt par A. SA de deux demandes d’arbitrage dirigées contre B., réclamant notamment le paiement de dommages et intérêts pour non-respect par la défenderesse (intimée) de ses obligations dans le cadre de deux contrats liant plusieurs parties et portant sur des activités de vérification de la quantité et de la qualité de produits pétroliers importés, stockés, puis vendus au Libéria en vertu d’un autre contrat, conclu entre A. et des parties tierces. Jonction des deux procédures en une seule, au terme de laquelle l’arbitre a rendu une sentence finale déboutant intégralement la demanderesse (recourante), estimant en particulier que les contrats litigieux ne lui conféraient aucun droit d’action directe à l’encontre de l’intimée. Dans son recours, A. SA soutient que la sentence viole l’ordre public matériel à plusieurs égards, car elle est contraire à la garantie de la propriété au sens de l’art. 26 al. 1 Cst., représente une atteinte excessive à sa liberté économique, viole le principe de la fidélité contractuelle, concrétise un déni de justice et contrevient au principe de la bonne foi et de la prohibition de l’abus de droit. Rappel de la jurisprudence selon laquelle la violation de dispositions de la CEDH ou de la Constitution fédérale n’est pas un motif de recours au sens de l’art. 190 al. 2 LDIP, même si les principes qui sous-tendent ces dispositions peuvent être pris en considération dans le cadre de l’examen de la conformité de la sentence avec l’ordre public, afin de donner un sens concret à cette notion (consid. 5.1). Pour le surplus, les moyens soulevés par la recourante ne respectent pas les exigences de motivation applicables et revêtent un caractère appellatoire marqué, visant essentiellement à remettre en cause la décision au fond de l’arbitre (consid. 5.2 à 5.6). Recours rejeté.

(A. c. B.). Recours contre la sentence rendue le 6 août 2021 par un arbitre unique siégeant à Genève. Contrat de vente complété par trois avenants successifs (avenants 2 à 4) ; sentence condamnant la recourante à payer des dommages-intérêts à l’intimée et à lui rembourser les montants déjà perçus au titre du contrat, sur le fondement de l’interprétation donnée par l’arbitre des avenants 3 et 4. Allégation de la recourante selon laquelle elle aurait découvert, au terme d’enquêtes internes diligentées par ses soins après avoir pris connaissance de la sentence, que les avenants 3 et 4 avaient été falsifiés. Selon la recourante, il se justifierait de tenir compte, à titre exceptionnel, de ses allégations et des pièces et expertises nouvelles produites avec son recours, dès lors que tous ces éléments sont en lien avec son grief tiré de la violation de l’ordre public matériel et qu’elle ne pouvait pas s’attendre au raisonnement juridique développé par l’arbitre dans la sentence (consid. 4.3). Les éléments en question ne résultent pas de la sentence attaquée et ne peuvent donc pas être pris en considération par le TF dans le recours, comme cela découle clairement de l’art. 99 al. 1 LTF. Par ailleurs, l’exception permettant au TF de revoir l’état de fait à la base de la sentence si l’un des griefs de l’art. 190 al. 2 LDIP est soulevé à l’encontre dudit état de fait ne permet pas à la recourante d’alléguer des faits ou invoquer des preuves nouvelles qu’elle n’avait jamais fait valoir dans la procédure arbitrale. A supposer (quand bien même cela apparaît extrêmement douteux) qu’une telle exception doive être admise dans le cas particulier où la recourante n’aurait pas été en mesure de prévoir que l’arbitre adopterait la solution juridique contestée, force est de constater que la construction retenue par l’arbitre en l’espèce n’avait rien d’imprévisible, tant l’interprétation et l’articulation des avenants 3 et 4 étaient au cœur du litige (consid. 4.3). La recourante soutient que la sentence est incompatible avec l’ordre public au motif que la solution adoptée par l’arbitre aurait été influencée par un avenant contractuel prétendument falsifié et dès lors inexistant, ce qui serait contraire au principe de la fidélité contractuelle et aux règles de la bonne foi. Grief insuffisamment motivé, reposant, en outre, sur des faits nouveaux irrecevables et en tout état de cause non établis (consid. 5). Recours rejeté. Voir également le consid. 6 de cet arrêt résumé en relation avec l’art. 190a al. 1 let. a LDIP ci-dessous.

(A. c/o X. [investisseur indien], B. c/o X. [investisseur indien] c. République de C. [Etat partie à un traité d’investissement bilatéral]). Recours contre la sentence (Award on Costs) rendue le 17 février 2020 par un Tribunal arbitral CNUDCI avec siège à Genève. En théorie, il n’est pas inconcevable que la décision prise par un tribunal arbitral au sujet du montant des dépens puisse contrevenir à l’ordre public matériel. Cependant, dans un domaine (les frais et dépens) où le TF n’intervient qu’avec la plus grande retenue lorsqu’il est saisi du grief d’arbitraire, il doit s’imposer une réserve encore plus grande quand cette question se pose à lui sous l’angle de l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP. Pour justifier l’intervention du juge étatique à ce titre, il faut que les dépens alloués par le tribunal soient hors de toute proportion avec les frais nécessaires consentis par la partie concernée pour sa défense, eu égard à l’ensemble des circonstances du cas concret – et ce, au point de heurter de manière choquante les principes les plus essentiels de l’ordre juridique déterminant (consid. 6.1). Argument des recourants selon lequel le montant des dépens alloués à l’intimée est disproportionné compte tenu du stade préliminaire auquel se trouvait la procédure au moment où la sentence attaquée a été prononcée. D’une part, les recourants ne sauraient tirer profit de leurs propres atermoiements et demandes répétées de prolongation de délai, y compris pour le paiement de leur part de l’avance de frais, pour venir soutenir que l’intimée aurait dû réaliser que la procédure risquait de ne pas se poursuivre et, de ce fait, s’abstenir de préparer sa défense sur le fond. D’autre part, les motifs exposés dans la sentence et le résultat auquel a abouti le Tribunal en décidant que les dépens réclamés par l’intimée étaient raisonnables en l’espèce ne sont pas incompatibles avec l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 6.4). Recours rejeté.

(A. c. 1. à 26.). Recours contre la sentence rendue le 28 février 2020 par un Tribunal arbitral PCA avec siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en lien avec l’art. 190 al. 2 let. b LDIP. Le recourant considère que la sentence finale est contraire à l’ordre public procédural, du fait qu’elle consacre une application erronée du principe de l’autorité de la chose jugée. En particulier, les arbitres auraient estimé à tort que l’exception d’incompétence soulevée par le recourant sur le fondement de la Déclaration des 22 ne constituait pas un nouveau motif d’incompétence mais une tentative d’obtenir une nouvelle décision sur l’objection déjà examinée et écartée dans la sentence sur compétence de 2014. En qualifiant la Déclaration des 22 d’argument juridique, le Tribunal se serait estimé indûment lié par la sentence sur compétence et aurait à tort refusé de prendre en considération ce nouvel élément de fait. Selon la jurisprudence, un tribunal viole l’ordre public procédural s’il statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure ou s’il s’écarte, dans sa sentence finale, de l’opinion qu’il a émise dans une sentence précédente tranchant une question préalable de fond. Les sentences préjudicielles ou incidentes qui règlent des questions préalables de fond ou de procédure (comme la compétence) ne jouissent pas de l’autorité de la chose jugée, mais, à la différence des simples ordonnances de procédure qui peuvent être modifiées ou rapportées en cours d’instance, de telles sentences lient bien le tribunal dont elles émanent. Dès lors, et quels que soient les motifs sous-tendant leur décision de ne pas réexaminer leur compétence, les arbitres n’ont pas violé l’ordre public procédural en se considérant liés par la sentence sur compétence qu’ils avaient rendue auparavant (consid. 6.3.3). Recours rejeté.

(A. [ressortissant indonésien, actif dans le secteur bancaire et dans l’industrie pétrolière] c. B. [homme d’affaires singapourien actif dans le commerce du pétrole]). Recours contre la sentence rendue le 27 mai 2020 par un Tribunal arbitral sous l’égide des Swiss Rules avec siège à Genève. Les arbitres avaient constaté dans la sentence que les parties avaient simulé un contrat de vente d’actions et dissimulé une convention de fiducie : ce constat de la volonté réelle et commune des parties constitue un élément factuel qui ne peut pas être revu par le TF dans le cadre du recours contre la sentence (consid. 6). De plus, il ne faut pas perdre de vue que même lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une sentence rendue par un tribunal arbitral ayant son siège en Suisse et appliquant le droit suisse, le TF est tenu d’observer, quant à la manière dont ce droit a été mis en œuvre, la même distance que celle qu’il s’imposerait vis-à-vis de l’application faite de tout autre droit ; dans ce contexte, la Haute Cour ne doit pas céder à la tentation d’examiner avec une pleine cognition si les règles topiques du droit suisse ont été interprétées et/ou appliquées correctement, comme elle le ferait si elle était saisie d’un recours en matière civile portant sur un arrêt étatique (consid. 7.1). Même en faisant abstraction du fait qu’en soutenant pour la première fois devant le TF que le contrat de fiducie était illicite le recourant contrevient au principe de la bonne foi procédurale, cette thèse ne lui est d’aucun secours, car le résultat auquel la sentence a abouti demeurerait inchangé en cas d’illicéité : en effet, dans ce cas de figure comme dans la configuration juridique retenue par les arbitres (contrat de fiducie valablement conclu et résilié), le recourant serait tenu de restituer les actions à l’intimé. Or, ce résultat est tout à fait compatible avec l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 8). Recours rejeté.

(A. GmbH [société de droit allemand], B. GmbH [société de droit allemand], C. GmbH [société de droit allemand] c. D.D. [veuve et héritière de H.D.], E.D. [descendant et héritier de H.D.], F.D. [descendant et héritier de H.D.], G.D. [descendant et héritier de H.D.]). Recours contre la sentence rendue le 19 mai 2020 par un Tribunal arbitral SCAI avec siège à Zurich. Tribunal reconstitué après la démission d’un arbitre à un stade avancé de la procédure. Les recourantes font valoir qu’en vertu des art. 38 LTF et 51 CPC, les actes de procédure auxquels a participé un juge tenu de se récuser doivent être annulés et renouvelés. Selon elles, le Tribunal arbitral aurait violé un principe fondamental du droit suisse, et donc l’ordre public, en refusant de répéter les actes de procédure accomplis avec la participation de l’arbitre démissionnaire. Le TF relève que les dispositions invoquées par les recourantes ne s’appliquent qu’aux procédures devant les juridictions étatiques. En matière d’arbitrage international, il n’existe pas de règle générale selon laquelle les actes auxquels aurait participé un arbitre récusé doivent être annulés et répétés. Au contraire, la LDIP ne prévoit pas de règle en la matière, et le CPC dispose qu’il revient au Tribunal arbitral de décider, au cas par cas et selon son appréciation des circonstances pertinentes, s’il y a lieu de répéter des actes de procédure après la démission d’un arbitre (consid. 4.2). Recours rejeté.

(A. SA [société avec siège au Panama] c. B. SA). Recours contre la sentence rendue le 25 mai 2020 sous l’égide du règlement CCI par un arbitre unique siégeant à Genève. Litige en relation avec trois contrats d’agence en vertu desquels A. s’engageait à fournir divers services, dans trois pays différents, à C. (devenue par la suite B. SA), moyennant le paiement de commissions. En 2017, découverte par C., dans le cadre d’une enquête pénale en Suisse, du fait qu’un de ses employés (E.) avait reçu divers montants de la société mère de A. en contrepartie pour la conclusion et/ou le renouvellement annuel des contrats d’agence. Poursuivie pour le paiement de commissions en souffrance, en 2018, C. avait introduit une action en libération de dette dans une requête d’arbitrage CCI à l’encontre de A. Dans sa sentence finale, l’arbitre unique avait décidé que C. n’était pas tenue de payer les commissions réclamées par A. L’arbitre avait considéré que A. avait commis un dol (art. 28 CO) vis-à-vis de C. en omettant de lui révéler le versement de pots-de-vin à E. Pour sa part, C. avait agi tardivement, en déclarant vouloir invalider les contrats seulement après le délai péremptoire d’un an à compter de la découverte du dol, de sorte que les contrats devaient être tenus pour ratifiés au sens de l’art. 31 CO. Cependant, selon l’arbitre unique, C. pouvait opposer l’exception de l’art. 60 al. 3 CO pour faire échec aux prétentions en paiement de A., puisque les contrats avaient été obtenus de manière illicite. La recourante reproche à l’arbitre d’avoir violé le principe pacta sunt servanda en refusant d’assurer le respect des contrats dont il avait reconnu l’existence, sur le fondement d’une application erronée de l’art. 60 al. 3 CO. Lue correctement, l’argumentation de la recourante vise à remettre en question l’application du droit par l’arbitre, ce qui n’est pas admissible dans le cadre d’un recours en matière civile dirigé contre une sentence arbitrale internationale. En tout état de cause, le résultat auquel a abouti l’arbitre en application de l’art. 60 al. 3 CO n’est pas contraire à l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 6.2 et 6.3). Recours rejeté.

(A. [investisseur turc actionnaire de D.], B. [investisseur turc actionnaire de D.], C. [investisseur turc actionnaire de D.], D. [société anonyme de droit turc active dans le domaine de la construction et dans la production de ciment] c. République Arabe Syrienne). Recours contre la sentence arbitrale rendue le 31 août 2020 par un Tribunal arbitral CCI ayant son siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en relation avec l’art. 190 al. 2 let. c LDIP. Les recourants reprochent au Tribunal de leur avoir fait supporter indûment la dévaluation vertigineuse subie par la livre syrienne (SYP), en leur octroyant des dommages-intérêts dans cette monnaie-là plutôt qu’en dollars étatsuniens (USD), comme ils l’avaient demandé. Ils soulignent qu’une fois convertie en USD, l’indemnité allouée par les arbitres équivalait à seulement 4,6% de la perte subie par eux, évaluée au moment déterminant (2012). Consacrant une forme d’expropriation sans indemnité adéquate, la sentence contreviendrait ainsi à l’ordre public (consid. 4.1). Avant d’examiner le grief, le TF passe en revue les règles et principes régissant la réparation du préjudice, l’indemnisation pour expropriation et la détermination de la monnaie d’indemnisation en droit international public, des investissements et sous le régime de la CEDH, auxquels les recourants se sont en partie référés (consid. 4.2-4.3). Selon la jurisprudence constante du TF, une mesure spoliatrice sans indemnisation heurte l’ordre public. Si cette formulation peut également couvrir des cas où l’indemnisation existe mais est dérisoire, la notion d’ordre public au sens de l’art. 190 LDIP requiert que l’indemnisation apparaisse à ce point disproportionnée avec la valeur du bien perdu qu’elle heurte de façon choquante les principes les plus essentiels de l’ordre juridique. En effet, le recours de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP n’a pas pour but d’assurer l’application correcte – ou même non arbitraire – d’un traité d’investissement, du droit coutumier international, des principes généraux du droit international ou même des garanties conférées par la CEDH. Ainsi, l’ordre public matériel n’est pas nécessairement enfreint par une sentence qui n’octroie pas une réparation intégrale du dommage ou alloue une indemnité ne se trouvant pas dans une proportion raisonnable avec la valeur des investissements perdus (consid. 4.4). En l’espèce, l’indemnité allouée aux recourants apparaît indéniablement très basse par rapport à la valeur estimée de leur perte, et il n’est pas douteux que cet état de choses est imputable à la forte dépréciation de la SYP. Cependant, les arbitres disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans la fixation des dommages-intérêts et des méthodes pour redresser l’effet de la dépréciation monétaire. Les recourants n’ont pas justifié leur choix du dollar devant le Tribunal, ni démontré que l’adoption de la monnaie de l’Etat hôte leur serait préjudiciable au point de justifier une mesure plus importante que l’application d’un taux d’intérêt élevé (comme l’avait fait le Tribunal). En fin de compte, une appréciation globale de la situation, prenant en considération le risque pris par les recourants, qui ont choisi d’investir dans un pays à l’économie instable déjà avant le conflit armé, ainsi que le type spécial de responsabilité assumée par l’Etat hôte (responsabilité objective, et non pour fait illicite) et la situation notoirement très difficile de ce pays, toujours en proie à de graves conflits internes, permet d’affirmer que la compensation allouée ne contrevient pas à l’ordre public (consid. 4.6). Recours rejeté.

(A. [actionnaire du groupe G. via Société B.], Société B. [société mauricienne] c. Z. Ltd [société de droit mauricien et investisseur du groupe G.]). Recours contre la sentence rendue le 15 septembre 2020 par un Tribunal arbitral LCIA avec siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en relation avec l’art. 190 al. 2 let. d LDIP. Les recourants reprochent au Tribunal arbitral d’avoir indûment attribué l’autorité de la chose jugée aux jugements de la EWHC, au mépris des règles de droit suisse en la matière. Dans sa jurisprudence, le TF a déjà considéré, dans un obiter dictum, qu’une atteinte à l’autorité de la chose jugée peut résulter du fait qu’un Tribunal attribue à tort l’autorité de force jugée à une précédente décision et renonce à examiner une question pour cette raison. La doctrine a commenté avec approbation qu’un tribunal qui s’estimerait à tort lié par un jugement antérieur commettrait un déni de justice et enfreindrait le droit à un procès équitable, lequel fait bien partie de l’ordre public procédural (consid. 6.3). Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît l’autorité de la chose jugée aux décisions (judiciaires ou arbitrales) étrangères pour autant qu’elles puissent être reconnues en Suisse. Toutefois, une décision étrangère ne peut avoir en Suisse que l’autorité qui serait la sienne si elle émanait d’un tribunal étatique suisse ou d’un tribunal arbitral sis en Suisse. En particulier, même si selon la loi de l’Etat d’origine de la décision l’autorité de la chose jugée s’étend aux considérants qui en sous-tendent le dispositif, l’autorité de la chose jugée de cette même décision ne sera admise en Suisse que pour les chefs du dispositif (consid. 6.3). Le Tribunal arbitral s’était jugé lié par les constatations de fait et de droit effectuées dans les jugements de la EWHC au sujet de la grande majorité des violations contractuelles alléguées par l’intimée, constatations qu’il avait estimé pouvoir reprendre « telles quelles ». Les recourants protestent à juste titre que le Tribunal aurait dû commencer par examiner si les conditions pour la reconnaissance de ces jugements étaient réalisées et, dans l’affirmative, appliquer la notion suisse de l’autorité de la chose jugée. Or, les arbitres se sont fondés, entre autres, sur le concept de issue estoppel, qui n’est pas reconnu en droit suisse, et n’ont pas correctement analysé la question de l’identité de l’objet litigieux des procédures. Cela étant, l’on ne saurait ici se limiter à conclure que les arbitres ne pouvaient pas invoquer l’autorité de la chose jugée des jugements anglais comme ils l’ont fait. Force est de constater, en effet, que les recourants ont eux-mêmes attribué une autorité au jugement de la EWHC, d’une part en consentant, en 2018, au projet de décision arbitrale fondé sur l’un de ces jugements, et d’autre part en affirmant, en 2020, que la Cour anglaise avait déjà tranché la majorité des prétentions émises par l’intimée dans l’arbitrage. Ils n’ont pas non plus contesté la conclusion du Tribunal selon laquelle les jugements anglais constituaient des preuves convaincantes aux fins de ses déterminations au sujet des violations contractuelles alléguées. A cet égard il sied également de rappeler qu’une appréciation même arbitraire des preuves ne porte pas atteinte à l’ordre public. Dans ces circonstances, on ne peut pas reprocher aux arbitres d’avoir enfreint l’ordre public en reprenant les constatations effectuées dans les jugements anglais (consid. 6.6). Recours rejeté.

TF 4A_386/2010

2010-2011

Art. 190 al. 2 let e LDIP

[(Alejandro Valverde Belmonte c. Agence Mondiale Antidopage (AMA), Union Cycliste Internationale (UCI) et Real Federacion Espanola de Ciclismo (RFEC))]

Ordre public matériel ou procédural. Les principes jurisprudentiels, selon lesquels les moyens pris de l’incohérence intrinsèque des considérants ou de l’incohérence interne du dispositif d’une sentence n’entrent pas dans la définition de l’ordre public matériel au sens de l’art. 190 al. 2 let e LDIP, s’appliquent également, a priori, au cas d’une sentence dont les motifs seraient en contradiction avec le dispositif (consid. 8.3.1). Le principe ne bis in idem, largement reconnu et consacré tant par le droit international que par le droit suisse, revêt une importance telle qu’il doit être considéré comme faisant partie de la notion de l’ordre public au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP. Dans le cas d’espèce, la sentence entreprise ne violant pas ce principe, la question de savoir s’il relève de l’ordre public matériel ou procédural, tout comme celle de son applicabilité en tant que norme issue du droit pénal, au droit disciplinaire sportif, peuvent demeurer indécises (consid. 9.3.1).

TF 4A_386/2010

2010-2011

Art. 190 al. 2 let. e LDIP

[(Alejandro Valverde Belmonte c. Agence Mondiale Antidopage (AMA), Union Cycliste Internationale (UCI) et Real Federacion Espanola de Ciclismo (RFEC))]. Ordre public procédural. L’exigence d’un double degré de juridiction ou même d’une double instance juridictionnelle ne ressortit pas à la notion d’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP (consid. 6.2).

Arrêt 4P.240/2006

2008-2009

Art. 190 al. 2 lit. e LDIP

(X. S.A.D. [club de football espagnol] c. FIFA)

Obligation d’alléguer la violation de l’ordre public par des allégués individualisés, violation de l’ordre public au motif que la recourante se voit exposée à une menace de sanctions de la part de l’intimée et que la sentence querellée correspond matériellement à une mesure d’exécution forcée ? Non selon le TF, vu que les sanctions se fondent sur un document associatif auquel la recourante a souscrit librement.

Arrêt 4P.304/2006

2008-2009

Art. 190 al. 2 lit. e LDIP

(A. Srl [société italienne de décoration de porcelaine] c. B. Ltd. [société thaïlandaise]) -

Election du concordat (art. 176 al. 2) non valable car les parties ont omis de retranscrire le choix du droit concordataire par écrit ; le TF relève que le législateur fédéral a expressément exclu des motifs de recours le grief d’arbitraire au profit de l’incompatibilité avec l’ordre public ; la recourante invoque une violation de l’art. 190 al. 2 lit. a, b et d, au motif qu’elle aurait révoqué le mandat arbitral, respectivement récusé l’ensemble du TA, en raison d’une supposée violation du principe de célérité. Argumentation rejetée par le TF au motif que le retard à statuer ne fait pas partie de la panoplie des moyens de recours admissibles.

Art. 190 al. 2 lit. e LDIP

(X. AG c. Y.)

La recourante tente de démontrer que la prétention de l’intimée constitue en réalité le paiement d’un pot-de-vin sur la base de pièces qui n’ont pas pu être utilisées dans le cadre de la procédure arbitrale, faute d’avoir été découvertes à temps. Le TF rappelle l’interdiction des nova (art. 99 LTF). La recourante se plaint également de la violation du droit d’être entendu (art. 190 al. 2 lit. d) dans la mesure où le TA aurait omis de prendre en compte des moyens de preuve dans le cadre d’un Interim Award. Le TF estime que ce type de griefs doit être invoqué dans le cadre d’un recours contre le Interim Award et non pas dans le cadre du recours contre le Final Award.

TF 4A_126/2008

2007-2008

Art. 190 al. 2 let. d LDIP ; art. 190 al. 2 let. e LDIP

(X. [club de football turc] c. TAS)

Notion de sentence arbitrale. Un courrier du Secrétaire général du TAS confirmant une décision antérieure de la chambre d'appel de ne pas ouvrir une procédure (pour non-respect des conditions formelles de la demande d'appel) ne constitue pas une décision pouvant faire l'objet d'un recours au sens de l'art. 190 LDIP.

TF 4A_18/2008

2007-2008

(X. [fédération de football argentine] c. Y. SAD [société sportive espagnole])

Art. 190 al. 2 let. e : sentence incompatible avec l'ordre public (non).

Art. 190 al. 2 let. d : violation du droit d'être entendu (non).

TF 4A_194/2008

2007-2008

(X. [société de Bosnie-Herzégovine] c. Y. Srl [société italienne] et Z. SpA [société italienne])

Art. 192 al. 1 LDIP : renonciation au recours. La formule "Il verdetto dell'arbitrato è definitivo per tutte le Parti contraenti che sono nella controversia" ne remplit pas les conditions d'une renonciation expresse manifestant la volonté commune des parties de renoncer à tout recours. Un accord prévoyant la renonciation au recours qui aurait été conclu avant l'entrée en vigueur de la LDIP, quand le régime applicable à l'arbitrage ne permettait pas de renoncer au recours, serait-il valable pour une sentence rendue après l'entrée en vigueur de la LDIP ? (Question laissée ouverte)

Art. 190 al. 2 let. e LDIP : violation de l'interdiction de l'abus de droit (non) et violation du principe pacta sunt servanda (non).