(A. [actionnaire du groupe G. via Société B.], Société B. [société mauricienne] c. Z. Ltd [société de droit mauricien et investisseur du groupe G.]). Recours contre la sentence rendue le 15 septembre 2020 par un Tribunal arbitral LCIA avec siège à Genève. Récapitulatif des faits présenté ci-dessus, avant le résumé des considérants en relation avec l’art. 190 al. 2 let. d LDIP. Les recourants reprochent au Tribunal arbitral d’avoir indûment attribué l’autorité de la chose jugée aux jugements de la EWHC, au mépris des règles de droit suisse en la matière. Dans sa jurisprudence, le TF a déjà considéré, dans un obiter dictum, qu’une atteinte à l’autorité de la chose jugée peut résulter du fait qu’un Tribunal attribue à tort l’autorité de force jugée à une précédente décision et renonce à examiner une question pour cette raison. La doctrine a commenté avec approbation qu’un tribunal qui s’estimerait à tort lié par un jugement antérieur commettrait un déni de justice et enfreindrait le droit à un procès équitable, lequel fait bien partie de l’ordre public procédural (consid. 6.3). Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît l’autorité de la chose jugée aux décisions (judiciaires ou arbitrales) étrangères pour autant qu’elles puissent être reconnues en Suisse. Toutefois, une décision étrangère ne peut avoir en Suisse que l’autorité qui serait la sienne si elle émanait d’un tribunal étatique suisse ou d’un tribunal arbitral sis en Suisse. En particulier, même si selon la loi de l’Etat d’origine de la décision l’autorité de la chose jugée s’étend aux considérants qui en sous-tendent le dispositif, l’autorité de la chose jugée de cette même décision ne sera admise en Suisse que pour les chefs du dispositif (consid. 6.3). Le Tribunal arbitral s’était jugé lié par les constatations de fait et de droit effectuées dans les jugements de la EWHC au sujet de la grande majorité des violations contractuelles alléguées par l’intimée, constatations qu’il avait estimé pouvoir reprendre « telles quelles ». Les recourants protestent à juste titre que le Tribunal aurait dû commencer par examiner si les conditions pour la reconnaissance de ces jugements étaient réalisées et, dans l’affirmative, appliquer la notion suisse de l’autorité de la chose jugée. Or, les arbitres se sont fondés, entre autres, sur le concept de issue estoppel, qui n’est pas reconnu en droit suisse, et n’ont pas correctement analysé la question de l’identité de l’objet litigieux des procédures. Cela étant, l’on ne saurait ici se limiter à conclure que les arbitres ne pouvaient pas invoquer l’autorité de la chose jugée des jugements anglais comme ils l’ont fait. Force est de constater, en effet, que les recourants ont eux-mêmes attribué une autorité au jugement de la EWHC, d’une part en consentant, en 2018, au projet de décision arbitrale fondé sur l’un de ces jugements, et d’autre part en affirmant, en 2020, que la Cour anglaise avait déjà tranché la majorité des prétentions émises par l’intimée dans l’arbitrage. Ils n’ont pas non plus contesté la conclusion du Tribunal selon laquelle les jugements anglais constituaient des preuves convaincantes aux fins de ses déterminations au sujet des violations contractuelles alléguées. A cet égard il sied également de rappeler qu’une appréciation même arbitraire des preuves ne porte pas atteinte à l’ordre public. Dans ces circonstances, on ne peut pas reprocher aux arbitres d’avoir enfreint l’ordre public en reprenant les constatations effectuées dans les jugements anglais (consid. 6.6). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler