(République bolivarienne du Venezuela c. A. S.L. [société de droit espagnol]) (publication prévue). Recours contre la sentence rendue le 17 juin 2021 par un Tribunal arbitral CNUDCI, constitué sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage, avec siège à Genève. Initiation d’une procédure arbitrale par A. S.L., société de droit espagnol commercialisant des produits de nettoyage et désinfectants sur le territoire du Venezuela, à l’encontre de cet Etat, suite à l’adoption par celui-ci d’une loi restrictive sur les coûts, les bénéfices et la garantie du juste prix ; demande en dommages-intérêts pour cause de violation des dispositions du Traité bilatéral d’investissement (TBI) entre l’Espagne et le Venezuela ; constitution d’un Tribunal arbitral de trois membres sur le fondement de la clause d’arbitrage contenue dans ce TBI. Sentence sur compétence faisant suite à la sentence (déclinatoire) sur compétence précédemment partiellement annulée par le TF (ATF 146 III 142 résumé dans l’édition 2020-2021 de cette chronique), qui avait renvoyé la cause au Tribunal arbitral pour nouvelle décision dans le sens des considérants, c’est-à-dire pour qu’il se prononce sur l’existence d’un abus de droit et d’éventuelles autres objections à sa compétence. Le Tribunal arbitral a constaté, dans la sentence entreprise (rendue à la majorité de ses membres), que la seule objection pendante devant lui était celle ayant trait à l’éventuelle existence d’un abus de droit, objection qu’il a écartée, en se déclarant compétent pour connaître du fond du litige. La recourante met en cause l’analyse du Tribunal au sujet de l’existence d’un abus de droit et demande que le TF constate définitivement l’incompétence du Tribunal pour trancher le litige. L’intimée objecte que le TF ne saurait examiner l’existence d’un éventuel abus de droit dès lors que le Tribunal arbitral a considéré, sans être contredit par la recourante, que cette question ne se rapportait pas à sa compétence, mais plutôt à la recevabilité de la demande. Dans son arrêt de renvoi précité, le TF avait retenu que « la compétence du Tribunal arbitral ne pouvait être constatée » dès lors que la question d’un éventuel abus de droit restait à trancher par les arbitres. Dans ces circonstances, le TF est tenu à présent d’examiner les critiques formulées par la recourante pour étayer son moyen tiré de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP. Cette approche est d’ailleurs conforme à la jurisprudence du TF, qui s’est déjà prononcé, dans une autre affaire, sur un grief d’abus de traité invoqué afin de provoquer un réexamen de la compétence arbitrale (consid. 5.4 et 5.5). La recourante soutient que le Tribunal s’est déclaré à tort compétent pour connaître du litige, dès lors que la société mère de l’intimée (basée aux Etats-Unis) a opéré un changement stratégique de la nationalité de cette dernière dans le seul but d’assurer à ses investissements le bénéfice de la protection offerte par le TBI entre l’Espagne et le Venezuela. S’il est vrai qu’un investisseur peut légitimement modifier la structure de son investissement afin de bénéficier de la meilleure protection possible, pareille restructuration peut constituer un abus de droit (en l’espèce, un « abus de traité ») lorsqu’elle est opérée à un moment où un litige avec l’Etat hôte de nature à engager les garanties offertes par le TBI était prévisible. Dans ce cas, la compétence du Tribunal arbitral constitué en vertu du TBI ne serait pas donnée. L’abus de droit étant un correctif exceptionnel, le critère de la prévisibilité du litige doit être apprécié de manière restrictive (consid. 5.2). Le Tribunal arbitral a considéré, en particulier, qu’un abus de traité ne peut être retenu que lorsque l’investisseur a opéré la restructuration à un moment où il avait connaissance de tous les éléments permettant de prévoir le litige spécifique à raison duquel il poursuit l’Etat hôte pour violation du TBI. Il a estimé, sur la base des faits constatés dans la sentence, que la restructuration en question avait eu lieu à une époque où le litige entre les parties n’était pas prévisible, de sorte que l’intimée n’avait pas commis un abus de traité (consid. 5.3). La recourante tente en vain de remettre en question cette conclusion ; sur le vu des faits constatés souverainement par le Tribunal arbitral dans sa sentence, elle ne fournit pas d’éléments qui permettraient de retenir que la restructuration litigieuse avait été opérée en vue d’un litige spécifique, à un moment où celui-ci était prévisible (consid. 5.6). Recours rejeté.