(A. c. B.). Recours contre la sentence rendue le 30 novembre 2021 par un Tribunal Arbitral CCI avec siège à Lausanne. Série de trois contrats (X.1, X.2 et X.3) portant sur un marché pour l’armement de frégates pour l’armée du pays Y., conclus entre l’intimée B. (demanderesse dans l’arbitrage) et une société D., domiciliée dans l’Etat V., dont le recourant, ressortissant lui aussi de V., était le seul propriétaire (comme il l’est maintenant de la société C., ayant succédé à D.). Les contrats X.2 et X.3, qui contiennent des clauses d’arbitrage, ont été signés d’une part par un représentant de B. et d’autre part par F., en vertu d’une procuration l’autorisant à agir pour le compte de D. Introduction d’une demande d’arbitrage par B., réclamant le paiement de montants dus par D. Appel en cause de A. en tant que deuxième défendeur dans l’arbitrage ; succession de C. à D. en tant que première défenderesse. Par sentence du 30 novembre 2021, le Tribunal arbitral s’est déclaré compétent à statuer sur le litige entre B. et A., a condamné ce dernier à payer à la demanderesse un montant d’environ EUR 50 millions, intérêts en sus, et a décliné sa compétence à l’égard de C., puis a alloué les frais de l’arbitrage et rejeté toutes les autres conclusions. A., qui avait contesté la compétence du Tribunal durant l’arbitrage, fait valoir que les arbitres se sont à tort déclarés compétents à son égard, au motif que la procuration dont bénéficiait F., en tant que représentant de D., ne l’autorisait pas à signer les conventions d’arbitrage contenues dans les contrats d’armement. Le Tribunal arbitral a examiné la validité et la portée de la procuration litigieuse à la lumière du droit de V. et est parvenu à la conclusion, notamment sur le vu des termes employés dans cette procuration, qu’elle contenait indubitablement l’autorisation spécifique requise par l’art. 58(2) de la loi de procédure civile de V. pour la conclusion d’une convention d’arbitrage. Le recourant ne démontre pas, dans sa critique purement appellatoire, en quoi l’interprétation du Tribunal serait contraire au droit de V., tel qu’il est reflété, en particulier, dans les opinions émises par la juridiction suprême de ce pays (consid. 3.3). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. [individu domicilié en Belgique] c. B. Ltd. [société ayant son siège à Hong Kong], C. [individu dont le domicile n’est pas spécifié]). Recours contre la sentence finale rendue le 31 mai 2021 par un Tribunal arbitral opérant sous l’égide de la Swiss Chambers’ Arbitration Institution (SCAI), avec siège à Genève. Conclusion, entre A. et C., de divers contrats régissant leurs relations commerciales entre 2008 et 2016. Vente, par A. et C., de l’intégralité du capital-actions d’une société E. à B. Ltd., par un contrat de cession d’actions (SPA) du 8 juin 2016. En 2017, déclaration d’invalidation partielle, par A., du SPA et des autres contrats souscrits antérieurement par elle avec C., dont elle prétendait les avoir conclus sous l’emprise d’une crainte fondée. Introduction, par B., d’une demande d’arbitrage dirigée contre A., sur le fondement de la clause d’arbitrage contenue dans le SPA, afin d’obtenir l’exécution d’une garantie conventionnelle. Dépôt par A. d’une demande reconventionnelle et d’une demande croisée contre C. Décision par le Tribunal arbitral SCAI, dûment constitué sur le fondement du SPA, faisant droit à la demande d’appel en cause visant C., suivie d’une ordonnance scindant la procédure arbitrale afin de statuer sur l’exception d’incompétence ratione materiae soulevée par C. en rapport avec certaines conclusions reconventionnelles de A. Sentence incidente sur compétence, non entreprise, admettant la compétence du Tribunal à statuer sur les demandes reconventionnelles concernant uniquement le SPA (à l’exclusion des autres contrats conclus entre A. et C.). Après instruction de la cause, le Tribunal a rendu sa sentence finale, déclarant sans objet la conclusion en paiement de garantie prise par B. et rejetant intégralement les prétentions reconventionnelles de A. Le recourant fait grief au Tribunal arbitral d’avoir violé les règles sur la compétence en ne tenant pas compte du caractère contraignant de la sentence incidente, dans laquelle les arbitres avaient admis leur compétence par rapport aux prétentions relatives au SPA. Le TF est lié par la constatation faite par le Tribunal, dans la sentence finale, selon laquelle le fondement juridique des prétentions pécuniaires du recourant a évolué après la reddition de la sentence incidente, dans le sens où ces prétentions n’avaient plus un fondement contractuel (comme c’était le cas au moment où le Tribunal avait statué sur sa compétence) et reposaient désormais sur des moyens extracontractuels, tels que la gestion d’affaires sans mandat et la responsabilité aquilienne. Etant donné que le Tribunal n’avait pas examiné, dans la sentence incidente, s’il était compétent pour connaître de ces mêmes prétentions sur des fondements extracontractuels, il n’a nullement méconnu le caractère contraignant de ladite sentence en se déclarant incompétent à cet égard dans sa sentence finale (consid. 5.3). Par ailleurs, le Tribunal a considéré à bon droit qu’il n’était pas compétent pour statuer sur la plupart des prétentions du recourant fondées sur la responsabilité délictuelle de C., du fait que celles-ci avaient un lien plus étroit avec les contrats autres que le SPA, qui contenaient des clauses arbitrales incompatibles avec celles figurant dans ce dernier contrat, ce que le recourant ne conteste pas (consid. 5.4.2). Le recourant reproche également au Tribunal d’avoir rendu une sentence finale qui, par sa décision d’incompétence, a pour effet de lui interdire de saisir un tribunal arbitral d’une quelconque prétention envers B., qui n’est pas partie aux contrats autres que le SPA. Il va sans dire qu’une partie ne peut faire valoir aucun droit à soumettre ses prétentions contre un tiers à un tribunal arbitral si ces prétentions ne sont pas couvertes par une convention d’arbitrage. Cela étant, l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux prétentions sur lesquelles les arbitres ont statué au fond. Pour les prétentions à l’égard desquelles ils se sont déclarés incompétents, la sentence ne crée pas d’obstacle à ce que le recourant les soumette au tribunal étatique compétent (consid. 5.5). Voir également le consid. 6 de cet arrêt, résumé ci-dessous en relation avec l’art. 190 al. 2 let. e LDIP.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(République bolivarienne du Venezuela c. A. S.L. [société de droit espagnol]) (publication prévue). Recours contre la sentence rendue le 17 juin 2021 par un Tribunal arbitral CNUDCI, constitué sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage, avec siège à Genève. Initiation d’une procédure arbitrale par A. S.L., société de droit espagnol commercialisant des produits de nettoyage et désinfectants sur le territoire du Venezuela, à l’encontre de cet Etat, suite à l’adoption par celui-ci d’une loi restrictive sur les coûts, les bénéfices et la garantie du juste prix ; demande en dommages-intérêts pour cause de violation des dispositions du Traité bilatéral d’investissement (TBI) entre l’Espagne et le Venezuela ; constitution d’un Tribunal arbitral de trois membres sur le fondement de la clause d’arbitrage contenue dans ce TBI. Sentence sur compétence faisant suite à la sentence (déclinatoire) sur compétence précédemment partiellement annulée par le TF (ATF 146 III 142 résumé dans l’édition 2020-2021 de cette chronique), qui avait renvoyé la cause au Tribunal arbitral pour nouvelle décision dans le sens des considérants, c’est-à-dire pour qu’il se prononce sur l’existence d’un abus de droit et d’éventuelles autres objections à sa compétence. Le Tribunal arbitral a constaté, dans la sentence entreprise (rendue à la majorité de ses membres), que la seule objection pendante devant lui était celle ayant trait à l’éventuelle existence d’un abus de droit, objection qu’il a écartée, en se déclarant compétent pour connaître du fond du litige. La recourante met en cause l’analyse du Tribunal au sujet de l’existence d’un abus de droit et demande que le TF constate définitivement l’incompétence du Tribunal pour trancher le litige. L’intimée objecte que le TF ne saurait examiner l’existence d’un éventuel abus de droit dès lors que le Tribunal arbitral a considéré, sans être contredit par la recourante, que cette question ne se rapportait pas à sa compétence, mais plutôt à la recevabilité de la demande. Dans son arrêt de renvoi précité, le TF avait retenu que « la compétence du Tribunal arbitral ne pouvait être constatée » dès lors que la question d’un éventuel abus de droit restait à trancher par les arbitres. Dans ces circonstances, le TF est tenu à présent d’examiner les critiques formulées par la recourante pour étayer son moyen tiré de l’art. 190 al. 2 let. b LDIP. Cette approche est d’ailleurs conforme à la jurisprudence du TF, qui s’est déjà prononcé, dans une autre affaire, sur un grief d’abus de traité invoqué afin de provoquer un réexamen de la compétence arbitrale (consid. 5.4 et 5.5). La recourante soutient que le Tribunal s’est déclaré à tort compétent pour connaître du litige, dès lors que la société mère de l’intimée (basée aux Etats-Unis) a opéré un changement stratégique de la nationalité de cette dernière dans le seul but d’assurer à ses investissements le bénéfice de la protection offerte par le TBI entre l’Espagne et le Venezuela. S’il est vrai qu’un investisseur peut légitimement modifier la structure de son investissement afin de bénéficier de la meilleure protection possible, pareille restructuration peut constituer un abus de droit (en l’espèce, un « abus de traité ») lorsqu’elle est opérée à un moment où un litige avec l’Etat hôte de nature à engager les garanties offertes par le TBI était prévisible. Dans ce cas, la compétence du Tribunal arbitral constitué en vertu du TBI ne serait pas donnée. L’abus de droit étant un correctif exceptionnel, le critère de la prévisibilité du litige doit être apprécié de manière restrictive (consid. 5.2). Le Tribunal arbitral a considéré, en particulier, qu’un abus de traité ne peut être retenu que lorsque l’investisseur a opéré la restructuration à un moment où il avait connaissance de tous les éléments permettant de prévoir le litige spécifique à raison duquel il poursuit l’Etat hôte pour violation du TBI. Il a estimé, sur la base des faits constatés dans la sentence, que la restructuration en question avait eu lieu à une époque où le litige entre les parties n’était pas prévisible, de sorte que l’intimée n’avait pas commis un abus de traité (consid. 5.3). La recourante tente en vain de remettre en question cette conclusion ; sur le vu des faits constatés souverainement par le Tribunal arbitral dans sa sentence, elle ne fournit pas d’éléments qui permettraient de retenir que la restructuration litigieuse avait été opérée en vue d’un litige spécifique, à un moment où celui-ci était prévisible (consid. 5.6). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. AG [compagnie d’assurance domiciliée au Liechtenstein] c. Ba. LLC [société domiciliée aux Etats-Unis]). Recours contre la sentence (« Award on Jurisdiction ») rendue le 30 juillet 2021 par un Tribunal arbitral opérant sous l’égide de la Swiss Chambers’ Arbitration Institution (SCAI), avec siège à Bâle. Litige issu d’une police d’assurance émise (avec d’autres assureurs) par A. AG, et couvrant plusieurs sociétés du Groupe B. La police incluait, entre autres, un volet assurant la protection juridique de ces sociétés. Selon la pratique déjà suivie par le passé entre les parties, le pool des compagnies d’assurance impliquées et la portée de la couverture des polices souscrites par le Groupe B. étaient renégociés et nouvellement convenus d’année en année. Conclusion, fin 2013, d’une police temporaire dite insurance slip pour l’année 2014, souscrite, entre autres, par A. AG et contenant une clause d’élection de for, suivie de la police définitive pour cette même année, signée au mois d’avril, et contenant une convention d’arbitrage. Suite à un sinistre survenu aux Etats-Unis, l’intimée, s’estimant couverte par la police d’assurance 2014 en vertu de son appartenance au Groupe B., a réclamé à la recourante une indemnisation pour certains frais de justice soutenus en 2014. Initiation d’un arbitrage par Ba. LLC suite au refus de A. AG de donner suite à sa demande d’indemnisation ; objection de la défenderesse à la compétence du Tribunal arbitral, lequel, une fois constitué, a ordonné la bifurcation de la procédure et rendu une sentence préliminaire sur compétence (la sentence entreprise), se déclarant compétent pour statuer sur le litige entre les parties. La recourante soutient que le Tribunal s’est déclaré à tort compétent, en l’absence d’une convention d’arbitrage valable liant les parties au litige. Le TF rappelle que, selon sa jurisprudence, l’interprétation d’une convention d’arbitrage se fait selon les règles générales d’interprétation des contrats. Ce faisant, le juge ou l’arbitre doivent d’abord rechercher la volonté réelle et concordante des parties (interprétation subjective). L’interprétation subjective repose sur l’appréciation des preuves, et, si elle s’avère concluante, le résultat qui en est tiré, c’est-à-dire la constatation d’une commune et réelle intention des parties, relève du domaine des faits et lie, partant, le TF. Dans le cas contraire, le juge ou l’arbitre devront rechercher, en appliquant le principe de la confiance, le sens que les parties pouvaient et devaient donner, selon les règles de la bonne foi, à leurs manifestations de volonté réciproques en fonction de l’ensemble des circonstances. Cette interprétation, dite objective, relève du droit et peut donc être librement revue par le TF (consid. 3.1). Au sujet de la validité formelle de la convention d’arbitrage, la recourante fait valoir qu’elle n’a pas signé la convention contenue dans la police d’assurance produite par Ba. LLC. Le Tribunal arbitral a écarté cette objection, car la forme écrite simplifiée requise par l’art. 178 al. 1 LDIP n’exige pas que la convention d’arbitrage soit signée, mais simplement qu’elle soit écrite, ou que sa conclusion puisse être prouvée par un texte. Les arbitres ont constaté que la police contenant la convention d’arbitrage avait fait l’objet de plusieurs échanges écrits entre les parties, à l’occasion desquels la recourante avait confirmé son accord aux termes de la police – tout en formulant quelques réserves qui ne concernaient pas la convention d’arbitrage –, de sorte que ladite convention avait été valablement conclue en la forme écrite au sens de l’art. 178 al. 1 LDIP (consid. 3.2). En conformité avec l’art. 178 al. 2 LDIP, le Tribunal a examiné la validité matérielle de la convention d’arbitrage à la lumière du droit suisse, auquel les parties se sont également référées. La recourante reproche au Tribunal d’avoir prétendu effectuer une interprétation subjective de la convention d’arbitrage, sans toutefois véritablement parvenir à établir leur volonté réelle et commune de conclure une telle convention, et procédant, en réalité, à une interprétation objectivée des circonstances pertinentes, tout en « confondant » les deux types d’interprétation dans son analyse de la question. Selon le TF, le Tribunal a correctement appliqué les principes du droit suisse sur l’interprétation des conventions d’arbitrage et c’est à bon droit qu’il a conclu avoir pu établir l’existence d’une volonté commune des parties (valablement représentées par des individus habilités à agir en leur nom, et dont les agissements pouvaient leur être imputés) de conclure une convention d’arbitrage, constatation qui est soustraite à l’examen du TF dans le cadre d’un recours dirigé contre une sentence arbitrale. Ce n’est qu’à titre subsidiaire que le Tribunal a procédé à une interprétation objective, la distinguant clairement de l’interprétation subjective, et sa conclusion selon laquelle le résultat de cette deuxième interprétation confirmait celui de la première ne prête pas non plus le flanc à la critique (consid. 3.3 à 3.5). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A.A. Co., Ltd, [société de droit sud-coréen] c. C. Pte. Ltd, [société de droit singapourien], D. Pte. Ltd, [société de droit bangladais ou singapourien], E.E. Company Ltd, [société de droit bangladais], E.F. Ltd, [société de droit bangladais], E.G. Ltd, [société de droit bangladais], H. Ltd, [société de droit bangladais], A.B. Co., Ltd, [société de droit sud-coréen]). Recours contre la sentence rendue le 24 janvier 2020 par un Tribunal CCI avec siège à Genève. Litige issu d’un contrat conclu en 2010 et ayant pour objet la planification, construction et livraison d’une centrale électrique au Bangladesh (ci-après le contrat principal). La société en charge de la réalisation de la centrale, A.B. (fournisseur), avait sous-traité à A.A. (sous-traitant, membre du même groupe), par contrats séparés, la livraison et installation, directement chez les acheteurs (C., D., E.E., E.F, E.G., H.), de plusieurs moteurs diesel destinés à la centrale. Après l’installation, les acheteurs avaient signalé des problèmes techniques au fournisseur, qui avait fait intervenir le sous-traitant. Le sous-traitant s’était rendu chez les acheteurs et avait correspondu avec eux pour tenter de résoudre les dysfonctionnements des moteurs. En 2014, alors que certains problèmes persistaient et des rencontres entre le fournisseur, le sous-traitant et les acheteurs n’avaient pas permis de les résoudre, les acheteurs avaient cessé leurs paiements. En 2018, le fournisseur avait initié une procédure d’arbitrage dirigée contre les acheteurs sur le fondement de la clause d’arbitrage contenue dans le contrat principal, afin de leur réclamer les paiements en souffrance. Les acheteurs avaient requis que le sous-traitant soit joint comme partie à l’arbitrage. Le Tribunal arbitral constitué pour statuer sur le litige avait bifurqué la procédure pour régler en premier lieu la question de sa compétence vis-à-vis du sous-traitant, qui n’était pas signataire du contrat principal. Par sentence intitulée « Partial Final Award on Jurisdiction », le Tribunal s’était déclaré compétent à statuer sur les prétentions des acheteurs vis-à-vis du sous-traitant en relation avec le contrat principal. Les arbitres avaient retenu, sur la base d’une interprétation objective selon les règles de la bonne foi, que le comportement du sous-traitant, et notamment son degré élevé d’implication et participation dans l’exécution du contrat, avait pu raisonnablement induire les acheteurs à conclure qu’il entendait être lié par la convention d’arbitrage contenue dans ce contrat (théorie dite de l’immixtion ; consid. 3.2). Le sous-traitant conteste cette interprétation et le TF lui donne raison. Selon la Haute Cour, le degré d’implication du sous-traitant dans l’exécution du contrat principal n’était qu’une conséquence logique de son rôle dans le projet en vertu du contrat de sous-traitance le liant au fournisseur, de sorte que l’on ne pouvait pas sans autre en déduire sa volonté implicite d’être lié au contrat principal entre le fournisseur et les acheteurs, et par là à la convention d’arbitrage contenue dans ce contrat. Le TF considère en particulier que la situation du sous-traitant dans le cas d’espèce est fondamentalement différente de celle du tiers non-signataire dans l’ATF 129 III 727, où la théorie de l’immixtion avait trouvé application (consid. 3.3). Recours admis, sentence partiellement annulée ; renvoi de la cause au Tribunal arbitral pour qu’il statue à nouveau sur sa compétence.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(A. c. 1. à 26.). Recours contre la sentence rendue le 28 février 2020 par un Tribunal arbitral PCA avec siège à Genève. Litige né entre 26 sociétés (les investisseurs), tout(e)s domicilié(e)s dans l’Union européenne (UE), et le Royaume d’Espagne, suite à la décision du Royaume de mettre un terme aux mesures d’encouragement des installations photovoltaïques pour la production d’électricité. Les investisseurs avaient introduit une procédure d’arbitrage pour obtenir le paiement de dommages-intérêts pour violation du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Par sentence du 13 octobre 2014, le Tribunal arbitral s’était déclaré compétent pour connaître du litige. Dans cette décision, le Tribunal avait rejeté l’argument de l’Espagne selon lequel les différends intra-communautaires au sujet d’investissements visés par le TCE ne pouvaient pas être résolus par voie d’arbitrage. La sentence sur compétence n’avait pas fait l’objet d’un recours en annulation, ni d’une demande de révision. Poursuivant l’instruction de la cause, le Tribunal avait rendu, en octobre 2019, une ordonnance de procédure (OP 19), écartant la « nouvelle exception d’incompétence » soulevée par l’Espagne. Pour fonder cette nouvelle objection, l’Etat avait invoqué la décision rendue le 6 mars 2018 par la CJUE dans l’affaire Achmea c. Slovaquie (C-284/16), ainsi qu’une communication et une fiche d’information émanant de la Commission européenne, où celle-ci affirmait que l’arbitrage investisseur-Etat prévu par les traités bilatéraux d’investissement conclus entre Etats membres de l’UE n’est pas compatible avec le droit européen. Le Tribunal avait considéré que le jugement de la CJUE et les autres actes émanant de l’UE invoqués par l’Espagne ne modifiaient pas la nature de l’objection déjà écartée dans sa sentence d’octobre 2014, dont les conclusions s’imposaient à lui. L’OP 19 n’avait pas non plus fait l’objet d’un recours ou d’une demande de révision, et l’Espagne n’avait pas soulevé d’objections à son encontre dans la suite de l’arbitrage. En mars 2019, l’Espagne avait demandé au Tribunal arbitral de réexaminer d’office sa compétence, à la lumière de la déclaration signée par vingt-deux Etats membres de l’UE quelques semaines plus tôt (Déclaration des 22). Dans sa sentence finale de février 2020, le Tribunal arbitral avait constaté que l’Espagne avait violé le TCE et l’avait condamnée à payer divers montants aux investisseurs. Lorsqu’un Tribunal arbitral écarte une exception d’incompétence par une sentence séparée, il rend une décision incidente, qui, en vertu de l’art. 190 al. 3 LDIP, doit être entreprise immédiatement, et ne peut être attaquée que pour les motifs tirés de l’art. 190 al. 2 let. a et let. b LDIP (composition irrégulière ou décision incorrecte sur la compétence). Les autres griefs de l’art. 190 al. 2 LDIP peuvent être soulevés contre une décision incidente seulement dans la mesure où il se rapportent strictement et directement aux questions de la composition ou de la compétence du tribunal (consid. 4.2). L’Etat recourant reproche au Tribunal arbitral d’avoir violé son droit d’être entendu et d’avoir méconnu le principe de l’autorité de la chose jugée en refusant d’examiner sa « nouvelle exception d’incompétence » dans l’OP 19. Il sied tout d’abord de relever que, nonobstant sa dénomination, l’OP 19 n’est pas une simple ordonnance de procédure, susceptible d’être modifiée ou rapportée en cours d’instance. Dans cette décision, le Tribunal arbitral a refusé de revenir sur la question de sa compétence et d’ordonner une instruction complémentaire sur ce point, car il a considéré, à juste titre, que le recourant tentait de faire réexaminer la même « exception intracommunautaire » déjà écartée dans la sentence préliminaire sur compétence de 2014. Il s’agit à l’évidence d’une décision incidente sur compétence, par laquelle le Tribunal a confirmé sa sentence préliminaire, et dont rien ne laisse entendre qu’elle revêtirait un caractère provisoire. Dès lors, le recourant aurait pu et dû recourir contre l’OP 19 immédiatement, dans les 30 jours après sa notification. Ce faisant, il aurait pu reprocher au Tribunal d’avoir violé l’art. 190 al. 2 let. b LDIP et, dans ce même recours, soulever ses griefs tirés de la violation des art. 190 al. 2 let. d et e (droit d’être entendu et ordre public, dans sa composante procédurale, en lien avec la question de l’autorité de la chose jugée), griefs qui portent en l’occurrence sur des points intrinsèquement liés à la compétence du Tribunal. N’ayant pas recouru en temps utile, le Recourant est forclos à invoquer ces griefs (consid. 5). Voir également le consid. 6, résumé ci-dessous en lien avec l’art. 190 al. 2 let. e LDIP.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler
(State of Libya [Litigation Department, Foreign Disputes Committee] c. A. Anonim Şi rketi [société turque]). Recours contre la sentence rendue le 22 mai 2020 par un Tribunal arbitral CCI avec siège à Genève. L’intimée, une société turque, avait participé, depuis 1980, à de nombreux projets de construction dans le cadre de travaux publics en Libye. Suite à des défauts de paiement, elle avait suspendu les travaux dans les années ‘90, puis essayé pendant plusieurs années de recouvrer les montants dus par l’Etat. En 2013, l’Etat (représenté à cette occasion par le ministre adjoint des finances) et l’intimée avaient conclu une transaction pour solde de tout compte (Settlement Agreement), dans laquelle la Libye s’engageait à payer à l’intimée une somme de plus que 5 millions de dinars libyens. En 2016, l’intimée avait introduit une demande d’arbitrage sur le fondement du Traité bilatéral d’investissement entre la Turquie et la Libye (ci-après, le TBI). Dans sa sentence de mai 2020, le Tribunal arbitral statuant sur cette demande avait rejeté les objections juridictionnelles de la Libye et admis sa compétence ; déclaré que l’Etat avait violé son obligation d’accorder un traitement juste et équitable à l’investissement de l’intimée, et condamné le défendeur au paiement dommages-intérêts. En 2018, alors que l’arbitrage était pendant, la Libye avait demandé au Tribunal de Tripoli de déclarer le Settlement Agreement nul et non avenu, ce que cette juridiction avait fait par un jugement de la même année. Devant le TF, l’Etat conteste la compétence du Tribunal arbitral. Le TF relève que, après avoir constaté que l’intimée se prévalait de violations d’obligations contenues dans le TBI et dans le Settlement Agreement (qui n’incluait pas une clause d’arbitrage), le Tribunal arbitral avait statué sur sa compétence en prenant en considération ces deux instruments. Il avait jugé que le Settlement Agreement était valable en droit Libyen et qu’il représentait un investissement protégé par le TBI, lequel trouvait à s’appliquer ratione temporis car il était entré en vigueur en 2011, avant la conclusion du Settlement Agreement. L’Etat objecte que le Tribunal arbitral a appliqué le principe de la compétence-compétence de manière erronée : sachant que le Settlement Agreement ne contenait pas de clause d’arbitrage, l’Etat avait le droit de soumettre la question de sa validité à la juridiction normalement compétente, soit le Tribunal de Tripoli, et à partir du moment où ce dernier était saisi de cette question, les arbitres auraient dû assurer la coordination entre les deux procédures. En refusant de le faire, ils ont contrevenu aux principes de la courtoisie internationale. Selon le TF, l’argumentation de l’Etat ne peut être suivie : les règles applicables en matière de litispendance et de reconnaissance des jugements étrangers sont claires et consacrent la priorité du tribunal premier saisi, dans ce cas le Tribunal arbitral (consid. 4). L’Etat recourant conteste également la compétence ratione materiae du Tribunal, au motif que le Settlement Agreement était nul et ne pouvait donc pas constituer un investissement protégé par le TBI. Le TF rejette les causes de nullité invoquées par l’Etat, notamment le défaut d’autorité du ministre adjoint des finances qui avait signé le Settlement Agreement, et confirme la compétence du Tribunal pour statuer sur les prétentions tirées de cet accord (consid. 5). Enfin, le TF confirme que le litige issu du Settlement Agreement rentrait bien dans le champ d’application temporel du TBI, puisqu’il était né après l’entrée en vigueur de ce traité. Cette interprétation découle sans ambiguïté du texte du Settlement Agreement, dans lequel les parties avaient déclaré qu’il mettait un terme à tous les litiges et procédures préexistantes, de sorte que le seul litige et les seules prétentions soumises au Tribunal arbitral étaient celles résultant de cet accord (consid. 6). Recours rejeté.
Antonio Rigozzi, Erika Hasler