ATF 135 I 153

2008-2009

Art. 8 par. 1 et 2 CEDH, 10 CDE, 24 et 25 Cst.

Une ressortissante turque épouse en 2003 un compatriote vivant légalement en Suisse. De ce fait, une autorisation de séjour lui est délivrée en 2004. Durant cette même année, elle donne naissance à un enfant. Son époux ayant acquis la nationalité suisse entre-temps, l’enfant dispose également de la nationalité suisse. L’époux décède en 2005. Le Service des migrations du canton de Bâle-Campagne et l’ODM refusent le renouvellement de l’autorisation de séjour au vu de la brièveté de l’union conjugale et de la possibilité de retour de la mère et de l’enfant en Turquie. Le TAF confirme ce refus. Sur recours, le TF annule la décision du TAF et admet un renouvellement de l’autorisation de séjour pour la mère. En général, il n’y a pas d’ingérence étatique lorsqu’il est possible pour les membres de la famille de vivre leur vie familiale à l’étranger. S’il est possible pour le membre de la famille qui est autorisé à rester en Suisse, d’accompagner l’étranger auquel une autorisation de séjour a été refusée sur un autre Etat, l’art. 8 CEDH n’est pas violé. Lorsqu’un étranger doit quitter le pays, car une autorisation de séjour lui a été refusée, on peut attendre des membres de sa famille – sous réserve de circonstances particulières – qu’ils l’accompagnent à l’étranger lorsqu’ils peuvent le faire « sans difficultés ». Une balance des intérêts sous l’angle de l’art. 8 al. 2 CEDH n’est pas nécessaire dans ces circonstances. Il en va différemment lorsque – ce que n’a pas considéré l’autorité intimée – le retour n’apparaît pas « d’emblée sans difficultés particulières ». Dans ces cas, une balance des intérêts au sens de l’art. 8 al. 2 est toujours nécessaire et doit être faite en tenant compte des circonstances du cas d’espèce. Malgré le pouvoir d’appréciation donné par l’art. 4 LSEE, une violation de l’art. 8 CEDH et de l’art. 13 Cst. ne peut être sans autre exclue dans ces cas. Confirmation par le TF d’une autorisation de séjour au titre du regroupement familial et nécessité de tenir davantage compte à l'avenir des droits découlant de la nationalité suisse de l'enfant et de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant. Certes, la mère n’avait séjourné qu’un an et demi en Suisse au moment du décès de son mari. Toutefois, on ne saurait lui reprocher aucune infraction pénale ou à la législation sur les étrangers. Elle était au courant de la maladie de son mari mais la gravité de celle-ci lui en a été en partie cachée. La mort de son mari suisse l’a gravement atteinte. Elle s’efforce depuis, dans le cadre de ses possibilités de mère élevant seule son enfant, de s’intégrer dans son entourage local. A cette fin, elle fréquente des cours de langue et d’intégration, dont la continuation pourrait être exigée dans l’éventualité d’une prolongation de son autorisation (art. 33 al. 2, art. 54 LEtr). Engagée à temps partiel en tant que femme de ménage, elle doit pouvoir subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant sans avoir recours à l’aide sociale. Bien que la mère dispose également d’un certain entourage familial dans son Etat d’origine, cette solution semble compromise dans le sens où, en tant que Sunnite, elle a épousé un Alaouite. Un retour dans l’est de la Turquie, veuve et avec un enfant (suisse) ne semble donc pas chose aisée. Dans le cadre de l’art. 8 al. 2 CEDH, les intérêts privés priment les intérêts publics et l’autorisation de séjour de la mère doit être prolongée selon ce qu’on appelle « un regroupement familial inverse ».