TF 8C_345/2013

2012-2013

Art. 8 LPGA; art. 28 LAI

On peut exiger d’un assuré âgé de 62 ¾ ans au moment de l’évaluation médicale (cf. ATF 138 V  457) qu’il mette en valeur sa capacité de travail résiduelle dès lors qu’il est certes atteint aux jambes, mais nullement aux membres supérieurs, quand bien même il n’a jamais occupé de poste de travail rendant nécessaire l’usage de la motricité fine.

 

Commentaire
Etat de fait Dans l’arrêt entrepris, un assuré né en 1948 souffrait des conséquences tardives d’un accident subi en 1978. Il a déposé une demande de prestations auprès de l’Office AI compétent. Dans le cadre de l’instruction de son dossier, l’Office AI a recueilli des renseignements médicaux, le dernier rapport ayant été déposé le 28 mars 2011, alors que l’assuré était âgé de 62 ¾ ans. Le TF a confirmé qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer à cet assuré la jurisprudence relative aux assurés proches de la retraite au moment de la survenance de l’invalidité. Commentaire En droit suisse des assurances sociales, l’invalidité (art. 8 LPGA) est une notion économique, qui se réfère à la perte de gain (art. 7 LPGA), soit aux diminutions des possibilités de l’assuré de réaliser un gain, sur un marché du travail réputé équilibré. L’évaluation de l’invalidité procède d’une comparaison entre le revenu de valide, soir le revenu que l’assuré réalisait avant la survenance de l’atteinte à la santé, et le revenu d’invalide, soit le revenu qu’il peut réaliser après l’atteinte dans une activité adaptée. L’exigibilité d’une reprise de travail dans une activité adaptée doit, selon le TF, être jugée tant à l’aune de critères objectifs que de critères subjectifs : « le point de savoir si une mesure peut être exigée d'un assuré doit être examiné au regard de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (…). Par circonstances subjectives, il faut entendre en premier lieu l'importance de la capacité résiduelle de travail ainsi que les facteurs personnels tels que l'âge, la situation professionnelle concrète ou encore l'attachement au lieu de domicile. Parmi les circonstances objectives doivent notamment être pris en compte l'existence d'un marché du travail équilibré et la durée prévisible des rapports de travail » (ATF 138 V 205 c. 3.2). D’un point de vue objectif, il s’agit avant tout de déterminer, d’un point de vue médical et théorique, si l’assuré peut exercer une activité adaptée, cas échéant en respectant certaines limitations fonctionnelles. A la lecture de l’ATF 138 précité, la question de la durée prévisible des rapports de travail est également un élément objectif à prendre en considération. Au titre des éléments subjectifs qui interviennent dans l’évaluation de l’exigibilité figure, toujours selon l’ATF 138 précité, notamment l’âge de l’assuré. Ne peuvent en revanche pas être pris en considération les facteurs dits « bio-psycho-sociaux », soit les éléments marquant le parcours de vie de l’assuré (par exemple un traumatisme pendant l’enfance), à moins qu’ils ne se traduisent par une pathologie ayant valeur de maladie. S’agissant, précisément, des assurés âgés, le TF a, dans un premier temps, précisé l’âge à partir duquel l’on pouvait se prévaloir d’une jurisprudence plus souple au moment de juger de l’exigibilité de l’exploitation d’une capacité de travail résiduelle. La limite a été fixée à environ cinq ans avant l’âge de la retraite, soit 59 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes (TF 9C_355/2011 et 9C_14/2008). Si cette limite s’est dans un premier temps avérée assez souple (cf. par exemple TF 9C_355/2011, concernant un homme de 58 ans), elle s’est progressivement figée pour devenir une donnée pratiquement intangible. Dans sa jurisprudence subséquente, le TF a déterminé le moment décisif pour prendre en considération l’âge de l’assuré. Depuis l'ATF 138 V 457, il s’agit du moment auquel la situation médicale peut être considérée comme suffisamment éclaircie. Il a en revanche toujours été clair que le seul fait d’atteindre l’âge indiqué ci-dessus ne permettait pas d’exclure d’entrée de cause l’exigibilité de l’exploitation d’une capacité de travail résiduelle, mais qu’une fois cet âge atteint, l’assuré avait droit à ce que sa situation soit prise en compte de manière plus individualisée, en tenant compte surtout de la probabilité de voir un employeur engager l’assuré compte tenu de la situation globale. En l’espèce, l’assuré avait travaillé en dernier lieu en qualité d’aide-concierge et de nettoyeur. Le TF, dans une motivation sommaire, confirme l’avis des premiers juges qui avaient admis que le recourant, atteint aux membres inférieurs, ne souffrait en revanche pas d’atteintes aux membres supérieurs, de sorte qu’une activité dans des tâches de surveillance et de tri était exigible, ceci bien que l’assuré n’ait aucune expérience dans des activités impliquant une motricité fine. L’analyse du TF se base ainsi exclusivement sur des éléments purement médico-théoriques, sans considération pour la possibilité réelle, pour l’assuré, de trouver un employeur désireux de l’engager compte tenu de son âge et de l’atteinte à la santé qu’il présente. Cet arrêt marque ainsi un durcissement de la situation des assurés proches de l’âge de la retraite au moment de demander des prestations de l’assurance-invalidité. Il est sans doute trop tôt pour dire s’il s’agit d’un revirement de jurisprudence, ou des conséquences, peut-être, d’explications lacunaires de la part de l’assuré au sujet de la difficulté à trouver un poste de travail. Dans ce sens, l’arrêt commenté rappelle à ceux qui plaident la cause de ces assurés de substantiver autant que possible les raisons qui permettent, dans le cas d’espèce, de nier l’exigibilité de la mise en œuvre d’une capacité de travail résiduelle, le seul fait que l’assuré soit âgé ne suffisant jamais pour justifier l’octroi d’une rente AI. Anne-Sylvie Dupont