TF 8C_773/2013

2012-2013

Lit. a al. 1 et 4 Disp. Fin. révision 6A LAI du 18 mars 2011

Le législateur a prévu de manière exhaustive les situations dans lesquelles il est inéquitable de procéder à une révision du droit aux prestations sur la base de la lettre a al. 1 Disp. Fin. 6A LAI : il s’agit premièrement de l’hypothèse dans laquelle l’assuré est âgé de 55 ans ou plus au moment de l’ouverture de la procédure de révision, et deuxièmement de l’hypothèse dans laquelle l’assuré a droit à une rente depuis 15 ans ou plus à ce moment-là. Cela ressort clairement de la lettre a al. 4 Disp. Fin. 6A LAI. En dehors de ces deux hypothèses, il n’y a plus de place pour un jugement en opportunité. L’évaluation médicale poussée exigée pour une révision fondée sur la disposition finale, de même que le droit de la personne concernée à des mesures de réadaptation pendant une durée de deux ans. Les chances d’une réinsertion doivent être évaluées en tenant compte en particulier de l’âge de l’assuré et de la durée de son éloignement du marché du travail. Cette analyse permet de tenir suffisamment compte des particularités de chaque situation.

 

Commentaire
L’état de fait à l’origine de l’arrêt commenté est des plus banal: un assuré, né en 1962, touchait une rente entière de l’assurance-invalidité depuis 1997. Son droit avait été confirmé à l’occasion de deux procédures de révision successives, en 2003 et 2006. En 2011, une troisième procédure de révision a été engagée, à l’occasion de laquelle une expertise pluridisciplinaire a été réalisée. Sur la base de cette expertise, l’office AI a supprimé le droit à la rente, invoquant la disposition finale introduite par la révision 6A de la LAI concernant les assurés atteints de pathologies sans étiologie claire et sans constat de déficit organique. Le tribunal cantonal des assurances déboute l’assuré, qui recourt au TF en invoquant successivement plusieurs moyens qui, dans l’intervalle, avaient fait l’objet de jurisprudences de notre Haute Cour. Il invoquait en outre l’inopportunité de la décision cantonale, qui ne tenait pas suffisamment compte de sa situation. Au cours des trois derniers mois, le TF a circonscrit les modalités d’application de la disposition finale introduite par la révision 6A LAI. Il n’est ainsi pas inutile de dresser ici un état des lieux, qui sera également le prétexte à quelques réflexions critiques. I.          Les situations donnant lieu à révision La lettre a al. 1 Disp. Fin. 6A LAI impose aux offices AI la révision, dans un délai de trois ans à compter du 1er janvier 2012, des « rentes octroyées en raison d'un syndrome sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique » (SPECDO). Sont visées ici les rentes octroyées en raison de troubles somatoformes douloureux et de pathologies apparentées. A ce jour, ont été reconnus comme tels par le TF, outre le trouble somatoforme douloureux (ATF 130 V 352), la fibromyalgie (ATF 132 V 65), les anesthésies dissociatives et atteintes sensorielles (TF, arrêt I 9/07 du 9 février 2007), le syndrome de fatigue chronique et la neurasthénie (TF, arrêts 9C_662/2009 du 17 août 2010 et 9C_98/2010 du 28 avril 2010), ou encore les distorsions cervicales (« coup du lapin ») sans lésions objectivées (ATF 136 V 279) et l’hypersomnie non organique (ATF 137 V 64). Le TF a laissé ouverte la question de savoir si l’application de la Disp. Fin. 6A était limitée à cette liste de pathologies « officiellement » qualifiées (TF 9C_379/2013). Il a en revanche précisé que l’application de la Disp. Fin. 6A LAI supposait que la rente ait été octroyée exclusivement en raison d’un SPECDO. Il n’y a pas lieu d’étendre l’application de cette disposition aux cas dans lesquels il existe une pathologie objectivée, mais où l’on peut se demander si elle justifie l’intégralité des plaintes exprimées par l’assuré (TF 9C_379/2013 c. 3.2.3 ; 8C_505/2013). A l’occasion d’un cas concernant la révision du droit à la rente en application de la Disp. Fin. 6A LAI, le TF a rappelé que la jurisprudence relative à l’exigibilité de l’exercice d’une activité lucrative en présence d’un diagnostic de type SPECDO n’était pas discriminatoire (ATF 139 V 547). L’objectif de la Disp. Fin. 6A LAI est d’assurer un traitement égalitaire de tous les assurés atteints d’un SPECDO. Il s’agit donc de pouvoir évaluer conformément aux critères de l’art. 7 al. 2, 2ème phrase LAI, entré en vigueur au 1er janvier 2008, les prestations accordées avant cette date. Le TF a précisé que d’un point de vue temporel, l’obligation de réviser les rentes accordées en raison d’un SPECO n’était pas limitée aux rentes octroyées avant le 1er janvier 2008. Le critère déterminant est bien pus de savoir si la rente a été accordée après examen des critères de Foerster ou non. Ainsi, même si la rente a été octroyée avant le 1er janvier 2008, mais en application de la jurisprudence consacrée à l’ATF 130 V 352, la disposition finale ne permet pas le réexamen de la décision de l’époque. Il faudrait alors passer par le biais d’une reconsidération (ATF 140 V 8). II.         Les conditions de la révision Outre le fait que la rente doit, à l’origine, avoir été accordée en raison d’un SPECDO exclusivement, la révision du droit en application de la disposition finale suppose en outre que seul ce diagnostic soit présent au moment de la révision. Il faut ensuite vérifier si un autre diagnostic n’est pas apparu dans l’intervalle, qui complique le tableau ou si, d’une manière générale, l’état de santé s’est aggravé. Il faut ensuite procéder à l’examen des critères de Foerster (ATF 139 V 547; TF 8C_505/2013). Compte tenu des enjeux en présence, les exigences en matière d’investigations médicales sont élevées. Les examens médicaux doivent être actuels et se rapporter aux points discutés. Si l’assuré conteste l’appréciation de l’office AI, il y a lieu de mettre en oeuvre une nouvelle expertise pluridisciplinaire (TF 8C_505/2013 c. 4.2; 8C_436/2013 c. 4). L’existence d’une comorbidité psychiatrique est une question de fait. En revanche, la question de savoir si cette comorbidité est suffisamment intense pour rendre l’atteinte à la santé insurmontable est une question de droit, soumise à la libre appréciation du juge. C’est lui qui doit trancher cette question, et non le médecin. Il peut donc arriver que l’appréciation du juge diverge de celle de l’expert, sans que l’expertise médicale ne perde pour autant sa valeur probante (TF 9C_463/2013 c. 2.2 et 4.2). III.        L’exclusion de la révision L’al. 4 de la Disp. Fin. 6A LAI fait obstacle à la révision de la rente lorsque l’assuré a « atteint 55 ans au moment de l'entrée en vigueur de la présente modification » ou touche une rente AI « depuis plus de quinze ans au moment de l'ouverture de la procédure de réexamen ». Le TF a précisé que le « moment de l’ouverture de la procédure de réexamen » est celui de l’ouverture de la procédure basée sur la disposition finale. Si, au moment de l’entrée en vigueur de cette disposition, soit au 1er janvier 2012, une procédure de révision était déjà en cours sur la base de l’art. 17 LPGA, ce n’est pas le moment de l’ouverture de cette première procédure qui est déterminant pour juger de la durée du droit à la rente (ATF 140 V 15). Le TF a également précisé que la durée de 15 ans concernait la durée pendant laquelle l’assuré avait eu droit à la rente, et ne se référait pas à la date depuis laquelle il touchait effectivement des prestations (TF 9C_380/2013). Dans l’arrêt commenté ici, le TF a précisé que le législateur avait décrit de manière exhaustive les circonstances dans lesquelles une suppression du droit à la rente était inopportune. De manière un peu étonnante, le TF semble dire ensuite que l’exigibilité de la reprise d’une activité lucrative devra se faire in concreto, au terme des mesures de réadaptation, compte tenu notamment de l’âge de l’assuré et de la durée de son éloignement du marché du travail. Si l’on peut naturellement souhaiter que les choses se passent ainsi, il s’agirait d’une entorse non négligeable au principe de l’évaluation médico-théorique de l’invalidité. Dans les cas « standards », y compris en cas de révision du droit à la rente, les circonstances personnelles telles que l’âge ne sont en principe pas prises en compte, sinon pour justifier un abattement sur le revenu d’invalide. Seuls les assurés proches de l’âge de la retraite (60 ans pour les hommes, 59 ans pour les femmes) bénéficient effectivement d’une appréciation concrète de leurs chances de retrouver un emploi. Aller dans le sens de ce que semble dire le TF serait contraire à la volonté du législateur qui, en adoptant la disposition finale 6A, avait précisément à cœur de garantir un traitement identique à tous les assurés bénéficiant d’une rente en raison d’un diagnostic de type SPECDO. Il ne faut donc à notre sens pas s’attendre à ce que la jurisprudence fédérale aille dans la direction du « cas par cas », mais plutôt à ce qu’elle confirme une analyse « standardisée » de l’exigibilité en cas de pathologie non organique. IV.       Procédure a.        Assistance judiciaire En principe plutôt avare s’agissant d’admettre le droit d’un assuré à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite en procédure administrative (art. 37 al. 4 LPGA), le TF a confirmé une décision cantonale allant dans ce sens (TF 9C_692/2013). Il a considéré que le contexte des SPECDO, en particulier l’évaluation de leur caractère invalidant à l’aune des critères de Foerster, impliquait en règle générale des complexes de faits qui justifient l’assistance d’un conseil professionnel. A cela s’ajoute, dans le contexte particulier de l’application de la Disp. Fin. 6A LAI, qu’il n’existait au moment du recours pas encore de jurisprudence établie. La décision du TF est justifiée tant le contexte des SPECDO est particulier, et la compréhension de l’analyse de l’exigibilité étrangère à quiconque n’est pas familier avec l’application des critères de Foerster. La décision du TF devrait à notre sens valoir dans toutes les situations où un diagnostic de type SPECDO est retenu, dans la mesure où l’intervention d’un conseil professionnel est le plus souvent indispensable pour veiller à la correcte mise en lumière des éléments nécessaires à l’appréciation du caractère invalidant du SPECDO. b.        Effet suspensif De manière assez logique, le TF a validé la transposition aux procédures de révision fondées sur la disposition finale 6A sa jurisprudence relative à l’effet suspensif en cas de recours dirigé contre une décision qui supprime ou réduit le droit à la rente en application de l’art. 17 LPGA (TF 9C_519/2013). Si le recours est admis par le tribunal cantonal des assurances et s’il renvoie l’affaire à l’autorité intimée pour complément d’instruction, le retrait de l’effet suspensif vaut aussi pour la durée des mesures d’instruction complémentaires. Il doit en revanche être restitué pour la période correspondant au laps de temps qui se serait écoulé jusqu’à la décision de l’office si celui-ci avait correctement instruit le dossier. L’assureur ne peut ainsi bâcler l’instruction pour hâter la décision supprimant ou réduisant la rente. c.         Recevabilité du recours au TF contre une décision incidente Le TF a estimé dernièrement que si l’office AI ordonne la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire à laquelle l’assuré s’oppose, le jugement cantonal qui valide la décision administrative ne peut faire l’objet d’un recours immédiat au TF au motif que les conditions d’application de la disposition finale 6A ne seraient pas remplies. Il s’agit en effet d’un grief matériel qui doit être soulevé dans le cadre d’un recours contre le jugement final (TF 9C_142/2014). Ce dernier arrêt du TF s’inscrit dans la droite ligne d’une jurisprudence catégorique au sujet de la recevabilité d’un recours fédéral contre un jugement cantonal validant la mise en œuvre d’une expertise. Il confirme que le TF ne voit aucune objection à ce qu’un assuré soit contraint de subir une atteinte à son intégrité corporelle (soit des examens médicaux) sans que cette atteinte ne soit juridiquement justifiée. En effet, si les conditions d’application de la lettre a al. 1 Disp. Fin. 6A LAI ne sont pas remplies, ou si la réalisation des conditions de l’alinéa 4 font barrage à son application, par exemple parce que l’assuré touche une rente depuis plus de quinze ans au moment de l’ouverture de la procédure de révision, la mise en œuvre d’une expertise n’est pas justifiée par la loi. Dès lors que l’assuré n’y consent pas, l’atteinte doit être jugée illicite. Il s’agit d’une situation qu’il serait judicieux de soumettre à la Cour européenne des droits de l’Homme.  Auteur : Anne-Sylvie Dupont