TF 9C_511/2013

2012-2013

Art. 11 al. 1 lit. g LPC

Dans l’hypothèse d’un couple séparé dont l’un des conjoints demande des prestations complémentaires, il y a lieu de tenir compte, pour le calcul de son droit, des contributions d’entretien. Les contributions fixées par le juge civil lient l’organe PC. Si aucune contribution n’a été fixée, ou si la situation de l’époux débirentier s’est modifiée de manière importante depuis le jugement civil, sans que l’époux crédirentier n’ait demandé au juge civil d’adapter la contribution, il incombe à l’organe PC d’examiner si, quant au principe, une contribution est due et, cas échéant, de fixer le montant de cette contribution. Pour ce faire, l’organe PC doit tenir compte des circonstances concrètes du cas d’espèce, et ne peut procéder de manière abstraite ou forfaitaire. En particulier, l’organe PC tiendra compte de la répartition des rôles au sein du couple, des possibilités de gain des époux et de la durée de l’obligation d’entretien (c. 2.3 et 2.4).

 

Commentaire
Le droit aux prestations complémentaires d’époux séparés est déterminé individuellement, pour chacun d’entre eux. Cela ne vaut toutefois que si la séparation est « qualifiée » : il faut en d’autres termes que la séparation de corps ait été prononcée par décision judiciaire, qu’une instance en divorce ou en séparation de corps soit en cours, que la séparation de fait dure sans interruption depuis un an au moins, ou qu’il soit rendu vraisemblable que la séparation de fait durera relativement longtemps (art. 1 al. 4 OPC-AVS/AI). Lorsque l’époux qui demande des prestations complémentaires est l’époux débiteur d’une contribution d’entretien, les pensions alimentaires représentent une dépense reconnue qui doit être intégrée dans le calcul de la PC annuelle (art. 10 al. 3 let. e LPC). Peu importe qu’elles soient versées en vertu d’une décision de mesures protectrices de l’union conjugale, sur mesures provisionnelles ou après divorce. Le bénéficiaire ne peut toutefois que faire porter en compte les contributions d’entretien qui sont effectivement versées. Lorsque l’époux qui demande des prestations complémentaires est l’époux créancier d’une contribution d’entretien, cette contribution est un revenu déterminant (art. 11 LPC) qui doit aussi être comptabilisé au titre des revenus déterminants. Dans ce cas, les contributions qui sont dues en vertu d’une décision judiciaire ou d’une convention entre époux, mais qui, dans les faits, ne sont pas versées, doivent également être comptabilisées, à moins que l’époux crédirentier ne parvienne à démontrer, par exemple en produisant des documents qui établissent la situation financière du débiteur, qu’il ne reçoit rien de sa part, et qu’il n’a pas non plus droit à des avances étatiques. On ne requiert pas du créancier d’aliments qu’il requiert en vain l’exécution forcée. Lorsque les contributions d’entretien ne sont fixées ni par une décision judiciaire, ni par une convention ratifiée par le juge, l’organe PC a le devoir de vérifier la justification de la contribution d’entretien, tant sur le principe que sur la quotité. Se pose la question de l’attitude à adopter lorsque la situation financière du bénéficiaire PC, et/ou celle de son ex-conjoint débiteur d’aliments, se modifie de manière notable et durable. D’après les Directives de l’OFAS sur les prestations complémentaires, il incombe au bénéficiaire PC, dans un délai de trois mois qui lui sera fixé par l’organe PC, de requérir la modification du jugement de divorce (DPC N 3495.01. Cf. également N 3270.04 et 3270.05). Si le bénéficiaire ne donne pas suite, l’organe PC doit, au bout de six mois, procéder lui-même à la fixation de la contribution d’entretien. Le jugement commenté a pour particularité de concerner la demande de PC présentée par une femme séparée de son époux depuis 20 ans, dont elle n’envisageait pas de divorcer. La convention de mesures protectrices de l’union conjugale prévoyait une contribution d’entretien limitée dans le temps, soit pour une année de séparation. L’analyse du TF surprend sur deux points :
  • premièrement, il confirme les Directives PC en indiquant que l’organe PC devrait intimer l’ordre à la bénéficiaire d’ouvrir action contre son conjoint pour que le juge civil statue sur son droit à une contribution d’entretien ;
  • deuxièmement, il estime que compte tenu des circonstances du cas d’espèce (notamment des perspectives successorales supposées de la bénéficiaire PC), il n’est pas exclu que cette dernière ait droit à une contribution d’entretien au titre des art. 175 ss CC.
Cette réflexion prête le flanc à la critique. S’agissant du premier point, il est en effet regrettable que le TF confirme l’obligation, pour le bénéficiaire PC, d’ouvrir action contre le conjoint ou l’ex-conjoint. Indépendamment du fait que cette opération est de nature à raviver des tensions qui, à la faveur du temps, ce sont vraisemblablement apaisées, et des difficultés liées à la démarche, notamment lorsque l’ex-conjoint n’a pas de domicile connu ou vit à l’étranger, la procédure civile devra être financée – dès lors qu’elle est introduite par un bénéficiaire PC – par l’assistance judiciaire et, donc, par les deniers des contribuables. L’organe PC ayant la compétence de fixer lui-même les contributions d’entretien en l’absence de toute décision judiciaire, on voit mal pour quelle raison il devrait en aller différemment lorsque décision judiciaire il y a, mais que les circonstances se sont modifiées de telle manière que ses effets ne sont plus pertinents dans le cadre d’un calcul PC. Sur le second point, on peut se demander si, véritablement, la demande de l'épouse serait examinée à la lumière des art 175 ss CC. Il n'est en effet pas rare, en pratique, que l'on anticipe l'application de l'art. 125 CC (contribution d'entretien après divorce) lorsque la reprise de la vie commune paraît définitivement compromise. En l’espèce, il est évident que chez un couple séparé depuis 20 ans, l’épouse vivant en concubinage avec un tiers, la perspective de la reprise de la vie commune n'est que théorique. Les conditions restrictives de cette disposition permettaient assez facilement d’exclure, en l’espèce, le droit à une contribution d’entretien aussi longtemps après la séparation. De plus, même si le droit à une contribution avait été admis, il aurait très vraisemblablement, compte tenu de la pratique en la matière, été limité à l’âge AVS de l’épouse, âge atteint par la bénéficiaire PC, rentière AVS au moment de la demande de PC. Les chances concrètes de la bénéficiaire PC d'obtenir une contribution d'entretien en vertu des règles applicables en droit de la famille étaient ainsi bien maigres. En d’autres termes, l’arrêt commenté confirme une solution lourde à mettre en œuvre, pratiquement, financièrement et émotionnellement. Elle n’est pas justifiée dès lors que l’on admet de toute manière la compétence de l’organe PC pour vérifier l’adéquation du montant des contributions d’entretien. L’arrêt commenté constitue par ailleurs un mode d’emploi très précis, indiquant clairement sur la base de quels critères le droit à une contribution d’entretien doit être admis et, cas échéant, calculé.   Anne-Sylvie Dupont