Art. 93 al. 1 LTF; art. 55 al. 1 LPGA; art. 45 al. 2 et 46 LPA
Dans le cadre d’une révision de rente AI, l’Office AI a refusé de soumettre au COMAI des questions complémentaires demandées par l’assuré, sans pour autant rendre une décision incidente à ce sujet. Saisie d’un recours pour déni de justice, la Cour cantonale l’a admis et a enjoint l’AI de rendre une décision incidente sur la question.
Saisi du recours de l’Office AI, le TF relève qu’il s’agit d’une décision incidente, pour laquelle un recours n’est possible qu’aux conditions de l’art. 93 al. 1 LTF. En l’espèce, l’admission du recours ne permettrait pas d’obtenir une décision finale (lit. b). Il ne reste qu’à examiner si un renvoi injustifié à l’Office AI pourrait avoir des conséquences négatives, qui ne pourraient pas totalement être éliminées dans le cadre de la contestation de la décision finale et qui justifierait l’application de l’art. 93 al. 1 lit. a LTF.
Quant au fond, la jurisprudence publiée à l’ATF 137 V 210 précise certes que l’assuré a la possibilité de poser des questions complémentaires avant l’expertise, sans toutefois donner des indications quant à la procédure. L’expertise étant un moyen de preuve pour éclaircir les faits, le TF estime que les questions complémentaires de l’assuré sont apparentées à des demandes de preuve, sur lesquelles l’autorité doit statuer par voie de décision, comme c’est d’ailleurs le cas en procédure civile et pénale.
Le refus de soumettre à l’expert des questions complémentaires étant une décision incidente de procédure, le TF estime ensuite qu’un recours à son encontre n’est possible que si la personne concernée subit un préjudice irréparable de par la décision (art. 55 al. 1 LPGA, en lien avec les art. 5 al. 2 et 46 LPA).
En général, le caractère irréparable du préjudice est donné lorsqu’il s’agit de contester la décision de principe d’ordonner une expertise ou la personne de l’expert (ATF 137 V 210).
Quant au contenu du questionnaire adressé à l’expert, le TF relève que les questions essentielles sur l’état de santé et la capacité de travail sont déjà posées par l’administration. Les questions complémentaires peuvent donc être de plusieurs sortes:
- les questions qui permettent de préciser ou compléter les questions de base, que l’administration n’a aucun intérêt à refuser puisqu’elles lui servent également à un meilleur éclaircissement des faits ;
- les questions suggestives, qui ne diffèrent dans le fond pas des questions posées par l’administration, mais qui sont posées de telle sorte que la réponse est dirigée. Ces questions sont inutiles et seront rapidement reconnues comme telles par l’expert avisé. La question de les soumettre ou non à l’expert demeure de l’appréciation de l’administration, qui pourra le cas échéant les soumettre avec un commentaire;
- les questions de droit, comme celles au sujet de la causalité adéquate ou du droit aux prestations, qui ne sont pas admises dans un questionnaire, car il appartient à l’administration et au juge de statuer;
- les questions étrangères aux faits, par exemple celles qui portent sur des aspects non liés à l’invalidité ou à la personnalité de l’expert, qui ne sont pas admises non plus, sauf celles concernant la causalité naturelle. En effet, même si la question n’est pas pertinente en AI, elle peut s’avérer utile dans un but de coordination des assurances sociales.
Au final, le TF relève qu’il y aura généralement peu de questions pertinentes et l’administration devrait donc les admettre. Si toutefois l’administration devait refuser de soumettre des questions à l’expert, il convient d’examiner comment un tel refus, sous la forme d’une décision incidente, influe sur la situation juridique de l’assuré. La conséquence directe du refus réside dans le fait que l’expert ne répondra pas directement à la question. Il n’en demeure pas moins qu’il évoquera peut-être la problématique dans son expertise, auquel cas l’assuré n’aura alors plus d’interrogation. Par ailleurs, si des doutes subsistent après l’expertise, rien n’empêche que des questions soient posées ultérieurement.
Dans ce contexte, le TF examine les raisons qui l’ont poussé à admettre le caractère irréparable du préjudice dans le cadre d’une décision concernant le principe même de l’expertise et le choix de l’expert. S’agissant du souci que l’expertise soit appropriée, de sa charge psychique et physique pour l’assuré, de la pratique d’attribution de l’expertise et du fait qu’une expertise ne doit pas servir de « second opinion », le TF relève que ces problématiques ne se rencontrent pas de la même manière concernant les questions complémentaires. Par conséquent, et à la différence des décisions qui portent sur le principe même de l’expertise ou sur le choix de l’expert, l’assuré doit prouver le préjudice irréparable s’il souhaite recourir contre une décision de refus de soumettre des questions complémentaires à l’expert.
En l’espèce, l’Office AI a fait valoir qu’une procédure sur l’admission de questions complémentaires engendrerait un investissement supplémentaire considérable. Le TF répond que si les questions sont pertinentes, elles doivent être admises, tandis que si elles ne sont pas, elles feront l’objet d’une décision de refus brièvement motivée et l’assuré ne pourra alors pas établir un préjudice irréparable. Si l’autorité estime qu’il s’agit alors uniquement d’une manœuvre dilatoire, elle a toujours la possibilité de suspendre la rente pendant la procédure. Pour tous ces motifs, le recours de l’AI est irrecevable.
Pauline Duboux, juriste à Lausanne