(A. LLP [Etude d’avocats ayant son siège aux USA] c. B. [avocat domicilié en Allemagne])
Recours contre la sentence rendue le 29 septembre 2014 par un Tribunal arbitral CCI siégeant à Zurich. Viole l’ordre public procédural le tribunal arbitral qui statue sans tenir compte de l’autorité de la chose jugée d’une décision antérieure. Sur le plan international, l’autorité de la chose jugée gouverne, entre autres, les rapports entre tribunaux arbitraux ayant leur siège dans des Etats différents. Si donc une partie saisit un tribunal arbitral siégeant en Suisse d’une demande identique à celle qui a fait l’objet d’une sentence arbitrale exécutoire, rendue entre les mêmes parties, par un tribunal arbitral siégeant dans un autre Etat (in casu, l’Allemagne), le tribunal arbitral suisse, sous peine de s’exposer au grief de la violation de l’ordre public procédural, devra déclarer cette demande irrecevable, pour autant que la sentence étrangère soit susceptible d’être reconnue en Suisse en vertu de l’art. 194 LDIP.
Sous réserve des dispositions spéciales contenues dans des traités internationaux, la question de savoir si les demandes sont identiques doit se résoudre en application de la lex fori, soit, pour un tribunal arbitral siégeant à Zurich, les principes pertinents du droit suisse. Selon ces mêmes principes, les effets attachés à l’autorité de la chose jugée d’une sentence étrangère dépendent du droit de son Etat d’origine. Toutefois, une sentence reconnue n’a en Suisse que l’autorité de la chose jugée qui serait la sienne si elle émanait d’un tribunal arbitral suisse. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la recourante, l’autorité de la force jugée d’une sentence étrangère en Suisse ne s’attache qu’au seul dispositif, à l’exclusion des motifs, même si (par hypothèse) selon le droit de l’Etat d’origine ces derniers bénéficient eux aussi de l’autorité de la chose jugée. En l’espèce, c’est à raison que le tribunal arbitral suisse a déterminé que la demande dont il était saisi n’était pas identique à celle qui avait été soumise au tribunal allemand. Même à supposer que ces demandes eussent été identiques, en vertu de la conception suisse de l’autorité de la chose jugée, le tribunal siégeant à Zurich n’était pas lié par les considérants de la sentence du tribunal allemand au sujet de l’interprétation du contrat dont étaient issues les demandes des parties dans les deux arbitrages (consid. 3.2). Recours rejeté. (Au sujet de l’autorité de la chose jugée en tant que composante de l’ordre public procédural au sens de l’art. 190 al. 2 let. e LDIP, voir également l’arrêt 4A_374/2014 (consid. 4.3.1 et 4.3.2.3), résumé dans le chapitre « Droit du sport » de cet ouvrage).
Antonio Rigozzi, Erika Hasler